Février 2001 Initiatives

Le 12 octobre dernier, pour sa première conférence-débat, Drive Mut avait convié autour de la table une série d’acteurs de terrains concernés par la problématique de la sécurité des jeunes sur la route. Des intervenants dont les préoccupations en matière de prévention rejoignent largement les siennes.
Se poser la question de savoir comment il convient d’assurer la sécurité des jeunes lorsqu’ils deviennent des usagers de la route, c’est postuler que l’insertion de cette catégorie d’âge dans la circulation ne se fait pas toujours sans difficultés.Pour étayer ce constat maintes fois évoqué et pour tenter de renverser la vapeur, Drive Mut a réalisé un sondage auprès de jeunes inscrits à ses cours théoriques.
Martin Wauthy , responsable du projet Drive Mut , commente les résultats: ‘La première incertitude lorsqu’on s’adresse à des futurs conducteurs pour les sensibiliser à la sécurité routière, c’est de savoir s’ils se sentent concernés par le problème. Notre étude montre qu’un jeune sur deux a perdu un proche dans un accident de la route. Face aux 1500 victimes annuelles de la route, 2/3 des répondants traduisent une perception fort fataliste, 14% d’entre eux considèrent cette situation comme inévitable.
Face au danger que représente la conduite dans certaines circonstances, les réactions des jeunes sont contrastées: 51 % refusent par exemple de monter dans une voiture dont le conducteur est ivre, contre 22 % qui se laissent reconduire en espérant éviter l’accident. Les autres adoptent une attitude plus active .
Question vitesse, 63 % des jeunes interrogés ont peur lorsque le conducteur dépasse les limitations. Mais leur attitude face à une telle situation n’est une fois encore pas uniforme: si 57 % éprouvent de la peur et l’expriment, 8 % n’oseront pas avouer leurs craintes. En revanche, pratiquement un jeune sur cinq déclare éprouver du plaisir lorsque le conducteur roule vite. Enfin, 15 % s’imaginent que le risque se situe plutôt au niveau de l’infraction et de l’amende éventuelle en cas de contrôle, sans se soucier de leur propre sécurité
Enfin, notre étude révèle également qu’un jeune sur deux a déjà conduit sur la voie publique, sans permis, sans même avoir réussit l’examen théorique’.
Cette enquête montre en tout cas clairement que pour une partie non négligeable de jeunes, le problème se situe au niveau de la prise de conscience des dangers.

Chiffres à l’appui

Au-delà de la perception des problèmes de sécurité routière par les jeunes eux-mêmes, les chiffres présentés par P&V; assurances, partenaire de Drive Mut , sont frappants. Basées sur le taux de fréquence des accidents pour lesquels la responsabilité du conducteur est civilement engagée, les statistiques internes de P&V; montrent qu’en moyenne, un Belge de plus de 26 ans commet un accident en tort tous les 12 ans, soit une fréquence de 8 %.
Dany Demaret , responsable de la branche auto, souligne que: ‘Pour des conducteurs dont l’âge varie entre 18 et 26 ans, cette proportion doit être multipliée par deux. Si l’on affine encore les statistiques, cette fréquence d’accidents en tort monte à 22 % pour les nouveaux contrats d’assurance (qui concernent le plus souvent des jeunes débutants), avec une progression de cette fréquence jusqu’à 40 % pour les jeunes de 18 ans . Cette fréquence diminue au fil des années et tend à se stabiliser lorsque les jeunes ont franchi le cap des 25 ans’ . Des chiffres qui posent très clairement la question de la préparation des jeunes conducteurs.
Jacqueline Prigogine , sociologue au Département de communication à l’Institut belge de sécurité routière (IBSR) corrobore les constats de P&V;, tout en y apportant une note d’optimisme. ‘ Les jeunes représentent 25 % des conducteurs tués ou blessés gravement, alors que ce groupe d’âge ne représente que 11 % de la population. Il y a donc clairement une sur-représentation des jeunes parmi les accidentés de la route. Au fil des années, cependant, on note une tendance très positive à la baisse, tant pour l’ensemble des conducteurs que pour les 18-24 ans, avec une diminution encore plus marquée pour cette catégorie. Ce qui est encourageant.’ La représentante de l’IBSR constate que cette sur-représentation des jeunes est très nette pendant les week-ends, qu’il s’agisse des conducteurs, surtout masculins, mais aussi des passagers des véhicules.
Enfin, les facteurs à l’origine des accidents résident principalement dans l’inexpérience du conducteur, le manque d’habitude d’être accompagné lors de la conduite. L’effet de groupe joue un rôle important, ainsi que d’autres facteurs comme l’alcool. Le type d’accident est également symptomatique: en effet, les accidents de la route n’impliquant qu’un seul véhicule, tels que les sorties de route, sont majoritaires.

