Avril 2011 Par Christine DELIENS Initiatives

La première année du programme « Alimentation, santé, société, » subsidié par la Communauté française tire parti des expériences des programmes antérieurs de notre asbl (Zep santé, ‘Arts d’Écoles’, ‘Midis à l’école’, ‘À table les cartables’, ‘Carnets de voyage’) pour créer de nouveaux supports et poursuivre la diffusion d’outils mobilisateurs en promotion de la santé tant auprès des enfants et des jeunes que des adultes qui les accompagnent, à l’école ou dans d’autres lieux de vie.
Cordes a choisi de mettre l’accent sur l’alimentation pour activer la participation des élèves et répondre en même temps aux priorités politiques en matière de santé publique et de promotion de la santé. Le Plan national nutrition santé belge recommande en effet d’augmenter la consommation journalière de fruits et de légumes et le Plan «Attitudes Saines en matière d’alimentation et d’exercice physique» de la Communauté française met la priorité sur des actions de promotion de la santé auprès des enfants et des jeunes. Vu que les fruits et les légumes sont généralement trop peu consommés par ceux-ci (mais les adultes montrent-ils l’exemple?), les outils pédagogiques et de sensibilisation mettent l’accent sur cette thématique en s’adressant à différentes tranches d’âge. Servant à la fois d’«accroche» et de support, ils cherchent à motiver les enseignants et les autres acteurs éducatifs à se lancer avec leurs élèves dans des projets sur l’alimentation. Ainsi, le kit pédagogique «En rang d’oignons» pour introduire le sujet d’une manière imagée et ludique est diffusé depuis l’année scolaire 2008-09 (1). L’affiche didactique «Une année aux petits oignons» (exploitable à partir du 3e degré primaire) est diffusée depuis septembre 2011.
L’idée des fruits et légumes comme point de départ peut amener à parler des besoins, des habitudes de consommation, de l’environnement et des modes de production, notamment. L’outil «Jeu-test-santé» sous forme de set de table avec la brochure d’accompagnement «Set de table», diffusé depuis début 2010 permet justement, de manière à la fois individuelle mais aussi en échangeant avec le groupe, d’examiner les habitudes de repas en regard des groupes alimentaires et d’étudier comment les équilibrer davantage.
Les propositions de ces outils intègrent les démarches «santé» dans les activités d’apprentissage de la classe et favorisent aussi l’exercice de compétences correspondant aux missions de l’école.
Pour amener une démarche de promotion de la santé au sein de la classe, la stratégie de diffusion de ces outils est basée sur une procédure participative impliquant les élèves en suscitant leur curiosité. L’enjeu est double: mobiliser les enseignants et permettre aux élèves d’exercer ce «devenir acteur» pour qu’ils puissent – un jour – faire des choix plus favorables à la santé et à la santé collective. Toute simple en apparence, cette proposition invite à un travail collectif dans la classe, ce qui fait déjà contre-pied à la stratégie dominante au sein de l’école, basée fondamentalement sur l’individualisation des apprentissages et de la réussite. Pour obtenir l’affiche «Une année aux petits oignons» (2) pour la classe et d’autres supports pour poursuivre sur la thématique des fruits et légumes, la démarche va un pas plus loin qu’un simple courrier: les élèves doivent explorer et «produire» un petit dossier sur une des questions de l’affiche et nous l’envoyer.

Une stratégie qui porte ses fruits?

Pour mieux réaliser si ces diffusions contribuent à une mobilisation des classes et enseignants, nous avons examiné de plus près nos données à propos du kit «En rang d’oignons» et l’évolution du nombre de classes participantes c’est-à-dire qui ont fait cette démarche d’écrire une lettre collective à la Coordination Éducation & Santé pour l’obtenir.

Petites phrases de grands connaisseurs et méconnaisseurs en fruits et légumes 1
« J’aime mieux la salade sans trop de mayo
« Les petits pois sont trop petits
« J’en mange ( des fruits et des légumes ) parce que papa et / ou maman me le demandent
« J’en mange parce que j’ai envie
« J’aime pas le chou de Bruxelles parce que c’est horrible .».
« Je n’aime pas les légumes parce qu’ ils me donnent envie de vomir

Nous constatons (voir tableau 1) que pour l’année scolaire 2009-2010, le nombre de classes participantes a quasi doublé par rapport à 2008-2009, passant d’un peu moins de 200 à presque 400. Cet accroissement reflète le temps souvent nécessaire pour que l’information concernant les outils circule en milieu scolaire. Le partage d’outils pédagogiques et les échanges sur les pratiques de classe entre enseignants dépendent fortement des modalités de travail impulsées par les directions et des bonnes volontés et initiatives de chacun. Cette mobilisation est sans doute aussi le résultat d’un faisceau de circonstances favorables sur le plan structurel dont nous parlerons plus loin.

