Les Presses de l’Université du Québec publient le fruit des recherches du Groupe «Médias et Santé» de l’Université du Québec (Montréal). Il s’agit d’une foisonnante compilation d’articles dans laquelle chacun (travailleur de la santé, de l’éducation, des médias…) trouvera éléments de réflexion. Depuis 2005, ce Groupe se consacre à l’étude du rôle des médias dans le façonnement des normes sociales, principalement en matière d’alimentation et d’activité physique.
Les recherches du Groupe (en fait une Unité pluridisciplinaire, instance du Département de communication sociale et publique de l’Université du Québec à Montréal) sont motivées par le double souci d’effectuer des études utiles aux acteurs de terrain et de favoriser une utilisation des médias susceptible d’améliorer la santé et le bien-être de la collectivité.
Postulat
La création du Groupe repose sur le postulat que les médias constituent des sources importantes d’influence sociale et de socialisation mais aussi qu’ils contribuent à structurer les environnements sociaux et physiques. Les médias peuvent de ce fait influer sur le processus de changement individuel et collectif. Et ce de trois manières: en influençant les croyances et les attitudes individuelles, en recadrant le débat d’une perspective individuelle à une perspective sociopolitique (avec le concours de leaders d’opinions) et en modelant les normes sociales (définies comme ce qui est collectivement acceptable et reconnu par un groupe).
L’influence directe des médias sur les croyances et sur les attitudes sociales a fait l’objet de nombreuses études. L’ouvrage rappelle qu’une revue systématique de plus de cent recherches quantitatives sur le lien entre les médias et des indicateurs de santé (obésité, tabagisme, drogue, alcool, hyperactivité, performance scolaire et comportement sexuel) fait état d’un lien entre le degré d’exposition aux médias des enfants et des adolescents et l’obésité et le tabagisme.
Cependant, peu de recherches ont analysé le façonnement médiatique des normes sociales liées à la santé et au bien-être, notamment l’effet des prises de décision des différents agents sociaux (industriels, politiciens, leaders d’opinion) sur la transmission des messages et à l’inverse la façon dont les médias influencent ces agents.
Ces patterns d’influence, leurs effets sur la nature du message émis et reçu, ainsi que sur les normes se situent au cœur du présent ouvrage. Le Groupe «Médias et santé» a développé un modèle intégrateur de la norme. Dans ce modèle, les agents de changement comme les leaders d’opinion, les industriels et les politiciens exercent un rôle dans l’émergence et dans le renforcement de la norme. Ils peuvent influencer l’effet des médias sur la norme.
Ces émetteurs de normes, dépositaires d’enjeux, sont en interaction avec les organisations et les individus qui créent et qui produisent des messages médiatiques (télédiffuseurs, producteurs, scénaristes), ce qui les définit comme émetteurs-relais auprès du public. Lequel public s’approprie et interprète les normes transmises en fonction de son contexte de vie et de son état de santé.
Les médias ne représentent cependant, il faut le rappeler, qu’une des forces d’intégration de la norme. Une force d’intégration loin d’être insensible à la santé justement. On apprend ici que près de 1500 professionnels des médias ont été interrogés sur leur intérêt pour la santé. Les trois-quarts affirment aborder le thème de la santé dans leur projet médiatique. Un professionnel sur dix affirme que l’on devrait accorder à la santé une importance majeure vu les dépenses publiques dans le secteur et l’intérêt des citoyens. Les choix quant aux contenus santé, sont faits en fonction de l’existence de débats sociaux (y compris dans des pays voisins), de l’intérêt de la population, de l’originalité possible dans le traitement du sujet. Sont aussi avancés les prises de position des scientifiques et le traitement de certains sujets par la concurrence.
Vie de la norme
Le cycle de vie d’une norme compte trois temps: l’émergence, la cascade et l’internalisation. Ce cycle peut être influencé par le contexte général mais aussi par des problèmes particuliers, par exemple par un problème de santé publique comme le SRAS (Syndrome Respiratoire Aigu Sévère).
Au temps de l’émergence , des spécialistes (au sens large, car il peut s’agir de citoyens ayant expérimenté une situation, comme des membres de groupes de self-help souhaitant contribuer à modifier une norme) s’essaient à la construction de normes, avec l’aide de leaders d’opinion qu’ils tentent de persuader du bien-fondé des normes mais aussi de convaincre de les adopter. Les médias peuvent être considérés comme des leaders d’opinion. Ils peuvent jouer un rôle dans la vie des normes.
