Compact, accessible et ludique. Cultures&Santé a développé un outil de décryptage du fonctionnement des mutualités qui tient dans une fine boîte en carton de format A4. Fin septembre, une première matinée de formation a permis à des professionnels du social et de la santé de découvrir ce kit conçu avec l’aide d’usagers de l’asbl Caria. Entretien avec Roxane Combelles, Maïté Cuvelier et Jeanne Dupuis de Cultures&Santé.
Education Santé : Comment se présente ce nouvel outil ?
Maïté Cuvelier, coordinatrice équipe promotion santé : Tout l’enjeu était qu’il soit didactique et accessible. Il comporte deux cahiers et des supports d’animation. Un premier cahier d’accompagnement de 37 pages propose des repères théoriques sur le fonctionnement et les missions des mutualités. Il précise aussi des concepts annexes, comme le système de conventionnement ou le statut Bénéficiaire d’intervention majorée (BIM), car on a remarqué qu’il y avait de gros besoins sur le terrain. Ce fascicule contient également un glossaire composé avec le groupe d’usagers qui a travaillé avec nous. Ensuite vient le guide d’animation de 40 pages divisé en quatre parties et neuf pistes d’animation. Il propose différents supports : des cartes de jeux de rôle et des cartes pictogrammes pour les avantages et services, une affiche sur le fonctionnement des mutualités, ou encore des formulaires-type.
Qu’est-ce qui a poussé Cultures&Santé à s’emparer du sujet des mutualités ?
Maïté Cuvelier : Nous avions cette thématique en tête depuis une dizaine d’années, conscients qu’elle correspondait à de réels besoins à la fois en cohésion sociale, car nous constatons que le taux de non-recours à certains droits et avantages est très important. Et aussi en éducation permanente, car nous faisons le choix de décrypter des systèmes avec un regard critique. Par ailleurs, lors de nos actions de promotion de la santé, et notamment en matière de littératie en santé, on constatait de réels questionnements des professionnel·les en matière d’accès à l’information sur les mutualités pour les citoyen·nes.
Roxane Combelles, coordinatrice éducation permanente : Puisque le sujet des mutualités est vaste et complexe, nous avons d’abord travaillé sur l’historique de ce système en rappelant que l’entraide et la solidarité sont à l’origine de la création des caisses de secours mutuel, l’ancêtre des mutualités. Nous avons fait tout un travail de documentation et d’archive pour développer dix cartes illustrées retraçant l’évolution des mutualités en Belgique. Cet outil permet de réaliser une ligne du temps et de réfléchir aux obstacles actuels auxquels les mutualités font face et les améliorations souhaitables pour les rendre accessibles à tout le monde. Il est sorti en octobre 2022 et aussi disponible sur demande auprès de notre centre de documentation.
À quel(s) moment(s) avez-vous travaillé avec les mutualités ?
Jeanne Dupuis, chargé de projet Promotion santé : A plusieurs étapes, lors de nos recherches sur le fonctionnement des mutualités avec un étayage théorique tout au long du processus. Puis nous avons confronté nos étapes de travail sur l’affiche, la sélection et la priorisation des explications relatives au fonctionnement… et enfin pour relire le guide d’accompagnement avant publication.
Pourquoi avoir choisi de co-construire l’outil avec les utilisateurs de l’ASBL Caria, une maison de quartier des Marolles ?
Jeanne Dupuis : L’idée de notre processus de création est de co-construire au maximum avec les utilisateurs pour comprendre quels sont leurs besoins lorsqu’ils veulent faire valoir leurs droits et pour apporter des réponses appropriées. Nous avons réalisé huit ateliers, à raison d’un atelier tous les quinze jours. Entre chaque séance, l’animatrice du Caria reparcourait avec le groupe ce que nous avions vu la séance précédente. Ce long processus a permis l’appropriation du sujet et le développement de compétences nécessaires pour interagir avec sa mutualité.
Au cours de la première séance, la plupart des participants ne savaient pas à quelle mutualité ils étaient affiliés. C’est leur conjoint ou un membre de la famille qui s’en occupait. Au fur et à mesure, ils ont découvert que les mutuelles faisaient beaucoup plus que de se contenter de rembourser les soins de santé. Qu’elles étaient issues d’un combat social, qu’elles avaient un rôle de représentation des patients, des services sociaux et juridiques accessibles à tous.
Ensemble, nous avons créé des points de repères pour qu’ils puissent faire la distinction entre public ou privé, car les usager·es voient essentiellement la concurrence entre mutualités.
Quelles sont les principales difficultés que rencontrent les affiliés dans leur rapport à leur mutualité ?
