«Notre société crée des obèses mais ne les supporte pas», disait le nutritionniste Jean Trémolières. Et le phénomène s’accentue. Notre monde occidental est familier du XXL dans la vie réelle, tandis que nos écrans, nos magazines, nos imaginaires sont des monomaniaques du svelte. Hommes et femmes confondus.
L’ampleur de l’obésité et du surpoids alarme certains acteurs de la santé, et l’OMS va jusqu’à parler d’épidémie. De cette manière, utilisant un qualificatif réservé ordinairement aux maladies infectieuses, elle frappe les esprits, remarque Francis Delpeuch , un des auteurs de ‘Tous obèses?’ (1).
En parallèle et comme en corrélation, s’accroissent stigmatisation du surpoids et souffrances de ceux qui le portent. On craint pour l’avenir de son enfant lorsqu’il dépasse les courbes admises. On associe le surpoids certes à la bonhommie mais aussi à la paresse, au manque de volonté, à la saleté… La discrimination dont sont victimes les personnes obèses est presque inconsciente et ne suscite guère de levée de boucliers. Ils se font rares l’embonpoint signe d’opulence, le bourrelet signe de beauté, la chair signe de bonne santé. Et quand, dans le roman ‘Le sumo qui ne pouvait pas grossir’ d’ Eric-Emmanuel Schmitt , un homme sage déclare à un gamin «Je vois un gros en toi», on comprend bien qu’il soit déstabilisé, qu’il ne l’associe pas directement à une promesse de sagesse. L’étiquette «gros» est, de nos jours, lourde à porter (2). La norme, le conforme, l’acceptable sont du côté de la minceur, voire de la maigreur.
En souffrance
Ainsi, face à leurs patients en mal-être, des professionnels de la santé réagissent. C’est le cas du groupe français GROS (pour Groupe de réflexion sur l’obésité et le surpoids). Il réunit des cliniciens, c’est-à-dire des médecins, des psychologues, des diététiciens… qui viennent en aide à des «personnes de chair et de sang, en difficulté avec leur poids ou leur comportement alimentaire».
Ce qui les préoccupe: la nature des difficultés rencontrées par ces personnes, les solutions qui leur sont proposées et ce qui est susceptible de les aider véritablement. Car le groupe GROS est convaincu que s’il est généralement préférable de ne pas être gros, tant d’un point de vue médical que psychologique et social, la perte de poids ne suffit pas à régler la totalité des ennuis auxquels sont confrontées les personnes en difficulté avec leur poids. « Les problèmes de nos patients dépassent largement le cadre de la diététique », estime le docteur Gérard Apfeldorfer , co-fondateur de GROS. « À la souffrance somatique s’ajoutent celles , encore plus terribles , de la marginalisation et de la culpabilisation ». Et les remèdes proposés aggraveraient bien souvent le mal.
Cacophonie alimentaire
Lorsqu’ils éloignent la personne des signaux que lui envoie son corps, lorsqu’ils imposent un plan alimentaire fait essentiellement de contrôle mental, de restrictions standardisées, les régimes et autres traitements amaigrissants risquent de faire pire que mieux. Manger peut devenir une activité cérébrale, plus qu’une sensation gustative et corporelle. Manger peut quitter définitivement la sphère du plaisir. Au bout du compte, on craque, l’échec est au rendez-vous et pour certains, ouvre la voie à un cercle vicieux où se mêlent culpabilisation, perte de l’estime de soi et déprime. Le GROS plaide pour une véritable «éducation alimentaire». Il s’agirait d’apprendre à s’observer d’abord, à repérer ses émotions face à la nourriture ou ses sensations en mangeant, à prendre le temps de déguster.
Paradoxes pour le mangeur
Mais le mangeur contemporain doit faire face à des pressions bien contradictoires. En circulant dans les allées de sa grande surface préférée, en déterminant son menu face à la télé dans l’attente du JT, il sera l’objet de prescriptions fatales pour sa taille. Impossible de suivre les invitations à la consommation qui l’assaillent tout en s’approchant de la taille 36 (et encore) du mannequin qui les vante. « Dans nos sociétés d’abondance et de marketing , l’ensemble de notre environnement se révèle ‘ obésogène’ », indique Francis Delpeuch. L’individu ne porte pas seul la responsabilité de ses kilos. Le terrain d’action doit prendre en compte la publicité ou l’industrie alimentaire dans sa manière d’étiqueter, d’informer, de fabriquer des produits aux calories parfois bien cachées.
Mais il concerne aussi l’agriculture, l’urbanisme, les cantines scolaires, le cadre de travail… Pourquoi ne pas valoriser la production de fruits et légumes? Pourquoi ne pas agir en faveur de la dépense énergétique en aménageant l’espace pour favoriser la marche? Pourquoi ne pas soigner le temps des repas à l’école? Pourquoi ne pas ménager, dans le cadre du travail, des pauses-midis suffisamment longues pour le personnel et outiller les espaces lunch en conséquence?
Mangeurs, nous ne sommes pas totalement libres de nos choix. Certains d’entre nous en subissent les conséquences plus que d’autres. «Supportons»-les!
Catherine Daloze , rédactrice en chef En Marche
Cet article est paru le 4 février 2010 dans le journal En Marche des Mutualités chrétiennes. Nous le reproduisons avec son aimable autorisation.
(1) Voir l’article «Un monde en XXL. Comment l’obésité envahit la planète», dans «Imagine demain le monde», janvier-février 2010. Référence du livre: Francis Delpeuch, Bernard Maire, Emmanuel Monnier, «Tous obèses?», éd. Dunod, 2006.
(2) «Obésité, les normes en question», brochure de l’asbl Question Santé (02 512 41 74 – http://www.questionsante.be )