Mars 2013 Par L. BERGHMANS Locale Wallonie

L’Observatoire de la Santé du Hainaut (OSH) est mandaté par la Province du Hainaut pour assurer deux missions complémentaires : l’observation de la santé et la promotion de la santé. Dans sa configuration actuelle, ce service public provincial est la résultante d’une volonté politique constante d’organiser des services de qualité visant à promouvoir la santé en suivant des référentiels de bonnes pratiques, validées par les instances internationales et la communauté scientifique. Les résultats opérationnels positifs, l’intérêt manifesté par le public, les associations et les mandataires politiques locaux donnent à penser que cette stratégie de service public de qualité est porteuse de changements positifs.

Un outil d’action publique dans un contexte de santé spécifique

Chaque année, près de 2 300 personnes meurent injustement dans le Hainaut. Ces vies seraient épargnées si la situation sanitaire de la province était équivalente à la situation moyenne belge.
L’espérance de vie à la naissance du Hainuyer est de 3 ans inférieure à la moyenne des hommes belges. Pour la femme, la différence est d’un peu plus d’un an. L’inéquité est manifeste.

La fracture sanitaire ne se marque pas seulement au niveau de la durée de vie mais aussi de la qualité de vie. Les maladies chroniques (maladies cardiovasculaires, cancers, maladies respiratoires) souvent invalidantes sont plus fréquentes dans le Hainaut, comme le sont aussi les accidents de la route avec décès, les maladies professionnelles, les suicides et tentatives de suicide, la consommation de psychotropes, les hospitalisations, les grossesses d’adolescentes, etc.

Le lien entre un contexte socio-économique défavorable et une mauvaise santé est bien établi dans la littérature scientifique et le Hainaut en est malheureusement une illustration frappante.

Les conditions de vie (habitat, instruction et culture, emploi, revenus, liens sociaux) influencent les modes de vie. Ainsi, la mauvaise qualité de l’alimentation, le tabagisme, la sédentarité sont plus fréquents dans les foyers de niveau socio-économique moyen à faible, très nombreux dans le Hainaut. Ces facteurs sont à la base d’un risque accru de pathologies comme les maladies cardiovasculaires et les cancers, qui représentent 60 % des causes de mortalité dans le Hainaut.

Intervenir sur ces facteurs est une priorité évidente mais les stratégies, pour être efficaces, doivent dépasser la simple information du public pour s’attaquer aux changements structurels dans l’environnement de vie des personnes, des familles et des collectivités, en concertation avec les bénéficiaires et avec leur participation.
C’est pour contribuer à relever ce défi que la Province de Hainaut a décidé dans les années nonante d’investir dans une structure de promotion de la santé.

S’appuyer sur les référentiels de la nouvelle santé publique

Dans l’histoire récente, la santé publique a connu trois révolutions. Fin du 19e, avec Pasteur et d’autres, le progrès des connaissances scientifiques mais aussi les revendications fortes du mouvement ouvrier ont permis des avancées considérables en matière de salubrité et d’hygiène dans les lieux de vie et de travail. Il en est ressorti des résultats tangibles sur la santé, notamment au niveau de la mortalité infantile.

La deuxième révolution, au milieu du 20e siècle, également portée par un fort mouvement social, a permis une large accessibilité à des soins médicaux de qualité par la généralisation des assurances sociales.
Les résultats sont indéniables sur le bien-être et la qualité de vie des gens mais de très nombreuses études de santé publique ont montré les limites des soins médicaux. Ainsi la réduction notable de la mortalité cardiovasculaire au cours des dernières décennies n’est attribuée qu’à 50% aux progrès médicaux, le reste résultant d’une amélioration des facteurs de risque dans la population. De même, le déficit considérable de santé dans le Hainaut, qui dispose pourtant d’une infrastructure sanitaire comparable à la moyenne belge, ne peut en aucune manière s’expliquer par des carences qualitatives ou quantitatives au niveau des soins mais bien par des facteurs sociétaux agissant en amont. Ces facteurs sont multiples et se manifestent tout au long des trajectoires de vie des gens. Ils engendrent des inégalités sociales de santé suivant la position sociale et/ou les territoires.

