Janvier 2006 Par C. MAILLARD Initiatives

Depuis le 1er janvier 2006, plus aucune entreprise n’y échappe: l’interdiction de fumer dans les lieux de travail clos, qu’ils soient situés dans l’entreprise ou en dehors, les lieux de passage fermés ou les pièces collectives, est entrée en vigueur. Mais depuis le 1er avril 2005, les entreprises étaient déjà invitées à réfléchir à la façon la plus adaptée de mettre cette législation en application. Pour les y aider, le FARES a mis en place un outil d’aide très pratique.
La gestion du tabagisme sur les lieux de travail se pose avec plus ou moins d’acuité dans la grande majorité des entreprises. Car lorsque les fumeurs se heurtent aux non-fumeurs, les uns arguant de leur liberté individuelle, les autres du respect de leur santé, les conflits peuvent pourrir l’ambiance au travail. Désormais, les choses seront plus claires. En tout cas en théorie… En pratique, tout n’est pas toujours aussi aisé à aménager.

Ce que dit la loi

Le Moniteur belge du 2 mars 2005 publiait un arrêté royal datant du 19 janvier de la même année qui signe l’arrêt de mort du tabagisme «libre» en entreprise. Néanmoins, bon nombre d’entre elles avaient déjà pris des mesures, allant de la tolérance zéro dans le bâtiment à l’installation de fumoirs (1). Ces mesures sont donc généralisées depuis le 1er janvier 2006.
L’arrêté définit en effet cette interdiction de fumer dans les lieux de travail clos, que ce soit dans les bâtiments ou en dehors, comme dans les cabines de camion, les voitures de fonction, etc. Cette interdiction se prolonge dans les espaces fermés de l’entreprise où les travailleurs accèdent, comme les halls, couloirs, ascenseurs, parkings fermés, etc., ou encore les moyens de transport mis à la disposition du personnel pour le transport collectif du et vers le lieu de travail, mais aussi dans les équipements sociaux, comme les réfectoires, sanitaires, locaux de repos et de premiers soins.
« Les entreprises devront mettre en place une politique de gestion du tabagisme dans ces lieux : cela peut aller de l’interdiction totale à l’installation d’un fumoir qui devra être ventilé efficacement . Pour arriver à une solution qui convienne au plus grand nombre , il est important que la direction choisisse , en concertation avec les travailleurs ou leurs représentants , l’option la plus adéquate . Nous prônons l’installation d’un comité de pilotage composé entre autres de représentants de la direction , des ressources humaines , du conseiller en prévention , de la médecine du travail et des délégués syndicaux . Ce comité serait chargé d’analyser la situation individuelle de la société , en fonction du nombre de fumeurs , de la disposition des locaux , des demandes des travailleurs et de leurs besoins , etc .» explique le Professeur Pierre Bartsch , Président du FARES, Fonds des affections respiratoires.

Des outils pour aider les entreprises

Plusieurs appels ont abouti au FARES, provenant d’employeurs souhaitant avoir l’expertise de cette institution, voire une consultance. « Nous ne disposons pas du personnel suffisant pour aider sur place les entreprises à trouver les solutions les plus adéquates . Aussi , face à la demande des firmes qui prenaient spontanément contact avec nous , nous avons édité une brochure pratique qui donne des conseils notamment sur la façon de développer une politique de gestion du tabagisme en fonction de cette nouvelle législation , d’organiser un fumoir , d’informer les travailleurs ainsi que les visiteurs des mesures prises , etc . Elle donne également des adresses utiles en termes d’aide à la cessation tabagique et rappelle l’impact du tabagisme tant sur les fumeurs que sur les non fumeurs qui les côtoient », poursuit Pierre Bartsch. Un cédérom vient compléter cette information pour aborder les questions pratiques (2).
« Dans tous les cas , il n’est pas question de stigmatiser le fumeur : il n’est pas un ennemi . Certains sont très dépendants et très malheureux de l’être . Il s’agit donc de veiller au bien être au travail , dans la gestion de relations entre les travailleurs . Par ailleurs , focaliser sur les minutes perdues au fumoir risque de créer des tensions au sein de l’entreprise ; or , si on établit une bonne concertation dès le départ , toute discrimination et tout problème relationnel seront évités . Il faut favoriser la compréhension dans un cadre légal qui existe désormais . Enfin , et surtout , cette discussion sur la gestion du tabagisme peut aussi être l’occasion pour les fumeurs de réfléchir à leur consommation et d’être orientés vers un moyen d’aide à la cessation tabagique ou une consultation dans un Centre d’aide aux fumeurs ( CAF )…», précise Caroline Rasson, responsable du Service Prévention tabac du FARES.

Tolérance zéro: 6% de fumeurs en moins!

