Février 2014 Par T. GOORDEN Initiatives

La prévention au coeur d’une stratégie intégrée

Attendu de longue date par l’ensemble des acteurs de terrain, les professionnels de santé et les patients, le nouveau Plan national de lutte contre le sida (1) inscrit la prévention primaire, le dépistage et la prise en charge des personnes séropositives au coeur d’une stratégie intégrée. Il vise aussi à encourager davantage la transversalité et les collaborations entre toutes les entités et tous les secteurs.

La Vice-première ministre et Ministre fédérale des Affaires sociales et de la Santé publique, Laurette Onkelinx, en avait fait la promesse, il y a un an : un Plan national de lutte contre le VIH verrait le jour dans notre pays.

Preuve de la capacité toujours intacte d’unir les forces autour de combats importants, ce nouveau Plan rassemble pour la première fois francophones, néerlandophones et germanophones, l’ensemble des ministres de la Santé aux différents niveaux de pouvoir (fédéraux, régionaux et communautaires), leurs collègues en charge de l’Égalité des chances, de l’Enseignement, de la Culture, de la Jeunesse, de l’Intégration sociale, l’Immigration et l’Asile. S’appuyant sur 58 actions (2), ce Plan offre ainsi un cadre général pour déterminer les priorités d’action et stratégies à mettre en œuvre, dans le respect des compétences de chacun. Il vise surtout à susciter davantage de transversalité et de collaboration avec toutes les entités et entre tous les secteurs, a souligné Fadila Laanan, Ministre de la Santé de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

L’objectif est bien d’améliorer la concertation entre les actions de sensibilisation, de dépistage et de traitement du VIH/sida, et ainsi d’organiser une politique de lutte contre le sida efficace, notamment en matière de dépistage, alors que trois nouvelles contaminations sont enregistrées chaque jour dans notre pays. Outre la prévention – premier pilier du Plan – l’accent va être mis sur le dépistage, encore tardif dans près de la moitié des cas, la prise en charge des personnes vivant avec le VIH et leur qualité de vie (lutte contre les discriminations notamment).

Sur le plan budgétaire, la ministre Onkelinx s’est personnellement engagée à apporter un million d’euros supplémentaires, dès la première année, aux 13 millions déjà investis chaque année, au niveau fédéral, dans la lutte contre le VIH/sida.

Des acteurs de terrain entendus ?

Du côté des associations francophones de lutte contre le sida, la satisfaction est perceptible car, pour la première fois, tous les acteurs concernés par le sida – associatifs, médicaux, du nord, du sud et du centre – se sont mis autour de la table.

Thierry Martin, directeur de la Plate-forme prévention sida, se félicite de cette concertation maximale entre les différents acteurs concernés qu’il considère tout à fait essentielle. Celle-ci était déjà effective du côté francophone, rappelle-t-il, via des stratégies concertées pour les aspects prévention, mais au niveau national il n’y avait pas de lieu où tous les acteurs pouvaient discuter. Autant dire que l’initiative de Laurette Onkelinx est appréciée car elle répond enfin à une demande des acteurs de terrain, depuis de nombreuses années, dans un contexte de fédéralisation qui a pu parfois freiner le développement de certains projets.

Même réaction positive de Myriam Dieleman, directrice de l’Observatoire du Sida et des Sexualités aux Facultés universitaires Saint-Louis à Bruxelles, qui s’exprime au nom des stratégies concertées que son institution coordonne. Ce regroupement des acteurs de terrain dans le champ de la prévention du VIH et des autres infections sexuellement transmissibles (IST) en Fédération Wallonie-Bruxelles va permettre de partager des analyses communes et de définir ensemble des cadres d’action en matière de prévention.

«Nous sommes très contents d’avoir un Plan national, cela fait longtemps qu’on en avait besoin. Aujourd’hui, on dispose d’un cadre de référence et d’action qui concerne tous les niveaux de pouvoir, intersectoriel et transversal, pour une certaine durée (2014-2019). C’est fondamental pour pouvoir mener une politique de prévention du sida à la fois cohérente et durable».

Le responsable de la Plate-forme prévention sida, qui existe depuis 1999 et fêtera en mai de cette année ses 15 ans d’existence, souligne pour sa part l’importance confirmée de la prévention combinée (3) et de l’utilisation du préservatif pour se protéger contre les IST et le VIH.

«Cette reconnaissance du concept de prévention combinée est un des points essentiels de ce nouveau Plan. Même s’il est toujours essentiel, le préservatif n’est plus le seul moyen de lutter contre le virus du sida. De nouvelles stratégies et outils de prévention ont vu le jour». Et Thierry Martin de citer les différents traitements comme moyens de prévention, par exemple le traitement précoce comme prévention (ou TASP pour ‘treatment as prevention’), le traitement pré-exposition (PrEP), le traitement post-exposition (TPE), sans oublier le dépistage, qui est essentiel et constitue un enjeu majeur dans la lutte contre le VIH, et plus précisément le ‘test & treat’, c’est-à-dire le dépistage suivi de la mise sous traitement.

