Septembre 2012 Par P. CHARLIER S. PEQUET Patrick TREFOIS Initiatives

«Les régimes, c’est comme la cigarette : il ne faut jamais commencer.»
Caroline Franc-Desages, blogueuse
Pensées de ronde

Le rejet et la discrimination se fondent bien souvent sur des critères liés à l’apparence physique: couleur de peau, sexe, handicap, âge… Aujourd’hui, la corpulence est également devenue un important facteur de stigmatisation et d’exclusion.

La façon dont les rondeurs sont perçues et dont les personnes en surpoids se perçoivent elles-mêmes, serait révélatrice de l’intériorisation et de l’adhésion à la norme de minceur qui s’est imposée dans nos sociétés. En effet, de nombreux stéréotypes négatifs sont véhiculés sur les personnes rondes. Elles seraient paresseuses, faibles, sans volonté, sales, moins intelligentes, moins compétentes, peu séduisantes, peu féminines ou pas viriles… A contrario, dans nos sociétés occidentales, la minceur est socialement valorisée (preuve de réussite, de statut social, de volonté, etc.) et présentée comme l’idéal esthétique, la norme à laquelle se conformer.

De ces représentations individuelles et collectives des rondeurs découle un certain vécu de son poids avec des comportements souvent néfastes vis-à-vis de celui-ci (obsession du poids, indifférence, culpabilité, régimes excessifs…) et des conséquences sociales, psychologiques, économiques et de santé importantes. Ceux qui ne correspondent pas à cet idéal de minceur sont alors souvent victimes de traitements injustes: rejet, stigmatisation, exclusion, moqueries, etc., et ce, dans différents domaines de la vie (à l’école, dans le cercle familial, la vie professionnelle, le milieu médical, etc.).

Divers travaux menés notamment en France et aux États-Unis, la récolte de témoignages, tant directs que sur des forums web, ainsi que les signalements déposés auprès du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme en Belgique, peuvent permettre d’appréhender ce phénomène.

Des discriminations au travail

Les cas le plus souvent évoqués concernent la discrimination dans le milieu du travail, ayant un impact non négligeable sur le parcours professionnel de certaines personnes en surpoids.
En France, des chercheurs ont montré que la proportion de temps passé sans emploi durant la vie active augmente significativement en fonction du poids lorsque celui-ci dépasse l’indice de masse corporelle considéré comme normal (sur base des données de l’Institut national de la statistique et des études économiques en France). Les personnes obèses ont également une moindre probabilité de retrouver un emploi (1): une personne obèse reçoit trois fois moins de réponses positives pour un poste de ‘commercial’ qu’une personne d’apparence mince. (2)

Selon des données provenant des États-Unis, les discriminations concernent aussi bien l’embauche, les salaires, les promotions, la cessation d’emploi que le quotidien en milieu de travail: près d’un travailleur sur deux signale une stigmatisation par les collègues et quatre sur dix par les employeurs et superviseurs (humour déplacé, commentaires péjoratifs, traitement différencié, etc.).

Des discriminations dans le domaine de la santé

Aux États-Unis toujours, diverses études montrent que les professionnels de la santé véhiculent des attitudes et croyances négatives à l’égard des personnes obèses, notamment qu’elles sont paresseuses, indisciplinées, maladroites, peu attrayantes, ont une volonté faible et donc une mauvaise adhésion aux traitements. (3)
Les messages de prévention sanitaire incitant à se nourrir sainement, à perdre du poids, à pratiquer une activité physique sont quotidiens dans notre société. Si certains se concentrent sur les effets nocifs pour la santé du surpoids et de l’obésité, d’autres présentent parfois les personnes trop fortes comme étant faibles, responsables et coupables de leur état, voire antisociales par leur incapacité à se conformer à la norme de poids admise.

Des relations interpersonnelles plombées

Les personnes obèses doivent parfois aussi faire face à des difficultés dans leurs relations interpersonnelles. Des études récentes montrent la réalité des perceptions négatives basées sur le poids, surtout vis-à-vis des femmes obèses, émanant des membres de la famille et des amis, ainsi que dans la vie amoureuse. (4)
Les jeunes sont eux aussi touchés dans leurs relations, ce qui n’est pas sans conséquence. Rebecca Puhl précise ainsi que «les enfants en surpoids qui font l’objet de moqueries et de brimades ont 2 à 3 fois plus de risques de développer des pensées suicidaires que ceux qui ne sont pas tourmentés.» (5)

Des médias aux lourdes allusions

Aux États-Unis, des analyses de contenu des médias et des fictions télévisées démontrent la stigmatisation des personnes en surpoids, plus particulièrement des femmes (traits de caractères plutôt négatifs, commentaires négatifs des autres personnages, etc.). On retrouve les mêmes tendances dans les fictions pour enfants.

