Pour bon nombre de médecins, la maladie alcoolique est une des pires maladies à traiter. La dépendance alcoolique s’apparente, en effet, à une spirale infernale de laquelle il est très difficile de sortir. Et, par le biais du co-alcoolisme, l’entourage contribue souvent, sans en avoir conscience, à maintenir l’alcoolodépendant dans son état.
Quand on parle d’alcool et de la dépendance qui peut découler de l’abus qui est fait des «boissons enivrantes», tirées du fruit de la terre et du travail des hommes , il n’est pas inutile de rappeler que la consommation d’alcool, si elle existe depuis la nuit des temps, a longtemps été porteuse d’un sens sacré qui s’est perdu au fil des siècles. L’hydromel, boisson faite d’eau et de miel, et liqueur divine des habitants de l’Olympe, est probablement la plus ancienne boisson alcoolisée du monde. Au cours de l’histoire, l’usage de l’alcool a remplacé le rite sacré du sang. Investi d’une valeur symbolique, l’alcool a longtemps été réservé aux pratiques religieuses, divinatoires, médicamenteuses et nutritionnelles. Aujourd’hui, la consommation d’alcool est inscrite dans de nombreuses cultures et accompagne traditionnellement la plupart des rites et des cérémonies. Non seulement synonymes de convivialité, de plaisir et de liberté, les boissons alcoolisées sont aussi perçues, chez l’homme, comme un symbole de force et de virilité. Pour de nombreux jeunes, la consommation d’alcool représente une sorte d’initiation à l’état adulte.
Mais, signe des temps, la consommation d’alcool témoigne aussi d’une maladie de société. De plus en plus de personnes utilisent des produits psychotropes, notamment l’alcool, pour échapper aux difficultés de la vie. « Il existe une culture de l’alcool et une banalisation du produit , affirme Nathalie Ehrhardt , psychiatre au CHC clinique Saint-Vincent de Rocourt. Dans certaines familles , on boit de l’alcool pour se désaltérer . D’une manière générale , la prise d’alcool est , avant tout , un mode de fonctionnement qui aide à faire face aux problèmes de la vie quotidienne . Cependant , la consommation d’alcool n’est pas un acte banal.»
La spirale de la dépendance
Ce qui fait l’attrait de l’alcool, c’est qu’il agit sur le système nerveux. A faible dose, il permet de se détendre, soulage temporairement les angoisses, anesthésie les émotions, lève les inhibitions, donne de l’assurance, comble le sentiment de vide. Mais certaines personnes sont plus vulnérables aux effets de l’alcool que d’autres. Ainsi, l’alcoolémie (la présence d’alcool dans le sang qui croît jusqu’à deux heures après l’absorption d’alcool) augmente plus et plus vite chez la femme, chez le jeune, chez le sujet petit et maigre. « La dépendance à l’alcool s’installe progressivement , et en fonction de la sensibilité du sujet, explique Benoît Troisfontaines, médecin chef du Service de psychiatrie au CHC clinique Saint-Vincent de Rocourt et spécialisé dans les pathologies liées à l’alcool. Tout le monde ne devient pas dépendant . La dépendance se caractérise par une perte de liberté par rapport à sa consommation d’alcool. Même s’il y a une volonté d’arrêt , la personne ne parvient plus à maîtriser sa consommation. Boire devient une activité importante qui monopolise chaque instant . La vie s’organise alors autour du produit. Lorsque la personne arrête de boire , elle souffre d’un réel manque car son organisme ne sait plus fonctionner sans alcool.» Comme le souligne avec insistance le Docteur Raymond Gueibe , alcoologue et psychiatre de liaison à la clinique Saint-Pierre d’Ottignies, « l’alcoolisme est une des pires maladies , car seulement 5 % des personnes devenues dépendantes à l’alcool parviennent à l’abstinence et savent gérer leur maladie .»
Une maladie familiale
Sans en être conscient, l’entourage développe souvent des attitudes qui maintiennent l’alcoolique dans son problème, par exemple en lui fournissant des boissons alcoolisées, en le protégeant des conséquences néfastes de son comportement, en cachant ou niant son problème. On parle alors de co-alcoolisme.
L’alcoolisme est donc un mal qui affecte l’ensemble de la famille, tant sur le plan psychique que physique. Colites, migraines, ulcères, difficultés de concentration, anxiété, dépression, obésité… sont autant de maux qui peuvent trouver leur origine dans le co-alcoolisme. Le conjoint, les enfants, les frères, les sœurs, les parents d’une personne alcoolique développent, en effet, fréquemment de nombreux désordres physiques et psychiques liés à l’angoisse et au stress. Il n’est pourtant pas rare que les personnes affectées par l’alcoolisme d’un proche soient incapables de reconnaître le lien qui existe entre leur mal-être et leur inquiétude continuelle face aux problèmes liés à une consommation excessive d’alcool d’un des leurs.