Tableau 1- Répartition des classes participantes «Rang d’oignons» par CLPS

CLPS

2008-2009 2009-2010 2010-2011
(jusqu’en février)
Total
Brabant wallon 22 29 1 52
Bruxelles 41 44 8 93
Charleroi 25 66 3 94
Hainaut Occidental 10 34 7 51
Huy 7 10 6 23
Liège 40 44 4 88
Luxembourg 9 46 10 65
Mons 12 31 25 68
Namur 11 43 18 72
Verviers 16 32 12 60
Autres (France, Vlaanderen) 1 3 1 5
Total 194 382 95 671

Source: Cordes asbl, mars 2011
La répartition par zone de territoire correspondant aux différents CLPS montre des hausses importantes de demandes pour la deuxième année dans la plupart des CLPS. Pour d’autres zones comme Bruxelles, Liège ou le Brabant wallon, la mobilisation déjà importante la première année s’est maintenue.
671 enseignants et éducateurs ont donc abordé la thématique des fruits et des légumes avec leur classe ou leur groupe avec comme objectif d’obtenir le kit pédagogique. 23 d’entre eux proviennent du milieu «hors scolaire». En effet, depuis 2009-2010, nous avons élargi notre champ de diffusion au secteur jeunesse et extrascolaire. Parfois même ce sont des élèves éducateurs ou enseignants en formation qui ont fait l’exercice de répondre à la question. Ou encore, ce sont des groupes d’adultes (collectif d’alphabétisation, adultes handicapés, parents…) qui utilisent l’outil pour aborder le sujet de la consommation des fruits et des légumes tout en menant des activités éducatives et de sensibilisation sur l’alimentation et la santé par exemple.

Petites phrases de grands connaisseurs et méconnaisseurs en fruits et légumes 2
C’est chouette quand on fabrique du jus
« J’en mange pour faire du sport
« Les fruits , j’en mange . Il faut en profiter avant qu’ils pourrissent
« J’aime parce que c’est juteux
« J’adore l’orange ses vraiment bon et surtous avec un sucre à l’intérieurre » ou encore « Je déteste la noix de coco , ses vraiment m’avais se gout , il est vraiment bizard se gout .» ( reproduit tel que rédigé )
« J’aime tous les légumes , les fruits et légumes et les fruits : j’aime tous les légumes parce que je ne sais pas pourquoi : la tomate , la carotte , un citron , un concombre , une courgette

L’outil pouvant être exploité avec des enfants plus jeunes, il n’est pas étonnant de constater que depuis son lancement, le palmarès des demandes est détenu par les classes maternelles (23%) suivies de près par le premier degré du primaire (22 %) puis par le deuxième degré du primaire avec 18 % . L’enseignement spécialisé représente une grosse part des classes participantes (19 %) tandis que les 5e et 6e primaires ne comptent que pour 8 % . Il faudra attendre la fin du programme pour mieux estimer si le nouvel outil «Une année… aux petits oignons» qui est davantage destiné aux plus grands, permet de les mobiliser sur le sujet des fruits et des légumes et ce de manière plus globale. L’affiche les interpelle en effet sur des aspects plus complexes touchant à l’environnement, à la production ou encore aux pratiques liées au repas et à la consommation.

Projet de classe ou projet d’école ?

Dans la majorité des cas (voir tableau 2), la mobilisation concerne une seule classe par école mais dans près de 20 % des écoles, ce sont deux classes qui se sont impliquées dans le programme. Effet de contagion à l’idée de recevoir un outil ou travail à plusieurs mains dans le cadre d’un degré par exemple? La question reste ouverte mais il est clair que la proposition «En rang d’oignons» permet d’embarquer bien plus qu’une classe. La première année, 21 écoles ont participé avec trois classes ou plus (soit 20% d’entre elles). En 2009-2010, ce sont 25 écoles (10%) qui ont participé avec trois classes ou plus. Et pour les 6 premiers mois de l’année scolaire 2010-2011, ce sont 12% des écoles participantes qui ont utilisé «En rang d’oignons» pour rassembler des énergies (et des élèves) sur le thème des fruits et des légumes.

