C’est à l’initiative d’Infor-Drogues que Nicolas Ancion a écrit ce roman pour les 10-12 ans, publié récemment aux éditions Jourdan (9,90 € prix France).
Théo est fan de jeux vidéo et, un jour, il découvre en ligne un jeu encore plus passionnant que les autres, qui lui fait oublier tout le reste. Parviendra-t-il à revenir dans notre monde?
Pour parler du making of de ce livre, du choix du sujet et, bien entendu, des jeux vidéo, nous avons rencontré Philippe Bastin et Antoine Boucher , responsables du projet chez Infor-Drogues.
«L’idée de départ est très concrète et ne date pas d’hier: elle vient des demandes d’ouvrages que l’on nous adresse souvent, pour faire de la prévention, pour parler des drogues. Or, pour les jeunes enfants, on ne peut renvoyer le public à aucun document récent, de qualité et qui soit facile à se procurer. Soit les supports existants sont trop compliqués pour cette tranche d’âge, soit ce sont de petites historiettes où le jeune est celui qui sauve la situation, ce qui n’est pas très crédible. Ce qui existe dans la série Max et Lili nous semble trop stéréotypé et moralisateur. Les best-sellers comme Christiane F., L’Herbe bleue ou Trainspotting s’adressent à un public plus âgé et sont en outre catastrophiques sur le plan éducatif parce qu’ils racontent des histoires à sensation, dramatiques, très éloignées de ce que vit la grande majorité des jeunes. Notre souhait était de disposer d’un outil qui soit à leur portée et aborde la question de manière ludique, aux antipodes de la croisade sanitaire.»
Mais comment attirer l’attention des enfants, comment leur faire percevoir le ressort de ce qui peut nous accrocher dans la vie, positivement ou négativement, et nous passionner au point de devenir problématique? Comment les aider à trouver des repères pour avoir un certain recul et mettre des limites? « Nous ne voulions pas faire cela nous – mêmes : ce n’est pas notre métier . Car il fallait réaliser un vrai livre , écrire une vraie histoire qui parle à son public , qui se branche sur sa réalité , avec des personnages auxquels il puisse s’identifier . Nous devions donc obtenir la collaboration d’un écrivain et , pour que le livre circule bien , celle d’un éditeur .»
On demande un romancier
Nicolas Ancion a écrit de nombreux romans (dont une demi-douzaine pour la jeunesse), il a aussi été enseignant et ses enfants vont arriver à l’âge du public cible. Il s’est emballé pour le projet, ravi que son roman puisse avoir une perspective éducative. Cerise sur le gâteau: il utilise beaucoup Internet et connaît bien les jeux électroniques! Ce dernier point s’est révélé fort utile lorsque, accompagné d’un membre de l’équipe, il s’est rendu dans une dizaine de classes de différentes régions et de différents milieux sociaux: « Il venait les voir comme un écrivain qui prépare un livre . Il n’a pas du tout été question de dépendance , il posait des questions ouvertes . Par exemple : si vous deviez vous rendre sur une île déserte , qu’est – ce qui vous manquerait beaucoup , qu’est – ce que vous emporteriez avec vous ? Ces échanges ont été enregistrés , et les résultats sont extraordinaires . À cet âge , ils ont encore un pied dans l’enfance , ils ne craignent pas de parler d’un doudou , d’un nounours . Mais , très vite , ce qui arrivait en tête de liste c’était la console de jeux , la PlayStation . Ce qui les branche le plus , et de façon débordante , ce sont les jeux vidéo en ligne : cela déclenchait chez eux une excitation incroyable . Les enseignants disaient : je découvre des enfants que je ne connaissais pas ; c’est tout un univers dont ils ne parlent jamais en classe … »
La plupart du temps, les jeunes ne discutent jamais de ces jeux avec les adultes. Bien entendu, les parents n’ignorent pas que leurs enfants jouent. Et tous les enfants ont accès aux jeux, même dans les milieux moins favorisés où, à la limite, on considère comme encore plus important d’avoir accès aux mêmes biens de consommation, aux mêmes codes que les autres: « C’est tout à fait accepté par les parents et ceux – ci , le plus souvent , semblent bien fixer des règles d’utilisation , des balises de temps . Contrairement à ce que l’on croit , il est rare que les jeunes de cet âge transgressent gravement ces limites . Par contre , le contenu des jeux n’est pas du tout contrôlé par les parents , qui les connaissent mal : peu d’entre eux pratiquent cette activité pour eux – mêmes . Par ailleurs , on sait bien que les enfants sont prescripteurs d’achats . Certains achètent même leurs jeux tout seuls , ils échangent , revendent , font des recherches sur Internet … Et , parfois , ils tombent sur des choses qui ne sont pas de leur âge , comme cette petite fille qui montrait beaucoup d’anxiété , stressée par un jeu où elle devait gérer sa vie financièrement , comme une femme adulte .»
La pression du groupe
On pense souvent que les jeux à éviter sont particulièrement violents. Or, de ces échanges avec les enfants, il ressort que le risque réside surtout dans le manque d’interaction avec un adulte et l’effacement de la distinction entre réel et virtuel, sans oublier la pression exercée par le groupe sur chaque joueur: quand une partie implique de jouer pendant des heures quotidiennement pour atteindre un résultat, quand les autres participants vivent aux quatre coins du monde et que des tas de choses peuvent se passer pendant mon sommeil, comment ne pas m’inquiéter, comment résister à l’envie de me lever en pleine nuit pour voir ce qu’il est advenu de mon personnage?… Un enfant a ainsi témoigné qu’il avait dû donner sa clé USB à son père pour pouvoir arrêter de jouer.
