Dans le contexte de pandémie que nous traversons, le Service Universitaire de Promotion de la Santé UCLouvain/IRSS-RESO s’est penché sur la vaccination contre la COVID-19, au centre de toutes les attentions à l’heure actuelle. Comment appréhender l’hésitation vaccinale dans une perspective de promotion de la santé ? Eclairage sur le concept de « littératie vaccinale ».
En un an, la littérature scientifique et grise s’est considérablement étoffée sur toute une série de domaines associés à la pandémie de coronavirus SARS-CoV2 (COVID-19) : les soins de la personne contaminée (prise en charge, traitements, etc.), les mesures de prévention (gestes barrières, port du masque, etc.), l’impact des mesures sanitaires (économique, écologique, psycho-sociale, etc.), et bien d’autres domaines.
Dans cette littérature foisonnante, nous nous sommes arrêtés sur l’hésitation vaccinale, présentée comme une menace de santé publique, elle concernerait un quart de la population belge. Le pourcentage de la population favorable à la vaccination serait donc insuffisant pour atteindre l’immunité collective (Kessels 2020). En 2019, l’OMS classait en effet l’hésitation vaccinale parmi les 10 plus grandes menaces pour la santé mondiale (OMS, 2019).
Dans cet article, nous proposons de regarder l’hésitation vaccinale à travers le prisme de la promotion de la santé, une démarche d’intervention qui a vise à donner aux individus et aux populations les moyens d’assurer un plus grand contrôle sur leur propre santé, afin d’améliorer celle-ci (Charte d’Ottawa 1986). Dès lors, le fait de se questionner sur sa santé et de porter un regard critique sur certaines propositions thérapeutiques est révélateur d’une volonté d’appropriation des messages et d’un désir de renforcer son sentiment de choix et de maîtrise en matière de santé. Toutefois, le regard critique porté sur la santé doit être nourri d’informations valides pour amener à une décision éclairée que le contexte d’infodémie [1], qui accompagne la pandémie, peut compromettre. La population a donc besoin d’être accompagnée et soutenue dans ses questionnements relatifs à la vaccination.
Cet article fait suite à deux autres travaux du RESO sur le thème de la vaccination contre la COVID-19 :
- Lambert H., Scheen B., Aujoulat I. (2020) Lu pour vous : Dubé, E., Laberge, C., Guay, M., Bramadat, P., Roy, R., & Bettinger, J. A., L’hésitation vaccinale : un état des lieux. Woluwé-Saint-Lambert : UCLouvain/IRSS-RESO, 5 p.
- Malengreaux S., Lambert H., Le Boulengé O., Rousseaux R., Doumont D., Aujoulat I. (2021). Tous égaux face au vaccin contre la COVID-19 : État des lieux de la littérature scientifique et grise. Woluwé-Saint-Lambert: Service universitaire de promotion de la santé de l’Université catholique de Louvain, 30 p.
« Tous égaux face aux vaccins contre la COVID-19 ? Etat des lieux de la littérature scientifique et grise »
En mars 2021, le RESO a réalisé un rapide état de la littérature scientifique et grise en matière de stratégie de vaccination équitable contre la Covid-19. Dans cette synthèse, nous partons de 3 défis de la stratégie de vaccination : l’hésitation vaccinale, les besoins spécifiques de certaines communautés et l’infodémie. Nous tirons de nos lectures 6 principes d’action pour une stratégie de vaccination adaptée aux réalités de vie et aux représentations des communautés : créer un réseau d’acteurs relais, mieux comprendre pour agir, communiquer de manière transparente et adaptée, multiplier les lieux de vaccination et les profils des vaccinateurs, aller à la rencontre, planifier et piloter.
Repères théoriques
L’hésitation vaccinale se traduit par des doutes et préoccupations relatives à la vaccination. Ces doutes et préoccupations se situent sur un continuum, un processus décisionnel, allant de l’acceptation au refus de se faire vacciner. Notre position sur ce continuum évolue constamment en fonction des informations reçues (par les médias, les discussions informelles, etc.) et trouvées (sur internet, en posant des questions aux professionnels de santé, etc.). De plus, notre capacité à comprendre ces informations, à les évaluer et enfin à les utiliser pour prendre une décision influencera notre position. Ces capacités (accéder, comprendre, évaluer et appliquer l’information pour la santé) sont regroupées sous le terme de « littératie en santé » (Cultures&Santé asbl 2016).
La complexité du phénomène de l’hésitation vaccinale réside dans la multiplicité des facteurs l’influençant et leur interrelation. Ces facteurs se situent à différents niveaux plus ou moins éloignés de l’individu.
