Quand on évoque la mesure de l’efficacité en promotion de la santé, c’est souvent de façon stéréotypée, par exemple en présentant quelques chiffres de comportements individuels tels que la consommation de tabac ou d’alcool. Ce sont évidemment des données intéressantes, mais elles sont loin de refléter la réalité complexe des multiples déterminants de la santé et des moyens (souvent non-médicaux) de peser sur eux dans un sens favorable à la santé publique.
En 2010, le Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) avait mené à bien un travail ambitieux sur des indicateurs de performance du système de santé belge (1) . Il a remis l’ouvrage sur le métier l’an dernier et publié voici quelques mois son deuxième rapport sur ce sujet (2). Dans sa démarche, le KCE a souhaité aller un peu plus loin et examiner la faisabilité d’intégrer au rapport final un plus grand nombre d’indicateurs spécifiques de performance en promotion de la santé. Nous avons rencontré les deux chevilles ouvrières de ce projet, Françoise Renard (Institut scientifique de santé publique) et France Vrijens (KCE).
Éducation Santé : Tout d’abord, pouvez-vous nous présenter les domaines que vous avez retenus pour mesurer la performance générale de notre système de santé ?
France Vrijens : Nous avons travaillé à partir d’un cadre conceptuel développé lors de la première phase du projet et qui avait pour but d’évaluer quatre domaines du système de santé: les soins préventifs (vaccination, dépistage, etc.), les soins curatifs (par exemple les soins dans les hôpitaux), les soins de longue durée (qui comprennent les soins aux personnes âgées dépendantes et aussi le secteur des soins de santé mentale) et enfin les soins aux personnes en fin de vie (principalement les soins palliatifs).
Françoise Renard : À ces quatre domaines de soins s’ajoute le domaine plus large de la promotion de la santé, processus qui vise comme vos lecteurs ne l’ignorent pas à «donner aux populations et aux individus les moyens d’assurer un plus grand contrôle sur leur santé, et d’améliorer celle-ci». Les stratégies sont variées, et les effets des actions se mesurent avec des indicateurs très diversifiés. Il peut s’agir d’effets proches des actions, tels que la mise en place de politiques favorisant la santé publique ou l’acquisition de compétences individuelles, ou d’effets plus éloignés comme l’amélioration de styles de vie liés à la santé ou encore, en bout de chaîne, l’amélioration de la santé.
E.S. : Combien d’indicateurs avez-vous retenus pour rendre cette mesure opérationnelle, et combien d’entre eux concernent-ils la promotion de la santé ?
F.R. : Au total 74 indicateurs ont été retenus, pour lesquels nous avons réussi à trouver des données. La promotion de la santé est bien représentée avec pas moins de 15 indicateurs, auxquels il faut ajouter 4 indicateurs globaux de l’état de santé tels que l’espérance de vie ou l’espérance de vie en bonne santé.
E.S. : La promotion de la santé est une compétence des communautés, et vos deux institutions ont un profil plutôt ‘fédéral’. Comment avez-vous fait pour obtenir la collaboration de la Vlaamse Gemeenschap et de la Fédération Wallonie-Bruxelles ?
F.V. : Le projet performance est en effet un projet réalisé par des instituts fédéraux (KCE, ISP, INAMI), mais une partie importante des domaines évalués relève des compétences des entités fédérées. Afin de garantir une bonne communication entre les différentes administrations, des réunions de suivi de projet ont été régulièrement organisées par l’INAMI tout au long du projet. Autour de la table étaient présents d’une part des représentants des institutions fédérales (le SPF Santé Publique, le SPF Sécurité Sociale, l’ISP, l’INAMI, le KCE ainsi qu’un membre du cabinet de Laurette Onkelinx ) ainsi que des représentants des entités fédérées (la Région wallonne, la Région de Bruxelles-Capitale, La Fédération Wallonie-Bruxelles, La Flandre et la Communauté Germanophone).
F.R. : Ces réunions ont pour but, entre autres, de favoriser l’appropriation des résultats de recherche au niveau politique. En effet, trop souvent, les résultats d’une recherche en santé publique restent dans les tiroirs par défaut d’un effort de communication vers les décideurs politiques.
E.S. : Déterminer 15 indicateurs de performance dans une matière par définition aussi vaste que la promotion de la santé, qui vise à prendre en compte un grand nombre de déterminants échappant au système de santé au sens commun du terme ressemble à une gageure, voire une mission impossible. J’imagine que le nombre d’indicateurs éligibles au départ était considérable. Comment vous y êtes-vous prises ?
F.R. : Nous avons effectué une recherche de littérature, partant de rapports nationaux ou internationaux sur la thématique, et en l’élargissant à une recherche de littérature indexée, le tout en étroite collaboration avec un groupe d’experts belges en promotion de la santé. Le résultat de cette recherche d’indicateurs a produit une longue liste de plus de 200 indicateurs, parmi lesquels il a fallu choisir….
Ensuite, nous avons suivi un processus en plusieurs étapes. Dans un premier temps, le panel d’experts et les chercheurs ont attribué un score de pertinence à chaque indicateur, dont les 36 plus intéressants ont été retenus. Nous avons gardé des indicateurs issus des différentes catégories du modèle de Don Nutbeam , afin de ne pas nous limiter aux indicateurs de styles de vie ou d’état de santé.
