Juin 2001 Par Bernadette TAEYMANS Stratégies

Dans le n°156 d’Education Santé, nous vous présentions le matériel éducatif ‘Mi-ange, mi-démon’ produit par le service Espace-Santé de la FMSS-FPS. Nous y revenons aujourd’hui pour mettre en avant le processus participatif qui a permis cette réalisation. Pour présenter cette démarche, nous avons rencontré l’équipe de pilotage du projet, Jeanne-Marie Delvaux, Hughes Ghenne et Ingrid Bawin.
Education Santé : Vous vous êtes lancés dans ce projet sur la consommation des médicaments et les jeunes, mais d’où vient cette idée?
Espace-Santé : Notre préoccupation concernant la problématique du médicament n’est pas nouvelle. Il y a déjà plusieurs années que nous l’abordons. Nous avons commencé par travailler avec des adultes avec le programme « Médicament, ami ou ennemi ». Les adultes avaient au départ peu de repères par rapport à leur consommation; le médicament était banalisé dans leur quotidien. Nous avons travaillé avec des groupes locaux dans notre région liégeoise post-industrielle. Pour ses consommations courantes, ce public était conditionné par les émissions TV, l’avis du voisin,… Nous avons commencé par travailler sous l’angle du coût des médicaments.
Des demandes de professeurs, d’éducateurs, d’infirmiers scolaires,… pour travailler cette question avec leur public jeune nous revenaient sans cesse au cours de ce programme. Il y avait donc un champ d’action à travailler. En faisant le tour de ce qui existait, on s’est rendu compte… qu’il n’existait pas grand chose et que le sentiment général des éducateurs était qu’ils se sentaient incompétents pour aborder cette question, qu’ils avaient besoin de l’aide d’un expert (ce qui pour eux voulait dire ‘un médecin’).
Education Santé : Comment avez-vous entamé ce travail?
Espace-Santé : Au point de départ, nous nous sommes référés à l’enquête « Comportements de santé des jeunes » de Promes-ULB. Nous avons rencontré des témoins privilégiés comme les promoteurs de la pièce de théâtre québécoise « Je vous ai apporté des bonbons » sur le thème de la consommation de médicaments pour un public âgé.
Ce tour de la question nous a permis d’opérationnaliser nos objectifs. Avec un public jeune, il nous fallait poser des actes clairs, simples, accessibles. Notre objectif a été de créer avec eux, dans leur milieu scolaire, une campagne d’information « support papier » sur le médicament. Cette campagne devait être diffusée d’abord en région liégeoise et ensuite à l’ensemble de la Communauté française.
Dans un deuxième temps, nous avons sélectionné des écoles. Nous avons pris les premiers contacts de mars à mai 1999. Des enseignants étaient demandeurs pour participer, ce qui a été un gage de réussite. Nous nous sommes donc engagés avec ces relais dans une démarche participative, dans une logique de projet pour travailler ensemble. En septembre, nous avons pu démarrer avec cinq groupes d’élèves dans trois écoles. Au préalable, nous avions rencontré les enseignants pour mieux appréhender les réalités et pratiques de chaque groupe.
Au départ, il y avait parfois une certaine réticence: beaucoup d’intervenants extérieurs viennent dans les écoles et commencent quelque chose mais les élèves ne voient pas ce qui aboutit. Ils sont dans l’immédiateté et ont besoin de voir des résultats concrets. Pour éviter de reproduire cela, nous nous sommes engagés à réaliser avec eux l’ensemble du processus sur une période relativement courte: de novembre à juin, pour rester en cohérence avec l’année scolaire et le rythme des élèves.

