Août 2003 Par V. SCHUL V. COUPIENNE Chantal LEVA Initiatives

Réflexions et perspectives d’actions

Le 2e Congrès international de la francophonie en prévention du suicide s’est tenu à Liège en octobre dernier. La Province de Liège, co-organisatrice de ce colloque avec la Communauté française, est d’autant plus concernée par ce thème que le taux de suicide y est particulièrement élevé.
Le Centre liégeois de promotion de la santé, en tant que membre de la Commission provinciale de prévention du suicide et participant au groupe de travail sur la prévention du suicide mis en place par la Ministre Nicole Maréchal , a pris part à ce congrès en organisant une table ronde sur le thème de la prévention du suicide en milieu scolaire.
Cette table ronde avait pour objectifs de rassembler des intervenants de diverses disciplines afin qu’ils nous fassent part de leur point de vue et de leurs expériences en la matière, de se concerter et d’échanger sur un thème qui nous interpelle tous: la prévention du suicide chez des jeunes scolarisés.
Cet article se veut une synthèse des interventions, des réflexions et des témoignages émis lors de l’assemblée. L’importance du travail en réseau est mise en évidence (thématique abordée lors de la Première journée liégeoise de promotion de la santé) et nous avons tenté d’apporter des perspectives d’actions futures en matière de promotion de la santé.

Le suicide dans un contexte particulier…l’adolescence

Les conduites suicidaires à l’adolescence ne peuvent être dissociées des processus de développement spécifiques liés à cette période. Les transformations physiques entraînées par la puberté provoquent un bouleversement chez le jeune tant au niveau de l’identité, que de la relation à lui-même et à son corps. Ces mutations physiques et psychologiques entraînent un remaniement relationnel avec ses parents (besoin d’autonomie, deuil du monde de l’enfance…) mais aussi avec les adultes et le groupe de pairs.
Cependant, le geste suicidaire ne participe pas des processus de l’adolescence mais le contexte de l’adolescence peut favoriser le passage à l’acte. Bien souvent le jeune en arrive à se suicider non par envie de mourir mais par désir de vivre. Vivre autre chose, autrement, sortir de cette souffrance et de cette impuissance à trouver un sens, du sens à la vie.

Comment se fait-il qu’un jeune arrive à poser de tels actes?

Le jeune qui tente de mettre fin à ses jours ou qui se suicide est un être en souffrance, isolé, débordé par ses difficultés (mis en échec face à ses différentes tentatives d’adaptation), incapable d’affronter la situation par ses mécanismes de défenses habituels.
Le processus suicidaire est un phénomène chronologique. A partir des bouleversements que peut subir le jeune, plusieurs ‘solutions’ sont envisageables dont le suicide. Petit à petit, l’éventail des possibilités se rétrécit laissant une place de plus en plus importante à celle du suicide qui devient finalement, l’unique solution. Schématiquement, le jeune, face à un problème et aux différentes solutions possibles envisage le suicide (intention), un facteur déclenchant extérieur va transformer cette intention en motivation. Dès lors, le jeune va commencer à penser aux différents moyens suicidogènes et y avoir accès; cette période est souvent suivie d’une restauration des liens et d’un « mieux-être » factice de la personne. Enfin, le passage à l’acte survient.
Lorsque l’entourage tente de comprendre l’acte posé, c’est souvent l’événement déclencheur qui est perçu comme cause. Au vu de notre développement, il semble nécessaire de retourner en amont et de s’intéresser au terrain dit « prédisposant ». Par ailleurs, cette lecture « chronologique » du suicide offre des pistes de prévention et d’intervention.
Il n’est pas rare de constater, dans les jours ou les semaines qui suivent le suicide d’un jeune, l’apparition d’un deuxième, d’un troisième suicide ou tentative de suicide.
Les différentes hypothèses d’explication d’un tel phénomène sont:
– l’effet de contamination par imitation (ou effet Wherter) qui serait proportionnel à l’ampleur médiatique et qui s’expliquerait par l’identification de la personne au suicidé;
– l’effet de contagion intergénérationnelle. Il existerait une probabilité plus importante de se suicider s’il y a eu des suicides dans la famille. Avec, comme hypothèses explicatives de cet effet, soit une prédisposition génétique, soit les comportements de l’entourage suite au suicide;
– l’effet de contagion par répercussion sociale.
En tant qu’adulte, une question se pose à nous: que faire ? Comment accompagner cet adolescent dans la traversée de ses deuils et dans son devenir ?
Au vu des données statistiques, du mode de fonctionnement psychologique, du mode de communication spécifique du jeune et à la lecture « psychologique » du comportement suicidaire (ne pas s’attacher uniquement aux événements déclencheurs mais appréhender le jeune dans sa globalité), diverses perspectives préventives peuvent être envisagées au sein de l’établissement scolaire. L’école est en effet un lieu de vie, d’apprentissage mais aussi de développement personnel. Un lieu de savoir et de « savoir- être » où une communication autre avec des référents adultes est possible.