Les facteurs individuels influençant la décision de se faire vacciner ou pas sont :
- la volonté de respecter les règles en vigueur ;
- l’évaluation subjective du risque que représentent, d’une part, la vaccination, et, d’autre part, la maladie évitable par la vaccination ;
- les expériences passées, positives ou négatives ;
- les convictions éthiques, morales et religieuses en lien avec la santé ;
- la confiance témoignée au gouvernement et aux professionnels de la santé, et le fait d’avoir la possibilité d’exprimer ses doutes et de poser des questions.
Des facteurs situés à un niveau sociétal, extérieurs aux individus, vont également influencer la décision :
- les vaccins sont souvent la cible de désinformations alimentées et diffusées par les médias et sur le web ;
- l’augmentation récente du nombre de vaccins disponibles pour différentes pathologies et les disparités nationales et internationales au niveau des programmes et législations ;
- l’attitude et les connaissances des soignants ; les prestataires de soins demeurent la source d’information la plus fiable aux yeux des usagers ;
la diminution des maladies évitables par la vaccination, liée au succès même des programmes de vaccination, a rendu les risques que comportent ces maladies moins visibles.
L’hésitation vaccinale en temps de Covid-19
Le contexte de la pandémie de covid-19 est marqué par certaines spécificités qui viennent renforcer l’hésitation vaccinale : les vaccins ont été développés très rapidement, de nombreuses informations erronées ont été propagées sur les médias sociaux, des critiques ont émergé autour des enjeux politiques et financiers liés à la vaccination, la survenue de nouvelles variantes du virus et l’incertitude quant à la durée de l’immunité acquise avec le vaccin ont accru les doutes et sentiments négatifs (Finney Rutten 2020 ; APA, 2020 ; Su 2020).
En Belgique, une étude a montré que les personnes plutôt jeunes [1], insatisfaites de la gestion de la crise, encourant un risque médical peu élevé et parlant français seraient plus hésitantes que les autres. Cette recherche a également montré que, dans une moindre mesure, le sexe de la personne aurait une influence sur ce phénomène : les femmes seraient légèrement plus hésitantes que les hommes. Au contraire, les individus dont un membre de l’entourage a été hospitalisé ou est décédé après avoir contracté la Covid-19 seraient plutôt favorables à la vaccination (Kessels 2020).
De la littératie en santé… à la littératie vaccinale
L’infodémie accompagnant la propagation de la COVID-19 a mis en évidence qu’une grande part de la population dispose d’un faible niveau de littératie en santé. Or le niveau de littératie est déterminant en période de pandémie.
Dans un contexte où la population doit comprendre rapidement une quantité importante d’informations, parfois techniques, et utiliser ces informations pour adapter, continuellement son comportement, agir sur la littératie en santé permettrait aux individus de mieux comprendre les raisons des mesures sanitaires et des recommandations (Paakkari 2020). De manière générale, l’efficacité des politiques de santé serait tributaire du niveau de littératie de la population (Ratzan 2011).
Ce type d’action aurait plus largement pour effet de renforcer la capacité des individus à évaluer, à s’approprier et à utiliser les informations en matière de prévention de la COVID-19 pour prendre des décisions éclairées (Cultures&Santé asbl 2020). On peut donc présumer qu’en temps de pandémie, la littératie en santé de la population jouerait un rôle pour contrôler la propagation du virus.
Plusieurs articles scientifiques (Castro-Sanchez 2016 ; Biasio 2020) relèvent l’absence de prise en compte de la littératie en santé comme composante déterminante de l’hésitation vaccinale, mais aussi comme stratégie d’action pour y faire face. Le rédacteur en chef de la revue « Journal of health communication » proposera d’ailleurs en 2011 de parler de « littératie vaccinale » (Ratzan 2011), qu’il présente comme une approche pour améliorer la couverture vaccinale de la population. Notons que l’environnement des individus n’est pas toujours favorable à la mise en œuvre de la décision. Des facteurs tels que les modalités d’invitation et de prise de rendez-vous pour se faire vacciner ou l’accessibilité des lieux de vaccination sont par exemple des facteurs compromettant l’application de la décision de se faire vacciner.
Construire sur une opportunité
Plus haut, nous avons cité quelques éléments contextuels de la pandémie de COVID-19 qui ont, selon la littérature, créé un environnement propice à l’hésitation vaccinale. Nous pensons que le contexte actuel peut également représenter une opportunité pour développer la littératie en santé de la population.
