Mars 2008 Par Christian DE BOCK Initiatives

«Pour arrêter la drogue, il suffit de vouloir», «Le cannabis n’est pas dangereux car il n’entraîne pas de dépendance», «L’alcool, c’est bon contre le stress»…
Alors, vrai ou faux? Et est-il important de connaître la réponse adéquate? De s’informer sur les drogues, d’en parler? L’asbl information sur les Drogues et l’Alcool (iDA) en est persuadée. Car chacun peut à un moment de sa vie être confronté aux conséquences négatives de la consommation d’alcool ou d’autres drogues.

iDA asbl est le fruit de la collaboration entre les fédérations des secteurs spécialisés dans le domaine des dépendances: la VAD flamande (Vereniging voor Alcohol en Drugsproblemen vzw), et les Fédérations des institutions pour Toxicomanes (FEDITO) wallonne et bruxelloise.
Le 29 janvier dernier, iDA a démarré la campagne multimédia «Alcool et autres drogues: le vrai et le faux» sur l’ensemble du pays. Cette campagne, soutenue par la Ministre fédérale de la santé publique Laurette Onkelinx , est une première en Belgique.
Le lieu de lancement était particulièrement bien choisi, puisqu’il s’agissait du ‘Wiels’, les anciennes brasseries Wielemans-Ceuppens, situées près de la Gare du Midi à Bruxelles, reconverties depuis quelques mois en centre d’art contemporain, et dont la rénovation est quasi terminée.

Alcool et autres drogues

Le point de départ de cette action est on ne peut plus simple. L’alcool et les autres drogues sont une réalité que l’on ne peut plus occulter dans notre société: nous vivons dans une drug taking society . Par ailleurs, consommer de l’alcool ou d’autres drogues génère certains risques pour la santé et le bien-être des personnes, risque qu’il importe de gérer avec bon sens et intelligence.

Le problème numéro 1: l’alcool

On estime que la Belgique compte 500.000 personnes ayant une consommation d’alcool problématique. Il faut y ajouter 180.000 enfants et 300.000 proches de personnes alcooliques, qui sont confrontés aux conséquences de l’abus d’alcool (violence familiale, problèmes relationnels…). Sur les lieux de travail, sur la route, les conséquences de la consommation d’alcool se font aussi ressentir. Le Dr. Frieda Matthys , présidente de la VAD l’explique: « Chez les jeunes aussi , la consommation abusive d’alcool constitue une préoccupation vu certains comportements à risque comme le bingedrinking et le jeune âge du début de consommation . Car plus l’âge du début de consommation est précoce , plus les risques de voir se développer une consommation nocive pour la santé sont élevés » ( 1 ).
Les coûts annuels liés à la consommation d’alcool en Belgique sont estimés entre 4,5 et 6 milliards d’euros.

Le Fonds fédéral de lutte contre les assuétudes

Les problèmes liés à l’alcool et aux drogues illégales constituent avant tout une question de santé publique même s’ils sont souvent considérés par le public et les médias comme un enjeu de sécurité et de criminalité. Pour bien appréhender ces enjeux de santé, le précédent Ministre fédéral des affaires sociales et de la santé publique a mis en place fin 2006 le Fonds de lutte contre les assuétudes, qui finance à hauteur de 5 millions d’euros par an des projets et des campagnes liés aux drogues et aux dépendances.
Ce fonds est destiné à soutenir les actions visant à:
– informer des dangers liés à la consommation et l’accoutumance aux produits pouvant engendrer une assuétude;
– réduire la consommation de ces produits;
– réduire les risques liés à l’usage;
– favoriser la compréhension et le respect de la réglementation relative aux produits pouvant engendrer une assuétude;
– favoriser l’accueil ainsi que l’accompagnement médical, psychologique et social des usagers.
Dans ce budget, deux millions sont prévus annuellement pour des projets et une campagne d’information sur le tabac.
Les trois millions restants sont alloués à des projets et une campagne d’information en lien avec l’alcool et les autres drogues.
Cette première campagne fédérale bénéficie d’un budget appréciable (1 million). Les Communautés et les Régions ont été informées de sa mise en place et de son contenu via la Cellule Politique de Santé Drogues.

Les drogues illégales: un enjeu complexe

En comparaison avec l’alcool, peu de personnes consomment des drogues illégales. Notamment à cause de l’illégalité de ces produits, les problèmes liés à leur consommation sont plus complexes.
Le cannabis est la drogue illégale la plus consommée, en particulier chez les jeunes, un groupe sensible dans ce domaine. Les jeunes se cherchent encore, explorent et testent leurs limites. Plus l’âge de consommation de cannabis est précoce, plus la probabilité de dépendance est élevée à terme.
Les drogues de synthèse (ecstasy, speed) exposent à des risques spécifiques liés à l’utilisation de ces stimulants dans des contextes propices (boîtes de nuit) à générer une surchauffe et la déshydratation. Leur composition est en outre assez aléatoire.