Les publicités omniprésentes sur les régimes et méthodes miraculeuses pour perdre du poids mettent souvent l’accent sur l’idée fausse que le poids est facilement modifiable et que le succès est une simple question d’effort personnel. Elles dépeignent les personnes en surpoids comme malheureuses et sans attraits et connotent la perte de poids comme les rendant plus heureuses.

Les articles de presse consacrés à l’obésité présentent souvent l’obésité en termes de responsabilité individuelle, en focalisant sur les comportements et solutions individuels (excès alimentaires et alimentation malsaine à corriger par un changement d’habitudes alimentaires). Cette présentation omet les dimensions sociétales importantes contribuant à la progression de l’obésité dans nos sociétés; en outre, elle renforce la stigmatisation des personnes obèses (ce qu’on qualifie en promotion de la santé de «blâme de la victime»).

Les médias ont aussi une tendance à la dramatisation (‘épidémie galopante’, ‘chiffres alarmants’, ‘fardeau pour les systèmes de sécurité sociale’, etc.). Ces nouvelles tendances de l’information s’appuient sur et renforcent les perceptions culturelles préexistantes vis-à-vis des gros. (6)

Les conséquences des discriminations sur le bien-être et l’estime de soi

À force de subir des remarques, des moqueries, des exclusions banales dans la vie quotidienne, le discours médiatique ambiant, les personnes en surpoids perdent insidieusement confiance en leurs capacités, avec pour conséquence une difficulté inconsciente de se présenter positivement, notamment lors d’un entretien d’embauche, d’un examen ou d’un rendez-vous galant par exemple. La fréquence des expériences de stigmatisation chez les personnes obèses est associée à une baisse de l’estime de soi et à une augmentation de problèmes comme la dépression, l’anxiété, la perception négative du corps et des troubles alimentaires (accès de boulimie) (7). De nombreuses études ont montré un lien entre le stress lié à une discrimination (quelle qu’elle soit) et divers troubles de santé, dont une prise de poids. (8) La stigmatisation liée à un excès de poids est donc susceptible de contribuer à une prise de poids supplémentaire !

Et chez les enfants ?

La prévention de l’obésité chez l’enfant est devenue une priorité de santé publique. Il est certain que prévenir le surpoids est une stratégie pertinente quand on connaît les difficultés rencontrées pour réduire le poids chez des personnes obèses. Cependant, des auteurs soulignent que la réduction des discriminations liées au poids est tout aussi importante que la réduction de l’indice de masse corporelle. Dans cette perspective, les enfants ont besoin d’adultes (parents, enseignants, etc.) pour défendre leurs intérêts et lutter contre les préjugés de poids. En effet, selon certains auteurs, les effets néfastes des stigmatisations de l’enfant pourraient sans doute s’avérer aussi délétères pour son bien-être que son excès de poids. (9) Malheureusement, les enseignants ont souvent des représentations négatives des élèves en surpoids et les perçoivent plutôt comme désordonnés, trop émotifs, ayant moins de chances de réussir et susceptibles d’avoir plus de problèmes familiaux que leurs pairs de poids normal. (10)

La prise de conscience des modèles esthétiques de minceur auxquels nous adhérons (sans toujours nous en rendre compte), la sensibilisation de l’opinion publique à cette injustice qui touche de plus en plus de personnes et des revendications claires de respect de l’être humain, quelle que soit sa corpulence, pourront, nous l’espérons, contribuer à une évolution du regard porté sur les personnes en surpoids, dans le but d’une plus grande tolérance.

[encadré]

Le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre les discriminations liées à l’apparence physique

Depuis 2003, le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme est compétent pour traiter des signalements et des dossiers qui concernent des critères protégés autres que ceux liés au racisme: handicap, état de santé, orientation sexuelle, âge, etc.

