Mars 2014 Stratégies

Pour une reconnaissance et un financement fiable de la promotion de la santé, de l’éducation pour la santé, de la prévention collective et de la santé communautaire

Une initiative française qui fait sens pour nous également, travailleurs et militants de la promotion de la santé en Belgique francophone. Avec en prime chez nous, l’instabilité institutionnelle qui complique encore un peu plus la donne ! Ce manifeste a recueilli environ 1.500 signatures à la date du 23/2/14. Le voici (les titres sont de la rédaction).

Un cadre de référence commun

Nous sommes des associations, des organismes, des professionnels ou des bénévoles qui oeuvrons dans les domaines de la promotion de la santé, de la santé publique, de l’éducation pour la santé, de la santé communautaire, de la prévention des conduites à risque, de la santé sexuelle et des politiques territoriales de santé. Nous intervenons directement auprès de la population générale, des jeunes scolarisés ou au sein des communautés vulnérables. Nous accompagnons également des intervenants de première ligne et des élus locaux en leur apportant documentation, formation et soutien méthodologique.

Notre cadre de référence commun est la charte d’Ottawa pour la promotion de la santé, adoptée par la France en 1986(1), et ses cinq stratégies d’intervention :
• l’adoption de politiques publiques favorables à la santé des populations, quel que soit le secteur (revenus, fiscalité, emploi, éducation, urbanisme, logement…) et quel que soit le niveau (national, régional, local…) concerné; en effet les conditions de la santé relèvent très largement d’autres secteurs que celui de la santé;
• la création d’environnements, de conditions de vie et de travail favorables à la santé(réduction des influences physiques et chimiques nocives, amélioration des ressources naturelles, offre de biens ou de services favorables à la santé… mais aussi qualité du lien social);
• le renforcement de l’action communautaire, permettant aux personnes et aux groupes de participer aux décisions qui concernent la santé publique et donc leur propre santé et celle de leur entourage;
• le développement d’aptitudes individuelles par l’éducation pour la santé (connaissances en santé, attitudes favorables, estime de soi, confiance dans sa capacité à agir, compétences relationnelles…);
• la réorientation des services de santé pour qu’ils prennent mieux en compte
l’expression des personnes et des groupes, participent à la prévention et à l’éducation
pour la santé et travaillent en partenariat avec d’autres secteurs concernés par la
promotion de la santé.

Prévenir durablement maladies et traumatismes

Profondément concernés par l’évolution de la politique de promotion de la santé et de prévention dans notre pays, nous avons fait une lecture attentive de la feuille de route pour la Stratégie Nationale de Santé (SNS) rendue publique le 23 septembre dernier.

Nous nous réjouissons de l’intention affichée de «Prioriser la prévention sur le curatif et agir sur les déterminants de santé» et nous partageons sans réserve l’analyse de la feuille de route : «Notre système de santé doit donner toute sa place à la prévention et à la promotion de la santé, outil négligé depuis des décennies, levier majeur de réduction de la mortalité et de la morbidité évitables, ainsi qu’à la prise en compte des déterminants de santé qui agissent en amont sur l’évolution de notre état de santé.»

En effet, avec beaucoup d’autres, nous faisons le constat que l’état de santé en France est caractérisé par l’opposition entre une espérance de vie très favorable après 65 ans et une mortalité ‘prématurée’ (avant 65 ans), dite ‘évitable’, élevée, accompagnée d’inégalités sociales plus importantes que dans d’autres pays d’Europe. Nous savons qu’une très grande partie des causes de mortalité et d’incapacité prématurées, et des causes d’inégalités, est déterminée par quelques facteurs de risque ou de protection. Il s’agit en particulier des conditions de vie et de travail, des compétences psychologiques et sociales et de la qualité des relations sociales, de l’alimentation et de l’activité physique, et des consommations de tabac et d’alcool.

