Octobre 2013 Par Colette BARBIER Locale Wallonie

Chaque année, le Centre local de promotion de la santé du Hainaut occidental (CLPS Ho) organise une matinée d’échange destinée à analyser des initiatives de promotion de la santé sur le territoire du Hainaut occidental. L’occasion est ainsi donnée aux professionnels oeuvrant dans les secteurs de la santé, de l’éducation et du social de discuter de leurs pratiques de terrain pour tirer des enseignements utiles à l’accomplissement de leurs missions.
Cette année, ce sont environ 70 acteurs qui sont venus échanger leurs pratiques et leurs expériences autour de trois ateliers : les assuétudes, l’alimentation et l’activité physique, la santé mentale.

À partir de la présentation de projets locaux, un débat a permis de dégager une série d’éléments essentiels contenus dans les expériences, notamment les facteurs qui favorisent et freinent la mise en place, le développement et la réussite des projets, le type de partenariat mobilisé, les manières d’évaluer les projets.

Un autre objectif, en partant d’initiatives locales et d’éclairages du terrain, était de pouvoir en retirer des enseignements féconds pour les actions de demain grâce à un apprentissage mutuel.

Tien Nguyen , directeur du CLPS Ho, nous a fait part du fruit de ces riches échanges entre professionnels.

Les obstacles rencontrés

Des contrats précaires

Les professionnels chargés de la réalisation de projets doivent parfois travailler avec des contrats précaires. «Par exemple, des acteurs disposent d’un an ou deux pour mettre sur pied un projet et le développer», constate Tien Nguyen. «Ensuite, il n’y a plus de subsides et le projet disparait. Si les acteurs veulent malgré tout réaliser le projet en question, ils doivent revenir à la case départ et procéder autrement. Il n’y a donc pas de continuité

L’essoufflement des partenaires

Même pour ceux qui ont la chance de travailler avec des budgets à long terme, on constate souvent un essoufflement des partenaires. «Ainsi, après trois ans, on sent une démobilisation. Dans le cas d’un atelier cuisine, ça marche très bien pendant les deux, trois premières années. Ensuite, les partenaires tombent dans la routine et s’en vont. L’enjeu est donc de trouver un second souffle au projet.»

Des sources de financement limitées

Étant donné que les sources de financement des projets santé provenant de la Fédération Wallonie-Bruxelles sont à durée limitée, les acteurs essaient de faire des montages financiers. «Pour cela, ils sollicitent la commune, la Région wallonne, etc. Les montages deviennent de plus en plus compliqués, au point de constituer une tâche administrative qui mange une bonne partie de leur temps de travail au détriment de leur présence sur le terrain.»

Un temps de maturation trop court

Réaliser des projets de promotion de la santé demande un temps de maturation des activités. «Nous ne travaillons ni dans un service d’urgences ni en médecine curative, qui sont deux domaines de la santé où l’on donne un médicament destiné à soulager tout de suite la douleur. Nous n’avons pas ce genre de remède à notre disposition ! Nous menons des actions à long terme et avons besoin d’un temps de maturation pour obtenir des résultats. Cela décourage certains professionnels qui ont du mal à mobiliser leurs forces dans un projet dont ils ne verront parfois pas les résultats avant cinq ou dix ans.»

Par ailleurs, les pouvoirs publics, les communes, ou encore les ministères, qui subventionnent un projet, recherchent une visibilité immédiate. «Quand ces instances paient, elles veulent que ‘quelque chose’ se passe l’année suivante, surtout en période électorale. Les travailleurs de terrain sont donc pris entre la nécessité de maturation des projets et le besoin de visibilité immédiate. Il y a ainsi des projets qui passent leur temps à montrer qu’ils existent sans avoir le temps de réaliser les objectifs pour lesquels ils ont été mis en place

Les atouts

L’expérience

Parmi les atouts, Tien Nguyen attire l’attention sur le fait que la promotion de la santé est une notion qui existe depuis plus de 25 ans et qui est réglée par un décret depuis une quinzaine d’années, ce qui constitue un temps suffisamment long pour acquérir une certaine expérience, ainsi qu’un bon bagage. Il n’en reste pas moins vrai que ces acquis doivent être consolidés en permanence, surtout au niveau méthodologique.

