Clara Noirhomme travaille au service d’études de la MC (Mutualité Chrétienne)
Sous-diagnostic, errance, mauvaise organisation des trajets de soins, inégalités sociales. Pour les 280 000 femmes souffrant d’endométriose en Belgique, c’est la double peine. Malgré des initiatives politiques récentes, l’endométriose est aujourd’hui encore insuffisamment connue et reconnue. La MC a mené une étude pour objectiver l’impact sur la santé et sur d’autres aspects de la vie quotidienne des femmes, le reste à charge pour les patientes et constate que le recours aux soins est plus difficile pour les femmes dont les conditions socio-économiques sont défavorables.
En Belgique, une femme en âge de procréer sur dix serait atteinte d’endométriose, soit potentiellement plus de 280 000 femmes. L’endométriose est une maladie complexe et multifactorielle et son origine exacte reste encore partiellement incomprise, notamment en raison du sous-financement de la recherche. S’il existe des cliniques dans plusieurs hôpitaux belges proposant un suivi multidisciplinaire, ces cliniques ne sont pas reconnues ni organisées à l’échelle territoriale pour répondre aux besoins des patientes.
Cette maladie invalidante est causée par la présence d’endomètre en dehors de l’utérus. L’endomètre est une muqueuse qui tapisse normalement uniquement l’intérieur de l’utérus. Elle se gorge de sang au cours du cycle menstruel qui est éliminé en période de règles. Quand l’endomètre s’étend en dehors de l’utérus, il peut former des lésions sur les ovaires, les trompes, les intestins, la vessie, etc…
Les symptômes principaux sont des douleurs invalidantes pendant les règles, pendant et après les rapports sexuels, des douleurs pelviennes chroniques et la stérilité, ainsi que des douleurs dorsales et des problèmes vésicaux ou intestinaux. Bien qu’elle diminue drastiquement la qualité de vie de nombreuses femmes, l’endométriose est sous-diagnostiquée en raison de la normalisation sociétale de la douleur des femmes.
La normalisation sociétale de la douleur des femmes fait référence à la manière dont la société tend à minimiser ou à banaliser la douleur ressentie par les femmes, souvent en raison de stéréotypes de genre et de biais culturels. Cela peut se manifester par une prise en charge médicale inadéquate, où les plaintes des femmes sont moins prises au sérieux, ou par des attentes sociales qui considèrent certaines douleurs comme « normales » pour les femmes, comme les douleurs menstruelles. Cette normalisation peut avoir des conséquences importantes sur la santé des femmes, car elle peut mener à un retard dans le diagnostic et le traitement de conditions médicales sérieuses.
Errance diagnostique et thérapeutique
Toutes les études internationales s’accordent pour dire que le délai entre l’apparition des premiers symptômes et la pose du diagnostic est très long. Ces délais sont d’autant plus longs que les premiers symptômes apparaissent tôt. Cela est à mettre en lien avec la minimisation et la décrédibilisation de la douleur des femmes, le manque d’écoute et de prise en considération qu’elles subissent, surtout lorsqu’elles sont jeunes. Le délai est également beaucoup plus long pour les femmes dont les douleurs pelviennes constituent le symptôme principal, par rapport à celles dont le symptôme principal est l’infertilité1. Le fait qu’il soit plus facile d’obtenir un diagnostic lorsqu’un désir d’enfant est inassouvi que lorsque l’origine de la recherche de soins est la douleur pose également la question de la prise en charge de la douleur des femmes… à qui on a trop souvent répété qu’il était normal d’avoir mal. La minimisation de la douleur empêche de poser un diagnostic rapide parce que ce symptôme n’est pas reconnu par les prestataires de soins, pour procéder à des investigations diagnostiques, proposer un traitement anti-douleur et référer vers les spécialistes compétents.
Dans l’étude de la MC, l’âge médian de détection des femmes atteintes d’endométriose est de 34 ans. Cela confirme donc que les soins sont plus difficilement accessibles pour les femmes jeunes. En Belgique, le délai de diagnostic moyen est de cinq ans pour des patientes suivies à la clinique de l’endométriose de Louvain2, qui est un des centres les plus spécialisés en Belgique… ce qui pose la question du délai de diagnostic effectif pour les patientes qui ne trouvent pas leur chemin jusqu’à ces soins spécialisés.
L’étude met également en lumière cette errance, qui n’est pas seulement diagnostique mais aussi thérapeutique : sur une période de 3 ans, les femmes ayant été hospitalisées ou en incapacité de travail en raison de l’endométriose en 2022 ont rencontré en moyenne cinq gynécologues différents. Certaines d’entre elles, soit 5 %, rencontrent même plus de 12 gynécologues, alors que la majorité des autres femmes voient toujours le·la même gynécologue sur cette période.
