Décembre 2021 Par Service Universitaire de Promotion de la Santé Uclouvain/IRSS-RESO Ségolène MALENGREAUX Dominique DOUMONT Lu pour vous

Une publication du RESO, le service universitaire de promotion de la santé de l’Université catholique de Louvain1

En 2016, la Conférence Mondiale sur la Promotion de la Santé2, tenue à Shanghai mettait les Objectifs de Développement Durable (ODD)3 au centre des échanges. Le rôle déterminant des acteurs (porteurs de projet, décideurs politiques, scientifiques) de promotion de la santé dans l’atteinte de ces objectifs à l’horizon 2030 y a été souligné. La Déclaration de Shanghai a été décrite par certains auteurs4 comme un potentiel tournant pour la promotion de la santé, au même titre que la charte d’Ottawa, signifiant par là que les stratégies de promotion de la santé s’inscriraient à présent dans un mouvement mondial guidé par les ODD.

Dans ce Lu Pour Vous, nous synthétisons trois articles scientifiques, publiés entre 2012 et 2020, dans lesquels différents auteurs dressent une analyse critique de la réponse du secteur de promotion de la santé aux enjeux soulevés par les changements climatiques et dégagent des pistes pour stimuler une réponse plus adéquate.

Changements climatiques, urbanisation et promotion de la santé

D’après Hancock et coll. (2020), l’avènement de l’anthropocène et l’urbanisation font du 21e siècle la plus menaçante pour la santé des populations.
L’anthropocène est considéré (bien que le terme choisi ne soit pas unanimement accepté) comme une époque géologique caractérisée par des changements géologiques et écologiques provoqués par les activités humaines. Parmi ces changements, les auteurs relèvent notamment l’appauvrissement des ressources, la pollution, l’acidification des océans, les catastrophes naturelles répétitives et l’extinction d’espèces animales et végétales.
L’urbanisation est souvent comprise comme l’accroissement du nombre de personnes vivant en milieu urbain, ce qui renvoie à une définition assez étroite. Pourtant, ce concept recouvre également les infrastructures et les services de la vie en milieu urbain tel l’accès à l’éducation, au travail, aux soins de santé, au soutien social, aux lieux de spiritualité, à un système alimentaire de qualité, à l’eau, à des espaces verts, etc.
Il a été estimé que les villes, qui accueillent la moitié de la population mondiale, consomment entre 60 à 80% de la consommation d’énergie mondiale, 75% des émissions de carbone, et plus de 75% des ressources naturelles mondiales. Les pays du Nord étant majoritairement responsables de ces chiffres. [Patrick R. et coll. (2016)]

Dès lors que la population mondiale est de plus en plus urbaine, réduire la consommation en ressources naturelles des villes et de leur population est un objectif prioritaire pour lutter contre les changements climatiques.
Patrick R. et coll. (2016 & 2012) font également remarquer que les changements climatiques ont un impact plus grand sur les populations plus vulnérables, non seulement au moment où des évènements extrêmes (tels que les canicules ou les inondations) se produisent, mais dans l’après coup, face aux conséquences de ces évènements (de par un accès aux soins de santé limité ou un accès à un logement décent plus difficile). Ces changements climatiques exacerbent donc les inégalités déjà existantes en matière de santé, ont un impact négatif sur les déterminants de santé et touchent de manière disproportionnée les populations déjà vulnérables.
Le lien entre les changements climatiques, l’urbanisation, la santé des populations et les inégalités de santé est assez évident à faire, mais cache en réalité de nombreuses interconnexions qui rendent complexe le développement de solutions durables.