Il est maintenant démontré que la prévention durable de ces décès et incapacités est essentiellement liée aux évolutions des conditions de vie, des conditions de travail et des comportements. Comme le constate la feuille de route de la SNS, ces conditions dépendent en général d’autres secteurs que celui de la santé. Pour les faire évoluer, il ne s’agit pas seulement d’accroître les aptitudes individuelles en matière de santé. Il faut aussi faire évoluer le contexte social, politique, économique, et les conditions de vie des personnes, dans un sens favorable à leur santé, c’est-à-dire concevoir des environnements matériels et sociaux qui non seulement ne mettent pas la santé en danger, mais aussi facilitent l’adoption et le maintien de comportements favorables à la santé, et conférer aux personnes concernées (habitants, élus, responsables d’établissements, militants associatifs…) un réel ‘pouvoir d’agir’ sur les facteurs qui ont un impact sur leur santé et celle de leurs proches.

Nous sommes convaincus que promouvoir la santé dans les milieux de vie, c’est aussi prévenir durablement maladies et traumatismes. La promotion de la santé représente aujourd’hui un axe majeur de progrès possible en santé publique car elle peut influencer des déterminants essentiels de la santé et du bien-être tels que l’alimentation et l’activité physique, la vie affective et sexuelle, la santé mentale, les conduites addictives… Elle peut aussi aider à relever les défis que représentent la santé des enfants et des jeunes, la santé au travail, le vieillissement de la population. Elle peut contribuer efficacement à la prévention des causes évitables d’incapacités et de décès prématurés et à la réduction des inégalités sociales de santé par son action globale et positive. Il y a là une marge considérable de progrès en qualité de vie et en santé pour un investissement financier tout à fait raisonnable.

Sept mesures à mettre en place

Nous constatons que des dynamiques de promotion de la santé en proximité ont émergé et sont actuellement à l’oeuvre dans un certain nombre de communes, d’écoles, d’entreprises ou d’autres communautés de vie. Nous regrettons cependant que ces dynamiques qui, dans certains pays, constituent la première ligne d’une politique de santé et de bien-être, soient en France peu valorisées, peu soutenues et ne bénéficient pas d’une réelle reconnaissance législative ou réglementaire. Nous regrettons également que la participation du citoyen dans les choix et les actions qui concernent sa santé et sa qualité de vie soit négligée, même si une place est faite à l’usager du système de soins ou de prise en charge.

Nous proposons sept mesures pour favoriser le développement de la promotion de la santé dans les milieux de vie et ainsi relever le défi de la réduction des décès et incapacités prématurés, mais aussi celui des inégalités de santé qui y sont étroitement liées.

Les modalités d’organisation et de financement proposées contribueraient à la reconnaissance de la promotion de la santé et des activités d’éducation pour la santé, de prévention collective et de santé communautaire qui s’y réfèrent, en tant que missions d’intérêt général au même titre que les soins ou la prise en charge médico-sociale.

1. Inciter un plus grand nombre de communautés de vie (quartiers, écoles, entreprises,
établissements de santé…) à s’engager dans des stratégies de promotion de la santé :
– en faisant en sorte que les Agences régionales de santé (ARS) inscrivent
systématiquement un volet ‘promotion de la santé’ dans les contrats locaux de santé;
– en faisant de la Commission de coordination dans les domaines de la prévention, de la santé scolaire, de la santé au travail et de la protection maternelle et infantile, le garant d’une dynamique intersectorielle de promotion de la santé et de prévention collective dans tous les milieux de vie;
– en reconnaissant, au-delà de la déconcentration régionale, le rôle majeur des
collectivités et autres structures locales, notamment associatives, dans la promotion de la santé dans les lieux de vie, là «où se perd et se gagne la santé»;
– en envisageant des modalités d’implication de tous les acteurs concernés et plus
particulièrement les habitants-usagers dans la gouvernance d’une politique locale de santé et de bien-être qui dépasse le cadre de l’accès aux soins.

2. Développer les interventions de première ligne visant particulièrement à réduire les inégalités de santé et à combler les besoins de santé de groupes plus vulnérables, du fait de leurs parcours ou leurs choix de vie (personnes en précarité, migrants, détenus, consommateurs de drogues, minorités sexuelles, jeunes sous protection judiciaire, jeunes en errance…) :
– en dégageant des crédits pérennes pour les associations mettant en place des
interventions auprès de ces populations, suivant les principes de la promotion de la santé;
– en incitant au développement de projets de recherche-action sur les réponses aux
besoins de santé spécifiques de ces populations;
– en dotant toutes les ARS de moyens pour faire un état des lieux et mettre en place un observatoire de l’évolution des inégalités sociales de santé sur leurs territoires.

