Février 2007 Par C. MAILLARD Initiatives

Depuis le 1er janvier 2007, la loi restreignant encore les endroits publics où le tabagisme est autorisé est entrée en vigueur. Désormais, c’est donc le secteur horeca qui est visé. Mais attention, il y a évidemment «quelques» subtilités…
En réalité, lorsque l’on parle d’interdiction de fumer dans le secteur horeca, c’est malheureusement trop généreux… Beaucoup d’exceptions sont encore prévues et comme d’habitude, cette loi est compliquée. Alors pour tenter de bien en cerner les subtilités, nous allons avec vous la passer en revue par type d’établissement… Accrochez-vous!

Il y a resto et resto…

Tout d’abord, les restaurants. Par «restaurant», on entend «un établissement horeca dont l’activité principale et permanente consiste à préparer et servir des repas et des boissons pour la consommation sur place ou non». Il s’agit donc des restaurants classiques – indépendants ou situés dans un lieu plus étendu comme une gare, un centre commercial, un hôtel… – mais aussi les salons de thé, les glaciers, les snacks à pittas, les snack-bars, les bars à soupe, les bars à café ou les salons de dégustation de pâtisseries.
Ici, l’interdiction de fumer est totale, mais le restaurateur a le droit de prévoir une salle fermée (c’est-à-dire avec des murs et un plafond) qui servira de fumoir. Dans ce fumoir, seules des boissons pourront être servies et il devra être situé hors des zones de passage – comme le jardin ou les toilettes – et sa superficie ne pourra excéder un quart de la superficie totale dans laquelle les plats et boissons sont servis à la consommation. Il doit aussi être muni d’extracteurs de fumée.
Mais attention! Ce n’est pas si simple: la loi précise que les établissements qui ne servent que des repas «légers» ou dont l’achat de denrées alimentaires ne représente pas plus d’un tiers des achats totaux ne sont pas assimilés à des lieux de restauration, comme nous le lirons plus loin…
Notons aussi qu’un «lieu de restauration» est aussi celui où les boissons ne peuvent être servies qu’avec un repas… Et comme si ce n’était pas encore suffisamment compliqué, un régime spécial a été concocté pour les friteries: celles qui proposent plus de 16 places, assises ou debout, pour consommer sa fricadelle et ses frites, sont reprises comme lieu de restauration, donc sont soumises à la loi sur l’interdiction totale de fumer. Si la friterie compte moins de 16 places, mais a une superficie de plus de 50m², elle doit prévoir une zone fumeurs correspondant au maximum à la moitié de la superficie totale dans laquelle les plats et boissons sont servis à la consommation (sans compter les couloirs, cuisine et commodités), avec des extracteurs de fumée dans la zone fumeurs. Mais si elle propose moins de 16 places assises ou si sa surface fait moins de 50m², il ne faut même pas aménager une zone non-fumeurs, mais simplement prévoir des systèmes d’extraction de fumée.
Ces dispositions n’empêchent évidemment aucun restaurateur ou gérant de friterie d’interdire d’office de fumer dans son établissement, même si la loi ne le lui impose pas…
Globalement, donc, et c’est probablement ce qui ravira le plus les non-fumeurs, depuis le 1er janvier, il est possible d’aller déguster un petit plat avec les enfants ou les personnes plus fragiles, sans s’inquiéter de son voisinage, de la possibilité d’ouvrir une fenêtre (ce qui génère le plus souvent des regards obliques des autres clients!) ou de se demander si l’on trouvera une place près de l’extracteur de fumée, s’il y en a un… Car la loi sur les espaces fumeurs-non fumeurs et la présence d’extracteurs de fumée était particulièrement peu ou mal suivie… En sera-t-il autrement à partir de maintenant? On ne demande qu’à voir.

Et les débits de boissons?

