Très beau succès pour la journée d’études organisée par le Centre belge pour l’Evidence-Based Medicine (CEBAM) pour fêter ses 10 ans : plus de trois cents personnes réunies un samedi au Square, le palais des congrès de Bruxelles. Un lieu accueillant, situé à côté d’une gare et en plein centre de Bruxelles, une organisation sans faille (1), un respect scrupuleux des horaires, des intervenants de qualité, on aurait eu tort de bouder son plaisir… Ce qui nous a frappé d’emblée, c’est l’absence de toute présence de l’industrie pharmaceutique, ce qui est appréciable lors d’une réunion de professionnels de santé. On n’attendait pas autre chose, bien sûr, mais cela fait quand même plaisir (2). Un peu comme quand on arrive dans une salle de cinéma après l’écran publicitaire, juste avant le début du film…
De la matinée plénière, composée de quatre conférences, nous retiendrons la première, particulièrement passionnante. Richard Smith, ancien ‘editor in chief’ du British Medical Journal, nous a expliqué d’une façon percutante ‘Ce qui cloche avec les revues médicales’ (3) (comprenez, les revues médicales de référence comme le BMJ, pas les éponges à publicités pharma). Au cours de son exposé corrosif, l’absence d’éthique de ces titres prestigieux apparut de façon criante, et forcément très documentée de la part de quelqu’un qui était dedans voici quelques années à peine.
Il énuméra et détailla une série d’écueils. Par exemple, on a du mal à savoir à quoi ces revues servent, car elles ont une influence modeste sur la pratique des médecins. Mais cela n’est peut-être pas si grave, vu la faible qualité de ce qu’elles publient, voire le caractère dangereux de leurs contenus, dixit Smith (4) !
Il souligna aussi la pauvreté de la validation par les pairs (peer review), considérée à tort comme une vertu cardinale. Il stigmatisa également la mode des auteurs multiples, dont la moitié ne répondent pourtant pas aux critères qualifiant une contribution significative à un article, et dont 20% n’ont même strictement rien écrit de ce qu’ils cosignent…
Vous en voulez encore ? Il y a évidemment la question des conflits d’intérêt minant le travail de la plupart des auteurs, qui ‘oublient’ quasi systématiquement de les signaler. Authentique : il cita le cas (pas du tout isolé) de la réimpression d’un article du Lancet à la demande d’une firme pharmaceutique, qui rapporta 1.300.000 £ à la revue. Pour un seul article ! À ce prix-là, le texte concluait sûrement à l’absence de démonstration de l’efficacité d’un médicament de la firme…
Pour l’anecdote, il cita aussi des cas célèbres de tricheries caractérisées pourtant publiées dans ces revues, ou de comportements éditoriaux indécents (5), pour terminer par accuser un ‘business model’ qui s’enrichit en rationnant l’accès aux idées nouvelles et aux recherches.
Rassurez-vous, il termina cet exposé terrible sur une note résolument optimiste, en pariant sur le caractère inévitable dans un futur proche de l’accès public à toutes les sources et données, qu’il est de plus en plus difficile d’empêcher en ces temps de triomphe de l’immédiateté électronique (6).
Après ce feu d’artifice, les exposés de Wolfgang Gaissmaier, ‘Aider médecins et patients à comprendre les statistiques de santé’, d’ Isabelle Boutron, ‘L’évaluation des risques de biais’, et de Hans Maanen ‘Comment tromper la presse’ (ce dernier au titre pourtant engageant), pour intéressants qu’ils fussent, manquaient un peu de sel…
L’ensemble brossait un tableau peut-être trop sévère de la situation, mais ne signifiait nullement que la pratique peut se passer de références robustes, au contraire. Le remarquable travail du CEBAM depuis 10 ans en est précisément la preuve vivante !
Merci à Xavier de Béthune et à Stéphanie.
Le CEBAM, Centre belge pour l’Evidence-Based Medicine
Le CEBAM a pour but premier de former les soignants et les patients à la démarche de l’EBM (la médecine basée sur les preuves): consulter et analyser les informations médicales scientifiques, pertinentes, validées et les intégrer dans les décisions qui concernent les soins de santé.
En tant que branche belge de la Cochrane Collaboration , le CEBAM est responsable de
diffuser les revues systématiques existantes (il en existe plus de 2.000), et de contribuer à en créer de nouvelles.
Le centre propose également de valider de nouvelles recommandations de pratique clinique en soins de santé .
Il veille aussi à donner une aide méthodologique aux personnes intéressées pour augmenter la qualité de leurs travaux dans les trois domaines ci-dessus. En outre, sa Digital Library of Health (DLH) permet aux soignants d’accéder en ligne à des sources d’information de grande qualité, qui couvrent la littérature médicale et paramédicale. Cette bibliothèque se veut une interface d’excellence, à un prix très abordable.
CEBAM, Kapucijnenvoer 33 Blok J Bte 7001, 3000 Leuven. Tél.: 016 33 26 97. Fax: 016 33 74 80. Courriel: info@cebam.be. Site: http://www.cebam.be
(1) À un détail près, l’usage de l’anglais pour la séance plénière. C’est toujours un peu pénible d’entendre des gens dont ce n’est pas la langue maternelle le martyriser sous prétexte de faciliter la communication. Si les deux premiers conférenciers étaient très à leur aise, les deux suivants l’étaient beaucoup moins, et les questions des participants étaient à ce point incompréhensibles qu’ils ont dû toutes les répéter! De grâce, alstublieft, utilisez plutôt nos langues officielles!
(2) Les sponsors principaux étaient le Service public fédéral santé publique et l’INAMI. Parmi les autres, on notera la présence de Bodytalk , le mensuel santé grand public de Roularta. On a donc échappé au Journal du médecin …
(3) Richard Smith, ‘The Trouble with Medical Journals’, London. Royal Society of Medicine Press, 292 p., 2006.
(4) Il ne résista pas au plaisir de citer ce jugement de Drummond Rennie ( JAMA ): « On dirait qu’il n’existe pas d’étude trop mal ficelée , ni d’hypothèse trop futile , de littérature trop partiale ou trop égocentrique , de conception trop tordue , de méthodologie trop bâclée , de présentation de résultats trop inexacte , trop vague et trop contradictoire , d’analyse trop intéressée , d’argument trop circulaire , de conclusions trop insignifiantes ou injustifiées , ni de grammaire et de syntaxe trop révoltantes pour empêcher qu’un article ne finisse par être imprimé .»
(5) Très jolie performance de cet auteur qui publia 63 de ses textes dans sa revue, modifia la prose de collègues sans leur demander leur avis, publia une lettre qu’il s’envoya lui-même sous pseudonyme, et répondit aussi sous pseudonyme pour discréditer un collègue. Un vrai sans faute!
(6) Comme pour lui donner raison, quelques jours plus tard, une journée d’études sur l’accès libre aux publications scientifiques était organisée au Palais des Académies, avec la signature par les diverses autorités politiques de tutelle de la Déclaration de Bruxelles engageant résolument la Belgique sur les voies de l’accès libre aux publications scientifiques et de la ‘science ouverte’.