Le sujet revient régulièrement au cœur de l’actualité : les salles de consommations à moindre risque font de plus en plus parler d’elles et divisent l’opinion. La Belgique se dotera-t-elle de ce dispositif à l’instar de nos voisins (France, Allemagne, Luxembourg, Pays-Bas pour ne citer qu’eux). Une étude BELSPO réalisée avec l’Université de Gand et l’Université Catholique de Louvain sur la faisabilité de leur installation en Belgique vient de paraître, le débat enflamme le politique et la sphère publique. Il s’agit là d’une des voies parmi d’autres pour développer une approche de réduction des risques. Au travers de cet article, nous souhaitons revenir sur les origines, l’explication et les objectifs de cette approche encore parfois méconnue, ce « troisième pilier » dans la prise en charge de la question des drogues. En guise d’introduction, avant de vous plonger vous aussi dans le débat…
Réduc… quoi ?
On ne parle pas de tous les usages mais bien des usages « à risques », c’est-à-dire qui peuvent entraîner un dommage (qu’il soit physique, psychique ou social). Les usages à risques ne se limitent pas uniquement aux situations de dépendance ou aux usages nocifs, mais à toute consommation qui comporte un risque.
Mettre en place une approche de Réduction des Risques (RdR) signifie développer un ensemble de stratégies différentes et complémentaires de santé publique qui ont pour objectif premier de limiter les risques et les dommages sanitaires et psycho-sociaux liés à l’usage de drogues. Comme nous le verrons par la suite, les objectifs de cette approche vont s’élargir avec le temps, au même titre que la notion de drogue.
Il s’agit d’une approche complémentaire (on la désigne comme « le troisième pilier ») dans la politique globale contre les drogues. Les autres piliers sont en général la prévention (pour réduire l’incidence des usages dans la population), la thérapie (les traitements pour opérer un changement sanitaire et/ou psycho-social auprès de la personne), et par ailleurs la répression (le volet sécuritaire).
Mais comment cette approche s’est-elle développée ?
Émergence dans l’urgence
Avant les années ’80, une personne usagère de drogue n’avait accès à des soins spécifiques qu’à la condition d’être prête à arrêter de consommer. L’abstinence était une clé pour l’accès aux soins. Cela avait des conséquences terribles pour les usagers qui ne voulaient ou ne pouvaient arrêter, exclues des systèmes de soins ‘classiques’, avec tout la spirale d’exclusion que cela peut engendrer. Un constat d’échec récurrent était la donne. Mais pire encore : une aggravation des risques et des dommages auprès de ce public-là, de leur entourage, des nuisances dans l’espace public… Quelques voix s’élèvent toutefois, comme le Dr. Claude Olievenstein en France, pour faire avancer les mentalités. Celui-ci met l’accent, par exemple, sur la personnalité de l’usager et l’importance de son contexte de vie.
Il faudra attendre une urgence sanitaire majeure pour faire un pas de géant dans l’évolution des mentalités et des pratiques, et pour que le monde politique prenne enfin en compte ce public mis au ban de la société. Au tournant des années ’80, les ravages du Sida mais aussi la prévalence des hépatites auprès du public des ‘injecteurs’ particulièrement touché, pousse les intervenants et les politiques à réagir. Il faut absolument mettre en place une politique de santé publique qui permette aux usagers de se prémunir des risques infectieux en ciblant leurs besoins immédiats. Ainsi, un tournant majeur s’opère : l’usager de drogues est à nouveau considéré comme faisant partie de la société, comme citoyen. Outre les distributions massives de préservatifs, une mesure phare de cette époque a été la mise à disposition de matériel stérile d’injection. L’approche de la Réduction des Risques (RdR) auprès des usagers de drogues est née et prend de l’essor.
Progressivement, dès les années ’90, le champ de la RdR va s’élargir : ce n’est plus la problématique seule des risques d’infection qui est prise en compte mais tous les risques physiques, psychologiques et sociaux liés à la consommation. Parallèlement, le public-cible des ‘injecteurs’ s’élargit à toutes les personnes qui consomment des drogues, que celles-ci soient légales ou non, et que l’usage soit occasionnel, régulier, que la personne soit dépendante ou non. L’addictologie est une discipline qui s’est installée, on ne fait plus de distinction aussi tranchée qu’avant entre les drogues légales ou illégales. Tous les publics sont concernés. D’un outil hygiéniste, on évolue rapidement vers la prise en compte de l’usager comme expert de son vécu, vers la rencontre entre celui-ci et le soignant, dans une démarche d’ empowerment plus que d’assistance passive. L’importance de la rencontre et du lien avec la personne devient centrale. On voit par exemple des lieux d’accueil ‘à bas seuil’ se développer.
Les résultats de toutes ces initiatives RdR ont été étudiés et documentés au fil des ans : une diminution des overdoses et des contaminations, une (re)prise de contact avec un public marginalisé et un meilleur accès aux soins, mais également des effets positifs dans l’environnement et les espaces publics, etc.
Les postulats de départ
Penser une approche de réduction des risques pour les usages de drogues implique d’accepter au départ certains postulats tels qu’un monde sans drogues n’existe pas, tout comme le risque zéro n’existe pas non plus. La prise de risque fait partie du reste de l’existence humaine. Ensuite, les risques sont maximisés dans un contexte de prohibition des drogues : les réseaux se criminalisent, les usagers sont amenés à se cacher et à consommer de manière plus risquée, cela pousse aussi à la marginalisation et à le perte de liens, etc.
Les intervenants du secteur prônent aussi qu’une information objective ou la mise à disposition de moyens pour un usage à moindre risque ne sont pas des incitateurs à la consommation. Du reste, une approche RdR s’adresse spécifiquement aux personnes en situation de consommation.
Des objectifs et des champs élargis
Au vu de son évolution, l’approche de la RdR s’inscrit davantage dans une approche de santé globale de la personne, mais de son environnement également. Les objectifs sont les suivants :
- réduire la morbidité et les comorbidités ;
- améliorer l’état de santé des usagers ;
- favoriser l’accès aux soins, à l’accompagnement et aux droits des usagers ;
- favoriser la réinsertion sociale ;
- réduire les nuisances publiques.
A tout niveau et où que se trouve la personne dans son parcours de consommation, aller à la rencontre de la personne (plutôt qu’attendre une demande), le dialogue, l’établissement d’un lien de confiance, l’accueil, sans jugement moral, sont des valeurs et une condition sine qua non.
Les initiatives en RdR dans le milieu considèrent l’usager comme un partenaire, il est amené à mobiliser ses ressources tant pour sa santé que celle des autres, par exemple via des programmes d’information par les paires. Mais bien au-delà parfois avec un projet entièrement pensé par les usagers, géré par les usagers.
Comme nous l’avons vu, le champs de la RdR pour les usagers de drogues s’est considérablement élargi. Certains milieux sont désignés comme prioritaires vu la prévalence importante de consommation ou d’exposition aux risques, comme le milieu festif ou le milieu carcéral.
Quelques exemples d’actions
Sans être exhaustif, voici quelques exemples de projets ou de programmes inscrits dans une politique de RdR liés aux consommations de drogues :
- La distribution de matériel stérile d’injection via des comptoirs d’échange de seringues
- La distribution de préservatifs
- Les salles de consommation à moindre risque (SCMR)
- Le testing de substances dans un lieu festif tel qu’un festival
- Les tests de dépistage rapide
- L’information en milieu festif
- …
Pour en savoir plus : https://reductiondesrisques.be/