Mars 2025 Par Clotilde de GASTINES Julie LUONG Données

L’accord du nouveau gouvernement fédéral mentionne l’adoption d’un nouveau Plan Cancer, dont l’édition précédente datait de 2008. Il insiste sur la volonté de promouvoir le dépistage précoce et la vaccination. Cela passera par la collaboration avec les entités fédérées, qui proposent déjà des programmes de dépistage pour trois cancers : sein, colon et col de l’utérus. Toutefois, ces dépistages organisés se heurtent à divers obstacles, comme la pratique du dépistage individuel, les inégalités socio-économiques et de littératie, et le lobbying de certain.es praticien.nes. 

En 2023, près de 78 500 Belges ont reçu un nouveau diagnostic de cancer, dont 43 000 hommes et 35 500 femmes, d’après les statistiques du Registre belge du cancer (BCR). Si l’incidence – c’est à dire le risque de développer un cancer – est plus élevée que la moyenne européenne, la mortalité se situe désormais en dessous de la moyenne européenne selon le registre européen des inégalités face au cancer de l’Organisme de coopération et de développement économique (OCDE). 

Plus de deux diagnostics sur trois ont été posés chez des patients âgés de plus de 60 ans. Si le nombre de cancers diagnostiqués augmente, l’incidence du cancer standardisé reste stable pour les hommes, et augmente très légèrement pour les femmes. « Cette augmentation est principalement liée à des raisons démographiques, car la population s’accroît et vieillit », explique Dr Jean-Benoît Burrion, directeur médical et coordinateur de BruPrev, l’organisme en charge de piloter et évaluer les programmes en région bruxelloise. Quant à l’aspect genre, une des hypothèses du médecin est qu’elle est en grande partie liée à la consommation de tabac – les hommes fument moins qu’avant, tandis que la consommation des femmes stagne. 

incidence du cancer bcr hommes femmes 2022
(source : registre national du cancer- 2022)

Chez les hommes, le cancer de la prostate est le cancer le plus fréquent, suivi du cancer du poumon et du cancer colorectal. Chez les femmes, le cancer le plus fréquent est le cancer du sein, suivi par le cancer du poumon et le cancer colorectal. 

Le cancer du col de l’utérus arrive en treizième position en termes d’incidence, mais il est le quatrième cancer le plus fréquent chez les jeunes femmes. « C’est un cancer rare, mais qui est très vulnérable au dépistage, ce qui de concert avec la vaccination contre le papillomavirus (HPV) pour homme et femme, devrait permettre de réduire un jour la mortalité à zéro », précise le Dr Burrion. 

Inégaux face au cancer 

Dans son registre européen sur les inégalités face au cancer, l’OCDE constate qu’en Belgique les disparités socio-économiques sont considérables en ce qui concerne l’exposition aux cinq principaux facteurs de risque pour le cancer : le tabac, l’alcool, la pollution de l’air, le surpoids et l’obésité, l’exposition au papillomavirus (HPV). De plus, un tiers des Belges seulement déclarent atteindre les niveaux recommandés d’activité physique quotidienne, alors que l’exercice physique est un facteur protecteur contre le cancer (lien vers l’article d’Education Santé « Inactivité physique : les acteurs se mettent en ordre de marche »). 

L’organisation note aussi que la précarité et le faible niveau de littératie en santé dans certaines catégories de la population augmentent particulièrement le risque de ne pas se faire dépister. En Wallonie, le Centre de Coordination et de Référence pour le dépistage des cancers (CCRef) travaille justement activement avec divers partenaires en promotion de la santé pour encourager le dépistage organisé auprès des publics précarisés, qu’il s’agisse de la Fondation contre le cancer, de la LUSS (Ligue des Usagers des Services de Santé) ou encore de PSMG (Promotion Santé et Médecine Générale). Il donne aussi des formations pour que ces partenaires puissent mieux sensibiliser leurs publics à l’importance de participer au dépistage organisé. 

Bien que les directives européennes sur le dépistage soient mises en œuvre dans les trois régions, les taux de couverture du programme sont inférieurs aux niveaux cibles recommandés de 70 %. Les programmes se heurtent à des obstacles, comme le fait d’avoir ou non le reflexe du dépistage individuel, les inégalités socio-économiques et de littératie, et le lobbying de certains praticien.nes notamment en ce qui concerne le sein. 