Réflexion, discussion, information et aide

Comme tout le monde est concerné, au moins indirectement, à un niveau ou l’autre, iDA se fixe trois objectifs:
-susciter la réflexion sur l’usage et le mauvais usage d’alcool et d’autres drogues;
-faciliter la discussion sur ces sujets;
-faire connaître les possibilités pour obtenir de l’information sur les drogues ou un soutien adapté.

Campagne nationale pour tous, grand public et professionnels

«Alcool et autres drogues. Le vrai et le faux» veut faciliter une réflexion sur les consommations d’alcool et d’autres drogues. Un volet de la campagne s’adresse au grand public, un autre aux professionnels pour lesquels des supports liés au thème de la campagne ont été réalisés.
Il s’agit, avec un ton légèrement décalé et interpellant, de rétablir «la vérité» au sujet de certaines idées reçues tenaces à propos de l’alcool et d’autres drogues.
Cette information a été largement diffusée en février au moyen d’affiches dans les rues, de spots TV, d’encarts dans les quotidiens et de cartes postales dans les établissements Horeca. Une dizaine de «vraies fausses» idées différentes ont été largement diffusées. Elles abordent les différents produits et s’adressent à tous les publics via la presse quotidienne, la télévision (sur les chaînes privées et publiques, flamandes et francophones), par affichage (550 points), et via des cartes Boomerang (235.000 cartes postales dans 1240 points de diffusion).
Pour les professionnels, d’autres supports sont mis à disposition gratuitement. C’est le second volet de la campagne, qui sera plus discret, mais tout à fait essentiel car tous ces acteurs de terrain ont un rôle irremplaçable de relais et de levier à jouer.
Il s’agit d’abord d’affiches A3, faciles à mettre sur le mur d’un local de réunion, d’un cabinet médical… Quatre affiches sont disponibles (voir les illustrations de cet article).
Une brochure didactique «Alcool et autres drogues: le vrai et le faux» avec une vingtaine de vraies fausses idées est également disponible, qui peut être utilisée comme support pour entamer une conversation ou être laissée dans un local.
Il y a aussi la brochure «Drogues, assuétudes, quelle prévention?» avec un répertoire des acteurs en prévention, et des petites brochures d’information destinées spécifiquement aux usagers, qui détaillent les risques liés aux consommations de produits et le moyen de les réduire.
Enfin, une plate-forme interactive web pour professionnels sera créée. Elle permettra d’obtenir des informations sur les services et les formations, et contiendra une rubrique d’actualités.

A partir d’une perspective de santé

L’alcool est légal. Le cannabis, la cocaïne et encore d’autres drogues sont illégales. « Mais peu importe ces statuts juridiques différents , tous ces produits peuvent être mal utilisés et avoir des effets préjudiciables pour la santé » selon Frieda Matthys.
Pour Ludovic Henrard , directeur de la FEDITO bruxelloise, « les mécanismes qui mènent à la dépendance sont largement comparables , quelle que soit la drogue ». Depuis une perspective de santé, le statut juridique des produits importe peu et une approche commune des dépendances et des produits est appropriée.
Il ajoute: « Au préalable , rappelons que changer les comportements des personnes est un travail d’éducation permanent et à long terme . L’action que nous lançons joue un rôle positif mais d’autres acteurs sont tout autant essentiels pour influencer les comportements .
Je pense notamment aux parents , aux professeurs et aux professionnels de la santé qui peuvent agir , sensibiliser et éduquer au quotidien . Quand on réalise un premier exercice comme celui ci , il faut donc rester modeste dans ses objectifs et considérer cette action comme une base sur laquelle des actions plus ciblées se construiront .
Cette mise sur le même pied des drogues légales et illégales étonnera certains . Il y a encore une grande divergence entre la réalité des consommations et la perception qu’en a le public . Les drogues illégales , malgré leur consommation relativement restreinte et un impact limité en termes de santé publique , provoquent une grande inquiétude .
D’un autre côté, la consommation d’alcool reste sous-estimée et même, souvent, valorisée socialement. Nous avons beau être passés de l’époque du «petit dernier pour la route» à «C’est la fête quand Bob conduit», ce dernier slogan si populaire est révélateur du rôle de lubrifiant que joue l’alcool dans notre société.
Notre premier objectif est de fournir une information crédible sur les drogues, les dépendances et les risques liés aux consommations de produits psycho-actifs. Nous présentons l’information de manière adaptée, sans tabou, sans vouloir faire peur, mais de manière à susciter la réflexion.
On est parti du constat de ces perceptions tronquées et de ces mythes tenaces dans le domaine des drogues. L’idée a été de diffuser par différents canaux certaines idées très répandues dans l’opinion publique, comme par exemple «l’alcool ce n’est pas de la drogue» ou encore «le cannabis n’est pas dangereux car il n’entraîne pas de dépendance»…
Après ces mythes viennent les ‘vraies’ réponses, qui permettent à chacun d’en savoir un peu plus. Nous voulons casser les mythes pour arriver à une approche plus nuancée, plus proche de la réalité de ces phénomènes complexes.
Le dialogue a des effets bénéfiques. Parler de ses problèmes de consommation, de la dépendance, et ce dans un climat serein, c’est un premier pas, une prise de conscience indispensable avant de modifier son comportement.
Certaines situations nécessitent l’aide de professionnels. Les sites web et les lignes téléphoniques d’Infor-Drogues et de Druglijn sont clairement indiqués sur tous les supports utilisés. Pour ceux qui entameront une recherche via le web ou contacteront les permanences téléphoniques, le service le plus proche adapté à la demande est renseigné».