Précisons d’abord ce que le législateur entend par «débit de boissons»: il s’agit «d’un établissement horeca dont l’activité principale et permanente consiste à servir des boissons, y compris des boissons alcoolisées et des spiritueux, pour la consommation sur place».
Ceci précisé, sachez que les débits de boissons ne sont pas tous logés à la même enseigne.
Prenons le cas du café du coin, qui ne sert pas de nourriture. Ici, c’est le statu quo: si la surface fait moins de 50m², pas besoin de partie non-fumeurs, mais des extracteurs de fumée conformes devront fonctionner. Par contre, si l’établissement fait plus de 50m², il devra aménager une zone non-fumeurs, d’au moins la moitié de la superficie totale de l’établissement, avec les autocollants «fumeur», «non-fumeur» d’usage en suffisance et la présence d’extracteurs de fumée dans la zone fumeurs.
Idem si ce café sert des «repas légers» (la liste de ces repas dits «légers» est réglementée) ou si le propriétaire n’achète des denrées alimentaires qu’à raison de moins d’un tiers de ses dépenses totales (ce qu’il devra attester de bonne foi ou prouver en cas de contrôle).
Si le café a une activité de restauration plus conséquente, il sera soumis à l’interdiction de fumer, parce que considéré comme lieu de restauration…
Prenons alors le cas d’un débit de boissons qui se situe dans une enceinte sportive, comme la buvette du club de foot ou la cafétéria de la piscine ou du club de tennis. Et bien ils tombent désormais sous la loi générale de l’interdiction de fumer même s’ils ne servent aucun repas, parce que situés dans une enceinte sportive, tout simplement.
Et si le débit de boissons se situe dans un lieu public étendu (gare, centre commercial, hôtel…), alors il faudra voir s’il est isolé du reste du «lieu public» qui l’accueille par une porte d’entrée, des cloisons et un plafond… Si c’est le cas, alors il sera soumis à la législation sur les débits de boisson (lire plus haut). S’il n’est pas isolé, il relève donc de la législation sur les lieux publics d’application depuis le 1er janvier 2006: tout comme les terrasses intérieures, par exemple dans un centre commercial ou une gare, il devra être non-fumeur! Les cafetiers doivent dès lors apposer l’autocollant d’usage (à placer dès qu’il y a une zone non-fumeurs) et retirer tous les cendriers et autres gadgets (comme des allumettes) pouvant inciter à en griller une!
Vous en voulez encore? Et si on parlait maintenant des salles polyvalentes? Ici, c’est bien plus simple! Ces salles qui peuvent servir pour des banquets, des réceptions, des réunions, des expositions… ne sont pas considérées comme des établissements horeca, donc l’interdiction ne les concerne pas. Néanmoins, certains propriétaires invoquent le caractère public de ces locaux et, de ce fait, considèrent que l’interdiction de fumer doit y être appliquée. Ici, ce sera donc le «contrat» passé entre le propriétaire de la salle et celui qui la loue qui jouera les arbitres.

Les hôtels

Et pour les lieux d’hébergement? Dans l’hôtel ou la maison de retraite, par exemple, tout ce qui peut être considéré comme un espace privé, comme la chambre, n’est pas soumis à l’interdiction de fumer. Si les chambres sont communes, comme dans les auberges de jeunesse, par exemple, il s’agira alors de se mettre d’accord entre occupants de bonne volonté… Par contre, les hôteliers qui le souhaitent peuvent toujours imposer des chambres «fumeurs» et «non-fumeurs». Mais dans les parties communes, comme les couloirs, les escaliers, les halls, les salles d’activités…, l’interdiction de fumer est d’application parce qu’il s’agit de lieux publics.

Dans tous les cas, la loi doit être respectée par tous: exploitants et clients. La loi le stipule: «toute infraction est recherchée, poursuivie et punie». Et si un client constate que la loi n’est pas appliquée dans l’établissement qu’il fréquente, il peut porter plainte. Un numéro de téléphone ainsi qu’une adresse électronique sont à sa disposition (courriel: apf.inspection@health.fgov.be – Tél. 02 524 74 50 – Fax 02 524 74 99). Une initiative à ne pas considérer comme un appel à la délation, mais comme une possibilité de faire valoir ses droits de client…

Une loi très, trop complexe?

Ouf! On a fait le tour. Et on voit à quel point la législation est complexe, ce qui ne facilitera pas le respect des règles. « On aurait pu faciliter ce texte et le rendre applicable partout , se désole le Pr Pierre Bartsch , président du Fares. Ca va être un vrai foutoir ! La loi ne sera probablement pas bien suivie et les histoires de fractionnement des zones ne seront pas faciles à définir On voit ici à quel point le lobby de l’horeca a été puissant ! Et pourtant , quand on voit la situation en Irlande , les bars ne se sont jamais aussi bien portés qu’aujourd’hui ! Ils annonçaient une diminution de leur chiffre d’affaires de 4 % après l’entrée en vigueur de la loi , mais cette tendance existait déjà avant cela ! Et la reprise a été au rendez vous après cette première année Chez nous , j’imagine déjà les astuces que certains vont trouver , comme des bars qui vont se transformer en établissements privés , avec signature des clients à l’entrée pour éviter cette interdiction Mais cette loi est certainement mieux que rien . La Belgique est et reste un pays de compromis
La France pour sa part a adopté une loi autrement plus simple: dès le 1er février 2007, il sera interdit de fumer dans «tous les lieux fermés et couverts qui accueillent du public ou qui constituent des lieux de travail», mais aussi dans les moyens de transport collectifs et les «espaces non couverts des écoles, collèges, lycées», autrement dit les cours de récréation.
Pour ce qui concerne les «débits permanents de boissons à consommer sur place, casinos, cercles de jeu, débits de tabac, discothèques, hôtels et restaurants», l’interdiction est reportée au 1er janvier 2008. Ici, point de distinctions et dérogations compliquées, en tout cas dans l’état actuel du texte. Car on sait que la pression des cafetiers et autres représentants du secteur horeca est forte… et que des élections se profilent d’ici là.
Carine Maillard (avec la collaboration du FARES)

Dégoûter les fumeurs?