Des expériences de prévention

Dans un tel contexte, les participants au débat, tous engagés dans la recherche d’une sécurité accrue pour les jeunes usagers de la route, saluent l’initiative de Drive Mut à l’égard des futurs conducteurs. Non seulement parce qu’elle offre une possibilité d’encadrement de la formation pratique en filière libre, pour un prix démocratique.
Mais également parce que, dans le cadre de la préparation à l’examen théorique, Drive Mut propose un module de sensibilisation et de prévention routière, qui offre une approche globale et sociale de la conduite. Cette approche porte sur divers aspects: environnemental (impact de la pollution émise par la voiture, dangers pour la santé, solutions techniques), médical (accidents de la route) et financier (impact du coût global d’une voiture sur un budget).
Si cette sensibilisation est importante avant même que les jeunes n’aient claqué leurs portières et tourné la clef de contact, elle ne demeure pas moins nécessaire après l’obtention du permis. La formation continuée est une piste intéressante que l’association Driving Know How met en œuvre depuis 7 ans. Pour Daniel Herregods , responsable du programme de formation, ‘ il est clair que bien des choses restent à faire, même après des années de conduite. Avant de mettre au point notre module de stage nous avons réalisé des tests: par exemple, nous avons été sidérés de voir que sept conducteurs sur dix disposant d’un système ABS ne maîtrisent pas cette technique de freinage ou encore qu’une personne sur 20 ne dispose pas de l’acuité visuelle légale de 5/10.
Notre stage se veut donc un complément d’apprentissage, d’évaluation et de formation. Une évaluation complète est d’ailleurs réalisée sur la voie publique et en circuit. Nos stages qui ont déjà touché 45.000 personnes en Belgique (le plus jeune des participants avait 17 ans, le plus âgé, 98!) permettent aux conducteurs de prendre conscience que la conduite demande une réelle maîtrise. Notre objectif est de rendre ces conducteurs plus matures. Pour cela nous utilisons notamment un système qui les filme en gros plan en situation de difficulté, de manière à leur faire prendre conscience que 95 % des accidents sont dus à des erreurs humaines que, la plupart du temps, on a commises soi-même. Ces dysfonctionnements à des moments inopportuns, il faut en être conscient. Enfin, lors de nos stages qui sont sanctionnés par un examen, ce qui est primordial, c’est qu’on apprend à conduire et non pas à réussir un examen. C’est fondamental’.

Les morts et les autres victimes

Le docteur Heilporn , qui a dirigé pendant de longues années le Centre de traumatologie et de réadaptation de l’hôpital Brugman, met l’accent sur les nombreux traumatisés de la route, présentant un handicap définitif. ‘ Quand on aborde la question des accidents de la route, on parle généralement du nombre de morts que ces sinistres provoquent chaque année. Mais, et on n’en parle pas suffisamment, il y a aussi un nombre important de blessés, handicapés à vie. Le nombre de paraplégiques et de tétraplégiques est important chez les accidentés de la route car, le plus souvent, les lésions se situent à la tête ou à la colonne vertébrale. On observe néanmoins une certaine évolution: les lésions sont certainement moins fréquentes aujourd’hui, même si elles sont parfois plus graves étant donné leur localisation. Il faut savoir qu’en Belgique, il y a par an entre 120 et 150 personnes blessées à la moelle épinière. Pour ce qui concerne les traumatisés crâniens, en extrapolant les chiffres du centre pour lequel j’ai travaillé, on peut évaluer à 10.000, le nombre de personnes qui, chaque année, sont atteintes par de tels handicaps à vie en raison d’accidents de la route. C’est sans doute un aspect qu’il ne faut pas oublier en matière de prévention’.
Cette réalité-là, celle des personnes mutilées à vie suite à un accident de la route, le docteur Heilporn préconise qu’elle soit davantage mise en exergue, comme c’est par exemple le cas dans le cadre des peines alternatives où des jeunes conducteurs ayant commis des infractions au volant sont amenés à aider des accidentés de la route. ‘Il s’agit là d’une expérience et d’un contact très éducatifs qui, sans culpabiliser l’auteur d’infraction, lui permet de mieux comprendre la portée de ses actes. Le contact avec ces personnes handicapées permet de réaliser les difficultés auxquelles elles sont confrontées au quotidien’.