Tableau 2 – Degré de mobilisation autour du kit «En rang d’oignons»

Mobilisation par école

Année scolaire
2008-2009
Année scolaire
2009-2010
Année scolaire
2010-2011 (jusqu’en février)
1 classe 63 % 68 % 71 %
2 classes 17 % 19 % 18 %
3 classes et + 20 % 10 % 12 %
Total classes 194 382 95
Total écoles 106 248 51

Source: Cordes asbl, mars 2011
Bien évidemment, si l’enseignant(e) continue d’utiliser le kit pédagogique (ce que nous espérons!) l’année suivante ou le prête à un(e) collègue nous n’en saurons rien sauf si l’idée d’obtenir le kit pour la classe et d’établir une correspondance avec Cordes pousse à faire la démarche. On ne sait pas si l’outil fut à chaque fois intégré à un projet plus global sur la santé ou l’alimentation. Mais le kit est motivant pour les enseignants qui mettent en place diverses activités autour du thème de l’alimentation comme par exemple l’écriture de poésies, la lecture de comptines, de recettes, mais aussi la réalisation de diverses plantations, la visite d’un potager, d’un magasin, l’analyse des étiquettes, des recherches sur l’origine alimentaire des produits. D’autres font des maths avec leur classe ou partent cueillir des plantes sauvages…
Quand les fruits et légumes s’invitent en classe, c’est pour la réalisation de préparations culinaires variées, selon les saisons: compotes, salades de fruits, confitures, jus de pomme ou encore la préparation de repas, de soupes. Ou encore lors des collations saines, des goûters d’anniversaires ou lors du développement d’un potager ou de plantation en pots.
Pour mieux comprendre les besoins des enseignants (3), des interviews et des questionnaires d’évaluation ont permis de relever la diversité dans leurs approches d’un outil. Peu d’entre eux ont intégré d’autres acteurs dans leur dynamique de classe alors que les propositions d’activités dans le kit pédagogique débordent de suggestions en ce sens. Parmi les points forts relevés par les enseignants, l’aspect attrayant du kit et la diversité des propositions pédagogiques sont cités. L’originalité du graphisme (appréciée par 30% des répondants) est compensée par la difficulté relevée par 40% d’entre eux d’identifier la totalité les légumes illustrés sur les cartes et/ou l’affiche.
Mais découvrir tous ces fruits et légumes et en parler, ça change quoi? Quels sont les effets remarqués par les utilisateurs de l’outil? Certains répondent que les enfants ont appris à mieux connaître les fruits et légumes ou remarquent qu’ils en consomment plus qu’avant. Les élèves connaissent les effets bénéfiques pour la santé, leur vocabulaire s’est enrichi. Une autre enseignante avance que cela a permis de lancer la discussion sur les vitamines et l’équilibre alimentaire, que les élèves prennent plus conscience de l’importance de ce qu’on mange, du temps de croissance, du rythme de la nature. Un utilisateur a souligné le fait que par l’utilisation du kit, «les élèves s’investissent plus, donc retiennent mieux». Voilà qui est déjà positif, mais encore insuffisant!

Parler des fruits et des légumes, c’est bien, en croquer, c’est mieux

Une belle conjoncture a permis de faire des synergies avec d’autres secteurs. En effet, des contacts et des collaborations se sont mises en place autour de la question des fruits et légumes avec les régions wallonne et bruxelloise dans le cadre du programme «Fruits et légumes à l’école» subsidié par l’Europe et par ces mêmes régions. La Communauté française, quant à elle, contribue à la mise en place de mesures d’accompagnement, dont la diffusion gratuite du kit «En rang d’oignons» et de l’affiche «Une année aux petits oignons» ou encore par la diffusion par le Centre de Lecture Publique, de l’ouvrage: «Petite bibliothèque gourmande» à laquelle nous avons contribué.
Déjà dans notre article de septembre 2008 (4), la distribution gratuite de fruits et légumes avait été évoquée soulignant combien cette éventualité d’alors – et réalité d’aujourd’hui – illustrerait «une manière de combiner les intérêts économiques avec les intérêts ‘santé’ du plus grand nombre». Une concrétisation de politiques publiques saines en quelque sorte.
Actuellement, les dernières statistiques transmises par la Région wallonne indiquent un total de 832 écoles inscrites au programme de distribution des fruits et légumes. Comme les outils Cordes sont référés sur le site des régions et que lors de nos envois d’outils aux écoles, nous faisons référence au programme, nous pouvons supposer que nos envois ont un impact sur ces inscriptions et vice-versa.

