Arrêter de fumer tue. Arrêter de fumer est tuant.
Heureusement, Thomas Bidegain , candidat à l’arrêt tabagique dispose d’une armure et d’une arme. Elles ont pour nom «dictaphone» et «journal intime», le second découlant de l’utilisation du premier.
C’est que le projet d’arrêt lancé, Thomas Bidegain craint de passer pour un geignard auprès de son entourage. Il se confie bien aux siens par épisodes, comme il est enclin à s’épancher selon des voies toutefois balisées, pour la bonne cause, face au tabacologue, à la diététicienne ou au pneumologue, voire au marabout qu’on trouve parmi ses interlocuteurs. Les entretiens avec les précités permettent à l’auteur de livrer de savoureux commentaires. Ainsi: « Les tabacologues dirigent le monde , leurs femmes sont belles , leurs maris font du sport , on se tait quand ils parlent . Ils sont assis sur le toit du monde . Leurs pieds se balancent .»
Quant à la diététicienne, ses conseils pèsent peu face aux fringales et à l’alcoolisation du candidat à l’arrêt. Qui s’interroge: « Comment savoir quand un repas est terminé s’il ne se clôture pas par l’habituelle cigarette ?»
«Arrêter de fumer tue» couvre quelques mois de la vie d’un fumeur puis d’un ex-fumeur et enfin d’un non-fumeur.
On veillera à ne pas confondre l’ex-fumeur et le non-fumeur. Le distinguo fait germer le projet suivant dans le chef de l’auteur : « Penser à faire fortune en créant dans les restaurants une troisième zone , en plus de la fumeur et de la non – fumeur , la ex – fumeur . Un peu à l’écart , avec des menus minceur , des gants de boxe et des couteaux à bouts ronds .»
Arrêter de fumer n’a heureusement pas tué Thomas Bidegain, sorti vivant de son combat face à la nicotine. L’épreuve a même aiguisé son sens de l’humour. C’est avec beaucoup de verve que le futur ex-fumeur évoque ses combats avec les emballages des chewing-gums à la nicotine (double couche de plastique et d’alu), son recours aux antidépresseurs, et surtout son questionnement permanent (« Ce serait quoi le bon moment ? Le jour où d’un coup on se réveille sans avoir envie de fumer ? Le jour où le praticien ordonne l’arrêt immédiat ? Je navigue quelque part entre les deux »).
Il y a même des sursauts de coquetterie chez cet homme-là, qui s’observe et se trouve élégant fumant, cigarette tenue au bout des doigts, entre le pouce et l’index, entre le majeur et l’annulaire sans parler de toutes les variations autour de l’expulsion de la fumée.
L’humour n’empêche pas qu’apparaissent au fil des pages des interrogations partagées par tous ceux qui tentent d’arrêter de fumer et par les professionnels de l’aide à l’arrêt: comment renforcer sa motivation? Quelle méthode d’arrêt choisir? Arrêter progressivement ou d’un coup? Parler de son arrêt à son entourage ou reporter l’annonce?
Parmi les certitudes avancées par l’auteur (il n’y en a pas beaucoup), on trouve celle-ci dans les dernières pages du livre: « Arrêter de fumer peut commencer alors que l’on est toujours fumeur . Toute la différence réside dans la conscience d’allumer une cigarette . Quelque chose dans la routine s’enraie . L’aventure de l’arrêt commence alors .»
Avec «Arrêter de fumer tue», Thomas Bidegain, scénariste de cinéma et de BD, signe son premier opus littéraire. Né d’une expérience somme toute «rock’n roll» qui voit apparaître en renfort au détour des pages Lou Reed, Spartacus ou Clint Eastwood; c’est dire…
Véronique Janzyk
Arrêter de fumer tue, Thomas Bidegain, Editions de La Martinière, 2007, 96 pages