Avril 2020 Par Marine AZEVEDO DA SILVA Stratégies

Article paru sur So Epidemio, le 05/02/2020.

Une nouvelle étude publiée dans Journal of Adolescent Health suggère qu’il existe une relation à double sens entre la perpétration de l’intimidation en milieu scolaire (aussi appelée harcèlement scolaire) et les problèmes de santé mentale chez les jeunes. La perpétration d’intimidation augmenterait le risque de développer des problèmes de comportement intériorisés – tel que la dépression, l’anxiété, le retrait social – et présenter ces problèmes augmenterait la probabilité d’intimider les autres. Alors que les précédentes recherches se sont concentrées sur les causes et les conséquences pour les victimes d’intimidation, il s’agit de la première étude à explorer de manière approfondie la séquence temporelle entre la perpétration de l’intimidation et les problèmes de santé mentale.

L’intimidation en milieu scolaire, ou harcèlement scolaire, est définie comme un comportement agressif intentionnel et répété, associé à une intention négative, qui est utilisé par un enfant ou groupe d’enfants pour maintenir son pouvoir sur un autre enfant ou groupe [1]. Aux États-Unis, il a été estimé qu’entre 18% et 31% des jeunes âgés de 10 à 18 ans sont impliqués dans l’intimidation en tant que victime ou bourreau [2]. En France, l’enquête Health Behaviour in School-aged Children (HBSC) de 2013-2014 estime que 45% des adolescents de 11, 13 et 15 ans sont impliqués dans le harcèlement scolaire [3]. Concernant la santé mentale des adolescents, une enquête américaine de 2016 rapporte que 6% des adolescents âgés de 12 à 17 ans souffrent de dépression, 11% d’anxiété et 8% ont des troubles du comportement [4]. En France, le rapport de l’Inserm sur les troubles mentaux, dépistage et prévention chez l’enfant et l’adolescent [5], estime que 12% des enfants et adolescents souffrent de troubles émotionnels (troubles anxieux et de l’humeur) et comportementaux. Alors que l’association entre le fait d’être victime d’intimidation et la survenue de problèmes de santé mentale immédiats comme à plus long terme est bien documentée, la littérature sur les causes et les conséquences de la pratique d’intimidation sont beaucoup plus éparses. À ce jour, aucune étude n’a investigué l’hypothèse selon laquelle la relation entre la pratique d’intimidation et les problèmes de santé mentale pourrait être bidirectionnelle.

Afin d’étudier l’existence possible d’une association bidirectionnelle entre l’intimidation et les problèmes de comportement intériorisés, nous avons analysé les données de 13 200 adolescents âgés de 12 à 17 ans provenant des vagues 1 (2013-2014) et 2 (2014-2015) de l’enquête longitudinale américaine Population Assessment of Tobacco And Health (PATH) [6]. PATH est une étude de cohorte longitudinale représentative de la population américaine qui avait pour but premier d’étudier les comportements, attitudes et croyances en matière de tabagisme et leur impact sur la santé. Parmi les adolescents interrogés, 79% ont déclaré n’avoir jamais intimidé d’autres jeunes, 11% ont déclaré avoir intimidé d’autres jeunes il y a plus d’un an et 10% ont déclaré avoir intimidé d’autres jeunes au cours des 12 derniers mois précédant le début de l’enquête. Lorsque la pratique d’intimidation a été considérée uniquement dans le mois précédant le début de l’enquête, 16% ont déclaré avoir intimidé d’autres personnes il y a plus d’un mois et 5% ont déclaré avoir intimidé d’autres personnes au cours du mois.

Lors de l’analyse de la relation entre la perpétration de l’intimidation et les problèmes de comportement intériorisés, nous avons observé que les jeunes ayant déclaré être auteurs d’intimidation étaient plus à risque de développer des problèmes de santé mentale niveaux modérés à élevés comparés aux jeunes ayant déclaré ne pas avoir pratiqué d’intimidation. Nous avons également constaté que les adolescents qui présentaient des problèmes de comportement intériorisés de niveaux modérés à élevés avaient un risque accru d’intimider d’autres personnes par rapport à ceux déclarant pas ou peu de problèmes de comportement intériorisés.

Notre étude [7] a permis de montrer que l’association entre la pratique d’intimidation et les problèmes de comportement intériorisés est probablement bidirectionnelle : intimider augmenterait le risque de développer des problèmes de santé mentale et présenter des problèmes de santé mentale augmenterait la probabilité d’intimider les autres. Cependant, il est important de souligner que les méthodes de recueil des données – incluant les définitions utilisées, la formulation des questions et l’auto-administration des questionnaires – pourraient surestimer ou sous-estimer la prévalence de l’intimidation dans notre étude et, par conséquent, influencer la force de l’association entre la perpétration de l’intimidation et les problèmes de comportement intériorisés. Nos résultats fournissent une extension importante à la littérature existante et suggèrent que les stratégies de prévention et d’intervention des comportements d’intimidation chez les jeunes devraient considérer le moyen de prendre en compte et gérer les sentiments négatifs et les problèmes de santé mentale.

Références

  1. Gladden RM, Vivolo-Kantor AM, Hamburger ME, Lumpkin CD. Bullying Surveillance Among Youths: Uniform Definitions for Public Health and Recommended Data Elements, Version 1.0. Atlanta, GA: National Center for Injury Prevention and Control, Centers for Disease Control and Prevention and U.S. Department of Education; 2014.
  2. Committee on the Biological and Psychosocial Effects of Peer Victimization: Lessons for Bullying Prevention, Board on Children, Youth, and Families, Committee on Law and Justice, Division of Behavioral and Social Sciences and Education, Health and Medicine Division, National Academies of Sciences, Engineering, and Medicine. Preventing Bullying Through Science, Policy, and Practice [Internet]. Rivara F, Le Menestrel S, editors. Washington (DC): National Academies Press (US); 2016 [cited 2018 Aug 24]. Available from: http://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK390413/
  3. Inchley J, Currie D, Young T, Samdal O, Torsheim T, Augustson L, et al., editors. Growing up unequal: gender and socioeconomic differences in young people’s health and well-being: Health Behaviour in School-Aged Children (HBSC) Study: international report from the 2013/2014 survey. Copenhagen, Denmark: World Health Organization Regional Office for Europe; 2016.
  4. Ghandour RM, Sherman LJ, Vladutiu CJ, Ali MM, Lynch SE, Bitsko RH, et al. Prevalence and Treatment of Depression, Anxiety, and Conduct Problems in US Children. The Journal of Pediatrics. 2019;206:256-267.e3.
  5. médicale (Inserm) I national de la santé et de la recherche. Troubles mentaux : Dépistage et prévention chez l’enfant et l’adolescent [Internet]. Les éditions Inserm; 2002 [cited 2020 Jan 27]. Available from: http://www.ipubli.inserm.fr/handle/10608/165
  6. United States Department Of Health And Human Services. National Institutes Of Health. National Institute On Drug Abuse. Population Assessment of Tobacco and Health (PATH) Study [United States] Public-Use Files: User Guide. 2016 [cited 2019 Oct 31]; Available from: http://www.icpsr.umich.edu/cgi-bin/file?comp=none&study=36498&ds=0&file_id=1239402&path=NAHDAP
  7. Azevedo Da Silva M, Gonzalez JC, Person GL, Martins SS. Bidirectional Association Between Bullying Perpetration and Internalizing Problems Among Youth. J Adolesc Health. 2019.