Un cadre réglementaire

En ce qui concerne l’encadrement réglementaire de cet apprentissage de la conduite, il reste encore bien des choses à faire. Si l’on prend le niveau européen, sur environ 200 millions de permis délivrés dans les 15 pays de l’Union, il existe pas moins de 80 modèles.
Pour René Plank , juriste à la Commission européenne (DG7-Transports), ‘des priorités générales ont été relevées par l’Union européenne en matière de sécurité routière et il existe aujourd’hui une directive relative aux critères médicaux et aux épreuves de conduite pour l’obtention du permis qui entrera en vigueur en 2003. Pour ce qui est de la formation en vue d’obtenir le permis, des études sont actuellement en cours afin d’analyser les différents systèmes existant dans les pays européens, comme le système de permis en deux phases (avec une formation pratique après l’obtention du permis: Finlande, Luxembourg, Suède), le permis à titre d’essai et les mesures de réhabilitation pour les personnes ayant commis des infractions (Autriche, Allemagne) ou encore les mesures restrictives isolées à l’égard des jeunes(vitesse maximale réduite, restriction d’alcool: Espagne, France.’)
Et pour la Belgique, quels sont les projets visant à améliorer les compétences des jeunes conducteurs? Là aussi, le travail est loin d’être achevé. Un plan fédéral de sécurité routière a été rédigé au sein du cabinet de la Ministre des transports et de la mobilité, Isabelle Durant. Pour Mme Salmain , représentant la Ministre, ‘ comme son nom l’indique, le plan consiste à renforcer la sécurité sur nos routes, avec l’engagement de réduire le nombre de blessés et de morts. Pour ce faire, la Ministre veut renforcer le sentiment de citoyenneté, notamment en permettant un partage de cet espace public entre les différents usagers de la route. Pour ce qui est du permis, il s’agit d’améliorer la formation en instaurant par exemple le permis à étapes (avec une période d’essai et une procédure de formation continuée). Concernant les auto-écoles, une révision des critères d’agrément est actuellement en préparation.’
Pour la Région wallonne, M. Leens , représentant le Ministre Daras compétent pour le dossier mobilité, a insisté sur la notion de mobilité durable qui passe par une utilisation des moyens de transport adéquats pour la personne et pour l’environnement. ‘ La ré-appropriation de la route par des usagers tels que les cyclistes, montre que là où une telle place est laissée à d’autres acteurs que la voiture, le nombre d’accidents diminue. L’utilisation d’autres modes de déplacement, notamment chez les plus jeunes, a également une incidence sur la prise de conscience des dangers de la route: les dangers encourus, mais également que l’on peut causer par ses déplacement’. Les deux représentants des autorités ont également mis l’accent sur la nécessité de sensibilisation à la sécurité routière et ce, dès l’école primaire.

