Je suis un rendez-vous de santé publique programmé chaque année au début de l’été dans la ville française qui a vu naître Victor Hugo. Lors de ma dernière édition en 2014, j’ai réuni pendant cinq jours une centaine d’intervenants francophones et 220 participants répartis dans douze modules de formation. L’intensité et la diversité des échanges que je produis se lisent dans Le Temps de l’Université d’été, le journal papier publié sur place quotidiennement. Je suis, je suis…
Vous aurez certainement reconnu la description de l’Université d’été de santé publique de Besançon, qui depuis 2003 réunit autour d’un riche programme d’enseignement des acteurs de la santé publique et de la promotion de la santé, des élus et des usagers du système de santé.
Un rendez-vous très couru d’après les chiffres de fréquentation et les échos recueillis auprès des participants. Année après année, la formation organisée par l’Agence régionale de santé (ARS) de Franche-Comté, la Faculté de médecine et de pharmacie de Besançon et leurs partenaires s’est taillée une solide réputation dans la communauté francophone. On vient de loin pour passer la semaine à Besançon: de toutes les régions de France métropolitaine mais aussi de Guadeloupe et de Nouvelle-Calédonie, de Belgique, de Suisse, du Québec, d’Haïti, du Burkina-Faso, de Côte-d’Ivoire, etc.
Il faut dire que l’offre de formation est vaste. En 2014, elle était répartie autour de trois grands axes thématiques: politique et organisation de la santé, méthodes pour l’intervention et l’évaluation, approche par population, lieu de vie ou thématique.
L’organisation millimétrée de l’événement, orchestrée par une chargée de mission aux compétences unanimement saluées, y est aussi pour quelque chose. Les organisateurs tiennent à la diversité des profils et des institutions de rattachement des participants et décrivent ainsi leur ambition: “Cette manifestation a pour but d’unir le potentiel de toutes les personnes concernées par les questions de santé publique dans le monde francophone, de favoriser la réflexion et les échanges autour d’expériences originales afin de répondre à des problématiques concrètes sur des sujets d’actualité.”
Les chargés de mission sont les plus nombreux. Ils côtoient des médecins et autres professionnels de santé, des dirigeants, des coordinateurs et des enseignants-chercheurs. Pour la plupart d’entre eux, la semaine à Besançon est une parenthèse aux allures estudiantines. On a cours le matin et l’après-midi du lundi au vendredi midi. À la pause méridienne, on fait la queue au self et on déjeune sur l’herbe ou sous la grande tente dressée pour l’occasion sur le campus de la Faculté. Le mercredi après-midi, c’est quartier libre. Certains visitent la ville ou ses alentours pendant que d’autres s’approvisionnent en fromages locaux.
Ce qui reste
Cette année encore, Besançon a lieu. Ainsi en ont décidé les organisateurs au terme d’une édition 2014 au bilan particulièrement positif. “L’évaluation conduite par questionnaires a révélé un des plus hauts niveaux de satisfaction exprimés par les participants depuis la création (8,4/10)”, peut-on lire dans le bilan de la manifestation.
Quelques mois plus tard, nous avons voulu savoir ce qu’est devenu cet enthousiame. Les effets de la formation continuent-ils de se faire sentir? Comment les participants ont-ils exploité leurs acquis? Autrement dit, que reste-t-il de Besançon et de son atmosphère une fois que la vie professionnelle a repris son cours habituel?
Quatre d’entre eux, deux femmes et deux hommes, ont accepté de replonger dans leurs souvenirs pour mesurer le chemin parcouru depuis leur passage à Besançon l’été dernier Parmi eux, il y a Alice (le prénom a été modifié à la demande de l’intéressée), chargée de projets en éducation pour la santé dans une Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM), qui mesure sa chance: “Je repense souvent aux personnes rencontrées dans mon module et à leurs diverses façons d’agir sur le terrain pour réduire les inégalités de santé”, raconte-t-elle. “Ces échanges m’ont vraiment aidée. Ils m’ont redonné confiance dans mon approche à un moment où je doutais.”
Repartir avec une valise pleine
En 2014, les participants avaient le choix entre douze modules. Élisabeth, coordinatrice d’un atelier santé ville, revenait pour la 5e fois et suivait l’an passé l’enseignement centré sur les actions probantes. “La formation est réellement de bon niveau, accessible financièrement et se déroule dans de bonnes conditions”, explique-t-elle. “J’y prends beaucoup de plaisir. Je fais des rencontres, j’élargis mon réseau. De vrais liens se tissent avec les participants et les intervenants. Ces personnes-là, je sais que je peux les interpeller si besoin. On se souvient de vous, de la manière dont vous participiez dans le module. J’ai aussi le sentiment de me maintenir à niveau intellectuellement, d’alimenter ma culture en promotion de la santé et de repartir avec une bonne valise et de la matière pour développer mon travail quotidien.”
Même constat chez Michel, bénévole investi dans une association de proches de malades psychiatriques et qui participait pour la première fois, invité par l’Agence régionale de santé de Franche-Comté: “J’ai pris énormément de notes”, confie-t-il. “Mon champ de connaissances s’est élargi et j’ai rencontré des personnes avec qui je vais pouvoir travailler dans mon association.”