Dans l’étape suivante, nous avons poursuivi la sélection en attribuant un score pour d’autres critères: la validité, la fiabilité, l’interprétabilité des résultats et le potentiel d’action. La disponibilité des données a ensuite été prise en compte pour identifier des besoins en nouvelles données. Les 15 meilleurs indicateurs ont finalement été sélectionnés lors d’une réunion de consensus entre experts et équipe de recherche.
F.V. : Ce processus de sélection a été plus ou moins identique pour sélectionner des indicateurs dans les autres domaines. Ensuite, il a fallu enlever ou modifier certains indicateurs pour assurer la cohérence globale de l’ensemble du set d’indicateurs.
E.S. : Une fois les indicateurs définis, encore faut-il les confronter à des données pertinentes pour qu’ils soient vraiment utiles. Avez-vous eu la possibilité de vous livrer à des mesures pour tous les indicateurs retenus ?
F.R. : Non en effet, nous avons pris le parti de ne garder dans le set final que des indicateurs mesurables actuellement, et de faire des recommandations sur les données manquantes en promotion de la santé. Un exemple, la ‘littéracie en santé’ (health literacy), qui est la ‘capacité de trouver de l’information sur la santé, de la comprendre, l’évaluer et l’utiliser’ est un élément considéré comme de plus en plus fondamental pour la promotion de la santé. Il n’y a ce jour aucune donnée belge sur cet indicateur, alors que plusieurs de nos voisins européens en ont déjà récolté. Nous avons donc recommandé de commencer une collecte de données en Belgique pour cet indicateur.
Les indicateurs de performance en promotion de la santé
Voici les 15 indicateurs retenus :
• pourcentage d’adultes en surpoids ou obèses;
• pourcentage d’adultes obèses;
• moyenne de dents cariées, manquantes et obturées à l’âge de 12-14 ans;
• taux de diagnostic du VIH dans la population belge;
• pourcentage de fumeurs quotidiens âgés de plus de 15 ans;
• consommation d’alcool problématique chez les plus de 15 ans;
• surconsommation d’alcool chez les plus de 15 ans;
• consommation d’alcool ponctuelle immodérée chez les plus de 15 ans;
• pourcentage de gens consommant au moins 200 g de légumes et 2 fruits par jour;
• pourcentage de gens faisant au moins 30 minutes d’activité physique par jour;
• pourcentage dans la population des personnes bénéficiant d’un support social insuffisant;
• position de la Belgique sur une échelle d’évaluation des mesures anti-tabac ( Tobacco Control Scale );
• volume d’activité physique à l’école;
• communes développant des politiques de promotion de la santé;
• pourcentage d’établissements scolaires dotés d’une ‘équipe santé’.
Selon les auteurs eux-mêmes, ces 15 indicateurs ne donnent qu’une idée fragmentaire de la performance belge (niveau fédéral et entités fédérées) en promotion de la santé. Ils n’en constituent pas moins une étape intéressante pour un monitoring plus fin de l’efficacité de notre système de santé au sens large.
E.S. : Et maintenant, que va-t-il se passer ? Les Communautés se sont-elles engagées à mesurer régulièrement les indicateurs pour permettre un monitoring inédit de la promotion de la santé dans notre pays ?
F.V. : En ce qui concerne la collecte des données, en Flandre, beaucoup de données sont récoltées par le VIGEZ (Vlaams Instituut voor Gezondheidspromotie en Ziektepreventie) dans les milieux de vie (entreprises, écoles, communes). Ces enquêtes demandent beaucoup d’investissement, et actuellement il n’est pas prévu de les réaliser dans les deux autres régions.
F.R. : Pour l’indicateur ‘health literacy’, rien n’est prévu actuellement mais nous espérons que cette collecte verra bientôt le jour. D’autre part, nous sommes aussi réalistes en ce qui concerne la collecte de nouvelles données, c’est rarement une priorité en période de crise et d’ajustement budgétaire !
Vrijens F, Renard F, Jonckheer P, Van den Heede K, Desomer A, Van de Voorde C, Walckiers D, Dubois C, Camberlin C, Vlayen J, Van Oyen H, Léonard C, Meeus P. La performance du système de santé Belge Rapport 2012. Health Services Research (HSR). Bruxelles: Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE). 2012.
KCE Report 196B. D/2012/10.273/111. Ce document est disponible en téléchargement sur le site du KCE, https://kce.fgov.be/fr/publication/report/la-performance-du-syst%C3%A8me-de-sant%C3%A9-belge-rapport-2012
(1) Vlayen J., Vanthomme K., Camberlin C., Piérart J., Walckiers D., Kohn L., Vinck I., Denis A., Meeus P., Van Oyen H., Leonard C. Un premier pas vers la mesure de la performance du système de soins de santé belge. Health Services Research (HSR). Bruxelles: Centre fédéral d’expertise des soins de santé, (KCE). 2010. KCE Reports 128B.
(2) Voir l’article ‘Un check-up du système de santé belge’, Éducation Santé n°287, mars 2013, http://www.educationsante.be/es/article.php?id=1563