La 1ère Conférence internationale francophone sur le contrôle du tabac s’est tenue à Montréal du 15 au 18 septembre 2002 (la Déclaration finale est reproduite ici).
Que dire de ces 3 journées qui réunirent 323 participants francophones du monde entier?
La 1ère journée a tenté de faire le portrait hyperréaliste de l’industrie du tabac et de ses moyens. Des experts ont analysé les nombreux aspects du comportement de l’industrie du tabac et ont témoigné des conséquences qui en résultent.
Facultés de médecine: par ici la monnaie
Un atelier animé par le Professeur Fernand Turcotte (Québec) a démontré avec une étude fouillée les largesses des compagnies du tabac. Toute ressemblance avec les personnes ou les faits similaires en Belgique serait purement fortuite!
En trois ans l’industrie a investi 2,4 millions de dollars canadiens (environ 3 millions d’euros) en dons et subventions de recherche universitaires, surtout dans les facultés de médecine… Apparemment, les universités n’ont aucune politique pour encadrer cette pratique et elles se posent peu de questions à ce sujet.
Les liens entre le monde universitaire et les fabricants de cigarettes ne sont pas uniquement financiers. Ainsi de nombreux cadres de l’industrie du tabac siègent à des comités universitaires. Cela les place potentiellement en conflit d’intérêt, a affirmé le Professeur Turcotte.
L’étude a été dirigée par l’unité de recherche sur le tabac de l’Ontario. Les chercheurs ont examiné les liens ayant existé entre l’industrie du tabac et les universités canadiennes de 1996 à 1999, ce qui représente 90 institutions et 16 facultés de médecine.
C’est la première fois que les universités sont consultées de la sorte et le diagnostic est troublant à plusieurs égards.
Ainsi 28 universités reconnaissent avoir reçu des dons totalisant 3 millions d’euros! Ces sommes ont servi surtout à financer des bourses d’études, des chaires et des congrès.
Les subventions de recherche concernent des montants moins importants: huit universités affirment avoir reçu au total un peu plus de 920.000 euros. Mais ces universités représentent le quart des facultés de médecine.
Le Professeur Turcotte n’en revient pas et se demande sur quelle planète ces facultés vivent pour profiter de «l’argent du crime» (je le cite).
Les universités ont répondu au questionnaire à condition de pouvoir garder l’anonymat et elles ne sont jamais nommées dans l’étude mais Monsieur Turcotte précise que 15 universités de l’Ontario et du Québec ont bénéficié de dons tandis que 6 universités dans les mêmes provinces ont reçu des subventions à la recherche.
Les dons de l’industrie du tabac sont acceptés sans trop de scrupules et aucune des universités ayant répondu au questionnaire n’a de politique pour évaluer cette pratique.
Les auteurs de l’étude constatent également qu’en 1999, 26 cadres de l’industrie occupaient des fonctions de « gouvernance » dans les universités dont 6 dans des hôpitaux universitaires!
Est-il pertinent d’ouvrir les organes de direction des universités à des représentants de l’industrie du tabac? Le débat est quasi inexistant, à peine 2 universités affirment que la question a été soulevée par les dirigeants.
Cette question a pourtant fait l’objet d’une controverse publique il y a 3 ans lorsqu’un journal spécialisé a révélé que l’ancien recteur de l’Université de Toronto, Monsieur Richard Prichard siégeait au Conseil d’administration d’IMASCO, holding comprenant Imperial Tobacco.
Les auteurs de l’article paru dans une publication du British Medical Journal soutenaient que les hôpitaux et les universités devraient couper tous liens avec le monde du tabac. Le moins qu’on puisse dire est qu’ils n’ont pas été entendus!
Les auteurs de l’article se sont penchés également sur les placements faits par les universités. Au total 19% de celles qui ont répondu à la question, soit 13 sur 70 détenaient des actions ou des obligations du secteur tabac en 1999! Une seule université s’était interdit d’investir dans ce secteur.
Ce n’est pas un hasard si les compagnies de tabac font preuve d’une générosité particulière envers les facultés de médecine, avance le Professeur Turcotte, elles se servent des universités pour se redonner une crédibilité. Selon lui, les fabricants de cigarettes se servent de l’existence même des projets de recherche sur l’impact du tabac pour soutenir que le caractère nocif de leur produit fait encore l’objet d’une controverse.
Monsieur Turcotte reconnaît cependant que les universités canadiennes ne sont pas les seules à frayer avec les fabricants de cigarettes et que les liens entre le monde du tabac et celui de la connaissance existent dans d’autres pays.
