Novembre 2012 Par Gaëtan ABSIL Chantal VANDOORNE Stratégies

Nous avons régulièrement évoqué dans nos pages cette ambitieuse initiative pilotée au niveau fédéral. L’accord politique relatif à la 6e réforme institutionnelle prévoit explicitement son transfert aux entités fédérées. Occasion pour Éducation Santé de partager avec ses lecteurs l’évaluation que l’Université de Liège a faite l’an dernier du PNNS-B. Au delà de l’analyse des avancées et des manquements de ce premier PNNS-B, ce rapport s’offre à une lecture pédagogique. Il illustre les difficultés de concevoir et de mettre en œuvre des objectifs qui reposent sur une multitude de leviers institutionnels, stratégiques et opérationnels. Il propose aussi un certain nombre de pistes, incontournables de la réussite d’un plan en promotion de la santé. Même s’il n’y aura sans doute pas de PNNS 2 dans toute l’acception du terme, il est très intéressant à découvrir. En voici une synthèse.

Contexte

Le premier PNNS a été élaboré en Belgique en 2005 pour couvrir une période quinquennale. Le PNNS-B se base sur les initiatives internationales au niveau de l’Union européenne, sur les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé et en particulier sur la «Stratégie globale de l’OMS pour l’alimentation, l’exercice physique et la santé». Il se donne pour objectif d’améliorer les habitudes alimentaires et d’augmenter le niveau de l’activité physique en vue d’une meilleure santé, afin de réduire nombre de maladies évitables comme les affections cardiovasculaires et leurs facteurs de risque (hypercholestérolémie, hypertension, diabète de type 2 ainsi que certains cancers, etc.). Ses priorités sont fixées à partir des données de l’enquête de consommation menée en 2004 par l’Institut scientifique de santé publique (ISP) et sur les recommandations nutritionnelles énoncées par le Conseil supérieur de la santé.

Objectif de l’évaluation

L’objectif était de réaliser une évaluation à la charnière entre le premier et le deuxième PNNS, dans le cadre d’une négociation du contenu de celui-ci avec les parties prenantes. Il a été décliné en trois questions évaluatives par les équipes de recherche :
– le contenu et l’architecture du plan sont-ils propices à en assurer l’efficacité ?
– quelles sont l’acceptabilité, la pertinence et l’efficacité des modes de gestion du plan tels que réalisés ?
– quelles synergies se sont/pourraient être développées entre le PNNS-B et les plans des entités fédérées ?

Méthode

Les résultats de l’évaluation ont été obtenus par le croisement de trois approches complémentaires prévues par le cahier des charges de l’évaluation :
– l’analyse de contenu d’interviews réalisées auprès des partenaires du plan (25 personnes);
– une comparaison entre les documents présentant le plan belge et les documents présentant 8 plans étrangers;
– une analyse des actions menées dans le cadre du plan en les replaçant dans un cadre logique (objectifs nutritionnels et stratégies).

Ces trois approches ont été combinées afin d’apporter des réponses concrètes aux questions d’évaluation, mais aussi de valider les résultats par triangulation. Seuls ont été retenus les résultats soutenus par une concordance entre les différentes analyses. Pour répondre à la demande présentée dans le cahier des charges, les résultats ont été synthétisés selon la méthode AFOM (Atouts, Faiblesses, Opportunités, Menaces). Les recommandations finales ont été élaborées à partir des suggestions des participants aux interviews, en y apportant l’éclairage de l’ensemble des analyses réalisées dans le cadre de la mission d’évaluation.

Les forces et les faiblesses du PNNS dans un environnement menaçant

Les résultats de cette évaluation s’intéressent à la structure du plan et à ses modes de gestion. Ces produits et processus ne concernent pas l’impact des actions sur la santé de la population (1), ils en constituent néanmoins le socle de l’efficacité et de l’efficience. La structure du plan et ses modes de gestion ont été analysés selon qu’ils induisent un effet opératoire (le plan favorise une transformation du réel) ou un effet mobilisateur (le plan motive les acteurs).

Produits et processus ont été examinés grâce aux critères suivants : la traçabilité et l’histoire du plan, la définition des concepts de référence, la qualité technique du plan, l’animation (ou dynamique de gestion), la pédagogie et l’ergonomie du plan, la vitalité et la créativité du plan.

