Novembre 2008 Stratégies

Le Conseil supérieur de promotion santé remet au Gouvernement de la Communauté française des avis destinés à assister ce dernier dans sa politique de promotion de la santé et de médecine préventive. Il s’agit souvent de recommandations techniques, imposées par la législation, ou d’avis ponctuels sur des programmes d’action et de recherche, sur des campagnes médiatiques, des registres de pathologies, etc.
Le Conseil est aussi amené à répondre à des questions de portée plus générale, et peut aussi prendre l’initiative d’attirer l’attention de la ministre sur une question qu’il juge intéressante ou préoccupante.
L’avis reproduit ci-dessous a été donné le 16 mars 2007 en réponse à une demande de Madame Catherine Fonck, Ministre de l’Enfance, de l’Aide à la Jeunesse et de la Santé. Les titres sont de la rédaction.
A noter: le site sante.cfwb.be contient beaucoup d’informations utiles sur le Conseil, dont une partie de ses avis.

Une question très délicate

Le Conseil a pris connaissance de la demande d’avis qui lui était faite par la Ministre, portant sur la proposition suivante émise dans le cadre de la Conférence interministérielle (CIM):
« intégration dans la société »: intégrer l’examen des organes génitaux et la vérification de leur intégrité dans l’examen médical de routine des services de prévention infantile et des services scolaires tant auprès des filles que des garçons .
But de l’action : les examens des organes génitaux externes des petites filles et la vérification de leur intégrité est la seule manière de trouver les preuves d’une mutilation génitale ainsi que de réaliser une prévention efficace .
Des directives précises émanant des services communautaires compétents doivent être émises .
Ces informations devraient être notées dans le carnet de santé de l’enfant .
Afin d’éviter toutes formes de discrimination ou de stigmatisation , il s’avère nécessaire sans doute de ne pas faire de distinction entre les enfants de sexe féminin et masculin lors de l’examen .
Public cible : les nouveau nés de sexe féminin et les petites filles ».