Quelques phrases, quelques représentations sur le médicament

Un médicament, c’est…
‘ça peut être des cachets… des pilules…’
‘non, une pommade, ça se met sur la peau alors c’est pas un médicament.’
Le médicament agit sur…
‘Le cachet va à la douleur, où ça fait mal.’
‘Ça dépend où on a mal… le médicament y va.’
‘Pourquoi posez-vous cette question, car sur la notice c’est marqué pour la tête… Pourquoi voulez-vous que cela agisse autre part?’
Un médicament, c’est banal…
‘Moi, j’aime bien les médicaments… je prends les aspirines comme cela… j’aime bien… c’est bon.’
‘Moi aussi… je prends une aspirine comme cela je suis relaxée.’
Les médicaments et la santé…
‘Quand on a quelque chose… c’est bon… car ça agit sur quelque chose…’
‘Ça peut être bon quand on a mal quelque part…ça peut être mauvais quand on en n’a pas besoin…’
‘Lorsqu’on n’a rien ça peut être mauvais.’
J’en prends, j’en prends pas…
‘Moi quand j’ai mal la tête… quand je suis indisposée… j’ai la quoi… j’attends que ça passe… sinon je prends un médicament…’
‘Au moindre problème… elles prennent…Aïe… j’ai mal la tête et hop… un médicament.’
‘Moi je connais une qui dès qu’elle se lève prend un Dafalgan car elle a mal la tête.’
Et les parents?
‘Oui ma mère dès qu’elle a mal au ventre elle en prend direct… elle…’
‘Papa… il prend des médicaments pour l’estomac.’
‘Ils en prennent mais pas beaucoup… ma mère pour dormir…’
extrait de l’analyse de contenu des entretiens de groupe ‘Médicament, je décide!’

Un processus participatif

Education Santé : Quelle a été votre méthode de travail?
Espace-Santé : Nous avons opté au niveau méthodologique pour une investigation participative à volonté productive. Concrètement, cela s’est traduit par les étapes suivantes:
– avant la première animation, nous avions demandé aux jeunes de compléter un questionnaire écrit pour pouvoir déjà récolter des informations sur leurs représentations, leurs pratiques autour du médicament;
– la première animation a permis aux jeunes de parler du médicament, de leur vécu, de prendre conscience de leurs pratiques de médication, des différences entre eux,…
– la deuxième séance a permis de travailler ensemble les informations qui avaient été échangées lors de la première séance, de renforcer leurs compétences en la matière. Deux éléments principaux ressortaient de la première séance: le médicament était banalisé et l’imprégnation de l’ensemble de l’organisme par la substance médicamenteuse était complètement ignorée, sous-évaluée;
– lors de la troisième animation, nous avons présenté l’idée-clé qui se dégageait des séances précédentes pour partager une même base de travail: « Tout produit qui entre dans le corps peut faire du bien et du tort ». Nous avons proposé un questionnaire « vrai-faux » pour voir si l’idée-clé était bien comprise. A partir de cette idée-clé et des messages principaux, nous avons proposé aux jeunes une phase de créativité pour choisir les supports de la campagne;
– chaque sous-groupe a choisi un message et un support. Les jeunes ont alors avec l’aide du responsable ‘slogan’, traduit le message dans leurs mots à eux pour aboutir au slogan final. Le dessinateur a également travaillé avec eux pour le choix de l’illustration, de la mise en page, de la couleur,… tout a été travaillé avec les jeunes;
– les projets ainsi produits ont été testés auprès de quelque 200 jeunes dans d’autres écoles;
– le tout s’est clôturé en juin par une rencontre réunissant tous les jeunes et professionnels ayant participé au processus. Ils ont ainsi pu prendre connaissance du travail effectué par chaque groupe et participer au lancement de « leur » campagne.

Quelle place pour les professionnels?

