Octobre 2013 Par N. REGUERAS Olivier GILLIS Christian DE BOCK Stratégies

L’accord institutionnel pour la sixième réforme de l’État du 1er décembre 2011 prévoit le transfert de pans importants de la sécurité sociale vers les entités fédérées. Pour le secteur de la santé, 16% du budget de l’assurance soins de santé (soit 4,2 milliards au moment de l’accord) vont être transférés en 2014. C’est énorme.

Les compétences suivantes sont visées par ces bouleversements :
– l’accueil résidentiel en maisons de repos, maisons de repos et de soins, en hôpital gériatrique isolé ou spécialisé en soins de longue durée isolé;
– les travaux de construction, de rénovation et de gros entretien des infrastructures hospitalières;
– certaines conventions entre l’INAMI et des établissements de revalidation;
– les aides à la mobilité (par exemple voiturettes);
– l’allocation d’aide aux personnes âgées (APA);
– les maisons de soins psychiatriques et les habitations protégées;
– des éléments importants d’organisation des soins de première ligne;
– la politique de prévention et de dépistage.

Notre article porte sur cette dernière compétence, dont l’impact en termes budgétaires est assez faible. Quand il y a lieu, les informations ont été actualisées à la date du 31 juillet 2013.

Contenu de l’accord institutionnel

Seules les entités fédérées peuvent prendre des initiatives en matière de prévention. Si ces actions de prévention supposent la participation des prestataires de soins par l’intermédiaire d’actes remboursables (par exemple des honoraires de dépistage ou les honoraires pour l’administration d’un vaccin), ces prestations pourront être honorées par l’INAMI. Ces accords peuvent être conclus avec l’INAMI de manière asymétrique, il n’est donc pas nécessaires que les Communautés appliquent les mêmes politiques de santé publique.

Les moyens, pour un total d’un peu plus de 80 millions d’euros (1), que le fédéral affecte actuellement à la prévention seront transférés et concernent les éléments suivants :
– programmes de vaccination (28,9 millions);
– vaccination HPV (1,3 million);
– sevrage tabac (2,5 millions);
– fonds de lutte contre les assuétudes (5 millions);
– dépistage du cancer du sein (30,2 millions);
– dépistage du cancer du colorectal (1,6 million);
– dépistage du cancer du col de l’utérus (10,1 millions);
– soins dentaires aux enfants (1 million);
– plan national nutrition santé (1 million).

Ces moyens seront répartis entre les Communautés selon leurs populations respectives et non selon leur niveau de dépenses actuel. Ils évolueront ensuite, chaque année, en fonction du taux de croissance de la population de l’entité concernée, de l’inflation et de 82,5 % de la croissance réelle du Produit intérieur brut.

À noter que l’accord prévoit un mécanisme de transition qui devra garantir que l’année de départ aucune entité ne soit gagnante ou perdante. Le montant d’égalisation restera constant pendant 10 ans en valeur nominale puis diminuera progressivement pendant les 10 années suivantes, avant de disparaître.

Situation actuelle des compétences dans les domaines concernés

La politique de prévention relève déjà essentiellement des Communautés. Les entités fédérées qui le souhaitent peuvent conclure des accords bilatéraux avec le fédéral leur permettant de bénéficier d’une intervention de l’INAMI couvrant les honoraires des prestataires de soins dans le cadre d’initiatives en matière de prévention.

Vaccination

Les programmes de vaccination sont organisés par les Communautés mais le financement des schémas vaccinaux, décrits dans le calendrier vaccinal établi par le Conseil Supérieur de la Santé, est supporté à raison de maximum 2/3 tiers par l’État fédéral via l’INAMI. Les 12 vaccinations des 0-16 ans sont visées, mais pas celles des adultes (2)(3).
Le paiement de cette quote-part se fait selon un schéma d’acompte et de décompte. L’acompte constitue 75% du montant alloué à la Communauté concernée et le solde, soit maximum les 25% restants, est établi sur base des factures envoyées par les Communautés à l’INAMI. Via un système de marchés publics, les Communautés et l’INAMI cofinancent l’achat en gros des vaccins auprès des firmes pharmaceutiques. Cela veut dire que chaque Communauté négocie pour son compte (par exemple les jeunes filles flamandes et francophones ne reçoivent pas le même vaccin contre le HPV).

