Septembre 2018 Par Anne LE PENNEC Initiatives

Ainsi font font font... les villes pour tenter de réduire les inégalités sociales de santé

Le Réseau français des Villes-Santé de l’OMS organisait le 24 mai dernier à Angers son colloque annuel intitulé “Petite enfance, inégalités, villes”. L’occasion d’échanger autour des nombreuses initiatives locales imaginées aux quatre coins de la France dans le but de promouvoir la santé dès le plus jeune âge mais aussi de constater combien il est délicat d’en mesurer les effets sur les inégalités de santé. Au printemps, le parc d’attraction du végétal Terra Botanica situé en plein coeur de l’Anjou regorge de couleurs, d’odeurs et de fleurs. Des allées de roses, plantes exotiques et autres nénuphars, les 132 élus et professionnels de la petite enfance venus assister le 24 mai à la rencontre ‘Petite enfance, inégalités, villes’ ont pu apprécier les effluves avant de s’engouffrer dans le centre d’affaires adossé au parc. C’est ici que le réseau français des Villes-santé de l’OMS tenait cette année son désormais traditionnel colloque national. Au programme : conférence introductive, table ronde, ateliers thématiques en sous-gtroupes, re-conférence. Le tout entrecoupé de pastilles humoristiques croquées sur le vif par le dessinateur Eric Appéré. Sur l’estrade, la présidente Charlotte Marchandise-Franquet, élue à la santé de la Ville de Rennes, commence par rappeler que la lutte contre les inégalités sociales de santé est au coeur des préoccupations des quelque 90 communes qui composent le Réseau. Et d’inciter les communes à s’engager dans la voie de l’action au niveau local. ‘Cela fonctionne!’, assure-t-elle.Ce n’est pas Julie Poissant, docteure en psychologie communautaire, chercheure à l’Institut National de Santé Publique du Québec et experte pour le Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, qui dira le contraire, elle qui travaille sur les interventions permettant de réduire ces inégalités dès le plus jeune âge. C’est à elle que revient la tâche de prononcer la conférence d’ouverture et de convaincre, données scientifiques à l’appui, de la nécessité d’agir tôt dans la vie pour avoir un maximum d’impact sur ce qu’elle préfère appeler des inéquités en santé plutôt que des inégalités dans la mesure où elles sont injustes et évitables. Jouant de son accent et de quelques truculentes expressions québécoises, elle a fait montre de pédagogie, rappelant d’abord que 1. les inégalités de santé sont visibles dès la naissance, avec par exemple plus de bébés de faible poids chez les femmes sans ressources ou vivant d’aides sociales que chez celles qui travaillent, 2. qu’elles se répartissent selon un gradient et 3. qu’elles sont sous la coupe de multiples déterminants (milieux de vie, interactions sociales, possibilités individuelles) eux-mêmes influencés par des contextes. Julie Poissant s’est fait l’écho auprès des élus et professionnels présents de ce que les travaux menés ces dernières années mettent en lumière, à savoir que les expériences vécues pendant la petite enfance – statut social, envionnement affectif, ressources économiques – laissent des traces indélébiles et influencent la santé tout au long de la vie. Seconde certitude relayée par l’experte : l’action sur plusieurs déterminants sociaux selon le principe de l’universalisme proportionné (chacun selon ses besoins) est la plus efficace pour soutenir le développement de l’enfant dans une logique d’équité. ‘Les communes disposent de nombreux leviers pour agir en ce sens, que ce soit en direction de l’enfant et de sa famille mais aussi dans la communauté au sein de laquelle les vies sont liées, sur les milieux de vie ou via des décisions politiques.’ Le Réseau en est lui aussi persuadé et propose un document de synthèseNote bas de page de ce qu’est la stratégie de l’universalisme proportionné et de la manière dont les villes peuvent la promouvoir ou la mettre en oeuvre. Mais revenons à Julie Poissant, qui veut encore insister sur la nécessité de mieux mesurer l’impact des actions entreprises à l’échelle locale. Car, dit-elle, ‘ce qui se mesure s’améliore’. D’accord, mais comment? Dans la salle, il se murmure que l’expertise et les outils manquent souvent aux acteurs pour observer les effets produits par leurs actions.

‘Comment savoir si on réduit vraiment les inégalités de santé?’