Malgré ses réalisations et ses succès (allaitement maternel, réduction de la consommation de sel, dénutrition des personnes âgées), l’analyse montre que le plan est coincé entre des logiques devenues antagonistes : d’une part, une recherche d’efficacité, et d’autre part, le maintien d’une coalition d’acteurs mobilisée et motivée.

Soutenu par une équipe motivée et engagée, le PNNS est reconnu comme un lieu de concertation possible entre partenaires, et même comme un lieu de co-construction de normes partagées. Les problématiques qu’il aborde sont de nature à favoriser une mobilisation des acteurs politiques, des acteurs économiques et associatifs ainsi que de la société civile. Il a profité d’un engagement d’une partie du secteur marchand dans la promotion d’une alimentation saine, il a permis de se saisir de lignes d’action ouvertes au niveau européen.

Cependant, le PNNS évolue dans un environnement qui ne lui est pas favorable. Les déterminants des matières que sont l’alimentation et l’activité physique dépassent largement la seule compétence fédérale. De plus, alors que les recommandations internationales insistent pour une approche globale, le PNNS est confronté à un terrain institutionnel fragmenté. Malgré un intérêt récurrent des assemblées politiques (parlement, sénat, conférence interministérielle), le PNNS souffre d’une identité politique incertaine: il est porteur de valeurs et d’orientations nationales mais sa déclinaison opérationnelle est peu soutenue par des mesures législatives; il fait l’objet d’attention du politique mais ne semble pas intégré à un projet sociétal plus global.

Les acquis du PNNS sont fragilisés par un ensemble de faiblesses qui trouvent leur source dans la méthodologie de construction et les modalités d’animation du plan. Absence de cadre de planification en santé publique; animation peu adéquate pour maintenir la mobilisation des partenaires, des professionnels et de la population; manque de perception du projet sociétal sous-jacent sont trois lacunes importantes de ce plan. Pour en renforcer les atouts, des améliorations devraient être apportées au niveau de la construction et de l’animation du plan.

En outre, le déséquilibre entre les forces et les faiblesses internes au PNNS est accentué par un contexte particulièrement menaçant, et qui offre trop peu d’opportunités saisissables. Ou, formulé autrement: dans ce contexte, les opportunités sont rares et l’on doit toujours s’en saisir. Aussi, la gestion du PNNS apparaît-elle comme opportuniste. Un opportunisme à deux visages, qui est à la fois bénéfique car il permet la réalisation d’actions, et dommageable. En effet, il met le plan en danger en accentuant l’aspect désordonné (tel que perçu par les partenaires) de l’animation du plan.

Recommandations principales

Les recommandations tiennent compte des constats reflétés dans les résultats et intègrent les propositions émises par les personnes interviewées. Elles sont réparties en trois sections : Quels fondements poser avant même de débuter le PNNS-B2 ? Comment accroître les effets mobilisateurs et fédérateurs du plan ? Comment lui donner plus de cohérence et en assurer une régulation dynamique ?

Les fondements

Clarifier les enjeux sociétaux et choisir un cadre conceptuel en conséquence

Il s’agit, dans un premier temps, d’élargir les concepts de référence du plan (alimentation, activité physique) afin que les partenaires de différents secteurs et de différentes institutions puissent les relier à leurs propres enjeux. Dans un deuxième temps, il importe de construire une théorie de l’action commune, qui permette à chacun des partenaires de situer les déterminants et facteurs causaux sur lesquels il agira en priorité, en articulation avec le PNNS et en conformité avec ses compétences propres.

Cette clarification devrait aussi être soutenue par une vision politique forte qui mette à l’avant-plan les enjeux portés par la promotion de l’alimentation saine et de l’activité physique et leurs relations avec d’autres enjeux sociétaux, tels que la réduction des inégalités sociales de santé.

Concevoir un cadre politique acceptable et pragmatique

La nécessaire clarification de l’ambigüité entre plan national et plan fédéral devrait amener à concevoir un plan composé d’au moins trois sections, qui correspondent à des logiques de mise en oeuvre différentes :
– une section comprenant les objectifs opérationnels possibles à réaliser dans le cadre des compétences fédérales gérées par le SPF (par exemple, le travail au niveau législatif) et qui comprend l’articulation avec d’autres plans et priorités de santé publique (plan alcool, plan cancer, AFSCA, etc.);
– une section qui recouvre le travail multisectoriel entre les institutions relevant du gouvernement fédéral et des administrations fédérales hors santé publique;
– une section qui contiendrait plutôt une présentation articulée des plans et priorités, voire des actions, de l’autorité fédérale et des entités fédérées, faisant ressortir leurs points communs et leurs spécificités.

