Novembre 2019 Par Sarah HASSAN Données

L’accès d’une population aux droits fondamentaux estun impératif à sa santé. Mais pour évaluer cet accès, il faut être en mesure de le quantifier. C’est précisément le rôle de l’Indicateur Synthétique d’Accès aux Droits Fondamentaux (ISADF), mis en place par l’Institut Wallon de l’Evaluation, de la Prospective et de la Statistique (IWEPS). Sa création fait suite à une demande du Gouvernement wallon dans le cadre de la réforme du Plan de Cohésion Sociale, concept initié par le Conseil Européen. Isabelle Reginster, géographe et chargée de recherches à l’IWEPS, et Christine Ruyters, sociologue et chargée de recherches à l’IWEPS, sont les responsables de l’ISADF. Elles ont présenté l’indicateur ainsi que certaines cartes réalisées sur base de ses résultats lors d’un séminaire (Sém’ISS) organisé par l’Observatoire de la Santé du Hainaut (OSH).

L’ISADF : quel accès aux droits fondamentaux en Wallonie ?

L’ISADF : d’abord un outil d’aide à la cohésion sociale

Demandé par le gouvernement wallon, la vocation première de l’outil est de servir d’aide à la décision politique. Il poursuit un double objectif :

  • « Rendre compte de l’accès effectif de la population de chaque commune aux droits fondamentaux et contribuer à l’établissement (facultatif) d’un diagnostic local de cohésion sociale et à l’identification de besoins locaux 
  • Fournir des critères objectifs au subventionnement des 253 communes francophones pour la mise en œuvre du Plan d’actions (2020-2025) » 

Deux sources sont à la base de l’indicateur : la Déclaration Universelle des droits de l’homme et la stratégie de cohésion sociale du Conseil de l’Europe.Par cohésion sociale, le Conseil de l’Europe entend « l’ensemble des processus individuels et collectifs qui contribuent à assurer l’accès aux droits fondamentaux et au bien-être économique, social et culturel. Et qui vise à construire ensemble une société solidaire et co-responsable pour le bien-être de tous ».Parmi les aspects chers au Conseil de l’Europe : le terme de « co-responsabilité ». Il s’agit de l’idée que nous avons tous notre part à apporter à l’édifice du bien-être collectif.

Christine Ruyters rappelle que la Cohésion Sociale est « d’abord un concept politique essentiel à la réalisation des 3 valeurs principales de l’Europe à savoir les Droits de l’Homme, la démocratie et l’Etat de droit. Elle est une approche positive qui consiste à promouvoir un processus opérationnel d’amélioration. Opérationnel car on part du cadre de référence, on va se poser des questions par rapport à ça, mais on va aussi identifier les actions et les besoins sur le terrain. L’idée est de concilier ces deux aspects. Les indicateurs doivent permettre de concilier l’idéal d’égalité et d’accès aux droits pour tous avec la situation sur le terrain. »

Pour y arriver, elle pointe la nécessité de se pencher sur 4 aspects/questions clés :

  • Quel est l’état de l’accès aux droits ?
  • L’efficacité : dans quelle mesure cet état va se traduire par un accès efficace pour tous ?
  • Quelle est la situation de ceux qui n’ont pas accès aux droits ?
  • Quels sont les risques, les menaces ou les opportunités pour que cet accès soit durable ?

A la base de l’indicateur : les droits fondamentaux

L’ISADF part de 13 droits fondamentaux. Pour l’instant, seuls 9 d’entre eux (en gras dans le tableau ci-dessous) ont pu être analysés, mais l’IWEPS a pour objectif de continuer à améliorer l’indicateur afin de couvrir l’ensemble des droits le plus rapidement possible.