Des messages à destination des jeunes

Si la sécurité routière implique la mise en place d’une série de leviers, il est important que, le plus rapidement possible, les jeunes prennent conscience des responsabilités engagées lorsqu’ils se retrouvent au volant d’un véhicule. Si la voiture est synonyme de liberté, celle-ci va de pair avec des obligations. C’est cette prise de conscience selon laquelle la conduite est un acte social que Vanessa Dos Santos , attachée à l’Institut Emile Vandervelde, a tenu à souligner.
L’association ‘Responsible Young Drivers’ met également en avant cette responsabilité des jeunes. Mais, pour Nathalie Crépin , directrice des RYD, il faut amener les jeunes à prendre conscience de cette nécessité, de manière intelligente. ‘ En utilisant des clichés contre-productifs tels que le trio jeunes/alcool/vitesse ou en stigmatisant les jeunes comme étant agressifs au volant, on n’arrive à rien. D’ailleurs un sondage européen a montré que ce dernier cliché n’est pas ressenti comme tel par les jeunes. Ce n’est certainement pas en les culpabilisant que l’on modifiera leurs comportements. Les accidents de la route sont dus chez cette classe d’âge à trois causes spécifiques: l’inexpérience, l’inconscience et le conformisme. C’est là-dessus qu’il faut jouer. En proposant un autre modèle que celle du héros à la James Dean qui se tue sur la route et en le remplaçant par celui du jeune conducteur courtois et conscient de ses responsabilités’. Outre les actions très médiatiques des RYD, notamment la nuit du réveillon, l’association propose également des modules de sensibilisation à destination des écoles, basés notamment sur des témoignages.
L’originalité de la démarche: le fait que le thème de la sécurité soit abordé par les jeunes et pour les jeunes.
Autre vecteur de prévention: l’IBSR et ses fameuses campagnes ‘Bob’. Pour Jacqueline Prigogine, ‘ Nos campagnes de sensibilisation sont évidemment ciblées en partie vers les jeunes conducteurs avec des campagnes axées sur la ceinture de sécurité, la vitesse et l’alcool. La campagne ‘Bob’ fait également partie de la panoplie et fonctionne très bien car elle s’adresse à tous, jeunes et plus âgés. Elle concerne tout le monde, hommes et femmes. Elle permet de s’identifier à quelqu’un de sympa, grâce à qui l’on peut faire la fête, qui n’est pas toujours le même puisqu’il s’agit d’un tour de rôle et non pas au pauvre naïf qui s’est une fois de plus fait avoir pour assumer la corvée. Je pense d’ailleurs que cette identification est d’autant plus forte aujourd’hui que les campagnes qui, au départ, étaient inspirées par la fiction (l’image d’un extraterrestre, ensuite celle du western), ont évolué vers plus de réalisme.’
Ces multiples réflexions montrent une réelle prise de conscience des enjeux liés à la problématique de la sécurité des jeunes sur les routes. Même s’il reste encore bien du chemin à parcourir pour améliorer celle-ci. Les formations que Drive Mut a mises sur pied contribuent clairement à cette amélioration.
Des jeunes qui se prennent en charge
Experts, associations de terrain, assureur étaient réunis autour de la table, mais également des jeunes ayant suivi la formation Drive Mut . Avec un regard aiguisé et plein de bon sens, ils nous donnent également leurs impressions.
Pour Eve Destrebecq , ‘ il est certain qu’il faut continuer à conscientiser les jeunes, surtout les garçons qui veulent avoir leur permis rapidement pour sortir le week-end, qui sont également attirés par la vitesse. Il faut bien penser les systèmes mis en place parce que souvent ils sont contournés: par exemple, lorsqu’un jeune est encore sous licence avant l’obtention de son permis, il ne peut pas rouler entre 22h et 6h du matin. Résultat: je connais des jeunes qui sortent avant dix heures et qui restent en boîte jusqu’à 6h du matin de manière à pouvoir reprendre leur véhicule. Ils s’endorment à moitié, mais ils sont en règle. On a également parlé de la nécessité de promouvoir d’autres types de moyens de transport, mais quand on habite comme moi dans un petit village où il y a plus de vaches que d’habitants, où il y a un bus par jour et une gare à dix kilomètres, la voiture est indispensable’. Cette indépendance que donne la voiture, Cédric Cambier la relève également: ‘Tant que les transports en commun seront lents, bondés, bref beaucoup moins attrayants que la voiture, le changement des mentalités ne sera pas évident’.
Enfin, Aurore Vermeulen a suivi la formation de Drive Mut pour faciliter sa recherche d’un emploi: ‘En tant qu’aide familiale à domicile, je dois me déplacer constamment et une voiture est indispensable. La formation de Drive Mut a l’avantage d’être accessible, financièrement parlant. En suivant ces modules, j’ai acquis des compétences, même si, en tant que mère de famille, je dois avouer que j’ai peur quand je suis sur la route. Au moins, aujourd’hui, je suis consciente des dangers et je sais mieux comment réagir’. Drive Mut asbl, rue Saint-Jean 32, 1000 Bruxelles. Tél.: 02-515 06 15. Fax: 02-512 27 62. Mél: martin.wauthy@mutsoc.be. Site: http://www.mutsoc.be/drivemut . Renseignements sur les cours au 070-22 23 24.