D’abord, chaque individu est concerné par la vaccination contre la COVID-19 et est conscient qu’il doit prendre une décision : vaccin ou pas vaccin. La population est donc potentiellement intéressée à acquérir des compétences pour poser des choix éclairés. Cela est particulièrement vrai si les personnes se disent hésitantes, car cela signifie qu’elles ont déjà entamé un processus de réflexion. Dès lors, la vaccination contre la COVID-19 constitue une occasion pour les professionnel·les de la santé de dialoguer à ce sujet et d’accompagner les individus à faire des choix éclairés de manière à promouvoir, à maintenir et à améliorer leur santé et celle de leur entourage. Les professionnel·les ont néanmoins besoin d’être outillés (formation, outils de communication, accompagnement, etc.) pour aborder cette thématique dans cette perspective.
Le contexte présente ensuite des fenêtres d’opportunités pour inscrire la littératie en santé dans les préoccupations politiques. La littérature scientifique pousse dans ce sens (Paakkari 2020 ; Spring 2020 ; Abel 2020) et des initiatives internationales visant à partager des données probantes se mettent en place (par exemple : COVID-HL, un réseau international de recherche sur la littératie en santé dans le cadre de la pandémie de la Covid-19). Dans ces conditions, les acteurs politiques disposent d’un terreau favorable au développement de recherches et à la construction d’un plan d’action en faveur du renforcement de la littératie en santé basé sur des données probantes. Par conséquent, au-delà de la menace de santé publique que la décision de se faire vacciner ou pas représente, l’hésitation vaccinale constitue une opportunité pour renforcer la littératie en santé de la population. Nous pensons que les décideurs, les acteurs de terrain et les scientifiques disposent de conditions favorables au développement de politiques, d’actions de terrain et de recherches visant à améliorer la littératie en santé de la population qui, comme le démontre cette crise, relève d’un réel enjeu sociétal.
Références
Kessels R., Luyten J. & Tubeuf S. (2020). Willingness to get vaccinated against Covid-19: profiles and attitudes towards vaccination. Louvain-la-Neuve: Université Catholique de Louvain (UCLouvain) – Louvain Institute of data analysis and modeling in economics and statistics, 12 p.
Organisation Mondiale de la Santé (OMS). (2019) Ten threats to global health in 2019. Consulté le 26 mars 2021 : https://www.who.int/news-room/spotlight/ten-threats-to-global-health-in-2019
Organisation mondiale de la santé, (Bureau régional de l’Europe). 1986. Promotion de la santé. Charte d’Ottawa, https://www.euro.who.int/__data/assets/pdf_file/0003/129675/Ottawa_Charter_F.pdf
Cultures&Santé asbl (2016) La littératie en santé – D’un concept à la pratique. Guide d’animation. Bruxelles
Lambert H., Scheen B. Lu pour vous : Dubé, E., Laberge, C., Guay, M., Bramadat, P., Roy, R., & Bettinger, J.A., L’hésitation vaccinale : un état des lieux. Woluwé-Saint-Lambert : UCLouvain/IRSS-RESO, 2020, 5p.
Finney Rutten L. J., Zhu X., Leppin A. & et al. (2020). Evidence-Based Strategies for Clinical Organizations to Address COVID-19 Vaccine Hesitancy. Mayo Clinic Proceedings, Advance online publication, 20 p.
American Psychological Association (APA). (2020). Building Vaccine Confidence Through Community Engagement. Wahsington: American Psychological Association (APA), 5 p.
Su Z., Wen J., Abbas J. & et al. (2020). A race for a better understanding of COVID-19 vaccine non-adopters. Brain, Behavior & Immunity – Health, vol. 9, Article number 100159, 3 p.
Paakkari L. (2020) COVID-19 : health literacy is an underestimated problem The Lancet vol.5 e.249-250
Cultures&Santé asbl (2020) Quelques clés pour évaluer l’information en lien avec ma santé – L’exemple de la COVID-19. Pistes de réflexion et d’animation. Bruxelles
Ratzan S. C. (2011) Vaccine Literacy: a new shot for advancing health J. Health Commun. 16 (3):227-29.
Castro-Sanchez E, Chang PW, Vila-Candel R, et al. (2016) Health literacy and infectious diseases: why does it matter? Int J Infect Dis; 43:103-10.
Biasio L.R., Bonaccorsi G., Lorini C. & Pecorelli S. (2020) Assessing COVID-19 vaccine literacy : a preliminary online survey, Human Vaccines & immunotherapeutics
Spring H. (2020). Health literacy and COVID-19. Health information and libraries journal, 37(3), 171–172.
Abel T., McQueen D., (2020) Critical health literacy and the COVID-19 crisis, Health Promotion International, Volume 35, Issue 6, pp.1612–1613.
[1] Terme qui qualifie, selon l’OMS, une surabondance d’informations, tant en ligne que hors ligne.