Sur les 14.600 accidents domestiques et de loisirs enregistrés en 1998 par les hôpitaux belges inscrits dans le système E.H.L.A.S.S. , 25,2 % étaient liés à des éléments de construction. Ce type d’accident touche toutes les classes d’âge, mais les enfants de 0 à 5 ans sont les plus concernés. Qu’en pensent les architectes? Si la prévention des accidents domestiques semble acquise sur le plan des principes abstraits, une enquête récente montre qu’il en va autrement sur celui des pratiques…
Enquête
Pour évaluer le degré d’intégration de la sécurité dans les pratiques des architectes, une enquête a été réalisée auprès de 60 architectes bâtisseurs de logements individuels dans le sud du pays et à Bruxelles. Cette étude essentiellement qualitative, ne cherche nullement à établir un descriptif représentatif. Elle entend simplement montrer, de façon significative, comment un arsenal législatif existant s’inscrit dans le travail des architectes interrogés.
Premier constat . La sécurité n’interpelle pas vraiment les architectes! Elle n’est jamais mentionnée spontanément lorsqu’ils évoquent leur rôle vis-à-vis de la clientèle… Les architectes expliquent que cette question est tellement au cœur de leur métier qu’elle se trouve implicitement dans toutes leurs réponses. La réalisation d’un logement serait d’abord guidée par les aspects financiers, le programme et la relation avec le client. Ce n’est que lorsqu’on évoque un cas concret de logement familial, avec des enfants en bas âge par exemple, que la sécurité des futurs occupants vient juste derrière les aspects pratiques de la maison.
Second constat . La connaissance des facteurs de risque par les architectes se limite à une perception extérieure, déduite de leur savoir-faire en matière de matériaux, de lois physiques et d’un minimum de physiologie. La gravité et la fréquence des accidents sont perçues au travers de faits divers ou d’expériences personnelles. Il ne s’en dégage pas de réelle connaissance professionnelle.
Troisième constat . La question de la responsabilité semble déstabiliser l’architecte et l’incite à se décharger sur d’autres acteurs, avant tout sur le maître de l’ouvrage, désigné à 73 % comme “responsable principal” de la sécurité. Le coordinateur sécurité et santé est investi de cette responsabilité par près de 7 architectes sur 10. L’architecte lui-même ne vient qu’au troisième rang (63%), devant les instance politiques (47%) et l’entrepreneur (38%). C’est bien la représentation de la responsabilité qui pose problème, car l’engagement de l’architecte dans les situations concrètes de projet laisse peu de doute: 98% d’entre eux s’estiment impliqués dans la prévention des chutes, 88% pour ce qui est des matériaux suspects, 87% par rapport aux ouvertures vers l’extérieur, 85% par l’éclairage de zones dangereuses…
Quatrième constat . Bien que les architectes ne la mentionnent jamais spontanément de façon explicite, la problématique de la sécurité est omniprésente dans toutes leurs activités. 87% d’entre eux se disent particulièrement attentifs à des éléments tels que les escaliers (92%), les ouvertures (87%), en particulier les fenêtres (83%). Première hantise des concepteurs: la chute directe. Vient ensuite l’électricité (83%). L’isolation est prise en compte à 72%, les matériaux en général à 68%, dont les revêtements de sol (60%), l’éclairage à 68% et les ascenseurs à 60%… En matière de systèmes de chauffage, de sanitaires et de tuyauterie (de 50 à 23%), l’attention se relâche, comme si ces domaines étaient plus inoffensifs.
Cinquième constat . Pour la plupart des architectes, l’intégration de la sécurité fait partie intégrante du métier au point qu’il est difficile de l’en différencier. Au point même que la dimension implicite de la sécurité devient parfois le moyen de son évacuation! Ainsi, la sécurité peut passer au second plan lorsque la rapidité d’exécution des travaux est en cause (20%), si elle bouscule le coût financier (33%) ou si elle contredit le désir du client (37%)!
