Février 2001 Par P. MOUCHET Initiatives

Dans le texte introduisant notre nouvelle rubrique ‘Communication’ (1), Thierry Poucet nous expliquait le projet de prendre un peu de recul par rapport au traitement médiatique des questions de santé. Bien entendu, le traitement journalistique de la santé est très présent et peut-être de plus en plus dans les médias. Thierry Poucet s’y intéressera de façon prioritaire dans les mois qui viennent. Mais la santé se lit aussi et de manière tout aussi prégnante dans la publicité, sur internet, dans les fictions télévisuelles, etc. Il est tout aussi pertinent de se pencher sur ces vecteurs de communication.
Notre Communauté française a la particularité d’offrir aux organismes actifs en promotion de la santé l’accès aux écrans publicitaires des chaînes radio et TV à des conditions très favorables (les espaces sont offerts, la production des messages étant à charge des annonceurs).
Il est évidemment intéressant d’étudier l’impact de ces initiatives, qui abordent des sujets comme la vaccination, la sécurité routière, le tabagisme,…
Ce premier texte porte sur une campagne concernant un sujet un peu à la marge, le don d’organes.

‘Et si vous en parliez avant?’

Vous avez certainement eu l’occasion de voir ou d’entendre la campagne sur le don d’organes lancée par l ‘Association nationale des greffés cardiaques et pulmonaires (ANGCP) en octobre 1998 et poursuivie en 1999 et 2000.
Depuis quelques années, on a constaté dans le domaine de la transplantation, une augmentation du nombre de demandeurs d’organes et une stagnation voire une régression du nombre de donneurs.
Sujet pour le moins difficile, le don d’organes véhicule de nombreuses idées reçues qui sont heureusement bien loin de la réalité. Il suffit de se rappeler les rumeurs accréditant l’existence d’un trafic d’organes qui circulaient dans les années 90.
De plus, le don d’organes fait référence à la maladie, à la mort ce qui le rend encore plus délicat à traiter.
Ayant entendu parler de la possibilité de disposer d’espaces gratuits sur les chaînes de radio-TV en Communauté française, l’ANGCP a contacté Question Santé – Service communautaire de promotion de la santé chargé de la communication, pour l’aider à mettre en place une vaste campagne de sensibilisation dont l’utilité ne faisait guère de doute. Encore fallait-il trouver le message adéquat et le ton juste.
Au cours d’un groupe focalisé organisé sur ce thème, il est apparu que les personnes présentes avaient encore beaucoup de craintes ou de réticences face au don d’organes:

  • peur que tout n’ait pas été fait pour sauver la personne décédée;
  • difficulté à accepter le décès face à un corps qui semble encore vivre;
  • peur d’un manque de respect du corps lors du prélèvement;
  • crainte de coûts hospitaliers supplémentaires;