Jean-Marc, la petite trentaine, remarque quant à lui que cette formation a modifié son regard sur sa propre pratique. Interne de santé publique, il avait une vue très théorique des inégalités sociales de santé (ISS) à son arrivée à Besançon. “C’est une notion présente dans les rapports, presqu’un élement de langage plus que des actions.” Aussi se réjouit-il d’avoir eu l’occasion de “baigner dans une approche de santé publique peu présente dans les politiques publiques et d’avoir eu accès à des pratiques et à du factuel plutôt qu’à des discours”.
Certes, il n’a “pas eu de déclic” et sait bien qu’il n’existe pas de solution magique pour réduire les ISS. Mais le jeune médecin se sent à présent mieux armé pour agir car plus conscient des enjeux et riche des pratiques partagées au cours de la semaine.
“Les ISS sont souvent caricaturées avec pour unique cible les populations précaires, quand c’est tout un gradient de population qu’il faudrait considérer pour être efficace. En entendant parler d’actions centrées sur l’enfance en Belgique et au Québec, je me suis aperçu que nous le faisons peu en France. Pourquoi ne pas essayer?”
Échanges à gogo
La pédagogie active chère à l’Université d’été de Besançon se traduit par toute une gamme d’invitations à l’échange: échanges d’expériences, de pratiques, d’opinions. Côté enseignement, les interventions magistrales alternent donc avec des travaux en ateliers privilégiant la présentation par les participants de leur expérience personnelle en lien avec la thématique abordée. Les intervenants se succèdent – universitaires, chercheurs, professionnels. “Dans mon module sur l’éducation thérapeutique”, raconte Michel,”il y a eu l’intervention d’un médecin lui-même atteint de la maladie de Parkinson, qui m’a beaucoup marquée. La charge émotionnelle était forte et j’ai identifié dans son discours beaucoup de points communs avec la maladie psychique. Ce sont des maladies honteuses, qui font peur aux familles.”
L’incitation au partage ne s’arrête pas aux portes des modules. Des stands de documentation tenus par des partenaires tels que l’Inpes et la Société française de santé publique (SFSP) présentent une sélection de publications en lien avec les parcours d’enseignement.
Deux fois par semaine, des controverses ont lieu à l’heure du déjeuner, histoire de mettre en débat quelques thématiques d’actualité en santé publique. “Cela permet de se faire sa propre opinion sur chacun des sujets”, apprécie Élisabeth.
Concrètement, deux invités déroulent tour à tour leur point de vue puis dialoguent avec l’assemblée, sous l’oeil avisé d’un modérateur. C’est ainsi que la française Catherine Cerisey, co-fondatrice de la société de conseil en santé Patients&Web, a donné la réplique au belge Gaëtan Absil, chercheur à l’APES (Université de Liège), dans un amphithéâtre plein à craquer. Objet du débat: la place des réseaux sociaux dans la fabrique de la démocratie en santé.
Deux jours plus tard, Agnès Bocognano, directrice déléguée santé à la Mutualité française s’opposait à Stéphane Rossini, professeur en administration publique et sciences sociales et député à l’Assemblée fédérale suisse sur la nécessité de responsabiliser l’assuré afin de mieux maîtriser les dépenses de santé.
Storytelling et autres prolongements
Et puis il y a le journal, Le Temps de l’Université d’été. “L’information au coeur de la formation”, disaient les organisateurs. La petite équipe de joyeux rédacteurs fidèles à leur mission depuis plusieurs années, publie chaque matin son A3 recto-verso, dût-elle y passer la nuit.
La gazette raconte le présent de la veille, invite au questionnement et à la réflexion sur le secteur de la promotion de la santé, dresse le portrait d’une personnalité attachante ou surprenante croisée dans les couloirs.
La rédaction a ses ‘indics’, un réseau de correspondants bénévoles issus des différents modules et agissant au vu et au su de tous. Chaque jour, tandis que leurs camarades de formation s’en vont faire la queue au self, eux dégustent leur plateau-repas dans la salle de rédaction pendant la conférence éponyme. Ils racontent une anecdote, donnent leurs impressions sur la session du matin, suggèrent des sujets, citent quelques noms. Élisabeth, qui s’est essayée à l’exercice une fois, avoue avoir aimé mais également regretté que la tâche l’empêche de déjeuner avec son groupe. Alice a quant à elle “beaucoup écouté et trouvé les échanges intéressants”.
Pour l’Université d’été de Besançon, 2014 était aussi l’année des premiers pas sur Facebook. Une expérience tentée dans l’espoir de donner une dimension nouvelle aux échanges entre participants mais aussi d’élargir la chambre d’échos de la manifestation.
Le faible nombre d’interactions sur la page laisse à penser que les participants comme les ‘extérieurs’ n’étaient pas au rendez-vous. Difficultés de connexion à Internet sur place; manque de préparation et de communication en amont; densité des échanges réels pendant la semaine qui auraient focalisé toute l’attention des participants, désintérêt voire crainte des acteurs de la promotion de la santé vis-à-vis des médias sociaux… Nombreuses sont les explications possibles, qui mériteraient d’être creusées en renouvelant l’expérience sur un temps plus long.
Pour sûr, l’Université d’été de santé publique de Besançon n’a pas fini de se couper en quatre pour susciter les échanges au sein de la communauté des intervenants francophones en promotion de la santé. À l’instar de votre mensuel préféré, soit dit en passant.
Cette année, elle a lieu du 28 juin au 3 juillet.Pour en savoir plus sur l’Université d’été de santé publique de Besançon: http://www.ars.sante.fr/Programme-2015.156653.0.html
Page Facebook 2014: https://www.facebook.com/univetebesancon