S’il fallait vraiment se justifier, on pourrait invoquer le fait que la santé est la première préoccupation des citoyens belges, ou encore que 25% de la population à Bruxelles a le sentiment de ne pas être en bonne santé et que ce chiffre est plus important dans la capitale que dans les grandes villes de Flandre ou de Wallonie. Autre motif de préoccupation: depuis 15 ans les inégalités sociales de santé ne font qu’augmenter malgré l’accroissement important des budgets de soins de santé…
Approche globale
Le concept de santé a beaucoup évolué au cours des dernières décennies: on s’accorde pour dire, et pour chacun de nous de percevoir, que la santé n’est pas que l’absence de maladie, on a aussi retenu la définition globalisante de l’OMS qui, évoquant «un état de complet bien-être» n’aide sans doute pas à opérationnaliser les choses mais a permis de glisser d’abord vers une approche plus globale des individus et ensuite vers l’idée de la qualité de la vie et de l’environnement.
Cette évolution du concept s’est faite parallèlement au développement de notre société; les représentations, les attentes, les besoins de la population par rapport à la santé se sont eux aussi modifiés, souvent amplifiés à la faveur du mythe de la toute-puissance médicale et du consumérisme ambiant.
Dans les années 70 et 80, on découvre que la santé a un coût et que les dépenses du système de soins de santé doivent être maîtrisées, que les incapacités pour raison de santé ont un impact sur le travail et vice versa, que l’économie peut être génératrice de dégradation environnementale, etc. La santé n’est plus protégée par son aura, elle est au cœur du modèle social et économique.
Dans cette même période, on a vu apparaître plusieurs résolutions internationales, qui ont leurs déclinaisons nationales et locales. Du côté environnemental: le sommet de la terre à Rio, la charte d’Aalborg et le lancement des agenda 21, et, du côté santé, la charte d’Ottawa et les stratégies de promotion de la santé. Leurs recommandations vont vers des approches globales, la mobilisation des divers secteurs de la société, la participation communautaire.
L’effet est qu’on va se décaler du « santé = soins » – qui reste culturellement très prégnant et donc très déterminant de la manière dont se pense et se déploie la politique de santé – pour se préoccuper de ce qui fait santé .
On est bien là au cœur de l’écologie politique et d’un modèle de société articulant le rapport entre équité sociale, respect et entretien de l’environnement et qualité du développement, soit le triangle de base du développement durable, dont l’actualité des catastrophes écologiques nous montre chaque jour la pertinence.
Dans le champ de la santé, la connaissance épidémiologique (via observatoires, enquêtes, etc.) et systémique (via l’apport des sciences humaines) des facteurs qui font vraiment santé est de plus en plus fine: les facteurs sociaux et éducatifs, le conditionnement majeur par le contexte environnemental est largement démontré comme déterminant.
Facteur de développement à Bruxelles aussi
À l’inverse, la santé est un facteur essentiel de développement social, économique, environnemental, bref de développement durable. On peut dès lors dresser un cadre à notre réflexion prospective d’une politique de santé à Bruxelles.
Compte tenu de ce qui précède, poser la question de la santé au niveau d’une ville-région comme Bruxelles implique de prendre en compte que l’état de santé de la population bruxelloise sera le résultat aux trois quarts de ses habitudes de vie, du contexte environnemental qu’elle produira et qu’on lui offrira, et de l’environnement sociopolitique dans lequel elle évoluera.
Une première conséquence : dans cette perspective, les acteurs ne sont plus les acteurs attendus. Les professionnels de la santé sont pertinents mais insuffisants; les acteurs du logement, de l’aménagement du territoire, de l’emploi, de la culture sont autant d’experts de santé qui s’ignorent d’ailleurs encore trop souvent. Et pourtant leur impact sur la santé est déterminant.
Une seconde conséquence : cloisonnement et enchevêtrement des compétences ne riment pas avec efficacité et interaction. Cette perception est générale, tant du côté des usagers que des professionnels. Il doit l’être aussi du côté du monde politique puisque tous les accords de majorité régionaux et communautaires sont empreints de préoccupations de cohérence, de coordination, d’intersectorialité.
Certains dispositifs sont chargés de porter pour partie cette dynamique. Citons-en deux: la mise en place de la ‘conférence interministérielle social et santé’, qui croise avec les divers secteurs concernés (mais pas encore entre eux) deux objectifs prioritaires pour la Région, le boom démographique et la fracture sociale; le décret ambulatoire, qui harmonise les secteurs social et santé, sans pour autant les articuler. Des outils sont donc à valoriser, d’autres à créer, et un fil rouge à leur donner.
Troisième conséquence : la réalité déterminante n’est pas la maladie mais le cadre de vie. Pour Bruxelles comme beaucoup de grandes villes ce sont des populations diversifiées socialement et culturellement, dans des bassins de vie qui structurent vie familiale, économique, culturelle et favorisent des dynamiques de réseau. Ces territoires de vie qui ne se superposent pas aux découpages administratifs, ils offrent aussi des opportunités d’organiser autrement les compétences, de trouver des transversalités nouvelles, des formes de mutualisation, des explorations de boucle courte face à la situation institutionnelle bruxelloise.
Pour garder le sens et les finalités au centre de nos réflexions: notre projet d’écologie politique n’est pas de construire des beaux dispositifs. Parler santé, c’est parler des gens et de leur qualité de vie. Las, il ne suffit pas d’en parler pour que leur état de santé s’améliore (encore que!).
Développer une politique c’est aussi mettre en place des moyens adéquats – avec la participation des citoyens d’ailleurs – pour répondre utilement et durablement aux questions de santé: on pointera les inégalités sociales et de qualité de la vie, on retiendra par exemple les agressions environnementales urbaines et leur impact sur la santé des populations bruxelloises.
Aujourd’hui, cette réponse implique un changement de paradigme, celui qui lie santé et développement durable par des stratégies adaptées, notamment dans le cadre du Plan régional de développement durable actuellement en discussion à Bruxelles. Cela nécessitera également d’accepter de se décaler du modèle médico-centré, tant pour des raisons idéologiques que pour des raisons d’adéquation.
Si la question sociale est démontrée comme étant une cause importante de morbidité, arrêtons de donner des tranquillisants aux chômeurs, arrêtons de payer des antiulcéreux aux conducteurs de tram, et des aérosols aux enfants qui vivent près du ‘ring’.
C’est presque du bon sens, direz-vous, mais, croyez-moi, c’est un vrai projet politique !Jacques Morel , parlementaire bruxellois et médecin
D’après le texte de son intervention lors de la journée d’études organisée le 31 mai 2011 par le groupe Écolo au Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale