Novembre 2009 Par Gaëtan ABSIL Réflexions

Ce compte rendu des échanges menés le 28 mars se propose de restituer les analyses ou les propositions des participants. Il ne mentionne pas les auteurs des propos, il se veut simplement le reflet d’un moment de construction collective. Le débat n’est pas clos, la mise par écrit ne doit pas tuer l’esprit, et il serait heureux que ces idées s’envolent, et ne restent pas lettres mortes…
Suite aux présentations, les participants au séminaire ont engagé une discussion autour d’une même problématique: la promotion de la santé est-elle enfermée dans son décret?
Il y a plusieurs manières d’être enfermés ou de s’enfermer. D’une manière générale, le dispositif mis en place par le décret peine à rencontrer les exigences liées à la multiplicité des déterminants de la santé. Le récent mariage (forcé?) avec la médecine préventive pourrait tout aussi bien être une chance d’augmenter la diffusion de la promotion de la santé, tout comme une malédiction qui la clouerait à jamais dans le préventif et le curatif.
Comme le décrit le texte de Chantal Vandoorne ‘Promotion de la santé, prévention, éducation pour la santé: parle-t-on de la même chose?’, l’écologie des concepts de promotion de la santé et de prévention est fragile. Leur organisation conceptuelle et structurelle relève d’une dialectique dont les conditions de possibilité ne sont pas posées.
Les professionnels de la promotion de la santé se confrontent à un double impératif. D’un côté, la littérature, l’expérience québécoise, les réussites démontrent que les stratégies d’Ottawa sont souvent payantes. La promotion de la santé devrait donc avoir une légitimité et une reconnaissance qui faciliterait le travail des professionnels. D’un autre côté, la promotion de la santé demeure un objet «farfelu» dont les acteurs politiques ne savent que faire. La promotion de la santé ne rentre pas facilement dans les cases et les habitudes de l’action publique. Les balises du débat étant posées, voyons quelles en sont les fermetures et les ouvertures.

Des enfermements

Dans l’exécutif

Dans le processus démocratique, les débats au Parlement sont incontournables. Or, il semblerait que les acteurs de la promotion de la santé ne s’appuient pas suffisamment sur les parlementaires, ne pratiquent pas assez l’interpellation politique. En effet, les actions de promotion de la santé, liées à des subventions publiques, seraient trop enfermées dans leurs liens avec le pouvoir exécutif.
Des contacts plus fréquents devraient être développés avec les hommes et les femmes qui nous représentent au Parlement. Les décisions en matière de santé publique devraient être fondées sur des données fiables et contextualisées, parmi lesquelles les données fournies par les observatoires de la santé. Alors que la bonne gouvernance devient un leitmotiv de l’action publique, une certaine vigilance démocratique consisterait à évaluer la justesse des prises de décision à l’aune de ces données.

Dans les marges de l’action publique

Si la promotion de la santé paraît farfelue, c’est principalement en regard de la logique qui organise l’Etat. Dans un pays organisé selon le principe de la répartition des compétences, la promotion de la santé a peu de chance d’exister en tant que telle. Alors qu’elle propose des stratégies intersectorielles, qu’elle vise un éventail très large de déterminants de la santé et du bien-être, elle se heurte à une culture du «pré carré». L’environnement, ce n’est pas la santé; le sport, ce n’est pas l’activité physique, etc.
L’enfermement se réalise par un rejet de la promotion de la santé dans les marges de l’action publique, alors qu’elle pourrait en être un des axes intégrateurs. Pourtant, ce sont bien les projets qui rassemblent différentes compétences, qui prennent le temps d’organiser le travail et l’action, qui sont porteurs de changements.
En regard de l’expérience québécoise, la promotion de la santé en Communauté française de Belgique devrait «se rénover», c’est-à-dire qu’il est peut-être temps de passer à un véritable secteur d’activité dont les budgets sont exclusivement dédiés à des missions propres et non en partie détournés à d’autres fins, parfois éloignées des stratégies d’Ottawa (d’où l’importance d’un débat sur la dialectique entre promotion et prévention). Comment travailler à réduire les inégalités sociales de santé par une prise en compte des déterminants collectifs? Comment, en l’état actuel, lutter contre les inégalités sociales de santé alors que les déterminants débordent largement l’action médicale?

Par la vision du monde des jeunes médecins

Les rapports entre la prévention et la promotion de la santé se rejoueront indéfiniment tant que la formation des médecins n’intégrera pas les principes de la promotion de la santé. Les programmes des cours demeurent réducteurs et n’osent pas entrer de plein pied dans l’innovation en intégrant réellement d’autres approches de la santé comme par exemple la sociologie de la santé. Sans la pénétration de la promotion de la santé dans les formations initiales, le travail d’argumentation, de conviction que déploient les professionnels sera toujours à recommencer.

Des échappées

Sortir de l’enfermement par la participation

Même si la question de la participation soulève de nombreux enjeux éthiques et politiques, elle demeure un incontournable de la promotion de la santé. Ainsi, la mise en place de réseaux intersectoriels n’est pas suffisante. Les usagers, les habitants… doivent être associés à ces réseaux. Sans cette précaution, les réseaux mis en place risquent de reproduire l’exclusion et de travailler «au-dessus de la tête de la population».

Sortir de l’enfermement par l’inscription du référentiel de la promotion de la santé dans les agendas politiques

En matière d’action publique, les compétences liées aux déterminants de la santé sont dispersées. La promotion de la santé pourrait constituer un référentiel commun qui tisserait des liens entre les compétences. La promotion de la santé gagnerait à s’inscrire dans les agendas politiques des entités fédérées, des Provinces et des Communes. Un effort d’accompagnement devrait être mis en place afin de faciliter la traduction des compétences de chaque institution à partir du référentiel de la promotion de la santé.
La promotion de la santé devrait à l’avenir pénétrer la culture politique, au même titre que le développement durable.

Sortir de l’enfermement en brisant le lien entre le référentiel de promotion de la santé et la compétence institutionnelle en ce domaine

Si la promotion de la santé ne peut remplir son rôle, c’est aussi parce que le concept se confond avec le décret pour de nombreux acteurs. Tant que cette confusion existe, la mise en œuvre de la promotion de la santé rencontrera des difficultés, non pas directement sur le terrain, mais bien au niveau des institutions et des décideurs sans lesquels une action intersectorielle durable ne peut exister.
Un effort de communication devrait être entrepris à propos de la promotion de la santé, tant auprès des décideurs que des professionnels et du grand public. Ce dernier est souvent le récepteur de messages dont il n’identifie pas les liens avec la promotion de la santé.

En guise de conclusion


La promotion de la santé se décrète-t-elle? Il semblerait que la réponse suive deux pistes. D’un côté, la promotion de la santé devrait continuer à faire l’objet d’un décret spécifique qui définit ses contours, institue ses missions et protège son budget – qui par ailleurs gagnerait à être revalorisé. Mais il devient urgent de mettre en place des stratégies légales et institutionnelles pour promouvoir le référentiel de la promotion de la santé dans les politiques et les compétences des autres secteurs. Des mécanismes contraignants, des outillages, des procédures et supports adéquats devraient permettre de développer des cadres professionnels et institutionnels dans les termes d’une promotion de la santé fondée sur les niveaux de preuve et les bonnes pratiques.
Gaëtan Absil , APES-ULg, sur la base de l’enregistrement du débat du 28 mars 2009