« Des dépistages, on peut en faire pour de nombreuses maladies, et quand on met en place un dépistage organisé, qui s’adresse à certaines tranches d’âge de l’ensemble de la population, il y a toute une série de critères à respecter, explique Michel Candeur, coordinateur du CCRef. Il faut non seulement que cela soit faisable, mais aussi acceptable, économiquement soutenable, etc. Pour le moment il n’y a que trois dépistages qui correspondent à ces critères : le sein, le colon et le col de l’utérus. » 

Quelques chiffres : 

  • Sein : 11 592 cas par an en 2023 – le taux de survie est de 86%  
  • Colon : 8 000 cas par an (52 % d’hommes pour 48% de femmes) en 2022 – le taux de survie est de 68% 
  • Col de l’utérus : 641 cas par an (en 2022), le taux de survie est de 65% 

Cancer du sein : dépistage organisé vs bilan personnalisé  

mammography

En près de 20 ans, la mortalité spécifique par cancer du sein, standardisée pour l’âge, a diminué de 33 %. Elle est aujourd’hui sensiblement la même dans les trois régions du pays, en partie en raison de l’amélioration de l’efficacité des traitements.  

Le dépistage du cancer du sein concerne depuis 2002 les femmes entre 50 et 69 ans. 58% des Belges s’y tiennent avec des différences substantielles entre les trois régions : 45% à Bruxelles, 49% en Wallonie et 65% en Flandre. 

Comme l’incidence du cancer du sein augmente chez les femmes de plus de 70 ans, et touche parfois les femmes avant leurs 50 ans, l’Union Européenne suggère depuis 2022 de mener un dépistage annuel chez les femmes dès 45 ans, puis de poursuivre avec un examen bisannuel à partir de 50 ans jusqu’à 74 ans.  

En Wallonie, depuis 2002, les femmes entre 50 et 69 ans reçoivent tous les deux ans un courrier faisant office de prescription pour réaliser une mammographie gratuite (aussi appelé « mammotest ») dans une unité agréée. Il est aussi possible de solliciter ce dépistage à tout moment via le site du CCRef. Pourtant, elles ne sont que 5% à répondre à l’invitation. En effet, 44% des femmes se font dépister en suivant les conseils de leur médecin généraliste ou de leur gynécologue à travers un bilan personnalisé parfois dès 40 ans. « Ce bilan devrait être réservé aux 20 % de femmes qui ont vraiment besoin d’un suivi spécifique », explique Michel Candeur.  

A titre de comparaison, en Flandre, où le dépistage individuel n’était pas une pratique courante avant 2002, le dépistage organisé s’est massivement imposé - à hauteur de 50%, quand seulement 10% repose sur l’impulsion des médecins généralistes. Le système d’invitation fixe le lieu et l’heure du rendez-vous de dépistage. Il est basé sur des algorithmes complexes et implique la participation des unités de mammographie à une programmation coordonnée. 

L’essor de la tomo-synthèse, une technique pourtant coûteuse 

Au Sud du pays, la force de l’habitude, mais surtout le recours de plus en plus fréquent à la radiologie 3D (tomosynthèse) dans le dépistage individuel explique en grande partie la baisse du recours au dépistage organisé (le taux de participation tournait autour de 10% entre 2006 et 2008 pour descendre progressivement à 7% en 2015 et atteindre aujourd’hui 5%). 

« Beaucoup de radiologues/sénologues préfèrent cette technologie qui permet de faire ‘tourner’ les images. Le dépistage organisé, lui, n’autorise pas le recours à la tomosynthèse car les études scientifiques n’ont pour l’instant pas démontré une nette valeur ajoutée en termes de performance ou de moindre irradiation », poursuit le coordinateur wallon.  

Par ailleurs, pour les radiologues, le dépistage de masse (Mammotest) – qui prévoit que la mammographie puisse être réalisée par un technicien en imagerie médicale – représente possiblement un manque à gagner d’environ 50 %, d’où « le lobbying qui existe depuis 30 ou 40 ans en faveur du dépistage individuel », analyse Michel Candeur. En effet, si dans le dépistage organisé, le radiologue continue d’être rémunéré pour l’acte technique et sa lecture, il ne reçoit pas d’honoraires de consultation. C’est pourquoi, du point de vue du système de santé, le dépistage individuel est aussi un dépistage qui coûte cher. 

L’exception bruxelloise sur le cancer du sein 

La région bruxelloise fait figure d’exception à plusieurs titres. Le nombre annuel de cas de cancer du sein à Bruxelles est d’environ 900 (2022).  C’est 32 % de moins qu’en Wallonie et en Flandre ! Pour quelle raison ? Parce que la population bruxelloise est plus jeune, selon Bruprev. 

Ces 20 dernières années, la fréquence absolue du cancer du sein à Bruxelles reste stable. Rapportée à la population, la fréquence montre cependant une légère diminution (94/100.000 en 2004, 74/100.000 en 2022). Ce qui peut s’expliquer à la fois par l’augmentation de la population et son rajeunissement. Cet aspect cache une autre réalité : une légère augmentation de la fréquence du cancer du sein chez les femmes de 70-85+ ans est compensée par une légère diminution chez les femmes de moins de 60 ans. « Contrairement à ce que l’on entend souvent, il n’y a pas d’augmentation de la fréquence du cancer du sein chez les femmes jeunes » précise le Dr Burrion. 