Education Santé : Comment définiriez-vous votre rôle, votre apport professionnel dans ce processus?
Espace-Santé : Sur le terrain, nous étions deux: Hugues Ghenne, animateur en promotion de la santé aux FPS et Ingrid Bawin, stagiaire assistante sociale. Notre cadre de travail, notre objectif étaient clairement définis mais notre champ d’intervention était modulable. Nous avons suscité le plus possible une intégration du travail dans les pratiques des enseignants. Nous avons apporté un dossier, avec des hypothèses à travailler avec les jeunes. Nous avons animé, proposé des méthodes. Au total, chacun a apporté ses zones de compétences, jeunes, enseignants (de français, dessin, morale et étude du milieu), animateurs, graphiste.
Aux étapes de conception du matériel, les intervenants spécialisés pour la conception du slogan ou l’illustration et la mise en page ont également rencontré les jeunes pour leur soumettre leurs avant-projets et rencontrer les attentes des jeunes. C’est un des groupes de jeunes qui a trouvé le slogan « mi-ange, mi-démon » et qui a réalisé la base du dessin. Cela a eu un impact très important sur le produit final pour qu’il reste en phase avec les jeunes qui étaient au départ du projet. Sans cette rencontre, cette confrontation, le résultat aurait été lamentable: les jeunes ne se seraient pas retrouvés dans le résultat final et se seraient sentis dépossédés.
Pour nous animateurs, cela a mis en mouvement toute une émotion, un engagement affectif dans le travail avec les jeunes.

Et pour les jeunes?

Education Santé : Quelles ont été les réactions des jeunes au cours du projet?
Espace-Santé : Nous avons travaillé avec plusieurs groupes dans des écoles professionnelles; les jeunes que nous avons rencontrés, étaient souvent en difficulté avec le milieu scolaire. Au début, ils ne tenaient pas assis. Ils avaient une consommation réflexe et inadéquate du médicament: problème de grossesse non désirée, mise sous tranquillisants,…
Dans ce projet, nous avons voulu coller à leur réalité, là où ils sont. Partir de l’expression de leur vécu. A chaque fois, nous avons commencé par dégager leurs zones de compétence. Ils ont pu ainsi évoluer et faire évoluer le projet. La rencontre en juin leur a donné l’occasion de mettre en valeur leur apport, leur participation. C’était et c’est toujours leur campagne.

La suite…

Education Santé : Et maintenant, quel est l’avenir du projet?
Espace-Santé : Pour la diffusion tout d’abord, nous travaillons avec les centres locaux de promotion de la santé et les mutualités socialistes régionales. Nous proposons une séance de formation à l’utilisation du matériel. Nous avons édité 1.500 dossiers pédagogiques, 20.000 dépliants pour les jeunes, 5.000 exemplaires du gadget ainsi que des schémas du cheminement du médicament dans le corps.
Nous poursuivons également l’évaluation du projet: nous avions réalisé une évaluation préalable (des besoins, de la problématique). En ce qui concerne le processus, nous suivons toujours l’évolution pour l’évaluer également. Pour ce faire, nous avions mis en place dès le départ, un carnet de bord: c’est la mémoire du groupe qui permet de fixer les étapes, de voir le cheminement, prendre du recul, et travailler ce matériel en supervision. Le contenu des documents nous prouvent que les jeunes ont compris le message. Ils l’ont exprimé vers d’autres dans une émission radio.
Nous avons encore à évaluer les effets de cette campagne. Mais nous savons par d’autres évaluations, que l’idée la plus difficile à déloger est que le médicament n’est pas un produit magique.
Propos recueillis par Bernadette Taeymans

Mi-ange, mi-démon

Cette campagne de communication subventionnée par la Communauté française, vise à ‘débanaliser’ la consommation et le ‘réflexe’ médicament. Elle s’adresse aux jeunes. Les messages de l’outil sont simples, précis et attractifs pour faciliter leur appropriation et leur diffusion. Elle comprend:
– un mini-dossier qui fournit aux éducateurs des pistes d’animation pour sensibiliser les jeunes à la problématique;
– des supports visuels pour renforcer les messages: une affiche, une série de trois cartes postales, un autocollant, un dépliant d’information, des schémas et un gadget.
La pochette et les différents outils de la campagne sont disponibles gratuitement dans toute la Communauté française.
Espace Santé, rue Douffet 36, 4020 Liège, tél.: 04-341 63 31, mél: espace.sante@euronet.be.
Pour faciliter l’accès à l’information, un site est en cours d’élaboration. Il permet déjà au relais de terrain de découvrir aisément la matière, de commander gratuitement les outils ou de puiser certaines informations. Adresse: http://www.espacesante.be