Réponses du secteur de promotion de la santé

Face à ces enjeux, les auteurs [Patrick R. et coll. (2016)] relèvent la difficulté du secteur de promotion de la santé à prendre une place qui, par ailleurs, ne lui est pas donnée intuitivement.
Malgré qu’en 1986, la charte d’Ottawa proposait déjà une approche socioécologique de la santé reconnaissant l’interdépendance entre les individus et l’environnement (approche soutenue par d’autres déclarations internationales), de solides fondements théoriques et des pratiques en synergie avec les enjeux climatiques (telles que le mouvement « ville en santé »), les auteurs attirent l’attention sur la lenteur du secteur de promotion de la santé à s’engager activement sur les questions climatiques. Patrick R. et coll. (2016) identifient 3 problèmes centraux à cet « engourdissement » :

  • Les professionnels de promotion de la santé, en s’intéressant principalement aux déterminants sociaux de la santé, ont probablement négligé les déterminants écologiques de la santé5 .
  • Le rôle de l’environnement naturel a été inadéquatement théorisé comme un déterminant de la santé des humains et de l’équité, ce qui a pour conséquence de réduire les réelles interconnexions entre la santé de l’environnement et des humains.
  • Jusqu’à la Déclaration de Shanghai, les déclarations en matière de changement global qui font le lien entre la santé des humains et la santé des écosystèmes n’auraient pas été suffisamment fortes.

Selon les mêmes auteurs [Patrick R. et coll. (2016)], la promotion de la santé « souffrirait » d’anthropocentrisme. Dans cette vision, les changements climatiques sont vus comme une menace pour la santé des humains exclusivement, plutôt que comme le symptôme d’une utilisation inadéquate des ressources qui menace l’intégrité des écosystèmes dans leur globalité.

Potentiel du secteur de promotion de la santé

Les auteurs [Patrick R. et coll. (2016 & 2012)] suggèrent différentes manières pour le secteur de promotion de la santé de contribuer à la construction de solutions durables tout en se reposant sur ses principes d’action phares6 et les compétences centrales dans le secteur.
Avec sa compréhension des déterminants sociaux de la santé, le secteur de promotion de la santé peut par exemple accompagner les acteurs du développement urbain et les encourager à s’ouvrir à une valorisation du rôle social des infrastructures et de l’engagement communautaire, au lieu de se focaliser uniquement sur le « bâti », comme c’est encore souvent le cas.
Les principes d’action et compétences des acteurs de promotion de la santé devraient, selon Patrick R. et coll. (2016), être appliqués aux programmes et aux politiques visant le développement de milieux urbains. En effet, en tenant compte des déterminants sociaux de la santé dans la construction des programmes et politiques, la promotion de la santé apporte une perspective unique au développement urbain et aux décisions liées aux changements climatiques. Elle ajoute par exemple une dimension d’équité, de justice sociale, d’interconnexion des problématiques, etc. Autant de dimensions nécessaires à la construction de réponses, politiques et sociétales, holistiques. D’un autre côté, le secteur de promotion de la santé a tout à gagner à élargir sa compréhension des déterminants de la santé aux déterminants écologiques de la santé, et ainsi d’être mieux préparé aux défis à venir.

Des (nouveaux) « outils » pour la promotion de la santé

La pensée résiliente

La pensée résiliente serait selon les auteurs [Patrick R. et coll. (2016)] un outil à investir davantage, en complément d’outils déjà familiers du secteur tels que la pensée systémique, l’engagement des parties prenantes et les déterminants de la santé.

La pensée résiliente aide à construire la capacité des communautés et des environnements à faire avec des changements inattendus et à développer des solutions au travers d’adaptations ou de transformations, sans chercher à maintenir une forme de statu quo.
Développer la pensée résiliente des intervenants (de terrain, scientifiques et politiques) implique de les accompagner dans l’exploration de leurs pratiques, des dynamiques sociales et organisationnelles auxquelles ils prennent part et qui, sans prise de recul, peuvent les conduire à nier la complexité. Cette pensée résiliente se développe au travers de la rencontre d’acteurs lors de retours d’expériences, formation, sensibilisation, supervision, etc. Elle faciliterait la collaboration avec les autres secteurs concernés par la construction de réponses holistiques aux enjeux des changements climatiques et de l’urbanisation.

One Planet Living©

Au début des années 2000, une entreprise sociale et environnementale a imaginé 10 principes guides (cf. ci-dessous) pour prendre en compte la systémique des déterminants sociaux, environnementaux et économiques de la santé des écosystèmes.

