Juillet 2009 Par V. MASSART P. DENOEL D. GIET M. VANMEERBEEK Initiatives

Une étude sur la maltraitance des aînés à Liège

Dans une étude commanditée par le CAPAM (Centre d’aide aux personnes âgées maltraitées), le Département de médecine générale de l’Université de Liège a organisé des groupes focalisés avec des professionnels de la santé (médecins généralistes, infirmiers et aides familiales) sur leurs fonctions, rôles et besoins en matière de maltraitance de la personne âgée à domicile. En plus de répondre aux questions de recherche, la méthode du groupe focalisé a permis d’appréhender le contexte de travail des professionnels interrogés ainsi que l’éthique qu’ils défendent. Cet article décrit en particulier le rôle, le mandat et le positionnement éthique des aides familiales dans le réseau de professionnels confrontés aux situations de maltraitance de la personne âgée à domicile.

Un regard particulier qui s’inscrit dans la durée

Comme les autres professionnels interrogés, les aides familiales définissent la maltraitance autant dans ses aspects physiques, financiers que psychologiques. Elles identifient les causes classiques de la maltraitance (les contextes favorisant des situations de maltraitance, les profils de la personne maltraitante et maltraitée). Elles éprouvent les mêmes inquiétudes, les mêmes difficultés que les autres professionnels à évaluer la maltraitance aux fins de l’identifier.
Cependant grâce à leur présence prolongée au domicile, les aides familiales développent une capacité d’attention particulièrement ouverte aux signes relatifs à la négligence, au manque d’attention et de soins envers la personne âgée: absences de visites, d’entretien de la maison et du linge, insuffisance de soins, de médicaments ou de nourriture parfois. Elles sont auprès des autres professionnels le relais des personnes âgées et de la famille.
«On n’appelle pas régulièrement le médecin ou alors même au point de vue de la nourriture, par exemple, il n’y a presque rien dans le frigo… Question d’hygiène de la personne aussi. Parfois, il y en a qui ne se soucient pas, on achète le moins possible… Alors que certains enfants, avec leurs propres parents, ne se rendent même pas compte qu’ils portent un pantalon pendant deux mois.»
Extrait du groupe focalisé n°3 réunissant des aides familiales – 2006-2007

Une empathie bien dosée… et une éthique professionnelle

L’étude a montré combien les aides familiales éprouvent de l’empathie pour les bénéficiaires qu’elles encadrent, et elles s’identifient parfois aux personnes âgées qu’elles côtoient. Après avoir évalué la situation en concertation parfois avec d’autres intervenants de la santé, elles modulent leurs activités professionnelles en fonction de chaque situation pour le bien-être des personnes âgées. Elles ne condamnent ni les personnes ni les situations qu’elles observent. Elles perçoivent la complexité des situations sociales, sans porter de jugement. Elles exercent «simplement» leur travail au bénéfice de la personne âgée.
«Donc, je me dis toujours que c’est notre miroir. On va vers cela aussi et je pense travailler comme j’aimerais que l’on soit avec moi si je devais faire appel à quelqu’un d’étranger.»
«Ce sont quand même de vieilles histoires parfois cuites et recuites. Oui, on voit la personne mais effectivement, on ne sait pas.»
«C’est pour cela que je critique rarement les familles, sauf cas exceptionnel car je me demande ce qu’on ferait si on avait telle personne difficile ou très malade aussi.»
Extraits du groupe focalisé n°1 réunissant des aides familiales – 2006-2007

La maltraitance, un problème complexe à gérer dans un cadre professionnel déjà très exigeant

Le travail quotidien de l’aide familiale est particulièrement difficile tant d’un point de vue logistique, temporel qu’émotionnel. Une situation de maltraitance alourdit considérablement le fardeau lié à la répétitivité du travail, la lassitude que cela entraîne, la durée d’une journée de prestation, l’instabilité des horaires empêchant une organisation optimale de la continuité des soins, les ruptures affectives dues au décès d’un patient, la difficulté de séparer vie privée et vie professionnelle, la charge d’écoute particulièrement importante, etc.
«Tu vas trois fois par semaine chez le même monsieur pendant six mois, puis du jour au lendemain, tu ne le vois plus.»
«S’il y a de l’absentéisme au travail, tout de suite on change notre horaire pour ailleurs, donc on ne sait pas toujours avoir la continuité.»
«Je referme la barrière [en sortant de chez un patient], je me dis ‘C’est fini pour aujourd’hui’, mais il n’y a rien à faire, de temps en temps, je [repense aux difficultés des patients et de leur famille] (…) C’est pas évident.»
Extraits des groupes focalisés n°1 et 2 réunissant des aides familiales – 2006-2007