La session suivante, format table ronde, fournit quelques exemples d’actions locales initiées dans le but de réduire les inégalités sociales de santé au moment de la petite enfance : actions de soutien à la parentalité à travers la construction d’une bande-dessinée et la réalisation d’un reportage vidéo dans des micro-crèches de la commune de St-Joseph à la Réunion, dispositifs passerelles à Angers pour faciliter la transition vers l’école maternelle des enfants et de leurs parents. Le directeur de l’Agence régionale de santé des Pays-de-la-Loire, Jean-Jacques Coiplet, a quant à lui réaffirmé, au nom de la lutte contre les inégalités sociales de santé, le soutien de son institution aux projets visant à déployer les compétences psycho-sociales chez les plus jeunes ‘pour qu’ils deviennent des citoyens agissant plutôt que subissant’, à permettre aux professionnels de la petite enfance d’aller au domicile des familles, à soutenir les contrats locaux santé. Tandis que s’installe un débat sur la participation des familles et la posture des professionnels vis-à-vis de leurs compétences, une voix s’élève dans la salle et pose LA question fort à-propos compte tenu du thème de la journée : ‘Comment savoir si on réduit vraiment les inégalités sociales de santé avec tous ces dispositifs?’ Pas de réponse…Après une furtive incursion dans les verts paysages alentours, l’après-midi débute en ateliers : quatre groupes, quatre thèmes, quatre discussions autour d’expériences de terrain. Celle consacrée aux cadres de vie et à la santé des jeunes enfants fait d’abord escale à la Rochelle, plus exactement dans l’école-crèche associative Petit à petit qui depuis 2015 s’est lancé dans une démarche participative pour mieux prendre en compte la santé environnementale et le développement durable. ‘Une démarche qui se veut vivante et nous incite tous, enfants, parents et personnels, à participer, nous adapter, observer. A être bien avec soi, avec les autres et avec son environnement, autrement dit à être en bonne santé’, résume Anne de Chalendar, la directrice de la crèche. A Brest, la co-construction par les professionnel.les et les parents d’un jardin sensoriel attenant au multi-accueil Pen Ar Creach a pour objectif d’offrir aux enfants la possibilité de faire le plein d’expériences sensorielles mais aussi de favoriser l’inclusion en ouvrant cet espace aux habitants et structures du quartier. Dernière étape à Grenoble qui a enfin réussi à atteindre le but que s’était fixé son service d’action sociale petite enfance : avoir de la mixité sociale dans toutes les crèches, aussi bien celles du centre-ville que celles des quartiers périphériques. Son directeur se lance dans un récit du chemin parcouru en dix ans pour affiner les critères de priorité et mettre au point la politique d’accès aux places de crèches la plus en phase avec la sociologie de la ville. A l’écouter expliquer les enjeux de cette réflexion, on se dit qu’on est enfin au coeur de la lutte contre les inégalités sociales de santé telle que les villes peuvent la mener.

La santé des jeunes enfants, levier de transformation sociale?

Pour la dernière séquence de la journée, la parole est à Didier Jourdan, professeur en sciences de l’éducation et détenteur de la toute nouvelle chaire de l’Unesco ‘éducations et santé’ (inauguration prévue le 10 octobre 2018 à Paris). Son intervention porte sur l’accompagnement des enfants vulnérables à l’âge de l’entrée à l’école, dont il martèle l’un des principaux enjeux à ses yeux : ‘s’occuper de la santé des petits enfants revient à s’occuper de la santé des individus tout au long de la vie ainsi que de leurs descendants.’ Pour lui, une véritable stratégie d’action en matière de lutte contre les inégalités de santé dans la petite enfance ne saurait se passer d’une réflexion sur la durabilité, la soutenabilité et la généralisation des dispositifs. Elle engage à tout le moins un véritable processus de transformation du système éducatif, une réflexion sur la formation, la charge de travail et la cohérence des professionnel.le.s, un rencentrage sur l’éco-système de vie des enfants dans lequel ‘le digital doit désormais être pensé comme un élément du local’. A la question ‘comment faire?’, il répond médiation via le langage notamment, et dispositifs structurants tels que le temps périscolaire ‘qui mérite d’être considéré comme un temps possible d’éducation à la santé’. Et de conclure : ‘La santé de la petite enfance est l’un des meilleurs atouts dans le champ de la santé publique car elle fait l’objet d’une vision assez unanime. C’est un levier de transformation pour inventer un nouveau système de santé mieux adapté à la réalité actuelle.’A l’issue de cette journée, Charlotte Marchandise-Franquet promet de transmettre une synthèse des échanges de la journée aux parlementaires français pour ‘valoriser et faire connaître le travail des villes qui s’engagent pour la santé’. Les plus curieux d’entre eux y trouveront un riche panorama d’initiatives à même de promouvoir la santé de tous dès le plus jeune âge. Pour ce qui est de leur efficacité à réduire les inégalités sociales de santé en revanche, il est probable qu’eux aussi restent un peu sur la faim.

La plupart des communications de ce colloque sont accessibles en ligne sur le site du réseau français des Villes-santé de l’OMS : http://www.villes-sante.com/colloques-et-seminaires/colloque-petite-enfance-inegalites-villes-2/