3. Organiser en région des modalités durables d’accompagnement à l’élaboration et à la mise en oeuvre des projets de promotion de la santé et des interventions de prévention, d’éducation pour la santé ou de santé communautaire qui s’y réfèrent, en instituant une organisation régionale de promotion de la santé bénéficiant d’une reconnaissance légale. Cette organisation régionale aurait pour missions :
– d’accompagner les communautés de vie dans l’élaboration de stratégies de promotion de la santé;
– d’exercer une fonction d’expertise et de conseil en promotion de la santé et prévention;
– de développer l’offre de services aux acteurs locaux professionnels et bénévoles (information, accompagnement méthodologique, formation, documentation, évaluation);
– de participer au développement de la recherche interventionnelle en promotion de la santé;
– de participer, au besoin, à l’animation de projets locaux;
– de fédérer les compétences et ressources régionales en promotion de la santé.

4. Former et développer les compétences des professionnels, en s’appuyant sur des cadres de référence agréés.

5. Instituer un financement visible, conséquent et sécurisé destiné aux activités de recherche, d’accompagnement et d’intervention en promotion de la santé et prévention collective. Soit en développant la fondation prévue par l’article L. 1171-1. de la loi HPST («une fondation contribue à la mobilisation des moyens nécessaires pour soutenir des actions individuelles ou collectives destinées à développer des comportements favorables à la santé»); soit en créant un fonds clairement dédié à ces activités.

6. Faciliter l’inscription dans la durée des projets de promotion de la santé et de prévention dans les milieux de vie. En généralisant la convention pluriannuelle d’objectifs comme vecteur d’attribution et de contrôle du financement de ces projets.

7. Établir des critères de sélection des projets susceptibles de faire l’objet d’un
subventionnement au titre de la promotion de la santé, fondés sur les connaissances dont nous disposons actuellement sur l’efficacité des interventions en promotion de la santé, critères partagés entre commanditaires et porteurs de projets et stables dans le temps.

Enfin, nous constatons que la place de la prévention et en particulier de la promotion de la santé en proximité est beaucoup trop réduite dans la concertation actuellement engagée autour de la Stratégie Nationale de Santé. Nous demandons que ce déficit soit comblé :
• en faisant une large place dans les débats publics à la prévention et à la promotion de la santé et en y accordant une part aussi importante à l’expression citoyenne qu’à celle des ‘experts’ et de l’administration;
• en ouvrant aux niveaux national et régional une large concertation préalable à l’élaboration de textes et décisions relatifs au développement de la promotion de la santé et de la prévention. Participeraient notamment à cette concertation, les institutions nationales, dont l’INPES, des représentants de l’ensemble des parties prenantes de la promotion de la santé et de la prévention collective en région et au niveau local, notamment les institutions représentées au sein de la Commission de coordination dans les domaines de la prévention, de la santé scolaire, de la santé au travail et de la protection maternelle et infantile, les associations et organismes réunis au sein des actuels pôles régionaux de compétence en éducation pour la santé et promotion de la santé, les collectivités territoriales engagées en santé et enfin, des représentants du monde universitaire impliqués dans la production de connaissances scientifiques en promotion de la santé.

Bruno Spire , président de AIDES
Agnès Bensussan , présidente de la Plateforme nationale de ressources des ateliers santé ville
Laurent El Ghozi , président de Élus Santé publique et Territoires
Jeanine Pommier , vice-présidente de l’Union Internationale de Promotion et d’Éducation pour la Santé
Pierre Lombrail , président de la Société Française de Santé Publique
David Authier , président du Réseau des universités pour l’éducation à la santé
Patrice Voir , président du Réseau français des Villes-Santé de l’OMS
Marc Schoene , président de l’Institut Renaudot
René Demeulemeester , président de la Fédération nationale d’éducation et de promotion de la santé

(1) OMS, Charte d’Ottawa pour la promotion de la santé, 1986