Autre fait remarquable à Bruxelles : les chiffres de 2009-2013 montrent que la fréquence et la mortalité du cancer du sein augmentent avec le statut socio-économique de la commune de résidence. Sur la période 1998 à 2007, l’Observatoire Bruxellois de la santé et du social a aussi mis en évidence, qu’après l’âge de 50 ans la mortalité par cancer du sein est trois fois moindre chez les femmes issues de l’immigration turque et marocaine que chez les femmes belges, selon les chiffres de 2015. 

Enfin, en région bruxelloise, les campagnes de sensibilisation, qu’elles soient régionales (Bruxelles, Wallonie, Flandres) ou locales (Communes, mutuelles) n’ont jamais amélioré la participation au programme. « Tout ce qu’on a essayé pour augmenter la couverture du dépistage du cancer du sein à Bruxelles n’a pas eu d’effet :  les campagnes, les conférences, les bus, etc… constate le Dr Burrion. La couverture de ce dépistage, même si elle plafonne à 10 %, reste stable depuis 15 ans. Les médecins généralistes devraient pouvoir consacrer plus de temps à la prévention et au dépistage lors de la consultation. Le problème c’est que, très souvent, ils n’ont pas ce temps ». 

organismes dépistage et suivi épidémio cancer

Cancer colorectal : un tabou persistant 

51% de la population belge se dépiste pour le cancer du côlon. Là encore, avec une nette différence de part et d’autre de la frontière linguistique – 29% à Bruxelles, 33% en Wallonie et 63% en Flandre. 

Depuis 2009, un dépistage organisé existe pour le cancer colorectal en mettant des auto-tests à disposition. En Flandre, toutes les personnes entre 50 à 74 ans reçoivent un kit permettant de prélever un échantillon de selles qui sera ensuite analysé en laboratoire pour y déceler l’éventuelle présence de sang occulte (non visible à l’œil nu). 55% des Flamands renvoient un échantillon – ce qui représente une perte économique importante. 

A Bruxelles, Bruprev a mené plusieurs campagnes de promotion du dépistage, notamment sur des marchés à la rencontre des citoyen.nes en 2021 et 2023. « L’effet dure en moyenne deux mois, puis retombe », regrette le coordinateur bruxellois. Actuellement, l’organisme met en place un partenariat avec les pharmaciens, un courrier invite à aller chercher un autotest en officine. 

En Wallonie, un courrier est envoyé à toutes les personnes entre 50 à 74 ans : celles qui en font la demande reçoivent dans un deuxième temps un kit de dépistage.  Comme pour le cancer du sein, il est aussi possible de solliciter un dépistage via la plateforme du CCRef. « Les personnes entrent leur numéro national et s’ils sont dans les critères, ils reçoivent le kit de dépistage dans la quinzaine, précise Michel Candeur. Au départ, la méthodologie n’était pas optimale, mais depuis 2016, on a introduit un test immunologique qui présente une très grande sensibilité. » En cas de résultat positif, les personnes sont invitées à réaliser une coloscopie, seul examen capable d’infirmer ou de confirmer le diagnostic de cancer colorectal. Actuellement, 15 % du public cible se fait dépister, un pourcentage auquel il faut ajouter les 18 % de personnes directement dépistées grâce à une coloscopie, parfois réalisée pour d’autres raisons. 

« Il n’y a pas de compétition entre ces deux voies de dépistage, précise le coordinateur wallon. Par ailleurs, si la coloscopie est l’examen par excellence pour dépister le cancer colorectal, on ne peut pas l’imposer à tout le monde : ils ont essayé de le faire en Allemagne mais le taux de participation n’a jamais dépassé les 6 %… » Actuellement, 82 % des Wallon.nes concerné.es par un résultat positif réalisent la coloscopie. « Il y a donc une bonne compliance, même si l’Europe dit qu’il faudrait atteindre au minimum 90 % après un test positif », poursuit-t-il. Par ailleurs, pour permettre une diminution de la mortalité, le taux de dépistage global devrait atteindre 60 à 70 %. 

Le prélèvement de selles est fréquemment perçu comme tabou. « Pour toute une partie de la population, ‘on ne parle pas de ces choses-là’. Mais le dépistage du cancer colorectal est d’autant plus justifié qu’il permet de trouver des lésions précancéreuses qui n’évolueront pas en cancer et qui permettront d’avoir une qualité de vie préservée », encourage Michel Candeur.  

Col de l’utérus, dépistage nouvelle formule  

Le taux de couverture globale est de 56% avec des chiffres similaires dans les trois régions : 56% en Wallonie, 54% en Flandre et 51% à Bruxelles. L’objectif est d’atteindre un taux de 90 % de participation au sein de la population cible.  