Les 13 droits fondamentaux

  1. Droit à un revenu conforme à la dignité humaine
  1. Droit à une alimentation suffisante, adéquate et de qualité
  1. Droit au meilleur état de santé physique et mental susceptible d’être atteint, à l’aide médicale
  1. Droit à la sécurité sociale, à l’assurance santé, à la protection sociale, à l’aide sociale, aux prestations familiales
  1. Droit à l’éducation, à l’enseignement et à la formation continue
  1. Droit à l’information, à l’usage du numérique, des technologies de l’information et de la communication
  1. Droit à un logement décent et adapté, à l’énergie et à l’eau
  1. Droit à un environnement et à un cadre de vie sain et adapté
  1. Droit à la mobilité
  1. Droit au travail, à des conditions de travail justes et favorables, à la formation professionnelle ; droits syndicaux
  1. Droit au respect de la vie privée et familiale ainsi qu’à la conciliation vie familiale et vie professionnelle
  1. Droit à la participation citoyenne et démocratique
  1. Droit à l’épanouissement social et culturel

Pour un droit comme celui de l’accès au « au meilleur état de santé physique et mental susceptible d’être atteint, et à l’aide médicale », il peut y avoir un ou plusieurs indicateurs. Dans ce cas-ci, 7 indicateurs servent à l’évaluation du droit :

  • Le taux de mortalité standardisé (par sexe et par âge)
  • Le pourcentage de bénéficiaires en incapacité de travail de longue durée (au moins 120 jours)
  • Le pourcentage de bénéficiaires possédant le statut de personne atteinte d’une affection

Présentation de certains résultats

En pratique, l’ISADF permet d’élaborer un découpage communal de la Wallonie assorti d’un code couleur indiquant la situation d’accès au droit fondamental. Pour chaque commune, cela va du plus clair (situation la moins favorable) au plus foncé (situation la plus favorable).

Les résultats et cartes interactives sont disponibles sur le site de l’ISADF :

Les chercheuses précisent que le choix des indicateurs repose sur deux dimensions : recherche de sens et pertinence statistique. « La recherche de sens conduit à sélectionner plusieurs dizaines d’indicateurs rassemblés dans un tableau de bord, en mobilisant des variables précises, pertinentes, suffisamment discriminantes, disponibles et accessibles pour l’ensemble des communes. Le choix porte également sur des variables dites d’utilisation ou d’usage plutôt que de ressources (offre de biens et de services) , détaille Isabelle Reginster ».

Le droit à une alimentation suffisante, adéquate et de qualité : toujours pas un acquis.

L’un des constatsposés par les experts ayant analysé les résultats de l’indicateur d’accès au droit à une alimentation suffisante, adéquate et de qualité est interpelant : en Wallonie, il y a encore des problèmes d’accès à l’alimentation. Et surtout à une alimentation de qualité. D’une commune à l’autre, on observe des tendances variées. Par exemple, la commune de Lasnes affiche le score maximal tandis que celle de Flobecq présente l’accès le moins favorable à ce droit.

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Cet accès est évalué sur base du pourcentage d’élèves de 6ème primaire en surcharge pondérale (obèses compris). Les chiffres proviennent de l’ONE qui, pour des raisons de confidentialité, n’a cependant pas permis de diffuser les données chiffrées exactes par commune mais uniquement de les transmettre de manière standardisée.

Les soins bucco-dentaires préventifs : typiquement un problème d’accès au droit

D’autres données permettent aussi de s’interroger sur certains aspects fondamentaux de notre système. Notamment celles dont les indicateurs ciblent une population bien précise, tel que le pourcentage de jeunes bénéficiaires (entre 5 et 14 ans) sans soins bucco-dentaires préventifs durant trois années consécutives, sachant que c’est complètement remboursé par la mutuelle. Les experts soulignent qu’il s’agit d’un cas typique de problème d’accès à un droit pour une population cible (ici les enfants).

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Pour le score général du « Droit à la santé » qui agrège 7 indicateurs, la distribution par zones géographiques est globalement similaire aux résultats des autres indicateurs. En général, une distribution des valeurs les plus faibles est clairement identifiable à partir de Boussu et le long de l’axe, en passant par Charleroi et Liège. Les accès aux droits fondamentaux y sont donc plus problématiques.

Par rapport à ces résultats, Isabelle Reginster souligne toutefois la difficulté de représenter les communes dans lesquelles on observe de très grands écarts de revenus.