Il est donc tout à fait logique que le Centre s’associe à une campagne qui vise à sensibiliser à la stigmatisation et la discrimination dont les personnes en surpoids peuvent être victimes. En effet, le surpoids peut être rattaché à différents critères protégés par la loi du 10 mai 2007: la caractéristique physique (11), l’état de santé, le handicap ou une caractéristique génétique.

La loi trouve à s’appliquer tant sur le plan de la discrimination pure (refus d’emploi, de bien ou de service en raison du surpoids) que sur un volet plus pénal: harcèlement voire même circonstance aggravante si certains crimes ou délits (ex: coups et blessures) devaient être motivés par le surpoids.

En 2009, un colloque auquel a participé le Centre était organisé à Lille sur le thème de ‘ l’apparence physique comme motif de discrimination’. Le rapport de ce colloque note entre autres que « les difficultés rencontrées par les personnes obèses liées à leur apparence sont peu prises en compte car nombreux sont ceux qui s’imaginent qu’il est possible, avec de la volonté et une hygiène de vie correcte (…) de rentrer dans les normes de poids. De plus, les intéressés se plaignent rarement, persuadés d’être coupables de ne pas faire ce qu’il faut pour maigrir et de n’avoir que ce qu’ils méritent

Entre 2009 et 2012, le Centre a ouvert une trentaine de dossiers liés au poids. C’est peu en regard du nombre de dossiers qu’il traite par an (de 1200 à 1400) et sans doute aussi en regard de la réalité : cela veut dire que peu de personnes victimes de ce type de discrimination osent franchir le pas d’introduire un signalement.

Les dossiers traités par le Centre concernent surtout des refus d’embauche, notamment pour des chauffeurs de bus et des vendeuses. Des personnes se voient ‘officiellement’ écartées d’un poste au motif que leur poids est inadéquat à la fonction et peut présenter un danger pour elles-mêmes et donc aussi pour les autres Sans nier que le surpoids puisse parfois être un facteur d’inaptitude pour remplir certaines fonctions, le Centre constate que la plupart du temps, cette exclusion d’office s’applique sans qu’aucun examen individuel de la santé de la personne concernée et du contexte de travail ne soit entrepris, ce qu’il dénonce.

Il y a aussi quelques refus d’assurances pour couvrir des prêts hypothécaires. À noter également plusieurs plaintes à l’annonce du projet de la compagnie lowcost Ryanair d’introduire une fat tax pénalisant ses voyageurs en excès de poids.
Il faut aussi prendre en compte quelques dossiers qui relèvent du harcèlement.
Attention, dans le domaine de la discrimination, toute différence de traitement n’est pas nécessairement une discrimination interdite. Il se peut que des différences puissent être justifiées, pour des raisons de santé, de sécurité…
En résumé, la plupart des discriminations dont sont victimes les personnes en surpoids passent inaperçues, ne sont jamais dénoncées et pire, sont parfois jugées ‘acceptables’. Si la question des discriminations liées à l’apparence physique recoupe largement la question des autres discriminations sociales (liées à la couleur de peau, à l’âge, au sexe…), elle reste donc à ce jour peu reconnue et peu prise en compte.

Comment contacter le Centre ?

Par téléphone, via la ligne gratuite 0800 12 800 ou via le numéro général 02 212 30 00, le lundi de 9 à 12 h, le mardi et mercredi de 9 à 12 h et de 13 à 17 h et le vendredi de 9 à 12 h.
Par le site web. Le site http://www.diversite.be contient un formulaire pour signaler un cas de discrimination ou pour poser une question.
Par écrit. Vous pouvez contacter le Centre par courriel (epost@cntr.be), par fax (02 212 30 30) ou par lettre adressée au Centre pour l’égalité des chances, Service première ligne, rue Royale 138, 1000 Bruxelles.
Personnellement. Vous pouvez passer dans les bureaux du Centre, rue Royale 138 à 1000 Bruxelles, soit lors de la permanence le jeudi matin de 9h30 à 12h00, soit sur rendez-vous en ce compris en dehors des heures de bureau. (Gare: Bruxelles central – Métro: Parc – Tram: lignes 92 et 94).

