Juin 2019 Par Axelle VERMEEREN B. SWENNEN M.-C. MIERMANS Réflexions

Provac

Début 2016, une modification législative portant sur l’art infirmier a retenu l’attention de l’équipe interuniversitaire Provac, qui a souhaité en évaluer les freins et les opportunités en termes d’impact sur la mission vaccinale pour la population scolaire desservie par les équipes PSE.

Plus de 250 professionnels PSE, essentiellement médecins et infirmier-ères, participants aux rencontres PSE/PROVAC de juin 2016 et 2017 se sont exprimés sur les impacts potentiels de cette modification dans leurs pratiques vaccinales. Leur réflexion a aussi porté sur les conditions à réunir pour que la vaccination par les infirmières soit porteuse de sens et d’amélioration de l’offre vaccinale aux populations scolaires sous tutelle.

L’article synthétise différentes recherches menées par l’équipe interuniversitaire Provac, dans le cadre de financements de la DG Santé de la FWB puis de l’ONE[4].

La pratique vaccinale des infirmières en Promotion de la Santé à l’école (PSE) en FWB ? Une innovation à bien réfléchir...

Que disent les textes de l’arrêté royal et des différents organes d’avis ?

L’arrêté royal du 29 février 2016[5] a modifié le statut de « la préparation et l’administration de vaccins », reprises dans la « liste des prestations techniques de l’art infirmier et des actes pouvant être confiés par un médecin à des praticiens de l’art infirmier ». Cet acte peut, à présent, être exécuté par l’infirmier-ère sans que la présence physique du médecin ne soit requise. Il n’est dès lors plus considéré comme un acte « confié » mais bien comme une « prestation technique de soins infirmiers » requérant une prescription médicale, prestation dite de type B2. Les Académies royales de Médecine de Belgique (flamande et francophone) avaient remis un avis conjoint positif en juin 2015.

« En fonction des besoins de prévention et de la maximalisation de la protection de populations à risque, la possibilité de vacciner et l’impact des programmes de vaccination doivent être aussi larges que possible. Pour obtenir un taux important de vaccination de la population, il y a lieu de limiter au mieux les obstacles à cette pratique. Les Académies sont d’avis que la possibilité de vaccination par le personnel infirmier, sans présence physique d’un médecin, permettra de vacciner en temps utile et promptement. Ceci s’applique également pour les tests à la tuberculine intradermique. Ces procédés sont en concordance avec la réglementation et la pratique dans d’autres pays, comme le Royaume-Uni, l’Australie, les États-Unis d’Amérique, et le Canada. Comme condition, celle ou celui qui administre le vaccin doit avoir participé à une formation continue complémentaire sur les vaccins et leur administration, comportant en outre le contrôle des effets indésirables et les premiers soins en cas d’anaphylaxie. ».

L’avis émettait aussi des recommandations concernant les modalités d’exécution relatives à ces prestations ainsi que les qualifications requises.[6]En septembre 2015, tant le Conseil national de l’Ordre des médecins que la Commission Technique de l’Art Infirmier[7] (CTAI) se ralliaient à l’avis émis par les Académies royales de médecine. La CTAI « recommande qu’infirmier-ère et médecin définissent ensemble une procédure reprenant les observations et les précautions nécessaires pour un acte de type B2 ».

Quelle vision les acteurs PSE ont-ils de la modification législative autorisant le personnel infirmier à vacciner, sans la présence physique d’un médecin ?

En juin 2016, sur base de la méthode du Métaplan®[8], les opinions, craintes, besoins de formation perçus, et questionnements des acteurs PSE ont été débattus durant des ateliers d’échanges autour de la question « Quelle vision les acteurs PSE ont-ils de la modification législative autorisant le personnel infirmier à vacciner ? ».

Le matériel récolté a été encodé et analysé à l’aide du logiciel d’analyse qualitative NVivo, puis synthétisé, discuté avec le Pôle Vaccination de l’ONE en avril 2017, et présenté aux professionnels PSE lors des rencontres organisées en juin 2017.

La préoccupation formulée par le plus grand nombre de participants interrogeait l’impact de cette modification législative sur la place et les rôles du médecin en PSE. Etaient mis en tension ses différents rôles, vis-à-vis des élèves lors des bilans de santé et envers les écoles. Si le médecin devait réaliser moins d’actes vaccinaux, certains professionnels ont émis l’opinion qu’il serait plus disponible pour d’autres composantes du bilan de santé telles que parler avec l’élève de sa santé, alors que d’autres, au contraire, craignaient qu’il ne diminue le temps de contact avec chaque élève. Certains disaient qu’il aurait moins d’occasions d’entrer en contact avec les écoles, alors que d’autres, au contraire, le voyaient plus disponible pour y développer de nouveaux projets. Le statut du médecin a aussi été interrogé. Pour ceux sous statut d’indépendant, l’acte vaccinal est rémunéré comme tel. Il conviendrait donc de réfléchir à la rémunération liée à la responsabilité du médecin, tant dans l’organisation du protocole de collaboration médecin/infirmier-ère que des modalités de la « prescription vaccinale » pour chaque élève.

