En Wallonie, 19 travailleurs sociaux s’appuient sur un réseau de partenaires pour coconstruire des actions avec et pour des parents solo. Ce dispositif expérimental baptisé « Relais Familles Mono » fait le choix du travail social communautaire. Bilan d’étape.
En septembre 2022, la Région Wallonne lançait le projet-pilote : « Relais Familles Mono » pour améliorer le quotidien des parents solo, très fragilisé par l’épidémie de Covid 19. En Wallonie, près de 196 000 familles sont en situation de monoparentalité et 83% de leurs chef.fe.s de famille sont des femmes. Un quart de ces mamans solo n’ont pas les ressources suffisantes pour offrir un niveau de vie digne à leurs enfants.
Le cumul des difficultés en fait un public particulièrement vulnérable. Cette vulnérabilité est souvent liée au manque de ressources matérielles : pensions alimentaires non versées, difficulté de recours au SECAL, difficultés d’accès aux activités extra scolaires, exposition au stress, isolement.
A l’origine, Christie Morreale, vice-présidente de la Région et ministre de l’action sociale, proposait de créer un guichet unique pour les familles monoparentales en impliquant les services sociaux. Le projet évolue rapidement au fil des discussions avec les parties prenantes : les services sociaux de plusieurs mutualités (Mutualité chrétienne – MC, Mutualités Libres, Partenamut et Solidaris), et d’autres issus d’associations (CLSS, CSSN et Aide aux Personnes Déplacées).
En effet, ces acteurs font déjà office de guichets – accessible sans condition d’affiliation. Ils proposent donc de déployer un travail social collectif et communautaire pour renforcer les ressources des parents solo. La région s’engage sur la totale gratuité pour les familles. Elle détermine un financement annuel conséquent de 2 millions d’euros dans le cadre du plan de relance de la Région wallonne.
Depuis mars 2023, 19 travailleurs et travailleuses point-relais, dénommés TPR, interviennent sur l’ensemble du territoire wallon. Pour faciliter la visibilité du dispositif, chaque province dispose d’une page Facebook, d’une cartographie des implantations, et affiche les numéros de téléphone des travailleur.euses point-relais.
Mobiliser les ressources des familles monoparentales
« Le dispositif s’est construit au fil des rencontres avec les partenaires déjà présents sur les territoires et en regard des besoins exprimés par les parents solos. L’idée est de faire réseau autour de ces questions de monoparentalité et d’accès aux droits », explique Stéphanie Gribomont, coordinatrice du Centre d’Appui Familles Monoparentales. Le Centre accompagne les TPR dans l’exercice de leurs missions. Il est hébergé au sein de la Fédération des Services Sociaux.
« On est parti d’une page blanche. On s’est mis d’accord sur le fait que le travail social communautaire allait apporter une plus-value. Il implique de travailler de manière plus collective pour que les publics se sentent reconnus, entendus, et puissent mobiliser leurs ressources ».
Lidvine Sacré, coordinatrice des cinq TPR de la MC
En effet, le principe du travail communautaire consiste à aller vers les personnes, à déployer des activités dans les lieux de vie, d’émancipation et d’implication des mamans. En outre, lorsqu’une question individuelle émerge, la personne peut aisément être orientée vers le bon interlocuteur au sein du service social ou du réseau de partenaires.
En début de projet, chaque TPR est devenu référent du projet pour un territoire. La cartographie a été dessinée en fonction des acteurs en présence et d’une volonté de couvrir en priorité les zones les plus fragilisées. Les TPR ont développé leur réseau en rencontrant tous les acteurs publics et privés de leur territoire, ainsi que les initiatives citoyennes. « Ce travail a permis de nouer des partenariats pour resserrer les mailles de l’accompagnement et recréer un tissu social soutenant, explique Stéphanie Gribomont. Puis nous ajustons les actions aux besoins qui émergent au fil des rencontres ».
Enfiler des lunettes monoparentalité
Les familles monoparentales expriment notamment un fort besoin de reconnaissance dans leur rôle et leur situation de parent solo. Ce besoin inclut la prise en compte de leur double casquette identitaire : à la fois en tant que mère, mais aussi en tant que femme.
