Mars 2003 Par S. BOURGUIGNON Initiatives

Univers Santé , asbl de prévention et de promotion de la santé en milieu étudiant, a réalisé une publication sur le déroulement de ‘l’Opération stadiers’ aux 24h vélo de Louvain-la-Neuve. But: laisser une trace de l’action menée mais surtout provoquer une réflexion menant éventuellement à adapter le concept à d’autres manifestations. Avis aux amateurs!
En 1997, les 24h vélo s’interrompent brusquement à l’annonce du décès d’un étudiant. Dans les années 90, cette ‘guindaille’ était devenue la plus grosse manifestation étudiante de Belgique drainant quelque 100.000 participants. Au niveau de la sécurité, la situation était devenue ingérable.
En 1999, après une année d’arrêt, les 24h reprennent mais après avoir subi un fameux remaniement. Deux impératifs s’imposent: redonner un visage humain à la manifestation et assurer la sécurité de tous. Les étudiants organisateurs, les autorités (la commune et l’Université), l’asbl Univers Santé et les permanents des services d’aide de l’Université se réunissent pour définir et organiser ces nouvelles 24h vélo. Au cours des discussions de travail, l’idée de groupes de ‘stewards’ un peu à la manière des stadiers opérant lors des matchs de football est avancée. Ces stewards seraient omniprésents sur le site, assureraient l’accueil et veilleraient à ce que la fête se passe bien. L’ Opération stadiers était ébauchée…

Les stadiers…

Les premières réflexions concernaient ces fameux stadiers. Qui seraient-ils? Quelles seraient leurs missions? Comment allait-on les recruter?… Si la sécurité apparaissait comme une mission importante, il n’était pas question qu’ils endossent le rôle de ‘gendarme’. Leur présence sur les divers lieux de l’événement festif devait être accueillante plutôt que dissuasive. Le stadier serait une sorte de guide qui pourrait orienter les participants et éviter les problèmes.
L’étudiant s’est vite imposé comme le stadier idéal car qui mieux que lui pouvait accueillir, parler et veiller sur les autres étudiants. Les 24h devaient rester une fête estudiantine même si la manifestation, au fil des ans, s’est de plus en plus ouverte au public familial et aux habitants de Louvain-la-Neuve.
Ces étudiants, il fallait les choisir. Une sélection et une formation se sont avérées nécessaires. Devant l’ampleur de la tâche, un ‘groupe porteur’ constitué de personnes ressources s’est mis sur pied: deux membres du Centre sportif étudiant, un permanent des 24h vélo et plusieurs permanents du Service d’aide et d’ Univers Santé ainsi que divers représentants des organisations étudiantes. Leurs missions: réfléchir à la sélection et la mettre en œuvre, former et encadrer les stadiers, organiser et coordonner l’opération.

Le souci du détail

Le groupe porteur a estimé à une centaine le nombre de stadiers nécessaires sur le site le jour ‘J’. Ces stadiers sont répartis en équipe, chacune dirigée par deux responsables. Les équipes sont réparties sur quatre quartiers du site et en trois tranches horaires correspondant à trois moments distincts de la fête: l’après-midi et le début de soirée qui correspondent à l’accueil des participants; le milieu de soirée et la nuit où il faut porter une vigilance particulière aux risques d’accidents et enfin la matinée du second jour où la fête doit être relancée. Les stadiers travaillent toujours par deux. Une équipe ‘hébergement’ est également constituée afin de recevoir ceux qui auraient un coup de pompe ou la gueule de bois.
Chaque année, en mai, le groupe porteur met au point la finalisation du programme de formation et la création d’un plan de recrutement qui doit être lancé à la rentrée, soit 5 semaines avant l’événement. Il leur faut également réserver l’emplacement des 4 tentes qui servent de point de repère et d’accueil dans les 4 quartiers du site, commander des talkies-walkies ainsi que demander des fréquences d’émission. Pour leur visibilité, les stadiers sont habillés de coupe-vent jaunes au slogan ‘Vas-y mollo’. Il faut également prévoir les pique-niques préparés par le restaurant universitaire. Les divers postes doivent être pensés avec soin.