Face à ce type de situations difficiles, les aides familiales perçoivent clairement les opportunités du rôle à adopter. Moralement et contractuellement, elles se sentent dans l’obligation de se soucier de l’évolution de la situation sociale et sanitaire du patient maltraité et de signaler tout problème observé à l’assistante sociale coordinatrice.
«Notre rôle est de le signaler, si un jour on a un doute. Déjà pour nous-mêmes nous décharger quand on rencontre un problème, ne pas garder cela sur soi.»
Extrait du groupe focalisé n°1 réunissant des aides familiales – 2006-2007

Les aides familiales dans le réseau de soins

L’ensemble des professionnels, toutes disciplines confondues, concluent les entretiens par l’importance du travail interdisciplinaire. Tous sont demandeurs d’organiser des moments où chacun puisse s’exprimer, évoquer la situation des patients, échanger leurs observations, demander conseil aux autres professionnels.
«Ici, le médecin de la dame qui n’était pas bien a téléphoné à l’assistante sociale pour bien confirmer qu’il était passé, que ce qu’on avait demandé s’établissait, et qu’effectivement, en plus, il avait demandé qu’on passe l’après-midi pour l’hydratation supplémentaire.»
Extrait du groupe focalisé n°1 réunissant des aides familiales – 2006-2007

Comme dans toute autre situation, chaque professionnel a un rôle spécifique et complémentaire face à des situations de maltraitance. Plus globalement, chacun se fait une représentation de la place qu’il occupe par rapport aux autres professionnels. Ainsi, par exemple, les médecins généralistes sont perçus par les autres professions comme étant au sommet d’une hiérarchie. Il est donc attendu d’eux qu’ils agissent face au problème, alors qu’ils peuvent aussi se sentir démunis.
La fonction des aides familiales et la perception qu’elles ont de leur propre place dans le réseau de soins ont été exprimées avec un recul et une appréciation très justes.
«Puis nous, on n’est pas impressionnantes. Un médecin a une certaine autorité, une infirmière, elle a un tablier. Nous, on fait la vaisselle, donc j’veux dire, ça nous permet, par ce biais là de dire: on fait ce que n’importe quelle bonne femme fait chez elle. Donc,(…) [ on est plus à leur niveau], on n’est pas impressionnantes.»
Extrait du groupe focalisé n°1 réunissant des aides familiales – 2006-2007

Il arrive que les aides familiales ressentent de la part d’autres professionnels un manque de connaissance de leurs rôles et spécificités. Or, par le temps qu’elles passent au domicile du patient, par leur travail spécifique, les aides familiales peuvent apporter des informations précieuses en particulier dans des situations de crise comme celles de maltraitance de la personne âgée.
«On a l’air de dire :’Retourne dans ta cuisine préparer le dîner pour la dame’… L’air de dire ‘Je sais, puisque je suis médecin’.»
«C’est pas facile parce que certains médecins n’en ont rien à faire de notre profession, de ce qu’on peut voir, entendre. Ça dépend qui mais il y a heureusement des médecins qui sont fort collaborants.»
Extrait des groupes focalisés n°1 et 3 réunissant des aides familiales – 2006-2007

Les aides familiales, un maillon fort

Les rôles dévolus à l’aide familiale sont certainement d’aider un bénéficiaire au domicile à accomplir les tâches quotidiennes qu’il ne peut plus assumer seul. Mais encore? Les fonctions de l’aide familiale sont multiples, bien plus variées parfois que les représentations que nous en avons: l’aide familiale accompagne les seniors mais aussi les jeunes mamans et leurs enfants ainsi que les personnes handicapées dans les gestes de tous les jours. Elles contribuent à améliorer la santé et la sécurité des bénéficiaires. En matière de promotion de la santé, elles ont également un rôle éducatif de soutien aux familles, d’évaluation et de stimulation des potentialités du bénéficiaire en vue du maintien de son autonomie. Elles participent aussi parfois à l’accompagnement de personnes en soins palliatifs ainsi que de leur entourage.
Cette étude a exploré notamment le positionnement particulier de l’aide familiale confrontée à une situation de maltraitance de la personne âgée. Son action s’avère spécifique et complémentaire à celle des autres intervenants du domicile.
Grâce à sa présence récurrente et prolongée au domicile du patient, l’aide familiale peut observer, identifier les besoins et difficultés du patient, parfois recueillir ses confidences, beaucoup plus qu’un autre prestataire de soins ne pourrait le faire par une visite ponctuelle. On le voit, l’aide familiale a un rôle relationnel important.
Il s’avère que les aides familiales ont une analyse et une approche clairvoyantes des situations de maltraitance. Celles-ci alourdissent encore un contexte professionnel difficile. Les aides familiales ont conscience qu’il s’agit à chaque fois d’un phénomène social complexe auquel une réponse univoque ne peut être apportée. Elles manifestent un questionnement éthique sur la juste distance à adopter et sur leur rôle professionnel.
Les aides familiales situent bien leur action dans un cadre pluridisciplinaire.
Les données de l’étude ont révélé un certain nombre d’interrogations et notamment comment les autres professionnels du domicile perçoivent le rôle de l’aide familiale.
Au contact proche des personnes âgées, l’aide familiale pourrait occuper une place plus importante au sein du réseau de soins à domicile; elle pourrait constituer un relais privilégié pour le médecin généraliste, l’infirmier ou encore le kinésithérapeute. Son regard construit par l’expérience envisage la personne âgée globalement, elle la voit évoluer dans son milieu. Cette position de relais, cette attention à la réalité des situations, lui confèrent, dans le réseau d’intervenants, une «compétence de vigilance» qui pourrait être mise plus à profit.
Cependant, la proximité des aides familiales avec les personnes âgées, l’empathie nécessaire pour effectuer leur travail, la place qu’elles occupent dans le réseau tendent à fragiliser ces professionnelles: il existe en effet un risque d’attachement de l’aide familiale au bénéficiaire, un risque de sombrer dans une empathie «destructrice» alors qu’elles sont insuffisamment reconnues par le réseau de professionnels.

