Mai 2021 Par Alexia BRUMAGNE Cultures & Santé Outils

Cultures&Santé a consacré sa dernière Fiche Lisa à la littératie en santé des personnes sourdes et malentendantes. En effet, ces personnes rencontrent des difficultés plus importantes que le reste de la population pour accéder aux informations santé, pour les comprendre, les évaluer et les utiliser. Revenons sur ces enjeux.

les personnes sourdes
Copyright: Cultures&Santé

Les personnes sourdes ou malentendantes représentent 8,9% de la population belge [1]. Pourtant, les offres et les services sociaux et de santé sont trop peu souvent adaptés à leur situation. Ces personnes rencontrent des difficultés plus importantes que le reste de la population pour accéder aux informations santé, pour les comprendre, les évaluer et les utiliser. Ce qu’on appelle la littératie en santé. Or, de nombreuses études montrent que les personnes qui ont un faible niveau de littératie en santé présentent généralement un moins bon état de santé [2]. Prendre en compte et renforcer le niveau de littératie en santé des personnes sourdes et malentendantes est donc un levier vers plus d’équité en santé.

Pour cette raison, Cultures&Santé a consacré sa dernière Fiche Lisa à la littératie en santé des personnes sourdes et malentendantes. Cette fiche s’adresse aux professionnel·les, relais et bénévoles susceptibles d’accueillir ou de rencontrer ce public. Elle offre un éclairage sur les difficultés rencontrées par ces personnes en matière d’accès aux informations et de compréhension, et fournit des recommandations pour les prendre en compte dans la pratique. Essayons d’y voir plus clair sur quelques-uns de ces enjeux spécifiques.

La collection « Fiche Lisa »

vise à favoriser l’accès à des savoirs actualisés et pertinents, à éveiller l’intérêt sur des questions en lien avec la littératie en santé, à contribuer à l’amélioration des pratiques à travers le partage de clés concrètes. Le format A3 recto-verso des fiches Lisa leur donne un caractère synthétique et accessible. Chaque fiche est construite et alimentée par une recherche documentaire sur le sujet et par la rencontre d’acteurs de terrain et de personnes concernées.

Un public hétérogène et méconnu

Dans la Fiche Lisa, nous avons identifié plusieurs facteurs limitant la littératie en santé des personnes sourdes et malentendantes. Nous voulons insister ici sur celui de la méconnaissance de ce public et de son handicap. Ce frein pourrait en effet être plus facilement levé à travers la sensibilisation et l’information des professionnel·les, associées à une attitude pro-active de leur part pour « aller vers » ce public, sans préjugés ni stéréotypes.

Loin de former un groupe homogène, les personnes sourdes et malentendantes présentent des caractéristiques qui peuvent différer sur de nombreux plans :

  • le degré de surdité (légère, modérée, sévère, profonde)
  • l’utilisation ou non d’un appareil auditif ou d’un implant
  • la capacité à lire sur les lèvres
  • la pratique ou non de la langue des signes
  • l’âge auquel la personne est devenue sourde (avant ou après l’acquisition du langage)
  • la revendication d’une appartenance à la « communauté sourde »

Ainsi, certaines personnes devenues sourdes avant l’acquisition du langage peuvent rencontrer de plus grandes difficultés à lire et à écrire, à s’exprimer oralement. Parmi elles, certaines ont appris la langue des signes et revendiquent une appartenance à la « communauté sourde ». D’autres personnes sont devenues malentendantes ou sourdes avec l’âge, ou à la suite d’un accident ou d’une maladie. Aux obstacles de communication et d’accès aux informations pour la santé, s’ajoutent pour ces personnes d’autres difficultés : fort sentiment d’isolement, perte des repères, méconnaissance des ressources et soutiens existants… Selon le degré de surdité, il arrive que des personnes utilisent un appareil auditif ou un implant. Enfin, la lecture labiale, pour les personnes la pratiquant, demande beaucoup de concentration et d’attention, qui peuvent faiblir en cas de stress, de fatigue ou de discussion prolongée.

Face à une personne sourde ou malentendante, il est donc important d’identifier ses singularités, par exemple en la questionnant sur son mode de communication privilégié (écrit, français oralisé, langue des signes…) et de définir avec elle la façon dont elle préfère prendre rendez-vous ou être contactée (SMS, email…).

La communauté sourde : une histoire commune et des défis particuliers à relever

Les sourd·es signants, c’est-à-dire celles et ceux qui pratiquent la langue des signes, font partie de ce qui est appelé communément « la communauté sourde ». Différents éléments peuvent aider à mieux comprendre ce qui les caractérise.

  • Ils et elles forment une minorité linguistique et culturelle qui oscille entre le monde des entendants et celui des sourds. Elle peut, à certains égards, être comparée à certaines minorités issues de l’immigration (langue maternelle et culture différentes, risque plus élevé d’avoir un niveau de littératie en santé plus faible, nécessité parfois d’un tiers lors d’un entretien…) [3].
  • Certains chercheurs observent un choc des représentations entre le monde médical, qui voit dans la surdité un handicap à « éradiquer », et le monde des sourds, qui y voit une spécificité culturelle à conserver et à défendre. Il est d’ailleurs paradoxal d’observer que les personnes nées sourdes sont fortement médicalisées au début de leur vie, puis invisibilisées et peu prises en compte par la suite dans l’offre des services de santé [4].
  • Il convient de rappeler que le Congrès de Milan[5] a interdit l’usage de la langue des signes dans l’enseignement de 1880 à 1980, rendant l’apprentissage du français et de la lecture plus difficile pour les élèves sourds à cette époque.
  • Il y a pénurie d’interprètes en langue des signes francophone belge (LSFB). Le premier master universitaire en traduction ou en interprétation en anglais/langue des signes ne date que de 2017.
  • Il existe beaucoup d’associations[6] créées par et pour les sourd·es. Elles couvrent de nombreux secteurs : la culture, la jeunesse, la santé, l’emploi, le sport… Ce sont des relais intéressants pour diffuser des informations pour la santé.