Les professionnels ont aussi largement évoqué les questions de formation et de responsabilité. Ils ont mentionné les modifications d’organisation de la pratique vaccinale de l’équipe en lien avec l’augmentation de l’offre vaccinale et le risque d’augmentation de la charge de travail de l’infirmier-ère. Ils ont formulé des craintes liées à la compétence pour cet acte technique. Ils se sont également montrés sensibles aux notions de procédure, de reconnaissance professionnelle de l’infirmier-ère, ainsi que de communication vers les parents. Permettre aux infirmiers-ères de vacciner en l’absence de médecin constituerait une réponse déguisée à la pénurie et au manque de disponibilité des médecins.

D’autres préoccupations, plus rares, ont été exprimées en termes de coûts, d’assurances, de rôles et image de l’infirmière, de gestion de la charge de travail de l’équipe, de pouvoir décisionnel et de gestion d’éventuels refus, de cadre législatif, et de l’existence de cette pratique hors secteur PSE.Ces différents aspects de la vision développée par les professionnels de la PSE ont été analysés en termes d’opportunités, de freins ou de neutralité eu égard à la mise en œuvre de la modification législative. Parmi les 937 idées émises, 48,1% ont été classées comme freins par les acteurs eux-mêmes, 29,5% comme opportunités, et 22,4% comme neutres (ou inclassables).

La vision qui s’est progressivement dessinée autour de l’impact de la modification législative sur les pratiques vaccinales en PSE se montre assez complexe, contrastée et nuancée. Elle dépasse largement la mission vaccinale et touche de nombreuses facettes de l’organisation de la PSE, dont l’hétérogénéité n’est plus à démontrer. On n’enregistre ni refus massif, ni franche adhésion. Toutefois, vacciner ne fait que très peu partie des actes pratiqués par les infirmiers-ères de PSE, même en présence de médecin. Vacciner est vécu comme un travail de collaboration du binôme médecin / infirmier-ère, essentiel à une médecine préventive de qualité en PSE. Toucher au rôle d’un des membres met en question celui de l’autre, et par là l’équilibre du binôme.

Champ d’application de la pratique vaccinale infirmier-ère en l’absence physique de médecin et points d’attention vis-à-vis des différentes parties prenantes : proposition de ProvacAu terme d’une réflexion de deux ans avec le secteur PSE, Provac propose de considérer que l’intérêt de cette nouveauté législative réside dans la flexibilité du vaccinateur plus que dans la vaccination ‘systématique’ par l’infirmier-ère, en lieu et place du médecin, le rôle du médecin au moment de l’indication et de la ‘prescription’ de la vaccination étant clairement affirmé et rémunéré. Dès lors, toute première dose de vaccin (HPV 1, rattrapage RRO 1, méningocoque) resterait administrée par un médecin, en bilan de santé ou à l’école. Compte tenu du calendrier vaccinal 2018-19 en PSE, les infirmiers-ères administreraient donc toute vaccination de rappel (Tetravac® et Boostrix®) ainsi que la 2ème dose des vaccins RRO, hépatite B et HPV.

Sur base des freins et des leviers identifiés avec les professionnels de la PSE, des recommandations émises dans les différents organes d’avis et de son expertise de la gestion du programme de vaccination, l’équipe Provac a formulé une série de points de vigilance à l’attention des différentes parties prenantes d’une mise en œuvre optimale de cette nouveauté législative dans les pratiques en PSE, dont le but ultime est d’optimaliser la protection vaccinale des enfants et des jeunes, et de limiter au mieux les obstacles à cette pratique.

Provac a identifié 4 types de parties prenantes : le pouvoir subsidiant ONE, le pôle Vaccination de l’ONE responsable du programme de vaccination de la FWB, les Pouvoirs Organisateurs des services PSE et des centres PMS-CF, les équipes de professionnels eux-mêmes.

Vis-à-vis du pouvoir subsidiant ONE, le principal point d’attention porte sur la nécessité d’émettre une circulaire précisant que l’Arrêté royal du 29 février 2016 est applicable dans la pratique vaccinale en PSE à partir d’une date à fixer. Cette circulaire reprendrait le texte de l’AR, les titres requis pour l’exercice de cet acte technique, le canevas du protocole de collaboration entre médecins et infirmiers-ères, les modalités de formation et de sa prise en charge financière ou non par le pouvoir subsidiant, ainsi que l’Avis des Académies Royales de Médecine de Belgique et celui de la CTAI.