La famille et les amis d’une personne alcoolique peuvent nier fortement, même vis-à-vis d’eux-mêmes, qu’un être proche ait un problème d’alcool. Sans une prise de conscience nécessaire, les symptômes physiques, la négation, et l’inquiétude peuvent se perpétuer indéfiniment jusqu’au drame.
« La dépendance à l’alcool s’inscrit dans une histoire qui est celle du conjoint alcoolique , mais aussi de toute la famille , explique Raymond Gueibe. Le problème de l’alcoolisme et du co – alcoolisme chez les proches s’installe de façon très insidieuse. Dans un premier temps, la famille ne voit souvent pas d’inconvénient à ce qu’un proche consomme de l’alcool, même exagérément. La famille ne perçoit pas le problème ou doute qu’il y ait un problème. Par la suite, lorsque les membres d’une famille prennent conscience du fait qu’un des leurs boit exagérément, ils vont en faire la remarque. La personne alcoolique se défend alors de trop boire, et va boire en cachette. Très souvent, les proches de l’alcoolique cachent le problème vis – à – vis de l’extérieur, afin de protéger la famille . Le co – alcoolisme se met ainsi en place, de mille et une façons. Lorsque le mari, par exemple, se trouve en manque d’alcool, son épouse ne « peut » pas le laisser dans cet état et va lui acheter de l’alcool. Le co – alcoolisme permet au malade de continuer à s’alcooliser. Cette complicité peut durer jusqu’à la mort de l’alcoolique.»
Si la vie de l’alcoolique s’organise autour de sa consommation d’alcool, la vie du reste de la famille s’organise, quant à elle, autour du problème d’alcool. Ce problème devient un grand secret. On arrange les choses pour sauver les apparences, la femme allant jusqu’à excuser l’absence de son mari au travail, arguant d’une grippe pour camoufler la gueule de bois.
« L’alcoolique utilise cette complicité comme un levier lui permettant de faire du chantage au sein de sa famille , poursuit Raymond Gueibe. Dans un deuxième temps , la famille va essayer d’aider l’alcoolique à ne plus boire en le surveillant , en supprimant l’alcool de la maison . L’alcoolique – qui a caché ses bouteilles – « se montre » coopératif . Au fil du temps , la famille s’épuise dans le besoin de contrôler l’alcoolique et de le protéger. L’alcoolique, quant à lui, est dans le déni et culpabilise son entourage en attribuant son problème aux autres . Le partenaire et les enfants en arrivent à se sentir coupables et responsables du problème. Les enfants et les adolescents souffrent énormément de l’alcoolisme d’un de leurs parents. Ils ont l’impression d’être seuls à vivre cette situation, qu’ils croient par ailleurs avoir provoquée , et s’enferment dans le silence . Ils n’invitent pas de copains chez eux. Le risque, pour ces enfants, est d’essayer par la suite de réparer les choses en épousant, notamment , une personne souffrant d’alcoolisme.»
Le co-alcoolisme existe aussi sur le lieu du travail. Lorsque, par exemple, un collègue expédie les tâches de l’alcoolique ou que le chef de bureau ferme les yeux sur ses retards et erreurs répétitives, on parle de co-alcoolisme.
Pour les spécialistes du problème alcoolique, il n’y a pas de secret : en croyant bien faire, en réparant les pots cassés, en protégeant l’alcoolique des effets néfastes de sa consommation, la famille retarde peut-être le moment d’une prise de conscience nécessaire à l’alcoolique pour décider d’arrêter de boire. Cette «complicité» n’est pas tenable à long terme pour le co-alcoolique et ne fait que conforter l’alcoolique dans sa situation. Il n’a pratiquement aucune chance de cesser de boire aussi longtemps que son entourage écarte de lui toutes les conséquences douloureuses de sa consommation d’alcool. Car, même s’il s’agit d’une vérité difficile à accepter pour l’entourage proche et surtout pour la famille, seul l’alcoolique peut décider d’arrêter de boire. Minimiser les choses ne résout rien. Il faut aborder le problème directement, en mettant l’alcoolique face à ses responsabilités et en ne dissimulant pas ses erreurs, même si cela engendre un conflit.
