Mai 2009 Par M.-J. DISANT Dossier

Comprendre la construction des inégalités pour mieux agir…

Afin de réduire les inégalités de santé en contexte autochtone, il est important de comprendre leur processus de production pour pouvoir agir sur les capacités de développement individuelles et collectives.
La plupart des indicateurs socio-économiques et socio-sanitaires témoignent des conditions de vie difficiles auxquelles font face les Premières Nations et les Inuits au Canada; toutefois, il est primordial de contextualiser ces données attestant des profondes inégalités existantes entre populations autochtones et non-autochtones. Il est indéniable que la colonisation – en tant que processus de domination politique, économique et culturel – ne peut se résumer à une simple transformation des modes de vie traditionnels. La colonisation a eu en effet de multiples répercussions sur les populations autochtones; les déplacements forcés, la perte des terres ainsi que la violence avec laquelle se sont parfois exercés les abus des pouvoirs dominants ont ébranlé les fondements de l’identité individuelle et collective des populations autochtones. Il est important de comprendre les effets de ce passé sur la situation actuelle des Autochtones pour pouvoir enrayer les processus de marginalisation, de désaffiliation, etc. et leurs effets délétères sur les individus et les populations.
Par ailleurs, comme Chris Lalonde l’a mentionné lors de son exposé: « il est dangereux de peindre tous les Autochtones avec le même pinceau ». En effet, aborder la réalité autochtone uniquement sous l’angle des problèmes sociaux et de santé donne non seulement peu de perspectives d’action, mais peut contribuer à la stigmatisation des communautés. Or, les analyses plus fines démontrent la diversité des situations et notamment l’influence des dynamiques sociales et culturelles sur l’état de santé des populations. De plus, les capacités de développement individuelles et collectives s’avèrent être un des leviers indispensables à la réduction des inégalités sociales de santé.

La continuité culturelle, un facteur de protection…

Si le suicide d’adultes, de jeunes – voire de très jeunes – marque douloureusement la réalité de plusieurs communautés autochtones, on ne peut pour autant conclure à un phénomène d’épidémie du suicide chez les Autochtones. Les études de Lalonde et Chandler (1) démontrent ainsi l’existence de très grandes variations des taux de suicide entre plusieurs communautés autochtones de la Colombie-Britannique.
Plusieurs facteurs socio-culturels intervenant dans ces variations, le concept de continuité culturelle a été utilisé pour expliciter les écarts de santé entre communautés. Ce concept réfère au fait que les fondements de l’identité collective se situent dans une continuité culturelle lorsqu’il y a une intégration et une coexistence d’éléments de la tradition autochtone avec des aspects de la modernité.
Cette continuité serait un facteur de protection qui interviendrait sur les capacités d’agir individuelles et collectives. L’usage des langues traditionnelles, les revendications territoriales mais aussi l’autodétermination, la participation politique des femmes autochtones ou la mise en place de services de proximité illustreraient ainsi la capacité des individus et des communautés tant à préserver leur culture qu’à s’adapter et à agir sur leur développement, et sont autant d’indices de la continuité culturelle.

Intervenir avec, en amont, sur plusieurs fronts et à plusieurs niveaux

Le fait de mettre les individus et les communautés au centre des démarches de réduction des inégalités semble primordial aussi bien sur le plan de l’amélioration des connaissances que de l’intervention en santé des populations. Si la réduction des inégalités sociales de santé et leur connaissance impliquent la nécessaire prise en compte des processus en œuvre ainsi que de la singularité avec laquelle les communautés et les individus se situent et évoluent, il est en effet essentiel – pour lutter efficacement contre ces inégalités – que les acteurs en tant que producteurs de sens et agents de transformation soient parties prenantes des interventions entreprises.
Dans cette perspective, l’amélioration de l’état de santé et du bien-être des Autochtones ne se limite pas au cadre strict de l’action curative, les processus contribuant à l’altération de la santé physique et mentale se situant bien en amont. La réduction des inégalités de santé ne peut être menée sous un seul front d’intervention et selon un modèle unique, et implique autant le renforcement des capacités d’agir individuelles que collectives.
Les formes et les moyens que peuvent revêtir la lutte contre les inégalités de santé sont ainsi multiples et pluriels, comme en témoignent les initiatives en cours dans diverses communautés autochtones. Par exemple, l’implantation de services sociaux de proximité à destination des familles et des jeunes des Premières Nations du Québec a été associée à une démarche de développement des communautés. S’appuyant sur cette approche de mobilisation, les axes d’intervention ciblés visent la diminution du placement des enfants (lié à des problèmes de négligence parentale), les problèmes de violence et de dépendance mais aussi le renforcement du sentiment d’appartenance et de la valorisation de la culture autochtone. Parmi les interventions développées figurent la mise en place de services sociaux classiques (accueil, suivi psychosocial, etc.), de travailleurs de rue mais aussi des projets de cuisine collective, de famille-répit ou d’activités culturelles organisées avec les jeunes.
Enfin, ces différentes formes d’intervention ne peuvent être conçues comme les seules stratégies d’action de réduction des inégalités sociales de santé. En effet, celles-ci ne peuvent être viables et être pérennisées sans être soutenues par des politiques sociales et de santé adaptées aux réalités autochtones.
Marie-Jeanne Disant , M . A ., Institut national de santé publique du Québec

Ont également contribué à cet atelier intitulé Les inégalités en santé autochtone : enjeux , pratiques et perspectives , présenté le 18 novembre 2008 dans le cadre de la Rencontre francophone internationale sur les inégalités sociales de santé:
Dianne Ottereyes Reid , Conseil Cri de la Santé et des Services sociaux de la Baie James, Québec, Canada; Christopher E . Lalonde , Ph. D., Département de psychologie, Université de Victoria, Colombie-Britannique, Canada; Carl Simard , Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et Labrador, Canada; Roch Riendeau , Services de première ligne, Communauté algonquine de Kitcisakik, Québec, Canada; Serge Déry , Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik, Québec, Canada; Suzanne Bruneau , Institut national de santé publique du Québec, Canada; Marcellin Gangbè , Conseil Cri de la Santé et des services sociaux de la Baie-James, Québec, Canada; Lisa Koperqualik , étudiante à la maîtrise en anthropologie; Sophie Picard , Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et Labrador, Canada; Elizabeth Robinson , Conseil Cri de la Santé et des services sociaux de la Baie-James, Québec, Canada; Marcel Godbout , Huron-Wendat. (1) Chandler, M.J. & Lalonde, C.E. (2008). Cultural continuity as a protective factor against suicide in First Nations youth. Horizons. 10(1), 68-72.