Vis-à-vis du Pôle Vaccination de l’ONE, les points d’attention portent sur trois dimensions de la gestion d’un programme de vaccination :

  • l’information de l’ensemble des représentants des vaccinateurs et acteurs de la vaccination réunis au sein du Comité de Concertation Intersectorielle Vaccination (médecins généralistes, pédiatres, AVIQ, COCOF, Sciensano, Question Santé, Groupe Interuniversitaire d’Experts en Vaccinologie (GIEV), Mutualités…) ;
  • la rédaction d’un référentiel « Vaccination » auquel chaque service/centre puisse se référer pour rédiger son protocole de collaboration (conditions d’injection d’un vaccin, réelles contre-indications générales et spécifiques à la vaccination, check-list des contre-indications momentanées, contenu de la trousse de secours, adaptation pour les PSE de la fiche du CSS[9] permettant la prise en charge d’un choc anaphylactique et dosage d’adrénaline en fonction du poids de l’enfant, prise en charge de la douleur…) ;
  • l’information des parents, via les dépliants et les autorisations parentales, mentionnant que la vaccination en PSE est réalisée par l’équipe PSE et non plus par le seul médecin scolaire.

Vis-à-vis des pouvoirs organisateurs des services/centres, les points d’attention portent sur des aspects juridico-administratifs : contrat d’assurance obligatoire en Responsabilité Civile couvrant toute personne portant le titre d’infirmier-ère (en ce compris la défense en justice, non obligatoire), mention de l’administration de vaccins dans le profil de fonction des infirmiers-ères (annexé au règlement de travail) et modalités de gestion d’un possible refus d’infirmier-ère (nouveau-elle ou déjà engagé-e), formation, de base et continue, des infirmiers-ères à l’administration de vaccins et à la gestion du suivi des effets indésirables sévères, en ce compris les premiers soins en cas de choc anaphylactique.

Vis-à-vis des équipes de professionnels, les points d’attention comportent plusieurs aspects :

  • la formation : être capable de vacciner, de gérer d’éventuels effets indésirables sévères (réaction vagale), d’administrer les premiers soins en cas de choc anaphylactique, et avoir travaillé et surmonté ses différentes appréhensions (personnelles, techniques, relationnelles et communicationnelles). Chacun peut, de façon progressive, se familiariser à vacciner (médecin présent dans le local, puis seulement présent dans le service/centre, puis à deux avec un-e autre infirmier-ère) ;
  • la rédaction de la procédure de collaboration entre médecin et infirmier-ère, sous la responsabilité du médecin coordonnateur : chaque équipe a à rédiger son protocole sur base du référentiel proposé par l’ONE. L’équipe doit s’organiser pour répartir la charge de travail de la mission vaccinale entre les différentes professions, dans le respect et en cohérence avec les responsabilités et temps de travail de chacune. En cas de vaccination à l’école pour plusieurs élèves, il faut prévoir que l’infirmier-ère soit accompagné-e d’un autre membre de l’équipe, médecin excepté ;
  • l’information des parents : l’équipe a à communiquer de manière transparente mais rassurante sur son professionnalisme afin d’éviter que des parents renoncent à faire vacciner leur enfant par la PSE.

En conclusion, la mise en application de la vaccination par les infirmiers-ères en l’absence de médecin est conditionnée par un important travail de préparation qui tient compte du rôle de chacune des parties prenantes concernées. Développer un projet pilote avec quelques services/centres volontaires permettrait l’approfondissement des aspects plus opérationnels de la mise en œuvre de cette modification législative.


[1] APES-ULiège, mc.miermans@uliege.be

[2] UCLouvain, axelle.vermeeren@uclouvain.be

[3] ULB bswennen@ulb.ac.be

[4] Pour aller plus loin, le rapport complet de ces recherches est accessible sur le lien : http://hdl.handle.net/2268/235240

[5] Arrêté royal du 29 février 2016 paru au Moniteur le 30 mars 2016 portant modification de l’arrêté royal du 18 juin 1990 portant fixation de la liste des prestations techniques de l’art infirmier et de la liste des actes pouvant être confiés par un médecin à des praticiens de l’art infirmier, ainsi que des modalités d’exécution relative à ces prestations et à ces actes et des conditions de qualification auxquelles les praticiens de l’art infirmier doivent répondre

[6] Académie royale de Médecine de Belgique. Avis sur l’acte de vacciner par le personnel infirmier, Juin 2015

[7] Avis de la Commission Technique de l’Art Infirmier relatif à l’administration des vaccins par les infirmiers, 22 septembre 2015

[9] Conseil Supérieur de la santé, 4 juillet 2012. Avis numéro 8802 sur la prévention et la prise en charge du choc anaphylactique après vaccinations des enfants.