La santé est un « état complet de bien-être physique, psychique et social » : contrairement à la vision qu’en donne le prisme biomédical, elle ne peut donc être envisagée comme la seule absence de maladie. Depuis plus de 20 ans, les acteurs de la promotion de la santé tentent de faire valoir cette approche globale de la santé, en faisant des citoyens de véritables acteurs de leur bien-être. Bénéficiant de l’apport des sciences sociales, cette approche se révèle d’autant plus pertinente dans un contexte où le déficit de la sécurité sociale se creuse et où les maladies dites « de civilisation » (surpoids, troubles musculo-squelettiques, addictions, dépression, burn-out…) ne cessent de progresser.
Comme le rappelle l’OMS, on ne peut juger du développement d’une société que d’après l’état de santé de sa population, la répartition plus ou moins équitable de la santé entre les différents échelons de la société et le degré de protection contre les désavantages résultant d’une mauvaise santé. Or, selon une recherche canadienne de 2012, le système de santé ne contribuerait qu’à hauteur de 25% dans ce qui fait la santé. L’approche purement curative est de toute évidence insuffisante pour maintenir les populations en bonne santé : il est donc urgent d’opérer un changement de paradigme et de travailler en amont, à la fois sur les déterminants sociaux de la santé (niveau de revenu, conditions de logement et de travail, niveau d’instruction, réseaux de soutien social, environnements, mobilité, accès aux services de santé…) et la capacité des populations à agir sur ces déterminants.
On sait en effet qu’il existe une relation étroite entre la position sociale d’une personne et sa santé : plus le statut social, le revenu ou la scolarité d’une personne sont faibles, plus elle risque de rencontrer des problèmes de santé. Il importe donc, pour obtenir des résultats, de prendre en considération ce « gradient social », et d’agir en suivant le principe d’universalisme proportionné, qui garantit l’équité entre toutes les franges de la population. Parce qu’elle prend en compte les déterminants sociaux de la santé et la spécificité des différents milieux de vie (domicile, maisons de repos, prisons…), la promotion de la santé est une approche complémentaire indispensable des approches curatives et des campagnes de prévention classiques.
La promotion de la santé est aussi un choix éthique : en postulant que pour améliorer la santé de la population, il faut agir non seulement sur des facteurs individuels comme les habitudes de vie et les compétences d’adaptation personnelle, mais aussi et surtout sur des facteurs collectifs et sociaux, elle représente un rempart à l’hyperresponsabilisation et à la culpabilisation, souvent contre-productives, de citoyens confrontés en permanence à des injonctions paradoxales (ex. : publicités versus campagnes de prévention).
Il est donc grand temps d’investir dans des stratégies plus globales. En créant des environnements de vie et de travail favorables à la santé, en renforçant l’action communautaire, en développant les connaissances et les compétences individuelles et collectives, les acteurs de la promotion de la santé peuvent agir en profondeur sur la santé des citoyens et leur capacité à prendre soin d’eux-mêmes.
Si elle combine les approches individuelle, collective et communautaire, la promotion de la santé s’attache aussi à aborder toutes les questions de santé de manière transversale. Par conséquent, elle s’appuie aussi sur de nombreuses compétences ministérielles : l’emploi, le logement, la mobilité, l’agriculture, la fiscalité, etc. Intégrer la santé dans toutes les politiques, à tous les échelons de pouvoir, notamment grâce à la Conférence interministérielle, c’est se donner les moyens d’améliorer la santé de chacun de manière féconde, respectueuse et pérenne.
7 recommandations politiques
Renforcer et soutenir la participation des citoyennes.ne.s dans l’élaboration des politiques publiques
La participation est une stratégie « pilier » utilisée en promotion de la santé. Elle est considérée comme une méthode efficace d’empowerment pour atteindre une meilleure santé, mais représente aussi une valeur démocratique. En amenant les décideurs et les professionnels à se rapprocher au plus près des besoins, des préoccupations et des conditions de vie des personnes, l’approche participative tend aussi à corriger les asymétries de pouvoir, et contribue donc à plus de justice sociale.
Propositions d’actions :
- Garantir les moyens pour organiser des lieux de collaboration entre les acteurs agissant sur la santé et la population afin de mieux connaitre leurs besoins et en tenir compte pour l’élaboration de politiques publiques.