Alcoolisme et violences familiales
Parmi les nombreux problèmes liés à l’alcoolisme, celui des violences intrafamiliales est malheureusement très fréquent. Marquées du sceau du secret familial, les violences familiales créent des souffrances profondes et durables, notamment pour les enfants qui en sont victimes. « On constate que , chez certaines personnes , la violence – verbale et / ou physique – n’apparaît que lorsqu’elles se trouvent sous l’emprise de l’alcool , note le Dr Raymond Gueibe. Un tiers des personnes alcooliques posent des actes de violence envers leurs proches . Tout comme les membres de la famille cachent le problème d’alcool d’un des leurs , ils cachent également la violence , la famille s’organisant alors pour se protéger de cette violence . Les enfants et les adolescents se sentent responsables , non seulement de l’alcoolisme d’un de leurs parents , mais également des actes de violence dont ils sont victimes . Ils pensent avoir mérité les coups : s’ils étaient plus sages , s’ils avaient de meilleurs résultats scolaires … tout cela n’arriverait pas , croient – ils .»
La vérité est thérapeutique: mettre l’alcoolique face à ses responsabilités signifie aussi qu’il faille oser l’affronter s’il est violent envers ses proches. Il peut donc être nécessaire de dénoncer la violence, celle-ci étant inacceptable et interdite. « Mais il y a une telle culpabilité , un tel tabou autour de l’alcoolisme et de la violence que , très souvent , les proches n’osent pas en avertir la police , constate le Dr Gueibe. Accepter la violence d’autrui , c’est perdre sa dignité . Mettre des limites à un comportement inacceptable , permet de retrouver sa dignité et donne l’occasion à la personne qui se conduit avec violence , lorsqu’elle a bu exagérément , de prendre conscience de la gravité de ses actes . C’est donc aussi lui donner l’occasion de changer .»
Guérir l’alcoolisme
Le rétablissement d’un malade alcoolique passe nécessairement par une prise de conscience de son état. Bien souvent, cette prise de conscience se fait lorsque la personne a le sentiment d’avoir touché le fond. Mais il vaut mieux éviter d’en arriver là. « Il est toujours possible de faire le bilan de sa consommation personnelle d’alcool , afin de se situer , explique Benoît Troisfontaines. L’alcoolisme n’est pas une tare , ni un vice : il s’agit d’une maladie mentale et chronique . Lorsqu’une personne se rend compte qu’elle est en difficulté par rapport à sa consommation d’alcool , le mieux qu’elle puisse faire , c’est de ne pas rester seule avec cette difficulté , mais d’en parler au médecin traitant , au médecin du travail , à des proches ou encore à des associations qui ont fait leurs preuves , telles que les Alcooliques Anonymes ou Vie Libre ».
Les mouvements d’entraide
Les Alcooliques Anonymes sont une association d’hommes et de femmes qui partagent entre eux leur expérience, leur force et leur espoir dans le but de résoudre leur problème commun, et d’aider d’autres alcooliques à se rétablir. La seule condition requise pour être membre des AA est un désir sincère d’arrêter de boire.
L’alcoolisme est, selon le mouvement des Alcooliques Anonymes, « une maladie progressive , émotive , mentale et spirituelle autant que physique . Les alcooliques que nous connaissons ont perdu le pouvoir de contrôler leur consommation d’alcool .» L’expérience montre que le suivi idéal d’un patient souffrant de dépendance alcoolique passe par un sevrage sous surveillance médicale, une psychothérapie et la participation aux réunions organisées par les mouvements d’entraide, tels les Alcooliques Anonymes et Vie Libre.
Bien souvent, la pierre d’achoppement des médecins qui essaient d’aider un alcoolique, c’est que celui-ci ne veut pas collaborer. Par expérience, cette pierre d’achoppement est devenue, pour les AA, la pierre angulaire ouvrant vers le rétablissement: « Le déni étant caractéristique de l’alcoolisme , les patients sont souvent évasifs quand on les questionne et certains médecins ne discernent pas forcément qu’un problème d’alcool est à la racine de leurs symptômes . Les patients peuvent rejeter toute allusion au rôle et aux effets de l’alcool . En général , un diagnostic médical n’est pas contesté . Mais lorsqu’un médecin prononce le mot « alcoolisme », il entendra souvent le patient se trouver des excuses ou protester : « Je ne bois pas tant que ça !». La justification et la négation font partie intégrante de l’alcoolisme . Les membres AA qui ont dépassé cette résistance et accepté de faire face aux conséquences de leur alcoolisme sont particulièrement qualifiés pour en aider d’autres à surmonter cet obstacle .»
Le mouvement des Alcooliques Anonymes est né en 1935, aux Etats-Unis, de la rencontre de deux grands buveurs, le Dr Bob, un chirurgien, et Bill, un courtier. Convaincus que l’alcool allait les tuer s’ils continuaient à boire, et ayant admis leur incapacité de s’empêcher de s’enivrer, ils se sont confiés mutuellement et sincèrement leurs déboires liés à l’alcool. Et ils ont constaté que la compréhension et le soutien réciproques leur donnaient la force de ne pas boire… le premier verre. De là est née la conviction que les buveurs abstinents sont bien placés pour venir en aide à l’alcoolique qui souhaite s’en sortir, mais qui ne peut y parvenir par sa seule volonté. C’est le principe de la solidarité, basé sur le partage des expériences.