Depuis le 1er janvier 2025, le dépistage du cancer du col de l’utérus est modifié pour le rendre plus efficace. Pour les jeunes femmes de plus de 30 ans, le frottis est testé pour le HPV tous les cinq ans. Ce n’est que si ce test HPV est positif qu’un test cellulaire supplémentaire (test cytologique) est effectué. Pour les femmes entre 25 et 29 ans, le test cytologique tous les trois ans perdure pour limiter le risque de faux-positifs. Avant, le dépistage individuel était généralement pratiqué tous les trois ans chez toutes les femmes (et par le passé, tous les deux ans et même tous les ans). 

Bruxelles n’a pas encore mis en place ce projet, faute de budget. Tandis que la Flandre et la Wallonie ont opté pour un système d’invitation comme pour le sein. 

Côté wallon, depuis janvier 2025 des lettres d’invitation sont envoyées à toutes les femmes entre 25 et 64 ans, mais elles ne font pas office de prescription. « Il faut se rendre chez son gynécologue ou chez un médecin traitant, par exemple en maison médicale où beaucoup pratiquent le frottis. Le dépistage est gratuit mais le ticket modérateur de la consultation est à charge de la patiente », précise Michel Candeur. 

Ce programme de dépistage vient appuyer la large campagne de vaccination contre le HPV (Human PapillomaVirus). « L’Europe s’est fixé pour objectif d’atteindre 90% de filles vaccinées et une augmentation significative de garçons vaccinés d’ici 2030, les garçons étant aussi impactés par ces virus, rappelle Michel Candeur. Par ailleurs, le vaccin protège de cancers dont on parle peu comme le cancer anal, le cancer de la gorge, le cancer du pénis… ». Le vaccin gratuit est recommandé pour les femmes et les hommes. La couverture vaccinale à Bruxelles est de 50,2 % tandis qu’elle est de 84,3 % en Flandres d’après le KCE. 

Comme pour les autres dépistages, les centres de screening de chaque région travailleront de manière coordonnée. « Nous échangeons nos méthodes, nos process, ce qui nous permet de faire évoluer nos approches et notamment de mieux cibler nos publics géographiquement ou économiquement défavorisés », conclut Michel Candeur. 

S’attaquer au poumon, au pancréas et à la prostate 

Plusieurs projets sont en réflexion pour améliorer le dépistage des cancers du poumon, du pancréas et de la prostate. Un projet-pilote mené par l’université d’Anvers analyse l’intérêt de la mise en place du dépistage annuel ou bisannuel du cancer du poumon pour les gros fumeurs à partir de l’âge de 50 ans. Tandis qu’une autre étude se penche sur celui du pancréas chez les personnes à très haut risque. Pour la prostate, il est surtout question de trouver un moyen de résorber le surdiagnostic et les faux-positifs. 

Références : 

  • registre européen des inégalités face au cancer – rapport OCDE (en anglais) 
  • KCE REPORT 376C – Performance of the Belgian health system: report 2024  
  • Les trois organismes belges sont : 
  • Bruprev en Région Bruxelles-Capitale
  • En Wallonie, le Centre de Coordination et de Référence pour le dépistage des cancers (CCRef

Encart : Des dessinateurs pour sensibiliser au dépistage dans une des régions les plus touchées de France 

En France, au Sud-Ouest d’Amiens, la zone connaît les plus forts taux d’incidence de cancer de l’hexagone. Une communauté de communes a fait appel à l’association The Ink Link, une association de médiation en santé créée par des dessinateurs. Leur mission a été de combiner un projet de sensibilisation sur l’importance du dépistage et une exposition de vulgarisation scientifique.   

Pour impliquer les publics cibles et s’assurer que ceux-ci viennent voir l’exposition, the Ink Link a proposé d’ajouter un pan artistique. La première phase du projet a consisté à réaliser des «  micro-trottoirs dessinés » pour briser la glace avec les participant.es avant d’organiser des groupes de parole autour du dépistage. Les échanges ont permis de constater que celui-ci est associé de manière unanime à différentes peurs : de la maladie, de l’annonce, de mourir. 

Les participant.es ont  exprimé leurs émotions sur des supports, qui ont ensuite été travaillés par une artiste plasticienne. Ils ont été montrés lors d’une exposition itinérante en deux volets avec d’un côté la partie artistique contributive, de l’autre l’exposition scientifique pour informer sur les mécanismes du cancer et augmenter le pouvoir d’agir. Ces informations ont été vulgarisées de manière à simplifier l’essentiel et à ajouter une dimension ludique. L’exposition itinérante s’est tenue dans toutes les communes de la collectivité.