Engagement et motivation: les clés du succès

Les stadiers reçoivent une formation spécifique mais ils doivent également avoir certaines aptitudes dès le départ. Leur sélection a été confiée à des psychologues en fonction au Service d’aide de l’UCL qui ont élaboré une ‘feuille de route’ permettant d’évaluer quelques critères dont l’expérience et la connaissance du site, la sociabilité, la débrouillardise, la capacité d’empathie mais aussi la motivation des étudiants autre que financière.
La rétribution est ici justifiée par le fait que cet engagement demande un travail, un investissement dans la formation (qui elle, n’est pas rémunérée) importants. De plus, trouver une centaine d’étudiants bénévoles n’est pas chose acquise.
Le recrutement se fait par le bouche-à-oreille et par les campagnes d’affichage. Dès l’inscription, le postulant mentionne s’il préfère un poste de responsable ou de stadier, il détaille également son expérience et sa motivation. Lorsqu’il va déposer son inscription, il prend rendez-vous pour un entretien individuel mené par 2 psychologues. Cette première rencontre lui permet de prendre conscience de ce à quoi il s’engage.

Former

Ce sont les formateurs du Centre de formation et d’intervention psychosociologique (CFIP) et les permanents du Service d’aide et d’ Univers santé qui définissent et organisent la formation: une formation de 3 jours destinée aux responsables, et une plus restreinte d’une seule journée pour les stadiers. Parmi les objectifs des formations: comprendre la mission et le rôle, accueillir le public, poser un bon diagnostic d’une situation en se basant sur l’observation, apprendre à découvrir ses propres ressources pour gérer les difficultés sur le terrain ou gérer une équipe quand on est responsable. La formule choisie est une formule participative: jeux de rôle et mises en situations basés sur des scénarios ‘probables’. A la fin du jeu, le debriefing permet d’analyser ce qui a été vécu, les manières de réagir de chaque participant, les techniques d’intervention et de communication. Ce qui permet à chacun de situer ses propres réactions.
Outre les jeux de rôle, la formation est divisée en différents ateliers ‘accueil’, ‘vigilance’, ‘relance’ et ‘hébergement’. Tous les stadiers y participent. Au cours de l’atelier ‘Croix-Rouge’ par exemple, les stadiers apprennent à faire un appel efficace aux secours ou à sécuriser les lieux. Toute cette préparation permet également de nouer des liens étroits et de créer une solidarité entre les divers partenaires. Cette formation est aussi l’occasion de voir comment le quartier général fonctionne. Ce QG se situe au lycée Martin V au même endroit que ceux de la Croix-Rouge, de la police, des pompiers, du Centre sportif étudiants (CSE). Le jour ‘J’, trois permanents sont à l’écoute des conversations par talkie-walkie entre les stadiers et leurs responsables et n’interviennent qu’à la demande de ces derniers. Trois fois au long de la nuit, les forces de police réunissent les responsables des différents QG pour un grand briefing. La circulation des informations et la coordination sont ainsi assurées.

Des 24 heures ‘en santé’

Les organisateurs ont voulu recentrer les 24h sur l’aspect sportif, culturel et humanitaire mais aussi de manière moins apparente sur l’aspect ‘santé’. On le sait, le cocktail alcool-fatigue augmente les risques d’accidents pendant et après la fête. Si dans les années 90, parler ‘santé’ aux jeunes guindailleurs paraissait bien difficile, la réflexion qui a mené aux nouvelles 24h a permis de travailler la thématique. Cette refonte donnait l’occasion de conscientiser les jeunes sur la possibilité de faire la fête sans se mettre en danger.
Le groupe porteur et les étudiants ont travaillé à l’élaboration de stratégies de prévention des risques au travers des campagnes ‘vas-y mollo’ et ‘fête ça bien’ relayées par les stadiers et l’ensemble des organisateurs étudiants. La possibilité de faire un tour dans la ‘voiture- tonneau’ et les messages ‘Bob’ ont également contribué à la diffusion d’un message de prévention en matière de sécurité routière. Pour décourager la consommation excessive d’alcool, les organisateurs ont choisi de promouvoir les boissons non-alcoolisées en distribuant de l’eau gratuitement et des sodas à prix coûtant dans les tentes stadiers. Des accords avec les étudiants ont également permis que les boissons non-alcoolisées soient toujours vendues moins cher que les alcoolisées. Une ordonnance de police interdit par ailleurs la vente des boissons à plus de 22° et des ‘cocktails surprises’ dont on ne peut vérifier la teneur. Elle régit aussi le nombre de débits de boissons.
Mais plus qu’un coup, les actions ‘en santé’ sont appelées à se développer.