Parmi les moyens possibles pour supprimer le tabagisme au sein de l’entreprise, il y a la «tolérance zéro», à savoir l’interdiction formelle de fumer dans tous les bâtiments de l’entreprise, et sans mise à disposition de fumoir. Une solution que le Président du FARES semble privilégier en terme d’impact sur la santé du personnel: « On a constaté que la présence d’un fumoir n’incite pas à arrêter de fumer . De plus , il faut aussi penser au personnel d’entretien qui doit nettoyer les cendriers et pour qui ce n’est pas nécessairement agréable ; au fait que les personnes occupant les bureaux voisins sentent bien souvent les relents de fumée provenant du fumoir lorsque les portes ne sont pas fermées ; au fait que vu qu’il est autorisé de fumer dans l’entreprise , le fumeur qui n’a pas le temps ou l’envie de se rendre au fumoir à l’autre bout du bâtiment peut aller fumer dans les cages d’escaliers ou l’escalier de secours Ce dernier risque peut aussi surgir lorsqu’ aucun fumoir n’est prévu et que le travailleur n’a pas envie d’aller fumer dehors Alors que lorsqu’une entreprise instaure l’interdiction totale de fumer , on constate une diminution du nombre de fumeurs de 6 % en moyenne ! Certes , l’objet de la loi n’est pas de faire diminuer le nombre de fumeurs , mais cette conséquence n’est pas dénuée d’intérêt !», précise le Prof. Bartsch.
Mais cette interdiction totale doit aussi être concertée: on pense notamment à l’infirmière de nuit qui ne peut quitter son service, puisqu’elle est seule. Il s’agit de l’aider à travailler dans les meilleures conditions possibles, par exemple en mettant à sa disposition des gommes de nicotine ou tout autre moyen de substitution en cas de coup dur…

Recommandations d’experts

Réunis à Limassol (Chypre) en avril 2005, une soixantaine d’experts ont élaboré 12 recommandations en matière d’interdiction de fumer sur les lieux de travail et dans les lieux publics.
1. Le principal argument est que le danger du tabagisme passif est prouvé.
2. Les succès récents de ce type de législation en Irlande, Norvège et Italie sont à mettre en exergue.
3. Il faut choisir une législation claire.
4. Le meilleur choix est l’interdiction totale.
5. Il est important que les législations ne se limitent pas aux seuls lieux de travail.
6. Il faut éviter une législation avec des zones pour fumeurs.
7. Il faut éviter une législation qui ne sera pas respectée.
8. Il faut pouvoir contrôler la mise en œuvre de l’interdiction.
9. Une interdiction totale n’est possible qu’après une préparation adéquate et un processus de consultation.
10. Une stratégie média proactive et réactive est indispensable.
11. Se préparer à une forte opposition (3).
12. Une alliance des acteurs de santé publique est requise.
Informations fournies par Luk Joossens , de la Fondation contre le cancer

On le voit, décider de la politique à mener au sein de l’entreprise n’est pas chose aisée: il faut prendre en compte la situation particulière et globale de l’entreprise et de ses salariés, et analyser correctement la situation pour que chacun participe, s’exprime librement et que tous les acteurs décident de la solution la plus adaptée.

Sanctions volontairement oubliées

Le législateur n’a cependant pas souhaité s’immiscer trop dans la vie de l’entreprise et n’a pas prévu lui-même de sanctions en cas d’entorse au règlement. « C’est la législation actuelle qui reste en vigueur : si un non fumeur porte plainte auprès de la direction pour non respect de la part d’un fumeur de cette interdiction , c’est l’employeur qui est responsable . Cela ne peut donc qu’inciter ce dernier à trouver des solutions et à réfléchir à des sanctions possibles . Ensuite , il s’agira d’amener ces informations de la façon la plus courtoise possible et d’y faire adhérer tout travailleur , fumeur ou non . Il devra également être capable de prouver qu’il a bien informé son personnel sur l’interdiction et sur les risques liés à la consommation de tabac dans l’entreprise . La loi donne l’obligation d’informer , d’interdire de fumer , mais ne fixe pas les moyens pour y parvenir …», conclut Caroline Rasson.
Raison de plus pour établir la concertation et d’inscrire par exemple la mesure prise dans le règlement d’ordre intérieur…
Carine Maillard
(1) Par exemple, le siège central des Mutualités chrétiennes, qui éditent Education Santé, est non-fumeur depuis son déménagement de la rue de la Loi (Bruxelles) à la chaussée de Haecht (Schaerbeek) en novembre 1999. Le pari était qu’une telle mesure serait plus facilement acceptée par les fumeurs en arrivant dans un nouvel environnement au sein duquel ils n’avaient pas de repères tabagiques. Pari gagné, cela n’a guère posé de problème. Il est vrai que le bâtiment s’y prête bien, avec un fumoir adapté, et la possibilité d’aller fumer à l’extérieur sans se retrouver sur un trottoir pollué par les gaz d’échappement (ndlr).
(2) Ce cédérom est en vente au prix de 50 euros, commande en ligne sur le site http://www.fares.be . La brochure est disponible en format électronique au FARES, rue de la Concorde 56, 1050 Bruxelles. Tél.: 02 512 29 36 ou par courriel: bibliotheque@fares.be. Une affiche sur la prévention du tabagisme en entreprise est également disponible gratuitement.
(3) Ainsi, en Belgique, l’annonce du projet d’interdiction prochaine de fumer dans l’Horeca a été immédiatement présentée par le secteur comme une catastrophe majeure pour l’emploi, ce que les expériences des pays européens ayant franchi le pas ne permet absolument pas de prévoir.