Prévention primaire du suicide ou promotion du bien-être

?
La prévention primaire du suicide, c’est-à-dire en l’absence de souffrance manifeste, vise à donner des repères éducatifs, à développer et à optimiser les compétences de l’adolescent. En soi, un programme de prévention du suicide s’inscrit dans une approche globale d’éducation à la santé. Acquérir l’estime de soi, apprendre à s’affirmer, verbaliser ses émotions et son vécu, s’impliquer dans la vie communautaire, développer et découvrir ses centres d’intérêt sont autant de domaines au travers desquels l’adolescent apprendra ses limites mais surtout ses ressources. Il s’agit de favoriser le bien-être physique et psychologique des jeunes, comme le montre ce témoignage d’un professeur du secondaire présent à cette occasion.
« Dans notre école, il existe une structure héritée du passé, appelée «l’heure ouverte». Il s’agit d’une période de 50 minutes, qui se trouve à l’horaire hebdomadaire et qui est consacrée, dans toutes les classes, à des activités programmées par les professeurs titulaires de classe avec leurs élèves. C’est l’occasion de faire régulièrement le point sur la vie en classe, de mener un projet, de s’offrir un moment de détente. C’est une période de rencontre et de contacts privilégiés et donc, nous semble-t-il de prévention »
L’environnement dans lequel le jeune évolue doit être également pris en considération; les parents, le groupe de pairs, le milieu scolaire sont concernés.
L’école devient un lieu d’intervention d’actions préventives évident si le public ciblé est l’adolescent.
« Nous faisons aussi de la prévention chaque fois que nous encourageons un élève en difficulté, que nous lui proposons des pistes de solution aux difficultés qu’il rencontre, chaque fois que nous lui témoignons notre confiance dans les possibilités qu’il a de progresser et que nous suscitons chez lui la confiance en soi, qui est la condition de tout progrès».
Tenir compte de la parole du jeune, favoriser la communication entre les différents acteurs, entre les jeunes, entre les parents et les enseignants… semble primordial.
Par ailleurs, revaloriser et sensibiliser les adultes dans l’importance de leur rôle, les aider à assumer leur tâche et à améliorer leurs compétences peuvent aussi constituer des actions préventives.
L’action portée sur les adultes est primordiale car ils sont des intervenants privilégiés, en contact quotidien avec les jeunes. Ils sont souvent démunis, désemparés face à des adolescents en difficulté psychologique (d’autant que le suicide nous confronte à notre précarité d’être humain). Leur proposer des formations permettant une meilleure connaissance d’eux-mêmes (de leurs représentations du suicide, mais aussi de leurs compétences et de leurs limites), de la problématique suicidaire, des différents relais possibles… et de techniques de communication constitue une base essentielle pour l’efficacité du programme.
Pour atteindre ces objectifs, préalablement définis en fonction de l’institution et de sa philosophie, plusieurs techniques pédagogiques sont disponibles, chacune adaptable aux problèmes posés. Cela sous-tend une concertation et une réflexion antérieures entre les différents partenaires concernés et une mise en place d’actions coordonnées.
« Une réflexion sur la prévention s’est progressivement institutionnalisée au sein d’une cellule d’adultes volontaires (enseignants, éducateurs, membres du centre PMS, directeurs) qui se rencontrent tous les mois pour échanger leurs interrogations et expériences, et qui répercutent réflexions et propositions d’action à l’ensemble de la communauté éducative (y compris l’association des parents). Nous avons baptisé ce groupe «Cellule Ecoute» parce que, très vite, nous sommes arrivés à la certitude que la prévention passe par l’écoute, une écoute active et empathique, qui permet de rejoindre l’autre là où il est, à tous les moments de rencontre que nous offre la vie scolaire quotidienne, ou à des occasions privilégiées que nous pouvons susciter ».
Cette étape permettrait également de renforcer les collaborations internes et externes de l’institution avec les centres PMS, PSE et les professionnels de la santé mentale, mais aussi de mettre l’accent sur leurs complémentarités.
Un autre axe de prévention primaire pourrait être la prévention par les pairs. Ces derniers sont souvent les premiers alertés et les mieux informés des risques suicidaires chez leurs pairs. Il semble dès lors primordial qu’ils aient une connaissance des personnes ou structures susceptibles de les encadrer ou de leur venir en aide.
Tout comme la sensibilisation des enseignants, la formation de personnes ressources, notamment les médecins généralistes, le milieu hospitalier, les personnes des services d’aide téléphonique, pourrait également être une phase d’un programme de prévention global.
Toute action préventive se doit de démarrer précocement et s’étendre dans la durée, en tenant compte du développement et de la maturation des jeunes concernés.
La mise en place de tels programmes est complexe et demande du temps. Cependant, une analyse des demandes et des ressources de l’institution apporte souvent le constat d’actions partielles déjà développées ou entreprises; celles-ci pouvant en amener d’autres. Une coordination entre ces différentes actions permettrait une cohérence et un objectif commun de promotion du bien-être chez les jeunes.
« A travers toutes nos réflexions et toutes nos expériences, nous avons acquis la conviction que la prévention du suicide, la prévention des dépendances, de la violence, du décrochage scolaire… c’est finalement la même chose, et nous préférons dès lors parler, plutôt que de prévention, de promotion, promotion du bien-être, promotion du projet, en un mot: promotion de la vie