Selon les auteurs [Hancock et coll. 2020)], ces principes aident les personnes à voir l’interconnexion de leurs actions et à aligner leurs aspirations individuelles ou collectives à la santé de la Planète.
En complément à cet outil, nous ajoutons que ces principes sont complémentaires aux objectifs de développement durable des Nations Unies, qui sont au coeur du travail de la plate-forme belge francophone « Associations 21 ».

Eco-Health et Planetary health

Il s’agit de mouvements internationaux prônant la transdisciplinarité7 pour développer des solutions qui lient la santé des individus et la santé environnementale. S’écartant ainsi du modèle dominant de santé publique qui considère la santé des individus comme le but ultime et qui se repose essentiellement sur des approches biomédicales ou focalisées sur les comportements de santé.
Selon Hancock et coll. (2020), ces mouvements impliquent un changement de paradigme de la part des professionnels qui ne devraient plus considérer l’environnement naturel comme une menace pour la santé des populations, mais comme une ressource dont le pouvoir d’agir doit, au même titre que celui des individus, être renforcé. La formation des professionnels est un déterminant important de ce changement de paradigme.
Si les auteurs des articles utilisés dans ce Lu pour vous n’en parlent pas, ces mouvements renvoient néanmoins vers le concept d’une seule santé (« One Health »), dont l’actualité et la pertinence ont été renforcées par la crise sanitaire (i.e. COVID- 19)8

La formation des professionnels de promotion de la santé

Au travers d’une recherche qualitative, les auteurs [Patrick R. et coll. (2012)] ont mis en évidence des compétences dont les professionnels de la promotion de la santé auraient besoin pour répondre aux défis que posent les changements climatiques, et ce plus particulièrement pour les populations vulnérables et à un niveau d’action local/communautaire. L’étude indique que les compétences professionnelles qui reposent sur des savoir-être (par exemple la confiance en soi, la motivation personnelle, l’empathie, la capacité d’adaptation, l’aptitude à la communication, à la négociation, mais également à la mobilisation) combinées aux compétences de base en promotion de la santé (plaidoyer, médiation, leadership, communication, empowerment, planification, mise en oeuvre, évaluation, recherche) sont nécessaires pour répondre aux problèmes soulevés par les changements climatiques.
Plus concrètement, ces différents niveaux de compétences se traduisent notamment pour les professionnels de la promotion de la santé dans leur capacité à favoriser des partenariats, à travailler en collaboration, et à mener des analyses de besoins basées sur les interactions des déterminants socioécologiques de la santé. La médiation et la capacité à travailler en interdisciplinarité et en intersectorialité font également partie des compétences relevées dans l’étude [Patrick R. et coll. (2012)]. L’utilisation de méthodes d’évaluation diversifiées et la mise en oeuvre de recherche appropriées (qualitative ou quantitative), en partenariat avec les parties prenantes, pour déterminer la portée, l’impact et l’efficacité des actions en promotion de la santé sont tout aussi importants. De même, il est recommandé de recourir à des approches d’évaluation culturellement et éthiquement appropriées qui fassent lien avec les valeurs de justice sociale, d’engagement communautaire et d’approches participatives. [Patrick R. et coll. (2012)] Il s’agit également de favoriser la capacité de comprendre et d’interpréter les empreintes écologiques9 et les notions de justice environnementale, de résilience et de pensée systémique.

Conclusion

En complément des pistes développées dans ce Lu pour vous, nous reprenons quelques-unes des recommandations des auteurs à destination du secteur de promotion de la santé afin que ce dernier se positionne plus fermement comme une partie prenante du développement de solutions durables et puisse amorcer les changements nécessaires à ce positionnement.