[fin encadré]

Le projet ‘Voyons large’

‘Voyons large’ a pour objectif de mettre en évidence les divers aspects de la thématique du surpoids de façon à éclairer le sujet dans sa globalité.
En effet, la minceur est aujourd’hui socialement valorisée (preuve de réussite, de statut social, de volonté, etc.). Elle est présentée comme la norme esthétique à laquelle se conformer. C’est donc parce que cette norme de minceur existe et définit ce qui est normal ou au contraire hors norme qu’un regard stigmatisant et discriminant est porté sur les personnes jugées trop grosses qui ne correspondent pas à l’idéal.
Accepter la norme de la minceur et tenter de s’y conformer contribuent au renforcement de ce modèle esthétique et à la standardisation des corps. Prendre conscience de cette norme et de ses effets pervers peut donc être un premier pas pour prendre du recul et peut-être s’en détacher.

Pour la première étape de ce projet, l’asbl Question Santé a choisi d’aborder le thème du rejet et de la discrimination vécus par de nombreuses personnes en surpoids et les conséquences néfastes que cela peut avoir tant au niveau social, que psychologique, économique ou sur le plan du bien-être et de la santé.
Question Santé soutient l’idée qu’une perception globale des facteurs de son bien-être par chacun est susceptible de lui rendre une liberté précieuse, celle de pouvoir agir favorablement pour sa santé, en fonction de ses choix de vie. Question Santé plaide également pour une société qui soutient les citoyens dans le développement de leur bien-être (le maintien de leur santé), en créant les conditions favorables pour tous et en proposant les aides nécessaires aux personnes qui ont des besoins spécifiques.

Les outils de la campagne

Le site internet http://www.voyonslarge.be, ludique et pédagogique, interroge le regard que la société pose sur les rondeurs, fait état des diverses conséquences que cela peut engendrer pour chacun d’entre nous, informe sur les moyens pratiques pour signaler une discrimination, propose une série de références pour approfondir la thématique et invite chacun à prendre position via un sondage en ligne.
Une page Facebook ‘voyons large’ permet aux internautes d’interagir, de donner leur avis, partager des témoignages, etc.
Une carte illustrée reprend le visuel de la campagne et illustre quatre scènes courantes de discrimination envers les ‘gros’.
Des actions de sensibilisation ont aussi eu lieu début juin dans les gares de Bruxelles (Quartier Léopold), Liège, Namur et Charleroi.

Contact: Sandrine Pequet, chargée de projets à Question Santé, rue du viaduc 72, 1050 Bruxelles. Tél.: 02 511 41 74. Courriel: info@questionsante.be. Site: http://www.voyonslarge.be

Patrick Trefois (Question Santé), Patrick Charlier (Centre pour l’égalité des chances) et Sandrine Pequet (Question Santé)

(1) Alain Paraponaris, Bérengère Saliba, Bruno Ventelou. Obesity, weight status and employability: Empirical evidence from a French national survey. Economics and Human Biology 3 (2005) 241–258.
(2) J-F Amadieu, L’obèse: «l’incroyable discriminé», Observatoire des discriminations, Université Paris I, Panthéon Sorbonne, septembre 2005
(3) Idem 1
(4) Idem 1 (5) Rebecca Puhl, Stigmatisation sociale de l’obésité: causes, effets et quelques solutions pratiques, Diabetes Voice, mars 2009 (6) Idem 1 (7) Kelli E. Friedman, Jamile A. Ashmore and Katherine L. Applegate. Recent Experiences of Weight-based Stigmatization in a Weight Loss Surgery Population: Psychological and Behavioral Correlates. Obesity |volume 16 supplement 2 november 2008 (8) David Johnston and Grace Lordan. Discrimination makes me Sick! Establishing a relationship between discrimination and health. School of Economics, University of Queensland, Australia http://www.uq.edu.au/economics/abstract/421.pdf (9) Reginald L. Washington, MD. Childhood Obesity: Issues of Weight Bias. Prev Chronic Dis 2011;8(5):A94. http://www.cdc.gov/pcd/issues/2011/sep/10_0281.htm . (10) Idem 8. (11) Le Centre définit cette dernière en englobant les caractéristiques (innées ou apparues indépendamment de la volonté de la personne) stigmatisantes ou potentiellement stigmatisantes pour la personne dans un contexte social public (ne sont donc pas concernés les tatouages, piercings, etc.) La Belgique est à ce jour le seul pays européen à avoir repris ce critère en tant que tel dans son dispositif de lutte contre la discrimination.