« Très souvent, les mamans rapportent un manque de considération de la part de leurs interlocuteurs face aux difficultés inhérentes à leur situation. Elles observent que les travailleurs·euses sociaux·ales sont parfois peu sensibilisé·e·s à la problématique et manquent donc de point d’attention lors des contacts individuels et de capacité à enfiler les « lunettes monoparentalité » », décrit le Centre d’Appui dans son rapport annuel 2023, qu’Education Santé a pu consulter.
Ces femmes souhaitent aussi « sensibiliser le grand public à la réalité d’être parent solo. Leur souhait n’est pas d’être considéré comme des super héroïnes mais bien que leur message soit entendu afin de pouvoir continuer à exercer leur rôle de parent de manière digne et respectueuse du bien-être de leur enfant », précise le document.
Un cumul de vulnérabilités
Le besoin de répit et d’étayage figure en tête de liste. « Un nombre important de mamans rencontrées lors des groupes de parole et des permanences juridiques ont connu à un moment dans leur vie un épisode de violences : soit physiques, psychologiques, économiques, institutionnelles » précise Stéphanie Gribomont. Les violences institutionnelles peuvent aller de l’injustice, au déni de droits ou au manque d’accompagnement.
Dans une interview publiée par Education Santé en février dernier1, la chercheuse Sophie Thunus insistait elle aussi sur le cumul de vulnérabilités qui rime avec monoparentalité. « Il existe très peu d’espace de répit en raison de l’organisation des dispositifs d’accueil de la petite enfance, qui sont largement insuffisants, surtout si une maman solo souhaite exercer une activité professionnelle à temps plein » souligne Stéphanie Gribomont.
Une des missions du dispositif Relais Familles Mono est d’assurer une mission d’observatoire social de la problématique de la monoparentalité. Deux sociologues (qui font partie de l’équipe du centre d’appui) travaillent sur ces questions, à partir des récits d’une quarantaine de parents solos, et projettent de publier un rapport de recherche à l’automne. Ce travail est alimenté des retours des TPR, du juriste via ses permanences juridiques, d’analyses et de recherches…
Un goûter pour briser la glace
Au printemps 2023, les 19 TPR ont démarré les actions à destination des familles monoparentales. La première activité collective organisée a joué une fonction d’accroche vers le public cible : promotionner l’organisation d’un goûter devant les écoles en donnant rendez-vous dans un local du service social, ou chez des partenaires. De là, quelques familles ont fait connaissance et exprimé des besoins et des envies.
A Waremme, le groupe de mamans solo a ainsi créé un groupe de parole et un atelier bien-être. Dix à quinze familles se regroupent désormais régulièrement. « On fait quelque chose de nouveau, on ne catalogue pas les familles, nos interventions permettent de mobiliser les ressources des personnes, et cela décuple leurs énergies. Elles mettent en musique des projets elles-mêmes, organisent des sorties. Elles se sont vraiment approprié le projet et elles vont de l’avant », constate Lidvine Sacré.
Les TPR se coordonnent de manière transversale au niveau provincial, et se réunissent une fois par mois au niveau de la Wallonie avec le Centre d’Appui. L’année 2023 a permis de réaliser 328 actions avec des parents solo dans toute la Wallonie. Une majeure partie d’entre elles a eu lieu dans les provinces de Liège et du Hainaut, qui sont les zones le plus densément couvertes par les Relais Familles Mono.
« C’est au regard des nombreux besoins que se construisent petit à petit les activités et espaces pour les familles. L’idée n’étant pas que chaque action réponde à l’ensemble des besoins mais que ce soit l’articulation et l’équilibre des propositions qui permettent aux parents solo d’améliorer l’accès à leurs droits et à une vie plus digne »
Stéphanie Gribomont, la coordinatrice du Centre d’Appui.
Du collectif à l’individuel, un travail de fond
Les agendas sont bien fournis avec trois à quatre événements par semaine. Ils sont très diversifiés : du petit déjeuner, à la randonnée, en passant par les ateliers de plomberie ou d’électricité pour gérer les petits travaux chez soi. Les TPR organisent aussi des informations sur les soins de santé moins chers ou sur les droits liés au statut BIM. Ils rebondissent sur les sujets d’actualité pour décrypter le résultat des élections. Des après-midis peuvent aussi être consacrés à des ateliers thématiques. Le dernier sensibilisait aux usages du numérique par les ados et mettait en garde contre le phénomène du grooming – la manipulation sexuelle d’un mineur par un adulte, qui peut se faire en ligne ou en réalité.