- Soutenir des projets/acteurs qui développent la participation citoyenne et favoriser leur reconnaissance comme maillon du processus décisionnel des politiques publiques : les commissions consultatives, les conseils de participation, les comités de quartier, etc.
- Tenir compte de manière systématique de l’avis des experts du vécu dans l’élaboration des politiques publiques.
- Diversifier les formes de participation citoyenne (ex : plateformes citoyennes, projets de cohésion sociale, cours de citoyenneté à l’école, volontariat, etc.)
- Reconnaître et valoriser les processus communautaires et d’organisation citoyenne.
- Créer des environnements favorables à la santé dans les différents milieux de vie
Agir sur la santé, c’est aussi agir dans et sur les milieux de vie. Les facteurs qui influencent la santé ne sont pas les mêmes dans le quartier, à l’école, en maison de repos ou en prison ; ils ne sont pas les mêmes non plus selon que l’on habite une zone fortement ou peu urbanisée. La qualité de l’air et ses répercussions directes sur la santé en sont un bon exemple. Il est nécessaire aujourd’hui de tenir compte de cette diversité et de l’impact que peut avoir l’environnement sur la santé de toutes et tous.
Propositions d’actions
- Favoriser l’accessibilité (financière, géographique et culturelle) aux services de promotion de la santé, de réduction des risques, de prévention, et aux structures d’aide et d’accompagnement adaptés dans les différents milieux de vie, en ce compris les milieux de vie virtuels (jeux en ligne, réseaux sociaux, etc.).
- Renforcer les pratiques communautaires de santé qui permettent la prise en compte des besoins d’un collectif au niveau local et soutiennent le collectif à agir sur son environnement.
- Soutenir les projets s’inscrivant dans les différents programmes internationaux et de labellisation pour le développement d’environnements favorables à la santé : « quality nights », « safe communities », « ville santé », « ville amie des ainés », « école en santé », etc.
- Impulser une dynamique de type ‘Région en Santé’ qui permette, notamment, de replacer la santé au centre des préoccupations de l’ensemble des ministres régionaux.
- Intégrer un volet santé et en particulier promotion de la santé dans les contrats de quartier durable, les plans de cohésion sociale, les plans communaux de développement rural, les plans communaux de développement de la nature, les plans stratégiques transversaux, les groupes d’action locale, les agences de développement local, etc.
- Garantir aux consommateurs une information claire sur les produits ayant un impact nocif sur la santé et l’environnement (comme l’alcool, les produits alimentaires transformés, etc.).
Inscrire systématiquement la dimension santé et lutte contre les inégalités sociales, y compris celles de santé, dans l’ensemble des politiques publiques
En Belgique comme dans beaucoup d’autres pays d’Europe, les inégalités sociales persistent et touchent la majorité de la société, affectant davantage et de manière systématique les personnes de niveau social moins élevé. Les grands enjeux sociétaux et sanitaires sont complexes de par la multiplicité des déterminants qui les influencent tels que le transport public, l’accès à l’éducation, l’accès à des aliments sains, les perspectives économiques, etc. Dans ce contexte, de grandes institutions, telles que l’OMS, publient des recommandations à l’égard des politiques pour inscrire les dimensions de santé et d’inégalité dans l’ensemble des politiques publiques.
Propositions d’actions
- Intégrer systématiquement la question des publics vulnérables et des territoires prioritaires lors de l’élaboration de politiques publiques (en respectant le principe d’universalisme proportionné).
- Attribuer aux collèges des pouvoirs locaux, la responsabilité d’assurer la prise en compte de la santé et de l’équité lors de l’élaboration de toutes les politiques publiques, et ce, dans une approche intersectorielle.
- Se reposer sur l’expertise du secteur de la promotion de la santé et des secteurs agissant sur les déterminants de la santé, pour assurer la prise en compte des aspects « santé » et « équité » lors de l’élaboration des politiques publiques.
- Veiller à ce que toutes mesures politiques (mobilité, logement, social, enseignement, emploi, environnement, etc.) soient soumises à des commissions interministérielles transversales (régionale et fédérale) ayant pour objet la santé dans toutes les politiques.
- Réaliser systématiquement des Evaluations d’Impact sur la Santé des politiques menées par l’ensemble des secteurs (secteur des soins, mobilité, logement, social, enseignement, emploi, environnement, etc.).