Un plan mobilisateur et fédérateur

Définir un organigramme qui valorise la place de chacun dans un ensemble

Une des conditions essentielles d’une adhésion dynamique des parties prenantes et partenaires est la clarification du fonctionnement interne du plan. Il faudrait viser la transparence des mécanismes décisionnels, notamment sur les priorités opérationnelles. Un schéma organisationnel devrait être construit au départ des différentes fonctions utiles à la conception et à la mise en oeuvre du plan, articulations politico-administratives, références scientifiques, représentations des secteurs à mobiliser, compétences techniques spécifiques, etc. La place du secteur privé dans ce cadre organisationnel doit être clarifiée.

Le futur plan devrait accorder plus d’attention à définir et mettre en place un réseau d’alliés (coalition) sur base de démarches méthodologiques adéquates; il s’agit d’y introduire progressivement de plus en plus d’acteurs disposant d’un pouvoir de décision stratégique important pour le déroulement des actions.

Le renforcement de l’équipe du plan est évoqué sous l’angle d’une augmentation des ressources, d’une diversification des compétences et sous l’angle organisationnel. L’externalisation d’une partie de la gestion et de l’animation du plan devrait faire l’objet d’une analyse de pertinence et de faisabilité. Le soin et la continuité à assurer quant à l’animation partenariale (suivi administratif des réunions, valorisation croisée des apports de chacun, relais des questionnements, etc.) font partie des compétences à renforcer.

Enrichir et planifier la communication sociale

La première étape est sans conteste la rédaction d’un document de présentation du plan qui soit ergonomique et pédagogique et en facilite une large diffusion. Au-delà, il importerait de définir un plan de communication sociale afin d’asseoir la visibilité et la notoriété du PNNS auprès de la population et des professionnels. Enfin les partenaires sont demandeurs de partage d’informations et de mutualisation de pratiques. L’ utilisation d’une plate-forme interactive pourrait faciliter la gestion d’informations entre et avec les partenaires du plan. La structure et la gestion du site web devrait être repensée pour faciliter la disponibilité et l’accès de l’information tant à la population qu’aux professionnels.

Un plan acceptable, structuré et efficace

La continuité est un des soucis récurrents des partenaires du plan, qu’il s’agisse de finaliser ou d’amplifier des actions qui n’ont pu être développées avec toute l’intensité souhaitable dans le PNNS-B1 ou d’éviter à l’avenir des ruptures et réorientations liées aux intérêts ponctuels des responsables politico-administratifs.

Par ailleurs, la clé d’un plan plus efficace et plus acceptable semble être l’utilisation d‘un cadre logique de planification en santé publique, qui assurerait la cohérence du plan dans ses différentes facettes et sur la durée. Il serait utilisé depuis une définition collective des objectifs jusqu’à l’évaluation de l’atteinte de ceux-ci, en passant par l’identification et la programmation des priorités opérationnelles et la répartition de celles-ci entre différentes catégories d’acteurs professionnels ou institutionnels. La programmation opérationnelle devrait inclure des méthodes et des critères de qualité pour la gestion du plan, afin de permettre une régulation dynamique de celui-ci.

Absil G., Vandoorne C. et al., Évaluation du Premier Plan Nutrition Santé belge (CCNVGP 2010/01 du SPF Santé publique, Sécurité de la chaîne alimentaire et environnement – 35633 €), Université de Liège, École de Santé Publique, juin 2011. Cette évaluation a été réalisée avec la collaboration du service Nutrition Environnement et Santé, du Service de Santé au travail et d’Éducation pour la santé et du Centre de recherche SPIRAL, de l’Université de Liège.

Critères pour l’évaluation d’un Plan national nutrition santé

Distinguer plan et planification

La planification peut se définir comme un processus continu de prévision de ressources et de services requis pour atteindre des objectifs déterminés. Le plan, lui, est la mise par écrit du projet de ce processus. Le plan est donc un objet matériel souvent réalisé au début de la planification et qui fixe le cadre de référence de celle-ci.