Bien comprendre la méthode de standardisation de l’indicateur

Afin que les résultats soient les plus transparents et comparables possibles, Isabelle Reginster explique la décision d’utiliser une méthode de standardisation minimum-maximum. Une commune sera le « 0 » car elle correspond à l’accès le plus faible, et une autre sera le 1 car elle correspond à la valeur la plus favorable. De cette manière, lesindicateurs peuvent être agrégés pour un indice par droit. En pratique, c’est grâce à cette méthode que les 7 indicateurs de l’accès au droit à la santé peuvent être agrégés afin d’obtenir un seul indice. Bien sûr, lorsqu’il n’y a qu’un seul indicateur, comme c’est le cas pour l’alimentation, on le maintient seul. La chercheuse souligne que, dans ce schéma, « l’indicateur est encore plus important et sa sélection doit être vraiment bien réfléchie ».

Pour Nathalie Reginster, une précision s’impose : « Quand vous voyez un 0, ça ne veut pas dire qu’il n’y a aucun accès au droit , mais que par rapport à l’ensemble des communes, c’est la commune qui a la valeur la plus basse. Quand vous avez, par exemple, un 0,72 ça signifie que vous êtes à 72% de la valeur maximum qui est 1 », détaille-t-elle. Un mode de fonctionnement qui peut paraître cassant aux yeux des communes qui se voient attribuer un zéro. Qu’elles soient rassurée, cela ne signifie donc pas aucun accès, mais juste la valeur la plus basse dans la distribution des communes.

Historique de l’ISADF

L’ISADF tel qu’il est aujourd’hui a déjà évolué et été enrichi par quelques années de mise en pratique. Le décret du 6 novembre 2008 portant sur la reconnaissance, le financement et la mise en œuvre du Plan de Cohésion Sociale dans les villes et communes de Wallonie prévoyait la conception de l’ISADF comme l’un des outils de diagnostic pour l’élaboration de plans d’action.

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L’indicateur synthétique au service de tous les acteurs de la promotion de la santé en Wallonie

Au-delà du Plan de cohésion sociale, l’ISADF peut servir d’outil de diagnostic, de veille et de programmation pour différents projets et dispositifs locaux. Il s’agit d’un outil d’analyse endogène, calculé à l’échelle des communes wallonnes, mais aussi temporelle puisqu’il rend compte de l’évolution de la situation au cours du temps. Dès lors, il remplit un rôle d’indicateur des inégalités sociales, du bien-être collectif et du développement durable. Il est à noter qu’il ne couvre cependant que les 253 communes wallonnes et ne tient donc pas compte des communes de la communauté germanophone.

Bilan et perspectives d’avenir

Si le chemin accompli est déjà considérable, il reste néanmoins du pain sur la planche à l’ISADF avant de rendre compte de l’ensemble des droits fondamentaux. D’une part pour aborder les droits qui sont encore laissés pour compte, et d’autre part pour faire évoluer les indicateurs actuels. A titre d’exemple, le droit à une alimentation saine et de qualité ne prend actuellement en compte qu’un seul indicateur et il sera sans doute nécessaire d’en implémenter de nouveaux. Afin d’atteindre ces objectifs, Christine Ruyters rappelle en conclusion de son intervention, la nécessité de mobiliser des moyens facilitant l’accès à la collecte des données. L’IWEPS souhaite mettre en place un processus qui lui permette de disposer d’un maximum de données locales précises. Et si certaines données locales sont aisées à obtenir, comme celles qui ont issues de registres administratifs ou de la sécurité sociale, d’autres sont bien moins faciles à collecter. Lorsqu’il s’agit de données liées, par exemple, au droit à l’épanouissement, cela relève du domaine du subjectif et du très nuancé. Il devient alors nécessaire d’aller chercher directement de la parole des citoyens. Ladiscussion avec les acteurs de terrains locaux qui disposent déjà de certaines données s’avère fondamentale. La difficulté résidera dans le fait que ces données doivent être rendues comparables d’une commune à l’autre.

Christine Ruyters et Isabelle Reginster concluront donc leur intervention par un constat simple : malgré de belles avancées, il reste du chemin à parcourir pour améliorer l’ISADF, mais cette amélioration ne sera possible que si elles peuvent travailler main dans la main avec les acteurs de terrain locaux. Dans un premier temps, développer des partenariats sera donc la prochaine priorité.