La nécessité d’établir un diagnostic

Avant de lancer un projet, il est essentiel d’être en possession d’un bon diagnostic d’une situation donnée. «Ce diagnostic doit être réalisé de manière sereine avec les acteurs de terrain et la population. Pour cela, il est important de ne pas se laisser influencer par l’émotion médiatique. Par exemple, se trouver face à un étudiant qui fait une overdose dans une classe ne signifie pas que toutes les écoles vont connaître une telle situation. Dans ce cas, il n’y a pas d’épidémie ni de question de santé publique. Il est essentiel de se méfier des climats émotionnels et de s’appliquer à repérer les grandes tendances de santé publique sur lesquelles il est important et possible d’agir

L’importance de la méthodologie

Sur le plan méthodologique, la mise en place d’un partenariat à long terme, ainsi qu’une définition précise du rôle de chacun sont deux facteurs très favorables à la réussite d’un projet. «Il faut vraiment éviter les situations dans lesquelles on trouve de nombreux partenaires qui ne savent pas exactement ce qu’ils doivent faire et quelles sont les limites de leur intervention.»

La création de projets mobilisateurs

Dans le cadre de la réalisation d’objectifs à long terme, il est important de lancer, de temps en temps, des petits projets mobilisateurs. «Le but est d’éviter que les acteurs qui investissent leur énergie en assistant à des réunions, en réalisant des actions, en faisant des animations ne soient démotivés par la perspective de récolter les fruits de leur travail après seulement plusieurs années. C’est pourquoi il est bon d’organiser de petits événements. À cet égard, la journée annuelle d’échange des pratiques est une bonne manière de garder la flamme.»

La désignation d’une personne relais

Pour chaque projet mené en partenariat, il est important de désigner une personne de référence ou une personne identifiable. «Ainsi, les CLPS représentent souvent cette personne de référence pour la mise en place de projets et leur développement. Malheureusement, il arrive qu’il y ait plusieurs personnes de référence, de sorte que les partenaires ne savent pas à qui s’adresser.»

L’interpellation des usagers

Pour favoriser le développement des projets, il faut aussi veiller à encourager la participation de la population, des usagers en particulier, pour connaître leurs besoins réels. «On se rend très bien compte que si on mène des actions pour les gens mais sans eux, cela ne marche pas. Nous ne devons pas tomber dans le piège de l’offre qui ne rencontre pas de demande. Or, dans notre secteur, il arrive que des acteurs offrent des initiatives d’actions, mais quand on prospecte sur le terrain, il n’y a pas de demande. Il est donc important d’avoir une demande des usagers, quitte à la négocier avec eux. »

Mais il arrive aussi que, sur le terrain, les personnes interrogées quant à leurs besoins n’aient rien à dire, ou émettent des souhaits irréalisables, ou encore fassent état d’un besoin qui ne relève pas de la promotion de la santé. «Comme nous vivons dans une période de précarité, les personnes sont souvent en demande d’un travail, d’un logement. Il s’agit là de besoins qui passent avant la santé. Aussi, pour essayer de les intéresser à la santé, il serait parfois utile de passer par le canal de la réflexion sur la précarité et le logement, même si au niveau de notre compétence, nous avons très peu de pouvoir, si ce n’est quand même un pouvoir d’interpellation des autorités par rapport à ces problématiques.»