Perspectives

Le maintien à domicile des personnes âgées constitue un défi important pour notre société, les soignants de la première ligne doivent en être conscients. Les structures de soins doivent s’adapter en conséquence. Cette évolution passe inévitablement par une amélioration de l’action pluridisciplinaire.
Une meilleure connaissance mutuelle des différents intervenants passe par le développement et l’usage d’outils pluridisciplinaires leur permettant de se rencontrer, de se former ensemble, de réfléchir ensemble au bénéfice d’un même patient (Vanmeerbeek M. & al, 2008).
Les aides familiales en particulier sont demandeuses de ces temps interprofessionnels pour mieux faire connaître leurs fonctions. Elles souhaitent également la poursuite d’un accompagnement professionnel spécifique visant à parfaire leurs compétences relationnelles et leur capacité d’analyse du sens et des finalités de leurs actions.
Valérie Massart , Marc Vanmeerbeek , Philippe Denoël , Didier Giet
Les auteurs remercient chaleureusement Madame Valérie Delincé pour son importante collaboration , sa disponibilité ainsi que les aides familiales pour leur contribution à l’étude « maltraitance ».
Nos remerciements vont également à Madame Chantal Vandoorne et Monsieur Gaëtan Absil de l’APES pour leur relecture constructive .
Adresse des auteurs: Département de médecine générale, Faculté de médecine ULg, av. de l’Hôpital 1 CHU B23, Sart Tilman, 4000 Liège.

Références bibliographiques

Arrêté du Gouvernement wallon 16.7.1998 portant approbation du statut de l’aide familiale, M.B. 8.9.1998, p. 28876.
PERRENOUD Philippe, Développer la pratique réflexive dans le métier d’enseignant . Professionnalisation et raison pédagogique , Paris, ESF, 2001.
ROMBEAUX J.-M., Aides familiales , secret professionnel , devoir de discrétion . Actuels éléments de référence , CPAS de l’Union des Villes et Communes de Wallonie, http://www.uvcw.be/no_index/cpas/grandage/secret_professionnel_af.doc
ROYEN C., VAN TICHELEN B. Les aidants proches cherchent de l’aide . Résultats d’une enquête et perspectives , Éducation Santé, n°231, février 2008.
http://www.educationsante.be/es/article.php?id=986
VANMEERBEEK Marc, DUCHESNES Christiane, DENOEL Philippe, MASSART Valérie, GIET Didier, Perceptions , besoins et attentes des professionnels de la santé de première ligne en matière de qualité des soins , de continuité des soins et de collaboration multidisciplinaire , Département de médecine générale, Université de Liège et Groupement pluraliste liégeois des services et soins à domicile (GLS), 2008, en cours.
VANMEERBEEK Marc, MASSART Valérie, DENOEL Philippe, GIET Didier, Étude du vécu de professionnels de la santé ( infirmiers , aides familiales et médecins généralistes ) en matière de maltraitance des personnes âgées à domicile , rapport de recherche, Département de médecine générale, Université de Liège et Centre d’aide aux personnes âgées maltraitées, novembre 2006.
VANMEERBEEK Marc, MASSART Valérie, GIET Didier. Ressentis et besoins des professionnels de soins à domicile in Maltraitance des personnes âgées: aider les aidants, L’Observatoire, n° 55, 2007.