Dépistage démédicalisé et ‘hors les murs’

Autre élément clé du Plan, la reconnaissance du dépistage décentralisé et démédicalisé, qui constitue le deuxième pilier de prévention. Des dépistages rapides pourront désormais être pratiqués en dehors du circuit traditionnel de soins, dans des lieux aisément accessibles. Cette mesure vise à atteindre de nouveaux publics cibles, en dehors des groupes prioritaires que restent les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH) ainsi que les migrants. Il s’agit notamment des personnes qui sont les plus réfractaires à consulter un médecin généraliste ou à se rendre à l’hôpital.

«C’est une très bonne chose car cela nous permet de mettre en place des actions de proximité vers les publics les plus vulnérables, quels qu’ils soient», commente Maureen Louhenapessy, coordinatrice santé de SidAids-Migrants au sein du Sireas, en charge de la recherche-évaluation, de l’expertise et de la concertation des projets Migrants et VIH/sida dans la Fédération Wallonie-Bruxelles. Une asbl également active dans le travail de rue et de proximité, proposant des outils d’information et de prévention des IST/sida adaptés aux populations migrantes, et qui organise des animations de prévention dans des associations de migrants, maisons de jeunes, centres d’accueil pour réfugiés.

«Le nouveau Plan VIH multiplie les stratégies et les points d’entrée, avec des outils de dépistage adéquats qui s’adaptent aux différents publics visés», relève encore Myriam Dieleman.

De son côté, l’asbl Ex æquo se trouve confortée dans son expérience de projet Test-Out. «On ne nous impose plus la présence d’un médecin pour pratiquer un TROD (Test Rapide à Orientation de Diagnostic), il sera possible de multiplier des dépistages au plus près des lieux de vie des groupes cibles. C’est un levier important pour réduire le taux de dépistage tardif. Encore faut-il assez vite changer le cadre légal pour que tout soit clair».

Le Plan prévoit également d’organiser le principe du test à domicile (auto-test). Pour Ex æquo, ouvrir cette possibilité est une bonne chose car chacun pourra choisir son test, selon ses aspirations et besoins. Cependant, l’asbl de promotion de la santé auprès d’un public gay et bisexuel attend de voir quelles seront les balises et les garanties en termes de suivi et d’accompagnement. En outre, il faudra éviter que la personne ne se retrouve seule en cas de résultat réactif, souligne-t-elle.

Rejet des stigmatisations

La lutte contre les discriminations à l’encontre des personnes vivant avec le VIH, comme les groupes exposés à l’épidémie, fait également partie intégrante des nouvelles stratégies de prévention. La Plate-forme prévention sida relève qu’elle n’a pas attendu l’annonce de ce nouveau Plan pour lancer des campagnes contre les discriminations et stigmatisations. Elle vient d’ailleurs de relancer une campagne suite aux résultats interpellants d’une enquête sur la qualité de vie des personnes séropositives en Fédération Wallonie-Bruxelles. Menée entre 2010 et 2012, cette enquête a montré que 13 % des répondants ont déjà connu des refus de soins du fait de leur séropositivité. La Plate-forme souhaite par conséquent agir sur le terrain, médical et du travail, pour faire reculer les discriminations et lutter contre ces situations intolérables. «Cette lutte est prioritaire pour lever les freins à la prévention et au dépistage liés à la crainte de la stigmatisation et la discrimination», observe Thierry Martin.

Un autre concept important mis en avant dans le nouveau Plan VIH est le principe de responsabilité partagée, soutenu par les acteurs de santé publique et né du constat que la prévention ne doit pas reposer sur les seules personnes infectées mais que tout le monde est concerné. Une notion jugée particulièrement importante suite à la diversification des stratégies de prévention qui pourrait avoir un effet de pression sur les personnes séropositives en les rendant seules responsables du comportement préventif. «C’est très important de remettre en avant ce concept de responsabilité partagée pour éviter de mettre tout le poids de la prévention sur la personne séropositive. Dans une relation, les deux personnes sont responsables de la prévention, d’autant plus que beaucoup de séropositifs ignorent leur séropositivité», ajoute Thierry Martin.

Le nouveau paradigme de prévention

Les nouvelles stratégies de prévention proposées aujourd’hui, comme les nouveaux moyens de protection, définissent encore un véritable nouveau paradigme de la prévention. Ceci soulève un tas de questions qui vont devoir être débattues, réfléchies, concertées.