La mise en place d’un contexte festif

Les acteurs de terrain attirent aussi l’attention sur la nécessité d’organiser des activités conviviales. «Sur le terrain, les usagers n’apprécient pas trop les concepts compliqués, ‘universitaires’. Ils recherchent plutôt un contexte festif. Dans le domaine de l’alimentation, par exemple, on constate qu’il ne faut pas dire ‘Il est interdit de manger ceci ou de boire cela, sous peine de développer une maladie grave et d’en mourir’, mais plutôt dire ‘Tiens, si on essayait de découvrir le plaisir de manger tel aliment afin de tester son côté festif et convivial?’. Cela revient à regarder le verre à moitié plein, ou autrement dit, à chercher comment faire pour maintenir une bonne santé ou la renforcer.»

Les enseignements

Quand un facteur favorisant crée des blocages

Les échanges de la matinée ont aussi permis de constater que certains éléments peuvent constituer tantôt des facteurs favorisants, tantôt des blocages. «En fait, tout dépend de la manière dont on utilise certains éléments. Ainsi, on dit souvent qu’il faut ‘travailler en réseau’. C’est une expression très à la mode. Cependant, on se rend compte que le réseau peut être très favorisant comme il peut aussi bloquer la réalisation de projets. Lorsque le réseau et le rôle de chacun sont mal définis, qu’il n’y a pas de suivi, il tourne en rond et devient contre-productif. Par contre, si le rôle de chacun est bien défini, le travail du réseau apportera beaucoup de choses positives. Il y a donc des conditions et des modalités de travail au bon fonctionnement d’un réseau.»

De même, l’évaluation peut être un atout comme elle peut représenter un frein. «Les évaluations permettent de mesurer de manière constante le travail accompli et les actions menées. D’un autre côté, elles peuvent aussi bloquer les acteurs qui ne sont pas habitués à cette culture de l’évaluation. On constate une résistance culturelle à l’évaluation. Les acteurs ont peur de se voir distribuer des bons et des mauvais points, comme à l’école, ce qui a parfois pour effet de les inhiber, de les démobiliser. Je remarque d’ailleurs souvent que des personnes ne viennent pas aux séances d’évaluation. Comme par hasard, elles ne sont pas libres pour ces séances-là, alors qu’elles sont libres pour d’autres séances, comme les animations par exemple.»

Le type de partenariat mobilisé

Il est ressorti des échanges que les partenariats doivent être créés sur des périodes à long terme. Le type de partenariat doit être défini en fonction des objectifs d’un projet. «Ainsi, quand on lance un projet, il faut commencer par se demander ce que l’on souhaite faire et à partir de là, construire le partenariat. Il ne sert à rien de mobiliser tout le monde. Si l’objectif est, par exemple, de monter un projet pour sensibiliser les pouvoirs communaux en matière d’alimentation, les partenaires à mobiliser sont les échevins de la santé ou de la jeunesse

L’évaluation des projets

L’évaluation permanente est un bon outil car elle permet d’évaluer un projet de manière progressive en vue de corriger les erreurs éventuelles et de faire des réajustements si cela s’avère nécessaire. «L’évaluation ne doit pas être normative et culpabilisante dans le sens où elle juge ce qui a été bien fait et ce qui a été mal fait. Elle doit plutôt être formative afin d’analyser ce qui a bien fonctionné et ce qui a donné de moins bons résultats pour, au final, voir comment faire mieux et évoluer de manière positive

Le mois prochain, nous passerons à la pratique, nous vous présenterons la Table OMS Alcool à Mouscron, un projet concret auquel le CLPS du Hainaut occidental est associé.

Le CLPS du Hainaut occidental couvre la région de Ath, Tournai, Mouscron, Comines. Adresse: rue de Cordes 9, 7500 Tournai. Tél.: 069 22 15 71. Fax: 069 23 52 50. Courriel: clps.hainaut.occidental@skynet.be. Site: http://www.clpsho.be. Heures d’ouverture: lundi, mercredi et jeudi de 8h30 à 18h, mardi de 8h30 à 16h30, vendredi sur rendez-vous. Il possède aussi une antenne à Bernissart, un Point-relais à Estaimpuis.