En conclusion: l’idée n’est pas de lutter contre les jeux mais de fixer des limites non seulement de temps mais aussi de contenu. Ce qui implique de se frotter un minimum à ces contenus en se familiarisant avec les jeux. Parents, éducateurs, encore un apprentissage en vue… Vous pouvez aussi aller faire un tour sur http://www.jarretequandjeveux.org , où se trouvent des questions-réponses et des suggestions aux parents (pistes de discussion), aux éducateurs (pistes pédagogiques, idées d’activités) et aussi aux enfants (imaginer des fins différentes, donner son avis, écrire une histoire).
Propos recueillis par Alain Cherbonnier
Article publié initialement dans Bruxelles Santé n° 57, mars 2010, et reproduit avec son aimable autorisation
31. Tête à tête
Sergio est assis à une table du réfectoire, Théo est debout, appuyé contre le mur.
Alors, tu me racontes ? demande l’éducateur.
Qu’est-ce que je dois raconter ?
Land of the Living Dead , tiens, je n’ai jamais joué à ça.
Théo est un peu interloqué. Il ne s’attendait pas à ce sujet de conversation.
Tu sais, je ne peux pas jouer à tout. Moi je suis plutôt vieux jeu, si je peux dire ça. Je reste cantonné aux simulations de sport.
Théo sait tout ça, mais il ne s’attendait pas à ce que la discussion porte là-dessus. Pour faire bonne figure, il répond :
Aux jeux de plates-formes aussi, tu es super fort.
Sergio sourit, mais il n’a pas envie que la conversation dévie sur ses performances au joystick.
C’est un jeu multijoueurs en ligne, c’est ça ?
Théo hoche la tête.
Tu joues dans un univers qui existe tout le temps, même quand tu n’es pas connecté ?
Théo approuve de nouveau.
Tu as mangé ta langue, Théo ? Tes copains m’ont dit que tu ne parlais que de ça. Que tu jouais un zombie…
Oui, mais ça les intéresse vraiment, eux : ils ne posent pas les questions, ils me laissent raconter quand j’en parle, c’est tout.
Sergio se lève et prend le garçon par les deux épaules, en posant son regard droit dans le sien.
Ne prends pas ça mal, Théo. Je t’assure que ça m’intéresse. Je te pose des questions parce que j’ai envie de savoir à quoi ça ressemble. Je n’ai jamais joué, je te dis. Tu vois le personnage d’en haut ? En perspective ou à la première personne ?
Théo a du mal à résister. Il a envie de répondre à toutes ces questions, mais quelque chose en lui craint de s’ouvrir, comme si partager son jeu avec un adulte allait le rendre moins passionnant.
Un zombie, c’est immortel ?
Ben non, répond Théo, c’est un mort-vivant, il est déjà mort, donc il ne peut plus mourir. Mais il ne vit plus non plus. C’est pour ça que c’est chouette, on peut s’arracher un bras et le recoudre. On n’est pas limité.
Sergio sent que Théo se lâche un peu. Il le laisse raconter avec tous les détails. Ils parlent une bonne vingtaine de minutes, Sergio n’arrête pas de poser des questions pour amener Théo à parler encore.
A un moment il dit :
Et à la maison, ça se passe comment ? Tu vis chez ton père, non ?
D’un coup Théo se cabre. Son visage se referme, ses yeux se baissent.
Il n’a pas envie de parler de ça. Il n’a rien dit, mais Sergio lit très bien ce qui se chuchote dans les silences.
Tu as raison Théo, ça ne me regarde pas, reprend l’éducateur.
Théo lui sourit de nouveau. Il ne dit rien, mais son regard vaut bien un remerciement.
Tu sais, poursuit Sergio, quand j’avais ton âge, j’étais beaucoup plus timide que maintenant. J’avais un mal fou à parler de ce que je sentais à l’intérieur. Tu sais ce que je faisais quand je voulais discuter d’un truc, mais que je ne trouvais personne à qui en parler ?
Non, répond Théo d’une mimique du visage.
Je m’écrivais des lettres à moi-même.
Le regard de Théo montre bien que le garçon trouve l’idée ridicule.
Attends, je t’explique, je n’écrivais pas pour moi maintenant mais pour le Sergio qui serait là un mois plus tard. J’écrivais au gars que je serais dans le futur. Pas dans dix ans, mais dans quelques semaines. Je me demandais ce que le gars que j’allais devenir penserait de ce que j’étais en train de faire. Et tu sais quoi ?
Évidemment que Théo n’en a aucune idée, on devrait interdire de poser des questions qui n’attendent pas de réponse.
Eh bien, je me suis rendu compte qu’en écrivant, je parvenais à mieux me comprendre. Je n’avais pas besoin de me relire un mois plus tard. Le simple fait de m’avoir écrit m’aidait à y voir clair. Tu écris parfois ?
Non répond Théo, je n’y ai jamais pensé.
Fais ce qui te plaît surtout. Mais quand tu as un coup de cafard, pense au cahier. Ou au traitement de texte. Quand j’étais gamin ça n’existait pas et j’aimais bien l’encre bleue sur les feuilles quadrillées. Mais ça doit marcher sur l’écran d’un ordinateur aussi, j’imagine. Un peu comme quand on écrit un blog.
(extrait, page 141 à 144)