Stratégie de communication

Vu le côté encore très tabou et le nombre d’idées reçues autour du don d’organes, le but de la campagne devenait assez évident: tenter de sortir le sujet de l’ombre. Pour l’ANGCP, promoteur de la campagne, le sujet n’était pas encore suffisamment mûr pour lancer une campagne de promotion en faveur du don d’organes. Au vu de la situation en Belgique, il était préférable de commencer une campagne de sensibilisation pour que le public ait l’occasion d’en parler.
L’objectif de la campagne était triple:
– à court terme, inciter le public à demander des renseignements, notamment en appelant le numéro vert 0800-25 600, pour recevoir, gratuitement, un dépliant d’information;
– à moyen terme, faire en sorte qu’un maximum de personnes prennent position avant que la demande de prélèvement d’organes, lors du décès, ne soit présentée à la famille;
– à long terme, faire du don d’organes et de tissus un réflexe normal et pratiquement général et, de ce fait, augmenter l’offre par rapport à une demande qui ne cesse de croître.
Le public visé par cette campagne est, bien entendu, le grand public. Si l’on veut être plus précis, on pourrait dire que le cœur de cible est constitué des personnes qui n’ont jamais réfléchi à la possibilité qu’un jour, elles pourraient se retrouver dans la situation de donneur ou de receveur d’organes. Car, à part les personnes ayant, dans leur entourage, un greffé ou un donneur, le sujet est rarement abordé avant que la situation ne se présente.
Outre le grand public, il semblait extrêmement important de toucher des publics spécifiques qui jouent un rôle crucial à certains moments : médecins, pharmaciens, agents de mutuelles, employés communaux,…
Le promoteur a choisi, bien entendu, la télévision et la radio, comme supports principaux à sa campagne de sensibilisation puisqu’il pouvait disposer d’espaces gratuits sur les chaînes francophones de la Communauté française. Il a néanmoins complété ces supports grand public par des dépliants, un numéro vert , un site internet, ainsi qu’un mailing adressé aux médecins, pharmaciens, hôpitaux, mutuelles, communes et écoles.
Le spot télévisé, correspondant à la partie la plus visible de la campagne, a été divisé en deux parties: l’accrochage est basé sur la situation réelle que vivent les familles lorsqu’elles sont confrontées à une prise de décision urgente quant à un éventuel don d’organes de leur proche décédé. On entend ainsi, en voix off, les questions incessantes que se posent les parents du défunt.
La deuxième partie du spot est plus informative et se termine classiquement par le numéro de téléphone auquel les gens peuvent appeler pour recevoir gratuitement un dépliant sur le don d’organes.

Interprétation des résultats

Au départ, l’objectif était d’inviter les gens à aborder la question du don d’organes sans délai, c’est-à-dire sans attendre que le problème se pose en pratique.
Il apparaît que la campagne a dépassé son objectif initial de simple sensibilisation, puisqu’un nombre accru de personnes ont été jusqu’à effectuer une démarche active auprès de leur commune pour faire enregistrer leur décision au Registre national.
Cela est frappant en comparant les statistiques d’inscriptions avant, pendant et après la campagne.
Trois chiffres demandent une explication. Pour les deux premiers, on ne peut avancer qu’une hypothèse basée sur la préparation de la campagne; pour le troisième, l’explication est plus aisée.

  • L’augmentation du nombre des démarches, en septembre 98, c’est-à-dire avant le lancement de la campagne, est probablement due au nombre important de personnes sensibilisées au cours des diverses réunions préparatoires et à des démarches spécifiques de l’ANGCP.
  • Pour ce qui concerne octobre 98, cette hypothèse joue également, combinée au démarrage de la diffusion sur les ondes (la première vague avait lieu du 16 au 31/10/1998).
  • Le nombre d’acceptation pour la Wallonie-Bruxelles de juin 99 a été volontairement supprimé du tableau, car il crève tous les plafonds et atteint le chiffre record de 5.951 inscriptions. Mais cela était dû à l’opération « Bourgmestres en Cœur » à l’initiative des quatre partis démocratiques de la Communauté française, qui permettait la déclaration de décision (acceptation ou refus) sur place au moment du vote lors des élections législatives de juin 99.

Pour le reste, tant la progression du nombre d’inscriptions en 99 par rapport à 98 que la différence spectaculaire du nombre des acceptations en Communauté française par rapport à la Flandre (qui n’a pas bénéficié de la campagne) en 99 se passent de commentaire. L’effet campagne est très puissant.
Il faut noter aussi que le nombre de refus est aussi plus important dans le sud du pays, ce qui est normal vu la mise en avant du sujet en Communauté française. Cette augmentation des refus témoigne en toute hypothèse d’une sensibilisation au sujet, qui est en soi positive.
De toute façon, et c’est heureux, les démarches positives l’emportent et largement sur les déclarations de refus!(1) Lire Journaliste de santé publique, une espèce en voie d’apparition?, par Thierry Poucet, Education Santé n° 153, novembre 2000.