On le sait, la consommation excessive d’alcool mène à des drames, tout particulièrement chez les jeunes, certainement plus inconscients lorsqu’il s’agit de reprendre la voiture, et moins conscients de leur état réel après quelques verres. L’enquête de l’Unité PROMES sur la santé des jeunes a mis en évidence une augmentation de la consommation excessive. Mais, précisent les responsables d’Univers Santé, asbl liée à l’UCL qui se charge de la prévention chez les jeunes, cette enquête a été réalisée avant l’avènement des alcoopops, qui pourraient encore accentuer le problème!
Les grands enseignements de l’enquête sur la santé des jeunes sont d’ordres très différents. Tout d’abord, il est intéressant de noter que parallèlement à une diminution de la consommation occasionnelle et une stagnation de la consommation régulière, les épisodes d’ivresse, pour leur part, enregistrent une augmentation. Or, tient à préciser Florence Vanderstichelen , directrice d’Univers Santé, « chaque ivresse est problématique , vu le risque d’accident de la route , de relations sexuelles à risque voulues ou non , mais aussi de violence .»
Aussi, l’association vise-t-elle à travailler à la «dénormalisation» de cette consommation excessive. « Il n’est pas opportun de prôner la prohibition , l’interdiction totale , mais nous voulons insister sur le fait qu’il y a une consommation modérée , socialement admise , qui est sans risque , à l’encontre du message de plus en plus communiqué vers les jeunes par les producteurs », renchérit Martin de Duve , chargé de mission à Univers Santé. Le bien boire, d’accord, la soûlerie, non…
Stratégies marketing efficaces
Si ces deux spécialistes considèrent que l’arsenal juridique est suffisant, bien que flou, force est de constater que les producteurs profitent de ce flou pour mettre en place des stratégies de marketing qui frisent l’illégalité. « Tout d’abord , une nouvelle donne vient s’ajouter aux alcools , celle des alcoopops , ces produits plus sucrés , entre la limonade et l’alcool , qui visent à rajeunir et féminiser la clientèle . Il n’est pas encore possible de savoir quelles vont en être les conséquences sur la santé publique : cette tentative d’initier les plus jeunes à l’alcool leur fait – il courir davantage de risque de devenir alcoolo – dépendants ? Puisqu’il est prouvé scientifiquement que plus l’alcool est régulièrement consommé à un jeune âge , plus ce risque d’alcoolo – dépendance est augmenté à l’âge adulte … Ce qui est interpellant , c’est que ces boissons sont parfois vendues dans les rayons des limonades et qu’ainsi , certains jeunes qui les consomment ignorent qu’elles contiennent de l’alcool . Une confusion flagrante est donc entretenue . Par ailleurs , le produit , par sa présentation , son goût ou son prix , est attirant et banalise la consommation d’alcool .
Une autre technique de marketing est le sponsoring d’événements culturels , sportifs et autres fréquentés ou organisés par des jeunes . Certains producteurs vont jusqu’à organiser des soirées où la boisson alcoolisée qui sponsorise l’événement est vendue à un prix dérisoire , moins d’un euro . C’est inciter ces jeunes à se saoûler ! Et puis il y a les campagnes plus insidieuses , comme celle qui consiste à affirmer qu’une consommation modérée d’alcool est bonne pour la santé . Basée sur certaines études scientifiques , elle n’en est pas moins une désinformation puisqu’il n’est pas précisé qu’il s’agit d’une consommation régulière à petites doses , et que le moindre excès annule ces éventuels bénéfices » s’insurge Martin de Duve.
Initiation en famille: dépassée?
Les responsables d’Univers Santé, on l’a compris, prônent une consommation réfléchie d’alcool. Et ils se félicitent de constater que l’enquête montre que la motivation des jeunes pour y goûter est essentiellement positive: « Ils y voient le côté social , festif . Peu disent consommer de l’alcool pour combattre un malaise ou le stress . Cela doit nous influencer pour nos stratégies de prévention », explique Florence Vanderstichelen.
Mais ce qui inquiète Martin de Duve, ce sont les circonstances de la découverte de l’alcool de nos jours. Il y a une dizaine d’années encore, le premier contact avec l’alcool avait lieu généralement en famille: « Les jeunes étaient autorisés à goûter à l’alcool au cours d’une fête , dans des circonstances familiales le plus souvent . Cet apprentissage était plus cadré . Mais aujourd’hui , cette banalisation et cette normalisation de la consommation d’alcool mènent à un apprentissage beaucoup plus anarchique , sans repères . Ce qui est inquiétant vu que les consommateurs sont de plus en plus jeunes …»
Et même quand la consommation devient problématique, c’est-à-dire lorsque le jeune cherche l’ivresse, qu’il consomme pour des raisons négatives, sans repères – notamment lorsqu’il consomme de l’alcool à tout moment de la journée –, qu’il boit seul, excessivement et s’isole, il ne se ressent pas en problème avec l’alcool, même lorsqu’il est pré-alcoolique.
On le comprendra, le travail, d’après ces deux spécialistes, doit reposer sur l’éducation et l’information, afin de cesser d’entendre qu’il est normal d’avoir la gueule de bois, ou de boire excessivement parce que cela fait partie de la vie estudiantine…
Heureusement, comme ils le soulignent, une volonté politique de se pencher sur cette problématique existe, tant au niveau fédéral que communautaire, même si la prévention de la consommation excessive d’alcool chez les jeunes reste un parent pauvre des subsides…
Pour sa part, Univers Santé a initié la création d’un réseau pour penser une politique cohérente en la matière. « Nous allons observer le comportement des jeunes , mais aussi les techniques de marketing utilisées par les producteurs , éduquer les jeunes , interpeller les politiques sur les actions possibles , rassembler et évaluer les outils de sensibilisation et d’information existants , les faire connaître et éventuellement en créer de nouveaux . Ce réseau est constitué d’associations de tous horizons , actives en santé , en assuétudes , dans la famille , et bien sûr dans le milieu jeune ( 1 ). Chacune peut apporter son expertise et son expérience pour donner une cohérence à nos actions . Et déjà un consensus s’est dégagé : ne pas diaboliser la consommation d’alcool chez les jeunes , mais ne pas non plus la banaliser , éduquer , travailler à la promotion d’une consommation responsable et diminuer les risques liés à une consommation problématique », explique Florence Vanderstichelen.
Ce réseau est encore tout frais et travaille sur fonds propres, mais ce dynamisme et cette motivation pourraient se voir encouragés par des subsides pour mener à bien ce travail de titan contre un lobby très puissant…
Pour plus d’informations concernant le Réseau «Les jeunes et l’alcool»: jeunes-alcool@univers-sante.ucl.ac.be
Carine Maillard
Référence: D. Piette, F. Parent, Y. Coppieters, D. Favresse, C. Bazelmans, L. Kohn, P. de Smet, La santé et le bien-être des jeunes d’âge scolaire. Quoi de neuf depuis 1994?, ULB PROMES, décembre 2003. Le document est accessible sur le site http://www.ulb.ac.be/esp/promes .
(1) La Fédération des Centres de Jeunes en Milieu Populaire, la Fédération des Etudiant(e)s francophones, Infor-Drogues, Jeunesse et Santé pour le Conseil de la Jeunesse catholique, la Ligue des Familles, la Mutualité Socialiste, Prospective Jeunesse, le Groupe RAPID et Univers Santé.