Cette meilleure compréhension de la construction sociale de la santé implique d’adapter les pratiques d’intervention en santé publique. C’est l’enjeu de la troisième révolution de la santé publique. La Province de Hainaut s’y est engagée résolument en donnant un mandat de promotion de la santé à son service public, l’Observatoire de la Santé.
Suivant la Charte d’Ottawa (1986), la promotion de la santé est le processus qui confère à tous et de manière équitable les moyens d’assurer un plus grand contrôle sur leur propre santé et d’améliorer celle-ci. Cette approche combine en pratique différentes stratégies telles que l’élaboration de politiques publiques soucieuses de la santé, l’amélioration de l’environnement, l’action collective, le développement des ressources individuelles et sociales, la qualité de l’information, la réorientation des services de santé. Dans cette perspective, la santé est considérée non pas comme une fin en soi mais comme une ressource pour bien mener sa vie et ses projets. Cette ressource est utile individuellement mais aussi collectivement pour contribuer au développement des communautés.

On comprend que ce nouveau contexte de travail implique pour les travailleurs du secteur de s’assurer de la participation active des publics bénéficiaires dans la conception des interventions et leur mise en œuvre. S’agissant d’interventions à portée sociétale, créer des partenariats avec d’autres secteurs de l’action publique, associative ou économique sur base d’objectifs partagés est également un élément clé des nouvelles stratégies d’intervention.

De la théorie à l’action ou comment concilier pragmatisme et rigueur conceptuelle

Sur base de l’héritage de la médecine préventive et sociale, il convenait pour la Province d’adapter son service public à la nouvelle donne de la promotion de la santé. Ce processus, toujours en cours, s’appuie sur deux éléments: l’organisation de services et l’organisation du travail.

La structure OSH comporte quatre services opérationnels et un service d’appui logistique et administratif.
Le service d’information sanitaire a pour mission la récolte d’indicateurs de santé et la diffusion de diagnostics communautaires de santé non seulement vers les professionnels de santé mais aussi, par des supports adaptés, vers un public plus large de décideurs et d’acteurs sociaux locaux.
Le secteur prévention et promotion de la santé propose aux communes, écoles, associations, un soutien pour la construction de programmes locaux de promotion de la santé.
Le service d’éducation à la santé construit des outils variés d’information et de formation (animations, expositions, car-exposition, brochures) et aide les organismes locaux à la mise en place de programmes d’éducation.
La cellule communication travaille en continu avec les médias par le biais de soutien rédactionnel, d’organisation de campagnes, de chroniques radio et écrites, de conférences de presse.
Chaque équipe comprend du personnel spécialisé et organise son travail en autonomie mais en fonction d’objectifs de production explicites.
Au total, l’Observatoire comporte environ 60 équivalents temps plein et est doté d’un budget de 3.500.000 euros, dont 90 % couvrent les frais de personnel.

Sur le plan de l’organisation du travail, l’institution a opté pour une programmation triennale. Le plan d’action permet de prioriser les interventions et d’organiser les synergies internes. Il présente de manière claire et publique les engagements du service public. Il est approuvé et évalué périodiquement par l’autorité politique et intégré dans le plan stratégique provincial.

Le Plan 2010-2012 est organisé en six axes: connaissance des problèmes de santé dans le Hainaut, partenariat avec les communes et le tissu social local au plus proche des citoyens, promotion de la santé des jeunes, promotion de la santé des seniors, rencontre des besoins spécifiques en promotion de la santé (précarité et handicap) et communication et information. Ceux-ci sont décomposés en 15 objectifs généraux, 34 objectifs spécifiques à atteindre par la réalisation de 105 actions concrètes. L’évaluation effectuée fin 2011 indiquait que 51 % des objectifs ont une programmation respectée ou amplifiée, 41 % sont exécutés mais à un niveau moindre que prévu et 8 % sont abandonnés.

Manifestement en termes d’intérêt du public et de ses représentants, le travail de la décennie passée a enclenché une dynamique sociale qui va dans le sens d’une meilleure appropriation de la santé. Ces indicateurs de processus positifs augurent d’une évolution favorable des indicateurs de santé mais les changements seront plus longs à venir.
Sur le plan qualitatif, quelques éléments sont encourageants: nos campagnes médiatiques (non stigmatisantes et non moralisatrices !) ont été approuvées par des instances indépendantes, nos outils d’éducation sont occasionnellement repris par des structures nationales comme les mutuelles, des communications et publications scientifiques sont acceptées par des jurys internationaux, un projet européen qui a étudié 46 projets régionaux de l’Union européenne a retenu notre Plan d’action parmi les cinq interventions les plus exemplaires, la Région wallonne nous a confié la réalisation du premier Tableau de bord wallon de la santé…

Les équipes de l’Observatoire restent toutefois critiques sur leurs propres productions et recherchent de manière continue les voies d’amélioration et d’innovation. Ceci dit, sans céder à l’autosatisfaction, il est intéressant d’identifier les facteurs qui ont favorisé le déploiement des activités de l’OSH.

Les facteurs institutionnels de réussite

L’analyse de l’histoire récente de l’OSH permet de dégager les facteurs qui ont contribué au développement de la qualité du service :
– un appui politique continu favorisé par un contact direct avec les élus sur base de stratégies et de programmations explicites et évaluées et de rapports d’activités détaillés;
– le respect de bonnes pratiques professionnelles et scientifiques et le recrutement des cadres basé uniquement sur les compétences et l’engagement;
– le positionnement comme structure dite intermédiaire entre le niveau central (Fédération Wallonie-Bruxelles) et le niveau local (communes, groupements territoriaux). Une structure intermédiaire se justifie par des économies d’échelle dans la mobilisation de ressources et services. Le niveau provincial permet des investissements notamment en personnel spécialisé (épidémiologistes, sociologues, santé publique, journalistes spécialisés…) et en outils qu’il ne serait pas judicieux d’effectuer systématiquement à l’échelle communale ou supra communale. Bien entendu, ces ressources doivent être mises à la disposition du niveau local, en étant à l’écoute de ses besoins. Les lignes stratégiques et les thématiques sont en cohérence avec celles du niveau central. Les affirmations de double-emploi ou de mille-feuilles institutionnel ne résistent pas à l’analyse factuelle. Au contraire, l’action provinciale, explicitement complémentaire de celle du niveau central et du niveau local, contribue à rendre accessible à tous les services de promotion;
– une gestion interne participative et une évaluation formalisée des programmes;
– une politique de formation continue du personnel et de relations directes avec les associations professionnelles et scientifiques internationales pour soumettre nos expériences à la critique et l’échange.

Et pour conclure…

Le cadre institutionnel provincial a permis la mise en place d’une structure de promotion de la santé innovante. Des conditions de réussite liées à la gouvernance, à la transparence, à la participation du personnel à la décision, à l’ouverture aux partenaires et au respect de référentiels de bonnes pratiques ont pu être rencontrées dans ce cadre institutionnel.

Les débats en cours sur l’avenir des provinces devraient prendre en considération les expériences concrètes de terrain. Les enseignements que l’on peut en tirer sur le plan politique alimenteront les réflexions sur les conditions du bon fonctionnement des services publics. Et pour le citoyen, c’est ce qui importe.

L’OSH en quelques chiffres

56 bases de données exploitées pour la réalisation du Tableau de bord de la santé
une enquête permanente sur la santé des jeunes, un échantillon de 2 000 enfants
des profils locaux de santé pour 69 communes
500 000 brochures d’éducation à la santé commandées en 5 ans
des partenariats avec 35 communes
des présentoirs de brochures dans 63 communes
250 animations dans les écoles par an
30 séances de formation pour professionnels par an
1 lettre d’information pour les généralistes
10 campagnes radio TV en 10 ans et 1 500 relais locaux lors de la campagne hypertension
70 collaborateurs motivés
1 service public ouvert à tous.

Observatoire de la Santé du Hainaut, rue Saint-Antoine 1, 7021 Havré. Tél.: 065 87 96 02 et 065 87 96 03. Fax: 065 87 96 79. Courriel: observatoire.sante@hainaut.be. Internet: http://www.observatoiresante.hainaut.be

Article publié précédemment dans les ‘Cahiers de l’éducation permanente’ et reproduit avec leur aimable autorisation. Référence : Luc Berghmans. L’Observatoire de la Santé du Hainaut, une expérience provinciale. in : Présence et action culturelles, Les Cahiers de l’Éducation Permanente, La Province sans tabous. 2012 pp 121-126.