Roxane Combelles : On a démarré le projet en recueillant les besoins au sein de plusieurs groupes d’adultes dans différentes filières (insertion socio-professionnelle, apprentissage de la langue française…). Il s’est avéré qu’il y a des difficultés dans l’accès aux informations concernant les mutualités ce qui amène à du non-recours aux droits et aux avantages de ce système. Pour déjouer la complexité du système, de nombreuses informations circulent de bouche à oreille : “Ah, cette prime-là, normalement je peux l’avoir car ma voisine l’a eue quand elle a accouché”. En effet, les brochures et les sites sont parfois tellement obscurs qu’il est difficile de s’y retrouver, et pour tout le monde, pas seulement pour des personnes qui ne maîtriseraient pas la langue française. C’est donc l’entraide, informelle, qui permet d’utiliser les services des mutuelles. La personne qui maîtrise un peu mieux le français, fait les papiers pour son entourage ou le voisinage.
Qu’est-ce qui vous a surpris au cours du processus ?
Jeanne Dupuis : Les participants exerçaient leur esprit critique avec humour en nous faisant remarquer qu’il était toujours très simple de comprendre une facture de leur mutuelle. “C’est écrit en gros, avec un QR Code à flasher bien au centre – c’est très clair”. En revanche, pour se faire rembourser des frais liés à l’assurance complémentaire, qui nécessite des démarches proactives, ce n’est pas du tout facile. “Pour le sport, je remplis une partie du formulaire moi-même, mais l’association sportive doit remplir l’autre partie, il faut avoir un cachet, entrer dans les bonnes dates”. Ils estiment à raison que cela pourrait être facilité.
Ils nous ont aidé à scénariser des jeux de rôles avec des situations issues de leur expérience : Hanna, une femme enceinte qui cherche à obtenir le statut BIM, Joseph, une personne âgée qui a mal partout et qui a besoin de séances de kiné.
Quel a été l’effet de ces ateliers sur le groupe ?
Jeanne Dupuis : On a senti une grosse satisfaction des apprenants dès lors qu’ils réussissaient à s’y retrouver dans le vocabulaire particulier des mutuelles : tarif, honoraires, tiers payant, DMG, alors qu’ils ne maîtrisent pas forcément bien l’écrit. On a aussi identifié toutes les aides conditionnées. Par exemple, qu’il faut aller chez le dentiste une fois par an pour être certain d’être remboursé. Très vite, on a pris garde à ce que notre outil analyse le fonctionnement global d’une mutualité-type et ne devienne pas un outil de comparaison entre mutualités.
Au fil des ateliers, les participants ont acquis la conviction qu’une mutualité doit répondre à leurs besoins propres. Certains auront besoin de pouvoir téléphoner ou de se rendre à un guichet, d’autres ont besoin d’offres de remboursements spécifiques. Cela a permis d’élargir leur horizon pour sortir du comparatif autour du prix de la cotisation.
Quels sont les destinataires de l’outil ?
Roxane Combelles : Cet outil s’adresse aux professionnels et volontaires intervenant dans le domaine de la santé (promotion de la santé, prévention, soins), de l’éducation (éducation permanente/populaire, alphabétisation, apprentissage du français, enseignement…), du social et du médico-social, de la formation professionnelle ainsi qu’aux citoyen·nes, patient·es, habitant·es, apprenant·es avec lesquel·les elles ou ils travaillent. C’est primordial, parce que les compétences acquises sur ces sujets sont utiles dans d’autres contextes et domaines et pour le recours aux droits sociaux et de santé.
Comment l’outil sera-t-il diffusé auprès des professionnels ?
Maïté Cuvelier : Nous avons animé un premier atelier découverte fin septembre avec une quinzaine de participants venus de Bruxelles et de Wallonie pour leur permettre d’expérimenter les pistes d’animation, de manipuler les supports qui leur laisseront beaucoup de liberté et de souplesse dans l’animation pour s’adapter au rythme de leur groupe. Les premiers retours sont très positifs. Les personnes présentes venaient de secteurs variés : cohésion sociale, lieux d’apprentissage du français, accueil des personnes exilées, mutualités. Ces ateliers seront organisés régulièrement tout au long de l’année à Bruxelles et en Wallonie, à la demande également. Le kit, quant à lui, est disponible gratuitement et sous conditions, sur demande auprès de notre centre de documentation.
A noter :
Cultures&Santé continue dans sa lancée sur la production d’outils « système » et proposera en décembre 2023, une affiche et un guide théorique et d’animation sur la sécurité sociale réactualisé.
L’outil “Animer sur les mutualités” se décline en deux kits.
Le kit n°1 : « Le fonctionnement des mutualités en Belgique » contient :
– Un guide d’accompagnement proposant des repères théoriques et d’un glossaire
– Un guide d’animation divisé en 4 grandes parties et proposant 9 séances d’animations
– Une affiche illustrant le financement et le fonctionnement des mutualités
– 33 cartes illustrées « Avantages et remboursements »
– 15 cartes illustrées « Démarches et procédures »
– 7 cartes illustrées « Situations de vie »
Des supports annexes sont également disponibles en téléchargement sur le site de Cultures&Santé : une définition à reconstituer, des vignettes d’histoires fictives, un formulaire-type, une facture-type (version participant·e et une version animateur·trice), des cartes de jeux de rôle.
Le Kit n°2 « L’histoire des mutualités en Belgique » contient :
– Un carnet pédagogique
– 10 cartes illustrées