Octobre 2015 Par Télé Accueil Initiatives

Douleurs et désillusions quotidiennes des familles

Depuis plus de cinquante ans, Télé-Accueil Bruxelles propose une écoute à toute personne en difficulté sur le plan moral, social ou psychologique et qui souhaite en parler dans l’anonymat et la confidentialité. Une centaine de bénévoles formés à l’écoute se relaient au téléphone – le 107, un numéro gratuit – 7j/7, 24h/24. Le site www.chat-accueil.org est également ouvert chaque soir aux chatteurs.

Des milliers d’appels arrivent chaque année sur ces lignes, plaçant de facto l’association dans une position de témoin de la société. Sans dévoiler le contenu de ces appels, l’Observatoire social de Télé-Accueil rend régulièrement une analyse de certains thèmes. Sa dernière recherche vient de sortir: elle porte sur les familles.

«J’ai l’impression ce matin que ça ne parle que de ça, des familles déglinguées et des conflits», résume un écoutant. Qu’est-ce qui ne tourne plus rond dans ces familles, dans ces couples? C’est quoi la famille aujourd’hui? Cette recherche n’a pas pour but d’en donner une nouvelle définition mais de se pencher sur les difficultés qu’elle abrite à partir de ce qui s’en dit à Télé-Accueil Bruxelles. Elle est basée sur une centaine de récits d’appels reçus en 2014 et relatés par les écoutants.

La souffrance des mères

Une première forte impression: ce qui semble faire famille, c’est la mère. La mère qui gère, qui élève, qui lutte, qui souffre et, derrière elle, la femme: son statut, son rôle, sa personne. Qui sont ces mères d’aujourd’hui à Bruxelles qui appellent Télé-Accueil et que nous apprennent-elles de ce qu’elles vivent? Quelles sont ces douleurs et ces désillusions dont elles nous font part? Qui sont aussi leurs proches et comment interagissent-ils?

Les appelants livrent ce qu’ils vivent aujourd’hui, parfois à l’instant. D’autres ressassent des faits passés qui continuent d’influer sur leur quotidien. «Famille je vous hais, famille je vous aime»… cette recherche n’a rien inventé! Elle nous a emmenés cependant dans des zones intimes: celles que l’on confie rarement aux autres, aux proches, à ceux qui pourraient juger, critiquer, conseiller; celles que l’on tait par peur, par honte, par manque de courage; celles que l’on ignore parfois de soi-même et à laquelle la mise en mots avec un anonyme aide à donner corps.

Malgré les différentes positions qu’occupent les appelants dans leur famille, nous avons donc zoomé sur les mères. D’une part parce qu’une majorité de femmes d’âge moyen appellent Télé-Accueil, d’autre part car c’est autour de cette figure maternelle que se situent les nombreux enjeux dont celles-ci font part.

C’est autour de leur position sociale, individuelle et sexuée que nous avons choisi d’analyser leurs récits. Où se situe le point d’équilibre pour ces femmes entre ce qu’elles sont, ce qu’elles vivent et ce qu’elles donnent à voir? Le trouvent-elles? Non. Et sans doute est-ce une des raisons pour lesquelles elles composent le 107. Entre le mari présent ou absent, sa figure ineffaçable même après une séparation, entre l’éducation des enfants et les difficultés financières, ces femmes ont un besoin de réalisation, de reconnaissance qui manifestement ne vient pas.

Elles ont souvent beaucoup sacrifié: études, vie professionnelle; la conjugalité et la maternité ne les comblent pas ou plus. Ou alors à l’excès, et l’on assiste à des scènes de fusion variable au fil des âges: collage mère/enfant, projection des jeunes dans une réussite scolaire réparatrice, jusqu’au curieux binôme parent senior/enfant adulte vivant sous le même toit.

Des ressources

Trahison, abandon, solitude finalement et déception: elles se sentent trahies quand leur mari les trompe, abandonnées quand les enfants du divorce choisissent d’aller vivre chez leur père, seules quand âgées leur descendance s’est éloignée, déçues de la place qu’elles occupent, celle qu’elles se sont taillée ou celle qu’on leur a attribuée. Incompréhension finalement d’avoir tant donné et si peu reçu ou si peu gardé. C’est sans doute ce manque qu’elles expriment principalement à Télé-Accueil, outre leurs peines et leurs doutes.

Nombreuses sont ces femmes qui disent au travers de leurs actes la ‘bonne mère’ qu’elles sont ou qu’elles voudraient être tandis que filtre entre leurs mots toutes leurs difficultés à faire face et à s’accorder une place désirable pour elles-mêmes, en adéquation avec leurs valeurs et leurs aspirations. Car la famille n’est pas pour chacun ce laboratoire de développement personnel qu’elle est censée représenter aujourd’hui, ce vivier où l’on naît et où l’on vient se ressourcer pour mieux avancer. Les appels reçus à Télé-Accueil reflètent davantage un microcosme familial qui oscille entre différenciation et reproduction, entre dépendance affective et soif d’indépendance, entre conformisme et provocations. Mais plus que tout il semble qu’il manque de bienveillance, de soins. Ces femmes en manquent autant qu’elles nous disent cependant en prodiguer.

Si à titre personnel les différentes composantes de l’individu ne sont pas en consonance, si la famille ne fonctionne pas comme support de réalisation propre, qu’est-ce qui fait ressource? Parler? À un inconnu au téléphone? Les appelantes se plaignent, pleurent parfois. Pourtant ce sont des battantes, même si elles ne sont pas toujours gagnantes.

Peut-être est-ce durant ces jours de défaite qu’elles appellent, pour raconter leur combat, recomposer leurs forces, leur image de forteresse tout en révélant des fondations d’argile… En calquant sur ces appels la triade transactionnelle, on leur donnerait volontiers l’étiquette de victime, alors que dans leur récit tout porte à croire qu’elles sont des sauveurs: contraintes d’élever leurs enfants seules, beaucoup y arrivent. En racontant leur histoire, elles donnent corps à leur personnage d’épouse ou de mère ou simplement de femme quand leur entourage tel un bourreau ne le fait plus, ou le fait mal. Cette narration les aide à prendre distance (parfois au prix d’appels répétés), à ne plus se fixer sur des faits ou des rancoeurs mais à transmettre des émotions. Et à construire une image de soi, à la tester peut-être.

Le dossier complet ‘Douleurs et désillusions quotidiennes des familles’ (mars 2015) peut être téléchargé sur www.tele-accueil-bruxelles.be.