Traçabilité/histoire du plan

Ce critère questionne une manière de positionner le plan nutrition dans une histoire politique continue. Ainsi, le plan s’inscrit-il dans une continuité, soit qu’il prolonge des processus en cours, soit qu’il favorise leur réorientation. Par cette inscription, les problématiques liées à la nutrition n’apparaissent pas comme une nouveauté. De cette manière, le plan gagne aussi le crédit de figurer comme un passage obligé pour l’évolution de la société.

La traçabilité interroge aussi la manière dont le plan mentionne les sources qui ont été utilisées pour son écriture qu’il s’agisse de littérature scientifique, d’experts, de commissions, de groupes… La mention des sources authentifie les choix opérés dans le plan et permet de situer le plan à la fois dans une actualité scientifique, dans un mouvement de consensus international ou dans une démarche de consultation participative des groupes nationaux ou régionaux.

Référentiel : définitions et concepts

Le plan porte un discours et ce discours est émaillé de concepts. Le choix des concepts pour exprimer les enjeux de l’alimentation n’est pas neutre. En fonction de ce choix, le cadre que représente le plan sera plus ou moins centré sur les aspects nutritionnels, diététiques et comportementaux ou il prendra en compte la complexité de la problématique de l’alimentation avec ses aspects sociaux et culturels, sa variété de déterminants et la nécessaire intersectorialité des actions. En termes d’effets, le choix des concepts et leur organisation dans un discours constitue un cadre de référence qui oriente les objectifs et la mise en place des actions. Le cadre utilisé peut ou non entraîner l’adhésion de certaines catégories d’acteurs présents ou potentiels. Il s’agit de définir l’alimentation comme un concept à la fois suffisamment riche et facile à manipuler par tous les partenaires et acteurs, présents ou potentiels.

Technicité du plan

Ce critère permet d’observer les composantes techniques de la conception et de la rédaction d’un plan. La technicité d’un plan importe dans la mesure où elle détermine la cohérence et la logique du plan. Les aspects techniques de la rédaction du plan peuvent être soutenus par l’emploi d’un cadre logique et d’une théorie de l’action. Une théorie de l’action correspond à une vision des relations de causes à effets et d’antériorité qui relient les actions à mettre en place pour obtenir certains effets. Le choix du cadre logique et d’une théorie de l’action sont en eux-mêmes porteurs d’une vision plus ou moins complexe et compréhensive de la problématique de la nutrition. L’intégration à l’intérieur même du plan d’une prévision opérationnelle des modes de gestion (partage des responsabilités, partenaires et acteurs privilégiés, procédures de régulation, etc.) est propice à en assurer l’efficacité.

Pédagogie et ergonomie du plan

La pédagogie du plan et son ergonomie représentent des conditions incontournables de la diffusion de ce dernier et de sa permanence en tant que référentiel auprès des acteurs : porteurs de projets, chercheurs, acteurs institutionnels… Le plan est-il en mesure, par sa présentation, son organisation, sa communication de favoriser son appropriation par ses lecteurs ? Le plan consiste-t-il en un seul document, ou faut-il en rassembler plusieurs pour en comprendre la logique, l’argumentation et les dynamiques ?

Animation du plan

L’animation analyse la manière dont le plan prévoit une gestion dynamique des interactions entre les partenaires. Par gestion dynamique, il s’agit d’échanges d’informations, de feedback, d’actualisation des intérêts et enjeux… Une gestion dynamique devrait favoriser la clarification des rôles de chacun et veiller à maintenir la mobilisation des partenaires et le recrutement d’alliés facilitateurs.

Vitalité et créativité du plan

Par vitalité du plan, nous entendons la manière dont le plan prévoit des éléments qui le conservent en «vie». C’est-à-dire des éléments qui conservent et amplifient le rôle d’actant du plan, son influence dans le contexte partenarial ou sociétal, voire qui font du plan un point de passage obligé (tous les autres actants doivent s’y référer). L’inverse de la vitalité d’un plan serait un plan «lettre-morte» qui ne serait qu’un papier et de l’encre, jamais lu, jamais approprié par les acteurs et les partenaires. Un des éléments fondateurs de la vitalité d’un plan peut être l’évaluation qui permet la régulation des objectifs, des planifications et des procédures.

(1) Cette évaluation a été réalisée dans le cadre d’un marché public. Dans ce contexte ni les conditions méthodologiques ni l’ampleur budgétaire nécessaire à la production de résultats valides sur les impacts des actions n’étaient réunies.