La Fédération Wallonie-Bruxelles peut se targuer de très bons résultats en termes de couvertures vaccinales, en particulier pour la petite enfance (0 à 5 ans). Ainsi par exemple, pour la vaccination contre le pneumocoque, entre 2006 (vaccin recommandé mais payant) et 2012 (vaccin recommandé et gratuit), la couverture a été multipliée par dix, tant en Wallonie qu’à Bruxelles !

Sevrage tabac

En 2004, le Ministre de la Santé publique a lancé un Plan fédéral de lutte contre le tabagisme. Dans ce cadre, différentes mesures ont été prises, dont les consultations de sevrage tabagique et la mise en place d’un Fonds de lutte contre les assuétudes (voir plus bas).

L’aide au sevrage tabagique a d’abord été proposée aux femmes enceintes et leur partenaire, et a été depuis octobre 2009 élargie à toute la population, dans le cadre du Plan Cancer 2008-2010.
Il s’agit d’une intervention forfaitaire par consultation (30 € pour la première et 20 € pour les suivantes, avec un maximum de 7 consultations sur une période de deux années calendrier) couvrant les coûts d’accompagnement et de soutien par un médecin ou un tabacologue reconnu. Pour les femmes enceintes, l’intervention forfaitaire est de 30 €, pour toutes les consultations.

À noter, alors que 34% des fumeurs résident en Wallonie, 49% des bénéficiaires de cette intervention sont wallons, avec une surreprésentation des femmes et des 50-60 ans.

Fonds de lutte contre les assuétudes

Érigé en 2003, il s’agissait initialement du Fonds de lutte contre le tabagisme . Il était financé pour mettre en place une série de projets de lutte contre le tabagisme. En 2006, le Fonds de lutte contre le tabagisme a vu ses missions s’élargir à toutes les formes d’assuétudes (alcool, tabac, médicaments). Il a été rebaptisé Fonds de lutte contre les assuétudes .

Les objectifs du Fonds sont assez larges: informer sur les dangers des produits pouvant entraîner une accoutumance, limiter leur consommation (surtout chez les jeunes) et soutenir l’accompagnement médical, social et psychologique des consommateurs.

41 projets ont bénéficié du Fonds en 2012, pour moitié en Fédération Wallonie-Bruxelles.

Dépistage du cancer du sein

Depuis 2001 en Flandre et 2002 en Wallonie et à Bruxelles, le programme organisé de dépistage du cancer du sein par mammotest offre à toutes les femmes âgées de 50 à 69 ans une mammographie de qualité contrôlée et gratuite, et ce tous les deux ans. L’INAMI intervient pour le remboursement des tests de dépistage repris dans la nomenclature des prestations de soins de santé. En 2001, un code spécifique de la nomenclature a été prévu pour la mammographie de dépistage ou mammotest, en ajout à celui de la mammographie classique.

À noter qu’un avenant a été réalisé afin de permettre le prolongement pour 5 ans jusqu’à la fin 2013 du protocole d’accord du 25/10/2000 entre l’Autorité fédérale et les Communautés en matière de dépistage de masse du cancer du sein par mammographie.

Si le programme n’est organisé que depuis 2001, un dépistage spontané (nommé dépistage opportuniste ) prescrit par les médecins traitants et les gynécologues existait déjà, surtout dans le sud du pays et à Bruxelles. Ce ‘dépistage opportuniste’, en ayant recours au code de prestation de mammographie diagnostique clinique, continue à exister parallèlement au programme de dépistage organisé. À l’avenir, il est prévu qu’un seul code de nomenclature soit créé pour les deux types de dépistage.

Le programme est géré par le Centre de référence communautaire pour le dépistage des cancers pour la Wallonie et par l’asbl Brumammo (bilingue) à Bruxelles.

Éducation Santé vous a fréquemment parlé de ce programme et de l’évolution décevante de la couverture à Bruxelles et en Wallonie. Les dernières données disponibles concernent les années 2006-2007 et datent de 2010 (4). Des données plus récentes ont été annoncées pour le début 2013, mais nous n’avons malheureusement rien vu venir à ce jour…

Dépistage du cancer colorectal

Depuis le 1er mars 2009, la Communauté française organise un programme de dépistage du cancer colorectal pour les personnes âgées de 50 à 74 ans. Il se fait sur invitation du Centre de référence pour le dépistage des cancers ou sur prescription du médecin généraliste, via un test de recherche de sang occulte dans les selles à répéter tous les deux ans. C’est le Centre de référence qui se charge de l’analyse des tests.