- Soutenir et renforcer l’implication des acteurs territoriaux (notamment communaux) sur la réduction des inégalités sociales de santé.
- Récolter, analyser et diffuser les données sur les inégalités sociales de santé de manière pérenne et harmonisée, pour agir en partenariat entre les acteurs de terrain et les chercheurs.
Garantir l’accès et le respect des droits sociaux et de santé, en particulier pour les publics fragilisés
Aujourd’hui, de nombreux facteurs mettent à mal l’accès aux droits sociaux et de santé. Le fait d’avoir le statut d’isolé ou de cohabitant, par exemple, influence directement les revenus et le taux des allocations de chômage, et par là même l’accès à la santé. Parmi les publics fragilisés, le non-recours aux droits est par ailleurs fréquent : des services et des aides existent, mais ne bénéficient pas à ceux qui en ont le plus besoin. La fracture numérique accentue ce phénomène, en laissant à l’écart ceux qui ne sont pas en capacité de rechercher et de traiter l’information sur Internet, ou de solliciter des services par voie numérique.
Propositions d’actions
- Soutenir les associations qui répondent aux préoccupations en matière de droits sociaux et de santé, et ce, particulièrement dans les lieux de vie fréquentés par les populations précarisées.
- Mettre en place des procédures d’accès aux droits sociaux et de santé qui soient individualisées, harmonisées et automatiques. Par exemple, élargir les conditions d’octroi du statut BIM, du tiers payant et de l’AMU.
- Assurer la gratuité des soins pour les populations fragilisées.
- Assurer une communication ciblée, adaptée et accessible en matière de droits sociaux et de santé.
- Augmenter les minimas sociaux des revenus de remplacement (le revenu d’intégration sociale, la GRAPA, l’aide sociale, etc.).
Assurer la cohérence et l’articulation entre les politiques de santé et de promotion de la santé
La nature du système politique belge a la particularité de multiplier le nombre d’experts politiques sur les questions de santé. Tous devraient viser un même objectif, l’élaboration de politiques permettant l’amélioration de la santé de la population dans une perspective d’équité. Cela ne peut toutefois être efficace qu’à condition que ces politiques soient cohérentes entre elles et concertées entre les différentes entités. Par ailleurs, ces experts politiques ont tout à gagner à consulter le secteur de la promotion de la santé, qui est lui par nature interdisciplinaire.
Propositions d’actions
- Améliorer la transparence des travaux et points de discussion de la Conférence Interministérielle de Santé afin que les Fédérations de Promotion de la Santé puissent se positionner, réagir et contribuer.
- Élargir les thématiques abordées lors de la Conférence Interministérielle de Santé à des sujets transversaux ayant un impact sur la santé (environnement, logement, mobilité, etc.).
- Mettre en place des protocoles de collaboration sur des thématiques entre les entités fédérées (exemples : lutte contre les inégalités sociales de santé, assuétudes…).
- Assurer l’existence d’outils cofinancés (par les différents niveaux de pouvoir) mettant à disposition de l’ensemble de la population (y compris des décideurs politiques) des informations concertées, validées et accessibles sur les thématiques de santé prioritaires (plans et politiques).
- Mutualiser les ressources entre entités fédérées pour financer des campagnes de promotion de la santé et de prévention et les outils de communication destinés à un large public (par exemple par rapport à la consommation d’alcool, le tabagisme, l’alimentation, etc.).
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Adapter et pérenniser les moyens alloués à la promotion de la santé et la prévention
Le secteur de la promotion de la santé a été confronté à de nombreuses mutations au cours des dernières années, notamment suite à la régionalisation des compétences dans le cadre de la sixième réforme de l’Etat. Pour mener à bien des projets ambitieux et conserver les expertises, il semble aujourd’hui indispensable de stabiliser les équipes. Se doter d’une politique de promotion de la santé à long terme implique d’allouer des moyens à la hauteur des ambitions de la politique.Propositions d’actions
- Privilégier un système de financement par agréments pour les acteurs de promotion de la santé.
- Soutenir les pratiques d’évaluation qui impliquent de manière concertée l’ensemble des parties prenantes (citoyens, opérateurs, administrations, politiques).