Tableau 3 – Pourcentage d’écoles «En rang d’oignons» (RO) participant au programme «Fruits et légumes à l’école» (F & L)

RO 2008 -2009 RO 2009 -2010 RO 2010 -fév 2011
F & L 2009-2010 33 % 32 %
F & L 2010-2011 27 % 32 % 46 %
Total 60 % 64 %

Source: Cordes asbl, mars 2011
Après un «pairage» entre les données des régions concernant les écoles Fruits et légumes et nos données concernant les classes participantes Rang d’oignons, nous avons pu établir que bon nombre d’écoles participent à la fois au programme Fruits et Légumes à l’école et à la démarche Rang d’oignons. Pour 60 % des écoles participant à la démarche RO déjà en 2008, l’inscription au programme F & L s’est faite en 2009-10 (33 %) tandis que 27 % l’ont fait en 2010-2011. Ce pourcentage monte à 64 % pour les écoles qui ont des classes mobilisées en 2009-2010 par l’outil «En rang d’oignons». Ce qui laisse entendre que bon nombre de classes profitent de cette occasion de consommer des fruits et des légumes gratuitement, permettant ainsi de «joindre le geste à la parole». Par ailleurs, cette opportunité peut leur permettre d’entrer en contact avec des producteurs locaux et d’exploiter davantage ce thème en abordant par exemple les produits de saison et les modes de production.

Petites phrases de grands connaisseurs et méconnaisseurs en fruits et légumes 3
« Ca me fait penser aux vacances
« Pourquoi c’est bon de manger des légumes ? Parce qu’on devient fort ».
« Les carottes , j’en mange parce que maman les prépare bien
« Le chou fleur sent mauvais
« Les pommes , ça casse les dents qui balancent
« Les fruits , je ne les aime pas mais je sais que c’est bon pour la santé alors je les prépare en jus

Comme l’ont annoncé les régions, ce programme de distribution se voit élargi aux classes maternelles à partir de l’année scolaire 2011. Manger des fruits et des légumes en classe offre l’avantage d’une situation collective qui donne l’occasion à des enfants de découvrir des fruits ou des légumes qu’ils n’ont pas encore eu l’occasion d’apprécier. Ce qui peut les encourager parfois davantage que les discours parentaux qui se verront ainsi enfin récompensés par l’«épreuve du goûter» enfin réalisée! Par ailleurs, la confrontation des avis de chacun des élèves «en situation de goûter», permet parfois – comme par magie – d’élargir la palette des goûts des élèves.
Et qui sait si à plus ou moins long terme, ces discours et pratiques sur les fruits et les légumes n’influenceront pas les modes de consommation au sein des familles et les menus proposés dans les cantines scolaires? On peut même imaginer, par exemple, au travers de ces rapprochements entre producteurs et consommateurs, que des parents soient encouragés à se joindre à des groupes d’achats collectifs ou à des groupes d’achats solidaires avec l’agriculture paysanne contribuant ainsi à réduire les coûts en amenant des légumes et fruits de saison en direct du producteur dans les assiettes de manière régulière, évitant ainsi les nombreuses tentations des surfaces commerciales.
Ces deux dernières années scolaires, 354 écoles ont mobilisé des classes autour du kit «En rang d’oignons». Parmi celles-ci, nous avons identifié 220 écoles participant au programme de distribution de fruits et de légumes. Une complémentarité qui a tout à gagner pour influencer la consommation des élèves que ce soit à cours ou à long terme.
Derrière ces chiffres, il y a ce lent tissage à la Pénélope pour diffuser nos outils auprès des autres secteurs et des différents niveaux de pouvoir. Ce qui est en cours montre que ce travail de plaidoyer pour faire connaître les principes de la promotion de la santé n’est pas inutile et au contraire qu’il contribue à la mise en œuvre des synergies qui peuvent avoir un effet favorable sur l’un ou l’autre déterminant de la santé. Nous plaidons pour ces «offensives» tout azimut dans différents secteurs car nous gagnons autant à connaître ce qui se fait ailleurs ainsi que les stratégies mises en place qu’à faire connaître nos réalisations et les stratégies participatives du secteur de la promotion de la santé «si mal nommée».
Cristine Deliens , coordinatrice de la Coordination Éducation & Santé asbl (Cordes asbl)
Adresse de l’auteure: avenue Maréchal Joffre 75, 1190 Bruxelles. Tél et fax: 02 538 23 73. Courriel: c.deliens@cordes-asbl.be (1) Voir à ce sujet l’article de la revue Éducation Santé n° 255 «Manger, un écolage passionnant» dans lequel sont présentés les outils «En rang d’oignons» et «Set de table». Le site http://www.pipsa.be présente une analyse de ces deux productions de notre asbl.
(2) Cet outil est présenté dans Éducation Santé n° 260 ainsi que sur le site de http://www.pipsa.be .
(3) Voir l’article ‘La santé à l’école au travers des pratiques éducatives’ , par Virginie Vandermeersch, Éducation Santé n° 261, novembre 2010.
(4) ‘Voyagez toute l’année… sur le thème des fruits et légumes !’ .