Le programme a un faible succès jusqu’ici, ses responsables espèrent une amélioration sensible de la couverture dans le futur grâce au remplacement du test actuel par un autre, plus facile à utiliser, qui devrait favoriser la participation du public visé.

Dépistage du cancer du col de l’utérus

Le dépistage du cancer du col de l’utérus est actuellement remboursé via la nomenclature. Sur base des recommandations européennes, la Conférence Interministérielle Santé publique a approuvé, en mars 2009, le principe de l’organisation d’une campagne de dépistage systématique du cancer du col de l’utérus pour les femmes de 25 à 64 ans par frottis du col tous les trois ans (5).

Le protocole d’accord prévention signé le 28 septembre 2009 en Conférence interministérielle Santé offre un cadre permettant à l’autorité fédérale de cofinancer des campagnes de prévention organisées par les Communautés. Les Communautés étant actuellement dans la mise en œuvre d’autres programmes de prévention, un programme généralisé de dépistage du cancer du col de l’utérus n’a pas encore pu être développé.

Projet soins dentaires enfants

Depuis 2005, la Commission Nationale Dento-Mutualiste a pris diverses initiatives pour promouvoir la santé bucco-dentaire des jeunes. La nomenclature a progressivement été adaptée en ce sens et depuis 2009 les soins dentaires tant curatifs que préventifs pour les moins de 18 ans sont d’ailleurs tout à fait gratuits (à l’exception des soins d’orthodontie).

Ce projet prévoit le financement de la VVT (Verbond der Vlaamse Tandartsen) du côté flamand et de la Société de médecine dentaire du côté francophone pour renforcer la sensibilisation des jeunes à la santé bucco-dentaire, mais également pour mesurer l’impact des campagnes. Les organisations disposent à cet effet de ‘bus dentaires’ et de personnel (dentistes, assistants). Ces bus sont présents dans les écoles, aux événements organisés pour les jeunes, etc. afin de les sensibiliser et éventuellement de les examiner.

Plan national nutrition santé (PNNS)

Lancé en avril 2006, le PNNS a pour objectif premier de veiller à ce que la population belge puisse bénéficier d’actions concrètes, visibles et coordonnées au niveau national, qui permettent, par l’amélioration des habitudes alimentaires et l’augmentation de l’activité physique, de réduire le risque de maladies, d’optimiser l’état de santé et d’accroître la qualité de vie de tous. Il intègre les recommandations proposées par les instances internationales (OMS, CE) et s’appuie entre autres sur les résultats de l’enquête sur la consommation alimentaire menée en 2004 par l’Institut scientifique de Santé publique (ISP) ainsi que sur les avis du Conseil Supérieur de la Santé.

Contrairement au PNNS français qui est déjà à mi-parcours de sa troisième déclinaison (6), le PNNS belge n’a malheureusement pas répondu aux attentes qu’il avait suscitées lors de son lancement et est au point mort depuis près d’un an.

Que fera la Communauté française de ces nouvelles compétences ?

Le 19 septembre, les quatre partis francophones, PS, MR, Ecolo et cdH, présentaient leur ‘Projet commun d’organisation des nouvelles compétences en matière de santé, d’aide aux personnes et d’allocations familiales’ (7).