Notons encore que chez nous, dès le 31 mai 2007, tous les paquets de cigarettes vendus en Belgique devront obligatoirement apposer des illustrations dissuasives, en plus des messages de prévention et de sensibilisation sur les risques du tabac. Il s’agit de la concrétisation d’une transposition en droit belge d’une directive européenne.
Ces mesures, ajoutées à celles qui sont déjà en vigueur (augmentation régulière du prix du paquet de cigarettes, interdiction de vente aux mineurs, interdiction de fumer sur le lieu de travail, dans une grande partie des lieux publics…) parviendront-elles à inciter les fumeurs à l’écraser une fois pour toutes? Les chiffres de vente nous le diront bientôt, à condition que tous les Belges n’aillent pas se fournir au Luxembourg…

Petit rappel utile!

D’après le Ministre de la Santé, Rudy Demotte , chaque année, quelque 2500 personnes décèdent dans notre pays des conséquences du tabagisme passif.
Le tabagisme passif sur le lieu de travail est à l’origine de 20% des décès qui y sont liés, et parmi ces 20%, la moitié des victimes travaillaient dans le secteur horeca (soit 250 décès annuels).
Une enquête de la Fondation contre le Cancer montre que 58% des personnes interrogées se disent favorables à une interdiction de fumer totale dans tous les restaurants, 28% y sont opposées et 14% n’ont pas d’avis sur la question.
100 inspecteurs seront chargés de contrôler dans tout le pays que la loi est bien appliquée. 25.000 contrôles sont annoncés pour cette année, dont 12.000 dans le courant du premier trimestre. Les contrôleurs auront aussi pour tâche d’expliquer la mesure aux exploitants.

Horeca: des opinions divergentes?

Certains restaurants pointent du doigt la possibilité d’installer des fumoirs dans leurs murs, considérant qu’il s’agit d’un message contradictoire avec l’esprit de la loi (décourager la consommation de tabac dans les restaurants) et concluent qu’il y aura encore beaucoup de fumeurs «pratiquants» dans les restaurants malgré la loi.
Bref, ils craignent que l’exception (la présence de fumoirs) devienne la règle. Ils s’insurgent également contre la déduction fiscale qui sera accordée aux restaurateurs qui investiront dans les systèmes d’aspiration de la fumée, ce qui décourage la transition définitive vers des restaurants non-fumeurs puisqu’à l’achat de ces systèmes, les restaurateurs voudront les «amortir», en continuant à laisser fumer les clients. Ils en appellent donc à ce que le ministre récompense fiscalement en priorité les restaurateurs qui décident de bannir définitivement et complètement le tabac, notamment via les investissements en faveur de la sécurité alimentaire.
Ces restaurants, regroupés au sein de l’association Bemora, sont essentiellement des chaînes de restaurants ou des fast-foods (Quick, MacDonald’s, Pizza Hut, Lunch Garden…), et ont un certain poids dans le secteur. Espérons que leur philosophie sera suivie par les plus petits restaurateurs.

Campagne de communication

Afin de faciliter l’application de l’interdiction en vigueur au 1er janvier 2007, le Ministre Rudy Demotte a consenti un budget conséquent aux fédérations horeca pour la mise sur pied d’une large campagne de communication visant à la fois à soutenir le secteur et à informer le grand public.
C’est ainsi qu’ils ont mis à disposition de tous un ensemble de supports d’information, dont une campagne TV au ton original (visible sur le site http://www.rudydemotte.be ). Cette campagne est sans doute trop mordante pour le téléspectateur belge, puisque le ministre a décidé de la retirer des écrans suite à deux plaintes introduites auprès du Jury d’éthique publicitaire. Les esprits paranoïaques penseront sûrement que ces plaintes ne sont pas tombées du ciel…
Depuis le mois d’août 2006, il existe aussi un site web (www.fumer-horeca.be), un centre d’appel (02 524 97 97) ainsi qu’une adresse électronique ( fumer-horeca@health.fgov.be) permettant à chacun d’adresser des questions spécifiques sur la nouvelle réglementation. Les exploitants ont également reçu un courrier cosigné avec les fédérations.
Cette lettre accompagnait un “leaflet” intégrant un logo autocollant permettant d’identifier les établissements non-fumeurs. Le logo «Smokefreefood» connaît aujourd’hui un succès immense comme en témoignent les chiffres transmis par le SPF (plus de 300 demandes en supplément de l’envoi effectué à tous les exploitants).
Les fédérations horeca ont par ailleurs déjà publié un certain nombre d’articles dans leurs revues spécialisées.