  • Développer une solide base de connaissances sur la science du changement climatique et son impact sur la santé et l’urbanisation, afin d’étayer les politiques publiques et les stratégies aux niveaux local, régional et international.
  • Travailler avec pour référence un cadre socioécologique basé sur les systèmes, tel que la pensée résiliente, pour faciliter une action collaborative interdisciplinaire et intersectorielle sur le changement climatique.
  • Plaidoyer pour l’investissement dans des programmes de collaboration intersectorielle sur le changement climatique, qui promeuvent simultanément la santé urbaine, l’équité, la santé des écosystèmes et la durabilité.
  • Soutenir le développement de mouvements sociaux urbains et d’autres alliances qui peuvent promouvoir la durabilité écologique et la participation communautaire.
  • Contribuer aux connaissances scientifiques en constituant une base de recherche d’études de cas et de données probantes sur de nouvelles approches réussies ou prometteuses pour promouvoir la santé et le bien-être dans un monde urbanisé et affecté par le climat.
  • Aller au-delà des « espaces » traditionnellement associés à la santé pour collaborer au développement de projets et de politiques pour la santé des écosystèmes.
  • Prendre davantage en compte la santé des écosystèmes comme déterminante pour la santé publique.
  • Travailler collaborativement avec des partenaires du secteur du développement durable pour soutenir une pensée agile et créative sur le bien-être en milieu urbain.

[1] Titre proposé par le RESO

[2] Disponible ici : https://www.who.int/healthpromotion/conferences/9gchp/Shanghai-declaration-final-draft-fr.pdf?ua=1
[3] Pour aller plus loin : https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/objectifs-de-developpement-durable/
[4] Kickbusch I. & Nutbeam D., A watershed for health promotion: The Shanghai Conference 2016, Health Promotion International, Volume 32, Issue 1, February 2017, Pages 2–6.

[5] Pour aller plus loin : Association canadienne de santé publique (ACSP). Les changements globaux et la santé publique: qu’en est-il des déterminants écologiques de la santé ? Ottawa: ACSP; 2015. Disponible ici : https://www.cpha.ca/sites/default/files/assets/policy/edh-discussion_f.pdf

[6] Tels que la prise en compte du modèle socioécologique de la santé, des déterminants de la santé, de l’équité et de la justice sociale, du respect de la diversité culturelle, de l’engagement en faveur du développement durable, de la collaboration intersectorielle ou de la participation des publics concernés/de la communauté à l’évaluation des besoins, à la planification, à la mise en oeuvre et à l’évaluation des activités/programmes.

[7] Il s’agit de la « rencontre de personnes issues de milieux académiques et non académiques, ayant des perspectives ou des modes de pensée différents, concernées par une problématique sociale complexe commune et visant le développement d’une solution utilisable sur le terrain » St-Cyr Bouchard M., Bouchard C., Sky Oestreicher J., et al. « La pratique de la transdisciplinarité dans les approches écosystémiques de la santé », VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement [En ligne], Hors-série 19 | août 2014
[8] Parodi AL. Le concept « One Health », une seule santé : réalité et perspectives [The ‘‘One health’’ concept: reality and future prospect]. Bull Acad Natl Med. 2021;205(7):659-661.

[9] Mesure de la pression qu’exerce les humains sur la nature, s’exprimant par la quantité de surface terrestre bioproductive nécessaire pour produire les biens et services que nous consommons et absorber les déchets que nous produisons. (définition du WWF)

Références :

  1. Hancock T., Desai P. & Patrick R. (2020) Tools for creating a future of healthy One Planet cities in the Anthropocene, Cities & Health, 4:2, 180-192, DOI: 10.1080/23748834.2019.1668336
  2. Patrick R., Noy S. & Henderson-Wilson C. (2016) Urbanisation, climate change and health equity: how can health promotion contribute ?, International Journal of Health Promotion and Education, 54:1, 34-49, DOI: 10.1080/14635240.2015.1057653
  3. Patrick R., Capetola T., Townsend M., Nuttman S. Health promotion and climate change: exploring the core competencies required for action. Health Promot Int. 2012 Dec;27(4):475-85. doi: 10.1093/heapro/dar055. Epub 2011 Sep 12. PMID: 21914637.