Pour les activités en soirée et le week-end, des gardes d’enfants sont organisées quand cela est possible parallèlement aux activités, ce qui offre un vrai moment de répit aux parents.
Le Centre d’appui dépêche son juriste pour assurer des permanences juridiques, parfois dans les locaux d’asbl partenaires. « Mon ex-partenaire ne me verse pas la pension alimentaire ! », « Qui a le droit de visite ? » Vous avez des questions sur votre situation familiale (garde d’enfants, hébergement, autorité parentale, contribution alimentaire, séparation,…) ? « Notre juriste peut vous aider à y voir plus clair ! Dans un langage clair et familier, il prend le temps de vous orienter sur vos droits et recours possibles. Une travailleuse point-relais est également présente pour vous accueillir, l’occasion d’en savoir plus sur le projet Relais Familles Mono », indique l’annonce.
Progressivement le projet percole. Les perspectives ne manquent pas. Le Centre d’Appui envisage de poursuivre les démarches d’accompagnement de groupes formés et faire émerger de nouveaux collectifs de parents solo sur les territoires, notamment de groupes de papas solo, dans les provinces du Brabant-Wallon et du Luxembourg. D’ici la fin de l’année, le Centre d’Appui organisera une journée dédiée aux familles monoparentales pour aller au-delà du social-santé. Encore à l’état d’ébauche, cette journée réunirait les acteurs de manière plus large : santé, justice, police, action sociale, petite enfance, éducation.
Si les besoins sont bien réels, l’incertitude plane tout de même pour la suite. Le projet, d’une durée de trois ans, s’achève en mai 2025 – et il n’est pas certain que la future majorité choisisse de le rééditer.
Le site web FamilleMono.be informe les familles monoparentales sur leurs droits et les aides disponibles.
Liste des 19 « Relais Familles Mono » en Wallonie.
Province de Liège (6)
- Centre Liégeois de Service Social (Rue Cheveaufosse, 72 à 4000 Liège)
- Aide aux Personnes Déplacées asbl (Rue Jean d’Outremeuse, 93, 4020 Liège)
- CSS de Partenamut Liège (Rue de Natalis, 47, 4020 Liège)
- CSS de la Mutualité Chrétienne de Waremme (Rue Joseph Wauters, 21 4300 Waremme)
- CSS Solidaris Province de Liège (Rue Douffet, 36 4000 Liège)
- CSS de la MC Verviers (Rue Lucien Defays, 77 4800 Verviers)
Province du Hainaut (6)
- CSS de Partenamut Mons (Boulevard Saintclette, 73-75 7000 Mons)
- CSS des Mutualités Libres Hainaut-Namur (Boulevard Mairaux 3, 7100 La Louvière)
- CSS Partenamut Tournai (Quai Andreï Sakharov 2, 7500 Tournai)
- CSS MC Mouscron (Rue Saint-Joseph 8, 7700 Mouscron
- les CSS Solidaris Charleroi-Centre-Soignies (Avenue des Alliés, 2, 6000 Charleroi) et CSS Solidaris Mons-Wallonie picarde (Rue du Fort 48, 7800 Ath)
Province de Namur (3)
- Centre de Service Social de Namur (Rue Rupplémont, 20, 5000 Namur)
- CSS Solidaris Province de Namur (Chaussée de Waterloo, 182, 5002 Saint Servais)
- CSS MC Philippeville (Rue de l’Arsenal 7 5600 Philippeville)
Province du Brabant wallon (2)
- CSS Solidaris Brabant Wallon (Chaussée de Mons, 228, 1480 Tubize)
- CSS ML Brabant Wallon (Avenue des Déportés, 31 – 1300 Wavre)
Province du Luxembourg (2)
- CSS Solidaris Luxembourg (Place de la mutualité, 1, 6870 Saint Hubert)
- CSS MC Arlon (Rue de la Moselle, 7-9, 6700 Arlon)