État de santé dégradé et recours aux soins accru
Cette errance diagnostique et thérapeutique a un coût pour les patientes en termes d’état de santé, de qualité de vie mais également de santé mentale. La maladie en elle-même a également de lourdes conséquences pour les patientes : les symptômes de l’endométriose affectent négativement la qualité de vie, les activités quotidiennes, la vitalité et la socialisation ; mais aussi tous les aspects de la vie quotidienne des patientes, en ce compris les relations sexuelles, l’appétit, l’exercice physique, le sommeil, le bien-être émotionnel, les activités sociales, le soin aux enfants et la productivité (tant à la maison qu’au travail).
L’étude démontre que la maladie a un impact sur la vie professionnelle des patientes : parmi les femmes atteintes d’endométriose, 25 % d’entre elles ont été en incapacité pendant au moins un jour en 2022, contre 12 % des autres femmes.
Elles sont également beaucoup plus nombreuses à être hospitalisées (24 % sont hospitalisées avec au moins une nuitée en 2022, contre 5 % des autres femmes) et à bénéficier du statut affection chronique (30 % contre 13 % des autres femmes). Ces indicateurs démontrent que leur état de santé est significativement dégradé par rapport aux autres femmes.
La consommation de médicaments par les femmes atteintes d’endométriose est également préoccupante. En 2022, 34 % des femmes atteintes d’endométriose ont eu recours aux opioïdes (une forme puissante et addictive d’analgésique). C’est presque 2,5 fois plus que chez les autres femmes. L’utilisation d’anti-inflammatoires et d’autres analgésiques est également sensiblement plus élevée.
L’endométriose est en outre source d’infertilité dans de nombreux cas. Les données de la MC montrent en effet que 19 % des patientes atteintes d’endométriose ont eu recours à l’insémination artificielle ou à la fécondation in vitro entre 2017 et 2023, contre 3 % des autres femmes.
Coûts importants à charge des patientes et barrières pour accéder aux soins
En moyenne, les femmes atteintes d’endométriose paient 641 euros par an de soins de santé, contre 267 euros par an pour les autres femmes. Pour les femmes ayant été hospitalisées ou en incapacité de travail en raison de l’endométriose en 2022, la moyenne est de 1 495 euros cette année-là, des coûts près de six fois plus élevés que ceux des autres femmes. Pour 5% d’entre elles, ils dépassent même 4 695 euros.
Certains mécanismes permettent en principe de limiter la facture des patientes : le statut « bénéficiaire de l’intervention majorée » (BIM) qui pour objectif de protéger les patientes ayant de faibles revenus de dépenses importantes en santé), le conventionnement des prestataires, et le « maximum à facturer » (MàF) qui permet le remboursement des tickets modérateurs au-delà d’un certain plafond.
Les coûts à charge des patientes présentés sont composés des tickets modérateurs nets (après application du MàF) et des éventuels suppléments facturés par les médecins non conventionné·es. Si ces coûts sont particulièrement élevés, c’est notamment en raison des suppléments : ils sont près de trois fois plus élevés pour les femmes atteintes d’endométriose par rapport aux autres femmes. Cela peut être lié au fait que plus de la moitié des gynécologues actif·ves ne sont pas conventionné·es, et que les femmes n’ont pas d’autre choix que de se tourner vers des gynécologues non-conventionné·es pour assurer leur suivi, ce qui augmente les coûts à leur charge.
Par ailleurs, pour les patientes BIM, les coûts moyens restent élevés : 497 euros par an contre 664 euros pour celles qui n’ont pas ce statut. Force est donc de constater que les mécanismes qui sont censés améliorer l’accès aux soins et limiter les contributions financières des patientes sont trop peu opérants.
Vu qu’il n’existe actuellement aucun traitement capable de guérir définitivement l’endométriose et que cette maladie est donc chronique, de nombreux coûts tels que les médicaments, l’hospitalisation et les soins gynécologiques sont récurrents. Par ailleurs, un grand nombre de médicaments ne sont pas remboursés comme certains traitements hormonaux. Les données relatives aux coûts sans remboursement ne sont pas connues de la MC et ne peuvent donc pas être reprises dans l’analyse. Les coûts à charge des patientes peuvent ainsi être sous-estimés.
Montants remboursés, tickets modérateurs et suppléments
Les coûts des soins de santé sont composés de l’honoraire légal, qui comprend le montant remboursé par la sécurité sociale et le ticket modérateur restant à charge des patient·es, et des éventuels suppléments facturés par les médecins non conventionné·es. Les médecins conventionné·es, quant à elles·eux s’engagent à ne facturer que les honoraires légaux.
Par exemple, si une patiente paie 60 euros pour une consultation gynécologique classique, l’honoraire légal étant de 25,27 euros, cela signifie qu’un supplément de 34,73 euros lui est facturé. En fonction de son statut (bénéficiaire de l’intervention majorée (BIM) ou non), le ticket modérateur est de 3 ou de 12 euros. Cette consultation coûtera ainsi 37,73 euros à une patiente BIM, et 46,73 euros aux autres patientes.
En outre, les femmes vivant dans des conditions économiques précaires sont sous-représentées dans l’échantillon de patientes de l’étude de la MC, car elles ont beaucoup plus de difficultés à trouver leur chemin vers les soins en raison des freins rencontrés. Ces freins sont notamment de nature financière, mais ils sont aussi liés au parcours à mener pour obtenir les soins adéquats, difficile sans une haute littératie en santé et un système de soutien fort pour franchir la barrière de l’information et avoir la force de contrer les avis de certains médecins qui répètent aux femmes qu’il est normal d’avoir des douleurs au lieu de leur proposer d’aller consulter d’autres spécialistes et de les référer vers les centres d’expertises compétents.
Améliorer quatre dimensions de l’accessibilité
Le retard de diagnostic et la prise en charge inadéquate peuvent gravement altérer la qualité de vie des patientes. La faible efficacité du système de santé engendre des coûts évitables, en particulier en raison de l’errance thérapeutique, qui engendre un risque de multiplication d’examens ou des actes chirurgicaux.
Cette maladie constitue donc un problème de santé publique important auquel le système de santé doit répondre en garantissant un accès rapide à des soins de qualité et abordables, indépendamment de la situation socioéconomique de chaque femme. Pour assurer l’accès aux soins aux personnes souffrant d’endométriose, des évolutions profondes doivent être envisagées autour des quatre dimensions de l’accessibilité3 :
(1) la sensibilisation à cette pathologie doit être accrue, pour améliorer la sensibilité aux besoins en soins, c’est-à-dire la capacité à établir un diagnostic le plus rapidement possible afin de procurer une prise en charge adéquate. Pour ce faire, il est notamment nécessaire d’améliorer la formation des prestataires de soins. Améliorer la sensibilisation du grand public et du public cible permettrait également aux patientes et à leurs proches de repérer leurs symptômes.
(2) du point de vue de la disponibilité des soins, la prise en charge de patientes souffrant d’endométriose est complexe et n’est pas du tout règlementée à l’heure actuelle. Le Centre d’expertise fédéral des soins de santé (KCE) propose toutefois une réorganisation des soins4 qui permettrait de lutter contre l’errance médicale, d’éviter la multiplication des actes invasifs et d’élaborer des plans de soins individuels.
(3) l’accessibilité financière doit être renforcée en limitant les contributions personnelles des patientes, en particulier pour les patientes vulnérables.
(4) l’acceptabilité des soins dépend du seuil de perception de la qualité des soins, décisif pour que les personnes acceptent de recourir aux soins. Dans le cas de l’endométriose, la perception d’un manque de qualité des soins peut entrainer le renoncement aux soins, par exemple, à cause du manque d’écoute dans le chef des prestataires de santé ou du problème d’une communication insuffisante ou inadaptée à la situation individuelle notamment par rapport aux stratégies de traitement et à la balance bénéfice/risque. Il est donc essentiel d’améliorer la sensibilisation des prestataires de soins pour permettre d’assurer l’écoute et la non-minimisation des symptômes des patientes. Il importe aussi que les informations concernant l’expertise disponible soient facilement accessibles.
L’étude complète « Les trajets de soins de l’endométriose : un parcours de combattantes. Recours, coûts des soins et situation de femmes atteintes d’endométriose en Belgique » a été publiée dans le numéro 11 de la revue trimestrielle « Santé & Société ». L’étude repose sur une analyse des données administratives et de recours aux soins de 4 175 patientes atteintes d’endométriose (confirmée ou suspectée) détectées entre 2017 et 2022.
Pour aller plus loin:
La page dédiée de la MC avec la liste des cliniques et des spécialistes Endométriose : remboursements et accompagnement en Belgique
Endométriose la douleur c’est pas dans la tête (questionsante.org)
L’association Toi Mon Endo | Association Belge experte en Endométriose
Références bibliographiques :
(1) Arruda, M., Petta, C., Abrao, M., & Benetti-Pinto, C. (2003). Time elapsed from onset of symptoms to diagnosis of endometrioses in a cohort study of Brazilian women. Human reproduction, 18(4), 756-759.
(2) Nnoaham, K. E., Hummelshoj, L., Webster, P., d’Hooghe, T., de Cicco Nardone, F., de Cicco Nardone, C., . . . Zondervan, K. T. (2011). Impact of endometriosis on quality of life and work productivity: a multicenter study across ten countries. Fertility and Sterility, 96(2), 366-373.
(3) CÉS, S. (2021) L’accès aux soins de santé, définition et enjeux, MC-Informations, 286, 4-22.
(4) Leroy, R., Desimpel, F., Ombelet, S., De Jaeger, M., Benahmed, N., Cemberlin , C., & Christiaens, W. (2024). Comment améliorer la prise en charge de l’endométriose en Belgique? – Synthèse. KCE Reports 378Bs. D/2024/10.273/11. Bruxelles: Centre Fédéral d’Expertise des Soins de Santé (KCE).