Le Conseil souligne que les pratiques de mutilations génitales chez les filles sont une atteinte grave à l’intégrité physique, ayant des conséquences importantes sur la santé physique et psychologique des filles et des femmes ayant subi ces mutilations. Il estime que ces pratiques sont en opposition flagrante avec les droits de l’homme et les droits de l’enfant.
Toutefois, étant donné d’une part le nombre limité de familles concernées et d’autre part, la volonté d’intégrer, dans une démarche globale de promotion de la santé, la prévention des mutilations génitales incluant la sensibilisation et le dialogue avec les familles concernées, le Conseil supérieur estime que la vérification de l’intégrité physique de tous les enfants (filles et garçons) n’est pas une mesure pertinente.
Le Conseil attire l’attention sur les points suivants:
1. Dans les consultations de l’ONE, l’examen des organes génitaux a été abandonné; dans les services PSE (promotion de la santé à l’école), un examen systématique sommaire des organes génitaux externes chez les garçons est prévu. Les représentants de cette institution et de ces services, présents au Conseil, attirent l’attention sur deux observations:
– les professionnels se trouvent souvent devant des enfants manifestant une attitude de peur et de méfiance à leur égard, comportement exacerbé depuis l’affaire Dutroux, certains enfants allant jusqu’à refuser que certains professionnels les touchent;
– le Conseil insiste sur le fait que, si l’examen systématique des organes génitaux, lors des consultations ONE et PSE, peut avoir un caractère dissuasif auprès de certaines familles, cette mesure risque tout autant de rompre la confiance de ces familles envers des services qui ne seraient, dès lors, plus consultés (ce qui pourrait constituer un dommage important en terme de santé pour ces enfants).
Le Conseil en conclut que toute mesure de détection comprise comme une menace constitue un frein dans l’engagement d’un dialogue de confiance avec les familles quant aux risques liés aux mutilations génitales féminines et à l’éventuel dilemme culturel dans lequel se retrouvent certaines de ces familles (peur que leur fille ne puisse jamais intégrer la société de son pays d’origine).
2. Le Conseil est conscient que cet acte de détection permettrait d’assurer un suivi psychologique des filles mutilées ou peut-être de prendre plus précocement une décision chirurgicale réparatrice. Néanmoins le Conseil attire l’attention sur les risques importants d’un tel dépistage pour l’enfant et pour la famille et rappelle que «primum non nocere» (d’abord ne pas nuire) reste un principe de base de l’intervention médicale:
– la peur des mesures de dénonciation et de sanction de la part des parents ou de la famille pouvant déstabiliser un équilibre familial et provoquer violence et maltraitance des enfants concernés;
– l’instrumentalisation de la fillette mutilée dans la dénonciation d’un tiers, souvent parental, pouvant entraîner des mesures de sanction (prison), culpabilisantes pour l’enfant qui se sent responsable, ce qui est éthiquement peu acceptable;
– la stigmatisation de l’enfant au sein de l’école, celle de la famille ainsi que de certains groupes culturels.
3. Les praticiens représentant l’ONE et les services PSE estiment que le contexte de leurs consultations n’est pas adapté à un examen rigoureux des organes génitaux de tous les enfants en vue d’en vérifier l’intégrité.
En effet, cet examen exige un climat de confiance entre médecin, famille et enfants. Ces praticiens soulignent la nécessité de mettre des mots justes sur cet acte sans risquer de créer de la méfiance chez les enfants à l’égard de leurs parents, sans stigmatiser les fillettes appartenant aux communautés qui pratiquent ces mutilations… ce qui exige beaucoup de temps. L’O.N.E. estime que l’examen systématique des organes génitaux chez tous les enfants pourrait être repris (pour d’autres raisons que les mutilations génitales) à condition qu’il puisse se dérouler sur base volontaire et dans un contexte de confiance et de dialogue avec les familles.
L’accompagnement psychologique des filles mutilées leur pose question lorsqu’ils sont directement impliqués dans le contexte de dénonciation et de sanction pénale: tout accompagnement devrait impérativement se faire par une équipe multidisciplinaire compétente, formée et assurant un suivi dans des délais proches de l’examen. Ce suivi n’est actuellement pas envisageable dans l’organisation des équipes de promotion de la santé à l’école.
4. Le Conseil attire l’attention sur l’instrumentalisation du médecin vis-à-vis de la justice.
L’objectif du Plan d’action national en matière de lutte contre les mutilations génitales vise à leur abolition en les interdisant et en sanctionnant les responsables de ces pratiques. Même si un dépistage systématique des mutilations génitales peut avoir un caractère dissuasif auprès de certaines familles, le Conseil estime cependant que cette pratique impliquant la dénonciation des responsables de mutilations, pourrait compromettre gravement la mission de prévention dévolue aux services de santé.
Le Conseil estime que les nombreuses questions qui se posent, la confusion et l’ambiguïté des objectifs du dépistage, du rôle du médecin, des conséquences psychologiques méritent une recherche sociologique sérieuse avant de prendre certaines décisions.
Le Conseil préconise des actions de sensibilisation et d’information, ces actions impliqueront préférentiellement les acteurs de la prévention et de la promotion de la santé en rapport avec les enfants et les familles (ONE, services PSE, centres PMS et centres de planning familial) en collaboration étroite avec les groupes de femmes et d’hommes africains qui visent à la suppression de ces pratiques (notamment le Gams).
Le Conseil recommande, qu’avant toute prise de position, la CIM interroge les acteurs de la prévention et de la promotion de la santé chez les enfants, directement concernés par toute mesure de détection, à savoir l’ONE et les Services de Promotion de la santé à l’école. Le Conseil regrette que des représentants de ces secteurs n’aient pas été invités à participer aux travaux préparatoires au Plan.
La Présidente du Conseil, Martine Bantuelle