Evaluation

Après chaque édition, l’évaluation offre la possibilité de discuter de l’opération, et de penser à la suivante. La sélection des stadiers, la formation, le nombre et la répartition des stadiers, les tranches horaires ainsi que ce qui s’est passé sur le terrain sont passés au peigne fin.
Pour les autorités de l’UCL, l’opération est positive et utile. Cette action conditionne la survie de la manifestation et la revalorise, il est donc impensable de la supprimer malgré son coût (l’UCL a débloqué 21.000 € pour couvrir la rémunération des stadiers, le coût de leur formation et celui de la phonie).
De son côté, la Croix-Rouge constate que le nombre d’interventions a diminué de moitié depuis la refonte de l’événement. De plus, elle souligne que les appels des stadiers permettent des interventions rapides.
D’une manière générale, l’ensemble des intervenants sont satisfaits de l’opération. Ce qui n’empêche pas qu’elle doive toujours faire l’objet d’une remise en question et évoluer au fil des ans.
Ce qui fait le succès de cette opération tient à plusieurs facteurs: au fait que le Centre sportif étudiant ait complètement intégré l’opération dans son projet d’animation (les stadiers ne sont pas perçus comme des personnes qui n’ont rien à voir avec la fête), la collaboration des différents mouvements étudiants, des autorités de l’UCL, des forces de l’ordre, du Service d’aide de l’université et de l’asbl Univers Santé ont également largement contribué à la réussite en donnant légitimité, moyens et cohérence à l’initiative. La sélection et la formation de stadiers-étudiants se révèlent également être un bon moyen pour approcher ce public dont ils sont si proches.
L’opération semble bien remplir la mission difficile qui lui était fixée. Après 4 nouvelles éditions avec les stadiers, les 24h ont retrouvé un visage humain. Que la fête continue!
Sylvie Bourguignon
Univers Santé, place Galilée 6, 1348 Louvain-la-Neuve. Tél.: 010-47 28 28. Fax: 010-47 26 00. Courriel: univers-sante@univers-sante.ucl.ac.be

Gros plan sur Univers Santé

Licenciée en communication, Florence Vanderstichelen travaille au sein de l’équipe d’ Univers Santé . Elle suit l’’Opération stadiers’ depuis ses débuts. Elle parle de cette expérience et des nombreux projets de l’asbl en cours sur le site…