La Plate-forme prévention sida insiste, pour sa part, sur l’importance d’utiliser toujours un préservatif, associé à un lubrifiant, lors de chaque rapport sexuel. L’émergence de nouvelles stratégies de prévention, qui sont au coeur du débat quand on aborde la question du sida, ne doit pas écarter d’emblée les anciennes stratégies qui ont fait leur preuve et démontré leur efficacité. Ainsi le préservatif reste l’outil de prévention privilégié pour se protéger des infections sexuellement transmissibles et du sida, les autres techniques se combinent avec lui. À l’Observatoire du Sida et des Sexualités, on espère que cette volonté politique de garantir l’accessibilité au préservatif par sa gratuité s’inscrira dans la durée, sur le long terme. «Il nous paraît important de mettre en avant le concept central de la prévention combinée. En ce qui nous concerne, nous sommes assez contents car le Plan fédéral a pris en compte à la fois les acquis du travail de prévention comportementale mis en place et qui diffuse la norme de prévention reposant sur le préservatif et l’usage du lubrifiant, et en même temps il intègre la nouvelle donne sanitaire en matière de traitement comme de prévention», analyse Myriam Dieleman.

À l’écoute des patients

La création d’un Conseil des personnes vivant avec le VIH est une autre mesure phare du Plan bien accueillie, même si à ce stade plusieurs questions restent sans réponse. Ainsi, quelles seront les modalités du fonctionnement de ce Conseil ? Quelle y sera la représentativité des personnes vivant avec le VIH ? Sur quels aspects concrets du Plan ce Conseil pourra-t-il se prononcer ? Sera-t-il consulté pour des questions qui ne touchent pas au Plan ? Aura-t-il un avis consultatif ou contraignant ?

Les interrogations, on le voit, ne manquent pas. Autant de points que la Plate-forme prévention sida considère néanmoins essentiels pour déterminer le pouvoir réel du Conseil et des personnes vivant avec le VIH, lors des choix relatifs à l’implantation concrète du Plan.

«Pour l’instant, il s’agit encore de voeux pieux, il faudra voir ce qu’il va en advenir», ajoute Myriam Dieleman. Et d’observer que si des actions sont déjà menées par divers organismes avec les personnes vivant avec le VIH, le sentiment prévaut largement qu’il s’agit d’un grand pas en avant. «Reste à voir concrètement comment tout cela va s’organiser, comment cela va être institutionnalisé, qui va représenter qui, les enjeux de légitimité… Représenter les séropositifs n’est pas un enjeu facile car c’est un public hétérogène, il y a plusieurs voix à l’intérieur de ce public».

Les moyens suivront-ils ?

Pour sa part, Maureen Louhenapessy se félicite que ce nouveau Plan VIH souligne l’importance d’une prévention ciblée vers les deux groupes de population les plus concernés, à savoir les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH) et les personnes migrantes. «En soi, ce n’est pas nouveau, cela fait 27 ans que l’on poursuit cette politique de prévention à travers des programmes adaptés pour les migrants. Reconnaître la spécificité des migrants et leurs besoins particuliers en termes de prévention et d’accompagnement est cependant fondamental. Il faut toutefois faire attention de ne pas stigmatiser cette population, aussi être très clair sur les objectifs, ce que l’on considère comme prioritaire et sur les moyens que l’on est prêt à y allouer».

Les acteurs de la prévention se montrent donc satisfaits des mesures proposées dans le Plan, les grandes lignes de travail et priorités. Ce Plan leur donne la possibilité d’avancer dans leurs objectifs, de communiquer de manière cohérente, concertée et en même temps de façon efficace et précise. Mais tous attendent de voir concrètement quel impact budgétaire aura la régionalisation des compétences en matière de promotion de la santé dans la mise en oeuvre de la 6e réforme de l’État. Certains redoutent un problème de moyens. «Les organisations dévouées à ces missions auraient besoin d’une sérieuse augmentation de leurs moyens, la tâche est grande mais les budgets sont faibles», constatent-ils. Ils s’interrogent sur les financements qui seront alloués aux associations pour mettre en place le Plan. Par ailleurs, comment les Régions et Communautés vont-elles prendre cela en charge, dans le cadre actuel de régionalisation de compétences qui relevaient jusqu’à présent du Fédéral, se demandent-ils.

Ex Aequo entend rappeler que ‘regarder la maladie en face’, c’est non seulement définir des axes stratégiques et faire des propositions, mais c’est aussi assurer un financement adéquat pour que les acteurs de terrain puissent intégrer ces nouvelles missions. «Les associations communautaires ont joué le jeu en contribuant, aux côtés des acteurs psycho-médico-sociaux, à l’élaboration de ce Plan. Plusieurs de nos revendications sont rencontrées et des associations telles que la nôtre vont se voir confier de nouvelles missions. Il faudra que toutes les entités du pays ne l’oublient pas lorsqu’il faudra attribuer des budgets…».

(1) On aurait voulu dire la même du projet de Plan Alcool 2014-2018, mais il a été efficacement contré par les relais politiques du lobby du secteur des boissons alcoolisées (ndlr)…
(2) Vous pouvez consulter le Plan à l’adresse suivante: http://www.laurette-onkelinx.be/articles_docs/Plan_VIH_FR.pdf
(3) L’objectif de la prévention combinée est de construire des synergies entre stratégies comportementales, structurelles et biomédicales. Cette articulation, et c’est assez nouveau, tend à faire converger prévention, dépistage et maintenant traitement dans une approche globale, ce que les progrès récents en matière d’antirétroviraux rendent possible.