Plaidoyer pour plus d’équité en santé

Aujourd’hui, les informations pour la santé ainsi que les offres et les services socio-sanitaires sont insuffisamment adaptés aux caractéristiques et spécificités des personnes sourdes ou malentendantes. Et cette situation d’injustice profonde se répercute sur leur état de santé : cumul de pathologies, douleurs chroniques, erreurs médicales… Le système tel qu’il est configuré actuellement freine la capacité de ces personnes à prendre des décisions pour leur santé et a tendance à réduire leur autonomie.

Dans la Fiche Lisa dédiée aux personnes sourdes, nous avons identifié des pistes d’actions et ce à plusieurs niveaux.

  • Au niveau micro, les acteur.rices en jeu peuvent : adapter leur communication, s’informer sur les difficultés rencontrées par ce public, apprendre à connaître la personne, faire appel à des interprètes professionnel·les, utiliser des supports visuels, etc.
  • Au niveau méso, les structures (hôpitaux, CPAS, maisons médicales…) peuvent : améliorer leur accessibilité à ce public, collaborer avec le secteur associatif propre aux sourd·es pour informer sur des sujets de santé, proposer des activités collectives inclusives, etc.
  • Au niveau macro, les politiques sociales et sanitaires doivent considérer la nécessité d’augmenter le nombre d’interprètes professionnel·les en LSFB à Bruxelles et en Wallonie, de créer et soutenir la fonction de « médiateur sourd » dans des institutions de soins, (c’est-à-dire une personne qui, en plus d’interpréter en langue des signes, peut adapter l’information à la culture sourde et au niveau de compréhension), de subventionner la rémunération des interprètes pour des activités de santé communautaire en mixité (sourds et entendants), etc.

À travers ces quelques lignes, nous avons souhaité éveiller l’intérêt pour ce public qui, selon nous, passe encore sous le radar lorsqu’il est question d’accès aux informations pour la santé. Vous trouverez, dans la Fiche Lisa, des outils et des ressources permettant de mettre en œuvre des points d’attention et des actions. Peut-être même -et nous l’espérons- cette fiche pourrait-elle faire l’objet d’une réflexion d’équipe afin de repenser l’accueil d’une personne sourde, sa navigation au sein de la structure et la première rencontre avec un·e professionnel·le ?

Cette Fiche Lisa n°7 a été alimentée par l’expérience d’associations de personnes sourdes (InfoSourds, Surdimobile, Kap Signes, LSFB ASBL, L’Escale, la FFSB) et d’associations proposant des activités accessibles à celles-ci (Les Pissenlits asbl, la Maison médicale d’Anderlecht, Sourdilove, Entr’âge asbl, Araph). Nous les remercions vivement pour les échanges, le partage d’expériences et leur travail de relecture.

La Fiche Lisa n°7 est disponible en version imprimée sur demande auprès de notre centre de documentation et téléchargeable sur notre site : cultures-sante.be >  Nos outils > Fiches Lisa.

[1] Mais combien y a-t-il de personnes sourdes et malentendantes en Belgique ?!, in : Fédération Francophone des Sourds de Belgique (FFSB), 2016 www.ffsb.be/mais-combien-y-a-t-il-de-personnes-sourdes-et-malentendantes-en-belgique (consulté le 01 mars 2021)

[2] Vancorenland S., Avalosse H., Verniest R. & alii, Bilan des connaissances des Belges en matière de santé, in : Éducation Santé, n°315, octobre 2015, p.3.

Kickbush I., Jürgen M. & alii, Health literacy. The solid facts, Copenhagen, WHO, 2013, p.7. Heath S. & G. Murphy, Littératie en santé dans les organisations communautaires: une trousse pour soutenir la mobilisation et la planification, Nouvelle-Ecosse, Halifax, 2014, p.11-13

[3] Oriane Chastonay, Joëlle Blanchard, Odile Contero, [et al.], Les Sourds : une population vulnérable méconnue des professionnels de la santé, in : Forum Médical Suisse, 18(38), 2018, pp. 769-774

[4] Sophie Dalle-Nazébi et Nathalie Lachance, Sourds et médecine : impact des représentations sur les conditions d’accès aux soins. Regards croisés France-Québec, in : La revue ¿ Interrogations ?, n°6, juin 2008.

[5] Le Congrès de Milan, troisième congrès international pour l’amélioration du sort des sourds, a eu lieu à Milan du 6 au 11 septembre 1880. Bien qu’il n’ait aucune valeur exécutive, il débouche sur l’adoption en Europe des méthodes d’enseignement oral, au détriment de la langue des signes. Wikipédia/congrès de milan

[6] Ces associations sont répertoriées sur le site de la Fédération francophone des sourds de Belgique : ffsb.be/associations