Éducation Santé: Qu’avez-vous retenu de l’ambiance des dernières 24 heures?
Florence Vanderstichelen: Je me suis promenée en rue au moment du feu d’artifice vers 10-11 h du soir. J’ai senti deux ambiances différentes. La première, ‘Grand Place’, animée par les kots-à-projets autour de concerts. On voyait très peu d’étudiants avec une chope en main, ils n’étaient pas là pour ça. Il ne pleuvait plus, il y avait beaucoup de monde. J’ai trouvé l’ambiance vraiment bon enfant, culturellement intéressante. Puis, dans d’autres lieux de la ville, on retrouve les guindailleurs en tabliers avec les chopes à la main, vraiment l’ambiance ‘guindaille-guindaille’.
Au quartier général, on n’a pas eu d’appels urgents de situations qui se dégradaient. Une anecdote: je suis au QG et j’entends un appel d’un stadier qui était à la Lux (cercle des étudiants luxembourgeois) et qui voyait une dizaine d’étudiants danser sur une plate-forme sans protection. Les responsables disent qu’ils se rendent sur place et demandent au stadier de calmer le jeu et de les faire descendre. Le temps que l’équipe de stadiers arrive sur place, il y avait déjà des responsables du cercle qui étaient intervenus.
L’impression que ça m’a donné c’est que les étudiants se prennent en charge eux-mêmes. C’est un très bon signe. Il n’y a eu aucun accident majeur.
Lors du debriefing, tous les partenaires se sont félicités de l’efficacité. C’était une très bonne année.
E.S.: Pourquoi souhaitez-vous faire connaître cette opération à d’autres organisateurs d’événements?
F.V.: Ça nous semble important. Depuis qu’on travaille à cette refonte des 24h vélo et à l’’Opération stadiers’ qui en est l’élément visible, il semble que nous ayons acquis avec toute une série de partenaires – tant les étudiants organisateurs que les autorités de la commune (forces de l’ordre, pompiers…) et de l’université, la Croix-rouge, Univers Santé et le Service d’aide aux étudiants – une expérience, on pourrait même dire une expertise dont nous aimerions faire profiter d’autres personnes.
E.S.: Est-ce que cette ‘Opération stadiers ‘ a des répercussions sur les autres manifestations estudiantines qui ont lieu pendant l’année?
F.V.: L’opération et les 24h vélo ne sont qu’une partie de la politique de l’UCL pour essayer d’un peu changer cet esprit ‘guindaille’ et les accidents qui vont de pair. Il y a d’autres actions qui sont menées, plus souterraines et moins perceptibles pour le grand public. Par exemple: il y a des concertations très fréquentes entre les étudiants, les autorités de l’UCL et le Service d’aide pour essayer que les cercles ne soient pas qu’un lieu de guindaille mais aussi un lieu de développement d’activités culturelles, sociales et surtout pour que le cercle vive bien sa mission première qui est de créer des liens entre les étudiants de la faculté. C’est un travail souterrain qui se fait depuis 96-97 et qui se poursuit.
Par ailleurs Univers Santé et le Service d’aide, toujours en partenariat avec les étudiants, mettent sur pied depuis février et jusqu’en mai, une formation ‘Vas-y pro’. Elle invite les responsables d’un cercle, d’une régionale, d’une animation étudiante à se donner des outils pour gérer cette animation. Nous proposons 7 modules de formation:
– un brevet européen de premiers secours;
– un autre qui montre comment réagir sans violence mais avec efficacité et assertivité à des situations de violences souvent liées à des problèmes d’alcool;
– un troisième propose une recherche-action avec les organisateurs des 5 grandes manifestations de Louvain-la-Neuve en vue de faire un mode d’emploi, un vade-mecum de tout ce qui est utile d’organiser en amont de la manifestation pour que celle-ci se passe bien;
– il va aussi y avoir un module ‘conjuguer alcool et santé’ parce qu’un petit nombre d’étudiants, moins d’1%, se disent en difficultés avec l’alcool. C’est très peu mais ça vaut la peine de s’intéresser à cette situation;
– le module ‘se former pour mieux communiquer’ aidera les étudiants à communiquer avec efficacité, pour par exemple, faire mieux respecter l’environnement, débuter les soirées plus tôt pour qu’elles se terminent plus tôt…;
– le dernier module plus général traite de la gestion et de l’intérêt d’une asbl.
Ces modules sont gérés par Univers Santé et le Service d’aide aux étudiants.
Vous voyez, il y a là un ensemble d’initiatives pour essayer de travailler en prise avec les étudiants pour d’abord changer les mentalités, essayer de limiter les risques liés à une consommation d’alcool et in fine interroger l’étudiant sur pourquoi guindailler au fond…
E.S.: Vous n’avez pas peur d’aller un peu loin dans ce souci de ‘façonner les esprits’, de définir ce que doit être une fête… Vous risquez d’être rejetés.
F.V.: On doit être attentif à toujours présenter Univers Santé comme un partenaire. Univers Santé n’a aucun pouvoir sur toutes ces questions-là. On se situe toujours comme accompagnant ou comme proposant. La formation est proposée, pas imposée. Je pense que c’est une bonne parade à ce que vous soulignez.
E.S.: Vous travaillez encore sur d’autres projets?
F.V.: L’asbl a été créée par l’UCL mais nous travaillons avec toute une série de partenaires extérieurs, dont les étudiants. Notre objectif est de mener des campagnes collectives de prévention et de promotion de la santé. Nous n’avons pas d’accompagnement individuel d’étudiants.
Nous menons une politique d’information sur des questions de santé à travers une publication qui s’appelle ‘Les atouts santé’, à travers aussi ‘les midis de la santé’ axés sur des thèmes qui intéressent les étudiants (cette année, ils ont trait à la vie affective et à la sexualité). Nous menons aussi des campagnes contre le tabac dans les halls d’auditoire depuis 3 ans. Nous travaillons également sur le stress des premiers blocus en lien avec Infor Santé de Nivelles.
Enfin, nous avons ce projet de créer une plate-forme ‘les jeunes et l’alcool’ en Communauté française parce que la consommation d’alcool commence bien avant l’université. Il y a une série de stratégies commerciales qui tendent à normaliser cette consommation des très jeunes notamment avec des alcools présentés comme des limonades. Nous pensons qu’en multi-partenariat, il faudrait pouvoir créer un pôle de référence sur les jeunes et l’alcool qui servirait notamment de groupe de pression pour dénoncer ces stratégies mais aussi plus positivement pour développer des actions de prévention. Voilà un peu les dossiers sur lesquels nous travaillons…
Propos recueillis par Sylvie Bourguignon