Les pionniers du mouvement ont vite compris qu’il ne suffisait pas de s’abstenir de toucher à la bouteille pour en être libérés. Ils ont donc été amenés à développer et à expérimenter un nouveau mode de vie basé sur l’étude et l’application, dans la vie de tous les jours, des «12 étapes», la première étape consistant à se reconnaître alcoolique et impuissant devant l’alcool. Ces 12 étapes suggèrent un mode de vie permettant de chasser l’obsession de boire, tout en apprenant à mener une vie heureuse et pleine de (bon) sens.
Le mouvement Al-Anon est né, en 1951, à New-York. Pendant que les hommes souffrant d’alcoolisme se réunissaient au sein des Alcooliques Anonymes, leurs femmes se regroupaient également pour parler de leurs difficultés. En Belgique, Al-Anon offre une aide précieuse aux personnes affectées par la consommation d’alcool d’un proche, en leur proposant d’apprendre à vivre autrement avec une personne alcoolique, que celle-ci décide ou non d’arrêter de boire.
Alateen est une section d’Al-Anon et est destiné aux enfants et aux adolescents.
«Vie Libre» est né en France, en 1953. Le but de ce mouvement est d’aider les alcooliques dans leur rétablissement, tout en étant ouvert à l’ensemble de la famille de l’alcoolique.
Une collaboration tend, de plus en plus souvent, à s’établir entre le corps médical et ces différents mouvements d’entraide.
Les recommandations de l’OMS
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a établi des limites maximales recommandées pour une consommation d’alcool à moindre risque. Les limites à ne pas dépasser chez les adultes, pour une consommation régulière, sont de 14 verres par semaine pour les femmes et 21 verres pour les hommes, avec au moins un jour sans alcool sur la semaine. Pour une consommation occasionnelle, il ne faut pas absorber plus de quatre verres d’alcool en une seule occasion. L’OMS insiste bien sur le fait que la tolérance et la vulnérabilité à l’alcool sont propres à chaque individu. Certaines personnes peuvent développer des pathologies en ingérant des quantités inférieures à celles décrites ci-dessus.
Source: Enquête de santé par interview, Belgique, 2004. Service d’Epidémiologie, 2006, Bruxelles. Institut Scientifique de Santé Publique.
12 questions pour faire le point
Les Alcooliques Anonymes proposent un test en 12 questions qui aide à réaliser dans quelle mesure la consommation personnelle d’alcool pose problème ou pas. 4 réponses positives indiquent un problème avec l’alcool.
1. Avez-vous déjà résolu d’arrêter de boire pendant une semaine ou deux, sans pouvoir tenir plus de quelques jours?
2. Aimeriez-vous que les gens se mêlent de leurs affaires concernant votre façon de boire, qu’ils cessent de vous dire ce que vous devez faire?
3. Avez-vous déjà changé de sorte de boisson dans l’espoir d’éviter de vous enivrer?
4. Vous est-il arrivé, au cours de la dernière année, de devoir prendre un verre le matin pour pouvoir vous lever?
5. Enviez-vous les gens qui peuvent boire sans s’occasionner des problèmes?
6. Avez-vous connu des problèmes liés à votre consommation d’alcool au cours de la dernière année?
7. Votre façon de boire a-t-elle causé des problèmes à la maison?
8. Vous arrive-t-il, lors d’une soirée, d’essayer d’obtenir des consommations supplémentaires parce qu’on ne vous en donne pas suffisamment?
9. Vous dites-vous que vous pouvez cesser de boire n’importe quand, même si vous continuez à vous enivrer malgré vous?
10. Avez-vous des trous de mémoire?
11. Avez-vous manqué des journées de travail ou d’école à cause de l’alcool?
12. Avez-vous déjà eu l’impression que la vie serait plus belle si vous ne buviez pas?
Colette Barbier
Adresses utiles
Alcooliques Anonymes, Boulevard Clovis 81, 1000 Bruxelles. Tél.: 02 511 40 30.
Courriel: bsg@alcooliquesanonymes.be. Site: http://www.alcooliquesanonymes.be
Al-Anon et Alateen, rue de la Poste 111, 1030 Bruxelles. Tél.: 02 216 09 08 (permanence les mardis et jeudis de 14 à 18h). Courriel: info@alanonbefr.be. Site: http://www.alanonbefr.be
Vie Libre, rue de la Gare 138, 6880 Bertrix. Tél.: 061 41 45 09. Courriel : vielibre@scarlet.be. Site: http://www.vielibre.be .