La prévention secondaire

La prévention secondaire passe également par l’échange et la communication avec le jeune. Le thème du suicide n’est pas à aborder de manière spécifique mais fait partie des préoccupations des jeunes au même titre que la sexualité, la dépendance, les conduites à risque. Il pourrait donc être le sujet de discussions dans le cadre des cours, si le jeune sollicite l’adulte à ce propos. En parallèle, si le jeune présente des signes de mal-être (sentiment de culpabilité, d’incertitude… mauvaise image de lui), adopte des comportements inhabituels par rapport à ceux qu’il présentait jusque-là (absentéisme, isolement, violence…), l’adulte peut lui signaler qu’il constate ces changements, cette souffrance psychologique, qu’il s’inquiète pour lui et lui proposer son aide si le jeune en ressent le besoin.
Ce type de démarche ne peut se faire sans un climat de confiance entre l’adulte et le jeune (d’où la nécessité d’une formation, d’une sensibilisation à l’écoute et à la communication ).
L’aide à apporter dépendra des limites personnelles et professionnelles de l’adulte. Il pourra cependant s’appuyer sur les relais qu’il aura identifiés à l’extérieur et à l’intérieur de l’école.

La ‘post-vention’ du suicide

Les études et évaluations de programmes de prévention du suicide nous montrent qu’il est essentiel pour les institutions scolaires d’avoir des procédures claires et spécifiques à suivre lorsqu’elles sont confrontées au décès par suicide d’un élève.
Les répercussions psycho-sociales d’un tel comportement sont à prendre en compte.
Les démarches à suivre doivent être adaptées et correspondre à la philosophie de chaque établissement scolaire. Cependant, quelques lignes directrices devraient être respectées, telles que:
– faire émerger le vécu et le ressenti des élèves confrontés à la situation. Les proches de l’élève suicidé éprouvent souvent des sentiments de tristesse, de colère, de révolte, de peur, de remords et de culpabilité;
– verbaliser, «normaliser» les sentiments éprouvés, reconnaître et accepter le traumatisme, utiliser le réseau relationnel pour aider le jeune ou l’adulte (soutien psychologique individuel si cela s’avère nécessaire) peuvent être autant d’éléments soutenants et préventifs. Préventif si l’on pense au phénomène de contagion qui peut survenir à la suite d’un suicide, lié à des effets de culpabilité et d’identification;
– cette aide est souvent nécessaire également pour l’adulte qui a en charge le groupe traumatisé.
Pour ce faire, en fonction de l’établissement et de la structure mise en place, il est possible de faire appel à des services extérieurs formés (PSE, PMS, centre de crise) ou encore à une cellule de crise interne à l’institution. La constitution d’un réseau, dès lors pourrait être perçue comme une ressource au service des individus.
Pour conclure, comme nous l’avons vu, le suicide est une réalité qui touche bon nombre d’adolescents. Le processus suicidaire est un phénomène chronologique. Face à son mal-être, le jeune envisage plusieurs issues. Le suicide (ou tentative de suicide) peut être l’une d’entre elles. Cette lecture « chronologique » du suicide nous offre des pistes de prévention et d’intervention.
L’école, les pairs, les professeurs, les éducateurs constituent des agents de prévention primaire du suicide. En effet, ce sont des intervenants en contact quotidien avec les jeunes en mal-être, après les parents et la famille proche. L’expression de ce mal-être va transparaître dans les comportements, le discours, le tissu social et relationnel du jeune. Une formation de ces adultes en contact avec les jeunes adolescents semble primordiale. Les sensibiliser à la problématique mais aussi à l’importance de leur rôle avec ses limites, revaloriser leurs fonctions et leurs compétences, afin de favoriser une compréhension et une communication meilleures entre les adultes et les jeunes constituent une base essentielle d’un programme de prévention du suicide.
En parallèle, des actions préventives axées sur le public jeune peuvent être développées, avec comme objectifs de renforcer ou de faire émerger des compétences qui vont aider le jeune à s’épanouir mais aussi leur fournir des informations sur les structures d’aide possibles, internes ou externes à l’établissement scolaire. Les parents ou les proches des jeunes devraient également avoir accès à ce type de renseignements.
Renforcer les collaborations internes et externes de l’institution avec les centres PMS, PSE, et les services de santé mentale constitue également une approche préventive. Une connaissance et une approche différentes du jeune en difficulté pourraient constituer un atout dans l’accompagnement de celui-ci.
La prévention du suicide vue sous cet angle fait partie intégrante de la promotion du bien-être chez les jeunes.
Pour ce qui est de la ‘post-vention’ , une procédure préétablie, à suivre lorsqu’il y a eu suicide d’un jeune, permettrait la verbalisation d’émotions et pourrait avoir une influence sur l’effet de contagion.
Au vu de ce développement, il apparaît opportun d’exploiter le potentiel protecteur de l’environnement scolaire afin de permettre l’expression des préoccupations des jeunes et leur épanouissement.
Chantal Leva, Vincianne Schul, Valérie Coupienne