On avait beau s’en douter, cette étude a de quoi laisser perplexe, à tout le moins…
Echange d’expertises francophones
La 2ème journée a été consacrée aux foyers de résistance au tabagisme et à l’industrie du tabac.
La 3ème journée a porté sur les perspectives d’avenir. Epinglons notamment ce débat très animé sur la réduction des risques, qui divise la communauté médicale et les groupes anti-tabac.
Peut-on conseiller à un fumeur irréductible de diminuer sa consommation de cigarette?
Doit-on accepter qu’un ex-fumeur prenne des timbres à la nicotine pour le reste de sa vie?
Il manque des recherches sur les effets d’une diminution de consommation, expliquait le Professeur Gérard Dubois qui a présidé en France un groupe de travail interministériel sur la réduction des risques.On ne sait pas si cela aide à arrêter de fumer totalement. Et on ignore les effets précis sur la santé.
Soulignons enfin que cette 1ère Conférence internationale francophone sur le contrôle du tabac répondait à un besoin important, ‘celui d’offrir aux acteurs francophones l’occasion d’enrichir leur compréhension du phénomène tabagisme, de partager les différentes formes d’expertise et d’influencer le cours de leurs interventions. Elle illustre également une ouverture du monde francophone aux grands défis internationaux’ , rappelait le Ministre Roger Bertrand lors de la séance d’ouverture. ‘ On connaît , a-t-il ajouté, les efforts considérables qu’il faut déployer pour réduire le taux du tabagisme dans nos collectivités et pour prévenir le tabagisme chez les jeunes .
Il est donc très intéressant de pouvoir discuter des pratiques respectives ‘ a-t-il conclu.
Rappelons que, en plus de l’adoption de la loi sur le tabac en 1997, le Québec dispose d’un plan de lutte contre le tabagisme pour lequel le gouvernement a réservé un budget de 25 millions d’euros pour 2002-2003.
De plus le gouvernement québécois a offert un soutien financier de 200.000$ pour permettre la tenue à Montréal de cette 1ère Conférence internationale francophone sur le contrôle du tabac.
Soulignons enfin la présence active d’une parlementaire fédérale belge, Madame Gilkinet , et de la représentante de la Ministre francophone de la Santé, Nicole Maréchal, ainsi que l’aide apportée par cette dernière aux organisations belges actives dans le domaine, qui leur a permis de participer à cet événement et de présenter les résultats de leurs travaux et recherches.
Michel Pettiaux , FARES
Déclaration de Montréal sur le contrôle du tabac
Montréal, 18 septembre 2002
Nous, spécialistes du contrôle du tabagisme du monde francophone, réunis à Montréal, avons conclu que la lutte contre le tabagisme passe obligatoirement par une solution politique. L’industrie du tabac, en propageant la dépendance au tabac à travers le monde, constitue le vecteur de cette épidémie qui tue 4 millions de personnes par année. Nous réclamons la mise en place d’une politique globale qui inclut un encadrement rigoureux de l’industrie du tabac.
L’Etat a la responsabilité de modifier les éléments de l’environnement social, créés en grande partie par l’industrie du tabac, qui rendent nos concitoyens vulnérables à l’épidémie tabagique. Les gouvernements doivent de toute urgence mettre en place un ensemble efficace de mesures, notamment réglementaires et fiscales, soutenu par un financement public permettant de contrôler l’épidémie et ses effets.
Il faut avant tout:
– mettre fin à toute forme de promotion directe et indirecte de ce produit mortel, y compris le parrainage;
– rendre le tabac moins accessible en augmentant les taxes et en maîtrisant la contrebande;
– protéger les non-fumeurs de toute exposition à la fumée du tabac;
– favoriser l’arrêt du tabagisme et rendre accessibles les aides au sevrage;
– informer le public du contenu et des effets des produits du tabac.
Le tabagisme étant la source de l’enrichissement mondial des fabricants de cigarettes, leur opposition à ces mesures est avérée et en fait l’adversaire principal à combattre. La solidarité des pays de la francophonie est d’autant plus importante que les pays en voie de développement sont les nouvelles cibles des multinationales du tabac.
Le Comité scientifique
Première Conférence internationale francophone sur le contrôle du tabac, Montréal – Québec – Canada
Renseignements: CIFCOT, 3535 avenue Papineau, bureau 2102, Montréal (Québec) H2K 4J9 Canada. Internet: http://www.cifcot.com . Courriel: info@cifcot.com.