Selon leur déclaration, ils ‘fondent leur vision de l’organisation future des compétences transférées sur un certain nombre d’éléments essentiels qu’ils partagent :
– nécessité de maintenir et renforcer les liens privilégiés entre la Wallonie et Bruxelles pour faciliter la vie des bénéficiaires et prestataires, pour garantir la solidarité au niveau le plus haut possible et un accès aux prestations les plus larges pour l’ensemble des citoyens. Des liens seront également tissés avec la Flandre et la Communauté germanophone dans la mesure où elles le souhaitent, afin de ne pas entraver la mobilité des citoyens ni leur accès aux prestations et de favoriser la complémentarité de l’offre de soins ;
– maintien de l’implication, repensée, des interlocuteurs sociaux, des acteurs et des bénéficiaires des secteurs concernés, qui disposent d’une expertise permettant de reprendre efficacement la gestion des compétences visées ici au niveau des entités fédérées ;
– simplification des structures pour assurer l’efficience et la transparence du modèle, la cohérence, la transversalité et la gestion intégrée des politiques visées, la rapidité des décisions et des économies d’échelle en matière de gestion administrative ;
– construction d’un modèle juridiquement sûr et cohérent, tenant compte le cas échéant des compétences connexes aux matières transférées qui sont déjà gérées par les entités fédérées ainsi que des compétences qui continuent à être gérées au niveau de l’Etat fédéral, et garantissant la continuité des prestations au bénéfice de l’ensemble des citoyens de Wallonie et de Bruxelles.’

Prévention : transferts en cascade

L’ensemble des compétences relatives à la santé, aux personnes âgées et aux personnes handicapées, à l’exception des compétences qui continuent à relever de l’Etat fédéral sont concernées par cet accord.

Le projet des partis francophones va beaucoup plus loin qu’une ‘simple’ répartition de nouvelles matières entre la Fédération Wallonie-Bruxelles, la Wallonie et la Région de Bruxelles-Capitale.

En effet, ‘l’exercice des nouvelles compétences en santé et aide aux personnes sera transféré de la Communauté française à la Région wallonne et le cas échéant à la Cocof pour les compétences qui ne relèveront pas exclusivement de la Cocom à Bruxelles, considérant que ces entités, de même que la Cocom, gèrent déjà un certain nombre de compétences en ces matières, et considérant que les mécanismes essentiels de la solidarité (financement, nomenclature INAMI…) restent communs à travers la sécurité sociale fédérale.

Afin de renforcer la cohérence globale, l’exercice des compétences actuelles de la Communauté française en santé sera transféré à la Région wallonne et à la Cocof, à l’exception des compétences de santé préventive pour les enfants et adolescents (compétences de l’ONE, médecine scolaire et vaccination jusqu’à 18 ans), du contrôle médico-sportif et des hôpitaux universitaires (8).

Ce transfert de l’exercice de ces compétences sera envisagé dans le cadre d’une perspective Wallonie-Bruxelles, qui se concrétise à travers un socle de principes communs, une structure permanente de concertation et un pacte de simplification entre la Cocof et la Région wallonne. Ces dispositifs seront élargis à la Cocom et à la Communauté germanophone dans la mesure où elles le souhaitent.’

(1) Il s’agit des montants de l’année 2011, au cours de laquelle la Communauté flamande offrait déjà aux jeunes filles la vaccination HPV et la Communauté française aux personnes âgées de 50 à 74 ans son programme organisé de dépistage du cancer colorectal. La situation a évolué depuis, la Fédération Wallonie-Bruxelles ayant ajouté la vaccination HPV à son calendrier et la Communauté flamande s’apprêtant à généraliser le dépistage du cancer colorectal l’an prochain. Cela dit, rapportés aux 26 milliards du budget annuel des soins de santé (2011), ces chiffres sont au mieux anecdotiques!
(2) Le vaccin contre le rotavirus est recommandé à tous, remboursé mais pas gratuit.
(3) Pour la vaccination HPV, voir l’article de Marie-Christine Miermans, Béatrice Swennen et Axelle Vermeeren, L’implantation de la vaccination contre le papillomavirus en PSE, Éducation Santé n°289, mai 2013, http://www.educationsante.be/es/article.php?id=1580
(4) Voir l’article ‘Résultats de 6 ans de dépistage organisé du cancer du sein en Belgique’, Éducation Santé n° 261, novembre 2010, http://www.educationsante.be/es/article.php?id=1309
(5) Depuis le 1er janvier 2013, le remboursement est effectivement limité à une fois tous les trois ans.
(6) Voir l’article d’Anne Le Pennec ‘Le plan national nutrition santé’ dans notre numéro précédent. http://www.educationsante.be/es/article.php?id=1608
(7) Soit 90 députés sur 93…
(8) Auxquelles la note ajoute encore l’hygiène dentaire dans les écoles et l’agrément et le contingentement des professions de santé.