- Financer des recherches en promotion de la santé pour faire progresser les pratiques et les connaissances.
S’appuyer sur l’expertise des acteurs du secteur de la promotion de la santé et de leurs fédérations
La promotion de la santé est née il y a plus de 30 ans, avec la Charte d’Ottawa, adoptée par la première Conférence internationale pour la promotion de la santé en 1986 et cosignée par les délégués de quelque 38 pays. Ses stratégies sont aujourd’hui reconnues internationalement. En Belgique, le secteur francophone de la promotion de la santé a développé un très riche réseau d’expertises, fondé sur la multidisciplinarité et l’intersectorialité, qui s’est vu renforcé par la naissance des Fédérations bruxelloise et wallonne.
Propositions d’actions
- Reconnaître aux Fédérations bruxelloise et wallonne de promotion de la santé un rôle d’experts-ressources pour les décideurs politiques à tous les niveaux de pouvoir.
- Encourager la mise en place de concertations entre les secteurs de la promotion de la santé, de la santé et autres secteurs, pour faire face aux grands défis actuels de santé publique (changement climatique, vieillissement de la population, maladies chroniques, migration, inégalités sociales, inégalités de genre, etc.).
- Développer dans les cursus de formations sociales/pédagogiques/médicales/paramédicales une vision intégrée, globale et positive de la santé et de ses déterminants (mobilité, enseignement, emploi, logement, etc.) et développer les aspects concernant la diversité des publics.
- Garantir aux acteurs impliqués dans tous les milieux de vie l’accès à des formations continuées pour assurer la qualité des interventions de promotion de la santé.
- Stimuler les pratiques innovantes et développer des repères de pratiques adaptés aux contextes par le croisement des expériences des acteurs et des connaissances scientifiques issues de l’« evidence-based health promotion ».
SIGNATAIRES
Les membres de la Fédération Bruxelloise de Promotion de la Santé et de la Fédération Wallonne de Promotion de la Santé :Alias ; Alliance Nationale des Mutualités chrétiennes – Revue Education Santé ; Association de Recherche Action en faveur des personnes handicapées ; Centre Bruxellois de Promotion de la Santé ; Centre Communautaire de Référence pour le dépistage des cancers ; Citadelle – Projet périscope ; CLPS de Charleroi-Thuin ; CLPS de Huy-Waremme ; CLPS de Liège ; CLPS de Verviers ; CLPS des Arrondissements de Mons-Soignies ; CLPS du Brabant wallon ; CLPS du Hainaut Occidental ; CLPS du Luxembourg ; CLPS en province de Namur ; Comme chez nous ; Coordination Education & Santé ; Cultures et Santé ; De Bouche à Oreille – Li Cramignon ; Educa Santé ; Entr’Aide des Marolles ; Espace P… ; Eurotox ; Ex æquo ; Fédération des centres pluralistes de Planning Familial ; Fédération Laïque des Centres de Planning Familial ; Fédération des maisons médicales et collectifs de santé francophones ; Femmes et Santé ; Fonds des Affections Respiratoires ; Forest-Quartiers Santé ; Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles Belgique ; I Care ; Icar Wallonie ; Infor-Drogues ; Le Méridien ; Le Pélican ; Les Pissenlits ; Liaison antiprohibitionniste ; Ligue des Usagers des Services de Santé ; Médecins du Monde ; Modus Vivendi ; Nadja ; Observatoire du Sida et des Sexualités ; Plate-forme prévention Sida ; Point Culture ; Promo Santé & Médecine Générale ; Prospective Jeunesse ; Question Santé ; Repères ; Réseau Santé Diabète ; Santé-Communauté-Participation ; Service de prévention et de réduction des risques liés aux usages de drogues ; Service de Santé Mentale ALFA ; Service de santé mentale de Verviers – A.V.A.T. ; Service d’Information Promotion Education Santé ; Service Education pour la Santé-Promotion santé en milieu carcéral-SES ; Service Universitaire de Promotion de la Santé de l’UCLouvain/IRSS-RESO ; Sida IST Charleroi Mons ; Sida Sol ; Sida SOS ; Solidaris Pipsa ; Union Nationale des Mutualités Socialistes ; Univers Santé ; Université de Liège-APES ; Ville de Mons – Service de prévention et de réduction des risques liés aux usages de drogues