Avec le soutien du Fonds de lutte contre les assuétudes

Le Fonds de lutte contre les assuétudes a été mis en place voici quelques mois (voir encadré). « Nous soutenons avec ce fonds les projets visant à informer , à réduire la consommation de produits psychoactifs , la réduction des risques , à favoriser la compréhension et le respect de la réglementation relative aux produits ou à favoriser l’accueil et l’accompagnement médical , psychologique et social des usagers » explique Laurette Onkelinx.
C’est dans ce contexte qu’il a été demandé aux trois fédérations sectorielles actives dans la thématique des drogues de constituer une asbl coupole pour organiser annuellement une campagne nationale d’information. iDA asbl, information sur les drogues et l’alcool, qui réunit la VAD et les FEDITO bruxelloise et wallonne était née.
Les responsables de ces fédérations se connaissent de longue date et ont déjà travaillé ensemble de façon ponctuelle dans le passé. Ils avaient notamment rédigé ensemble le “mémorandum pour une politique drogues cohérente” en prévision des dernières élections législatives (2).
Cette demande d’organiser une campagne nationale offre une opportunité de renforcer cette collaboration entre communautés. Par les temps qui courent, cela mérite d’être souligné.
Avec cette nouvelle asbl, la prévention alcool – drogues dispose de moyens importants pour organiser une campagne nationale; il est possible de relier l’expertise existante dans les entités fédérées et d’utiliser les réseaux, canaux de communication et plates-formes de concertation existants.

En collaboration avec de nombreuses organisations

Autre atout, via les fédérations qui la composent, iDA s’intègre dans un large réseau de professionnels qui peuvent soutenir la campagne et l’intégrer dans leurs pratiques. Dans ce type de projets qui sont une étape dans le processus complexe d’évolution des comportements, la collaboration et la coordination sont importants. Près de 14.300 professionnels (médecins, éducateurs, travailleurs en prévention…) ont la possibilité de commander gratuitement le matériel créé à leur attention.

Druglijn et Infor-Drogues comme points de contact et d’aide

Les lignes d’Infor-Drogues (02 227 52 52) et De Druglijn (078 15 10 20) jouent un rôle central dans cette campagne. Ces deux lignes téléphoniques ont une grande expérience dans le domaine de l’information au public. Elles ont aussi l’expertise nécessaire pour orienter de façon adaptée les demandes d’aide et de soutien.

Evaluation

Pour terminer, une évaluation universitaire complète et indépendante est programmée. Elle sera menée par l’Unité « Promotion éducation santé » de l’ULB, et l’Universitair wetenschappelijk Instituut voor Drugproblemen (Anvers).
Cette évaluation aura pour objectifs de mesurer les impacts quantitatifs et qualitatifs de la campagne sur base des objectifs fixés et fournira des pistes pour orienter les messages et les publics dans le futur.
Toujours à propos d’évaluation, subjective celle-là, la nôtre est vraiment positive. Nous avons ici une initiative avec un budget sérieux, un message construit au départ de l’expertise incontestable d’un secteur, une invitation au dialogue, une approche commune entre Flamands et francophones d’un problème de santé publique qu’ils partagent, un ton sobre qui nous épargne la vulgarité ou le catastrophisme auxquels le sujet donne souvent lieu quand les médias de masse s’en mêlent, n’en jetez plus la coupe est pleine!
Christian De Bock , d’après le dossier de presse de la campagne
iDA vzw – asbl, rue Vanderlinden 15, 1030 Bruxelles. Tél.: 02 423 03 33. Courriel: info@ida-web.be. Internet: http://www.druglijn.be et http://www.infordrogues.be

(1) Voir l’article ‘La consommation d’alcool en milieu étudiant’ de Colette Barbier dans ce numéro.
(2) Voir Vanhex M.,Van Russelt J., Zombek S., Pour une politique de santé ‘drogues’ cohérente , n° 224, juin 2007.