Connaissance des législations
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normes et recommandations
Mais n’existe-t-il pas des lois, des règlements, des normes pour prévenir les accidents domestiques? Pour répondre à cette question, un ‘état des lieux’ a été réalisé . On a pu ainsi constater, en particulier, une surabondance des normes (au moins 10.000!) dans tous les domaines de la vie quotidienne.
L’enquête a fait apparaître que 57% des architectes interrogés ont l’impression de connaître la réglementation spécifique à la sécurité. C’est d’abord l’électricité qui est citée (66%), puis l’incendie (29%), les fenêtres, les garde-corps (20%), les escaliers – inclinaisons et rampes – (17%), les sanitaires, le gaz, le chauffage, la ventilation et l’aération, et les ascenseurs (14 à 9%)… Si l’on poursuit l’entretien, les professionnels reconnaissent que leur connaissance reste très approximative. Seuls certains spécialistes connaissent les normes et font état d’une très riche expérience de terrain. On retrouve souvent l’image d’Epinal dramatisant les “dangers électriques” mais banalisant les autres facteurs de risque – l’eau chaude sanitaire par exemple, qui est pourtant très présente dans les statistiques d’accidents domestiques.
Quant à l’arsenal législatif existant en matière de prévention des accidents domestiques, il est considéré comme suffisant par deux tiers des architectes. Mais, lorsqu’on demande aux architectes s’il y a des domaines pour lesquels une législation serait intéressante, une majorité nettement moins importante souhaite une législation spécifique dans le domaine de l’électricité ou celui des ascenseurs et des escaliers (52%)… Et ils ne sont plus que 47% à la trouver justifiée pour les fenêtres, 45% pour le système de chauffage de même que pour les matériaux et 38% pour les ouvertures vers l’extérieur!
L’appréciation de la législation ne recueille l’acceptation d’une majorité d’architectes interrogés qu’à propos des domaines réputés à risque. Elle reste dans l’ensemble vécue comme une contrainte plutôt que comme un apport positif à la réalisation de leur métier. La sécurité serait avant tout une question de bon sens…
Vers une meilleure application
La soixantaine d’architectes participant à l’enquête en sont arrivés progressivement à pointer les lacunes et besoins de leur pratique. Plus de la moitié estiment que le monde de la construction en général n’est pas sensibilisé à la question de la sécurité. Neuf architectes sur dix souhaitent recevoir davantage d’informations sur cette question. Parmi les médias qui paraissent les plus adaptés pour la véhiculer, les publications spécifiques sont plus prisées (68%) que de simples inserts dans des publications spécifiques (36%), les sites Internet (32%) ou les ouvrages spécialisés (25%).
On le voit, l’analyse montre que l’intégration de la prévention des accidents domestiques dans la pratique des architectes s’occupant de logements est loin d’être un fait acquis, et les architectes eux-mêmes admettent que leur ‘maîtrise’ de la sécurité est un préjugé un peu hâtif… Il est vrai que la lourdeur du cadre légal ne facilite pas l’intégration de la prévention dans l’univers professionnel des architectes.
C’est la raison pour laquelle une opération de sensibilisation est prévue à destination du milieu des architectes, des maîtres de l’ouvrage, des organismes publics et privés responsables de programmes de logements… Il s’agira, dans la même optique, de réaliser une synthèse des réglementations en vigueur – sous forme d’un outil clair et pratique à l’usage de tous les responsables et intervenants dans la construction ou la rénovation des habitations. Il faut aussi agir au niveau de la formation des étudiants dans les instituts d’architecture de la Communauté française. De même, il serait opportun d’élucider les mécanismes qui ont conduit à la logique réglementaire cumulative et indigeste que nous connaissons aujourd’hui.
Ensuite, une évaluation de cette campagne sera menée auprès des architectes. L’Ordre des Architectes a soutenu cette réflexion et aura un rôle important à jouer pour la suite à donner dans cette prise de conscience, qui nous touche tous professionnellement et personnellement.
Jean de Salle (architecte et urbaniste Cooparch-R.U.), Jacques Taylor (psychosociologue) et Martine Bantuelle (Educa-Santé)
Le texte intégral est disponible sur le site [L=http://www.educasante.org]www.educasante.org[/L]
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