On signalera ici l’apport d’un chercheur comme Linkebach pour qui les médias, pour changer la perception de certains comportements, devraient présenter la norme réelle. Dans le cas du «binge drinking», cela signifierait que les médias devraient mettre l’accent sur le très faible pourcentage de jeunes qui ont ce comportement excessif plutôt que sur les cas les plus choquants ou spectaculaires.
Une des principales conditions d’émergence des normes résiderait dans leur caractère instrumental. Autrement dit, il faut qu’elles soient perçues comme permettant à des individus d’atteindre un but. Lors de la cascade , les leaders usent de leur pouvoir de conviction. Les adjuvants à l’adhésion à la norme seront le sentiment d’appartenance à un groupe, la conformité, l’estime. Avec l’internalisation , les débats concernant la norme se tarissent.
Nombreux médias
L’approche du Groupe «Médias et Santé» l’a amené à se pencher sur l’évolution des discours médiatiques sur la santé, l’évaluation des campagnes de promotion de la santé, les perceptions de différents publics quant aux messages sur l’alimentation et l’activité physique, les contenus médiatiques ciblant les jeunes ou encore l’épidémie d’obésité et le rôle joué par l’industrie agroalimentaire.
De la vingtaine d’entretiens menés au sein de ce secteur, il ressort que les décideurs pensent qu’il appartient aux seules autorités publiques de sensibiliser à l’équilibre alimentaire le consommateur, défini comme cuisinant définitivement moins qu’il y a quelques années!
Les médias interrogés au cours des contributions qui composent l’ouvrage sont variés: actualités, publicité, séries TV… Ainsi, pour ces dernières, une étude exploratoire de treize séries TV révèle que les références à l’alimentation sont plus fréquentes (40 % des séquences!) que celles à l’activité physique (6% seulement des séquences!). De l’alcool est consommé dans la grande majorité des émissions (10 sur 13). Les fruits et les légumes ne comptent que pour 10 % des occurrences des aliments (127). Le choix se porte vers des silhouettes féminines (le constat ne concerne pas les hommes!) dont la corpulence est loin d’être représentative de celle du commun des vivants.
Les publicités diffusées lors de la présentation de ces séries ont été analysées. Friandises, céréales et fast-food y sont les aliments surreprésentés. L’activité physique est deux fois moins présente à l’image que des aliments. L’activité physique informelle, intégrée au quotidien, est quasiment absente de l’écran.
L’activité physique étant un des thèmes prioritaires du Groupe, celui-ci a analysé l’évolution de la sédentarité de la population québécoise en lien avec les actions gouvernementales et la couverture médiatique en activité physique.
A partir de trois sources de données (données d’enquêtes, couverture médiatique et interventions des autorités publiques via le programme Kino Québec de 1984 à 2005), l’analyse montre un lien ténu entre le bruit sociétal et la pratique d’une activité physique. L’étude met aussi en avant des lacunes en ce qui concerne des données comparables dans le temps.
Les jeunes
Sur le même thème, une étude auprès des jeunes entre 12 et 14 ans révèle qu’ils sont peu interpellés par les messages portant sur l’activité physique qui leur sont destinés. La moitié des jeunes ignorent la fréquence de pratique recommandée.
Des différences se font jour dans la perception des filles et des garçons. Les filles associent l’activité physique aux loisirs, au maintien ou à la perte de poids quand les garçons mettent, à cet âge, en avant les performances et le développement de leurs muscles…
Les chercheurs ont aussi demandé aux jeunes de décrire la journée d’une personne sédentaire. Il ressort des réponses un portrait caricatural: la personne sédentaire mange, dort et regarde la télévision. On voit combien, du coup, les jeunes se sentent peu concernés par la sédentarité.
Les mêmes jeunes ont fait part de leur perception de la campagne québécoise de promotion de l’activité physique et d’une alimentation saine. Le recours à un personnage, soit «Vasy» ou «Le bonhomme bleu», fut-il pertinent? Les filles se montrent critiques quant au look du personnage, et par ricochet au message qu’il colporte, ce dont s’abstiennent les garçons. Au contraire, ils apprécient un personnage masculin et «musclé»! Garçons comme filles soulignent le rôle de leurs parents dans leur alimentation, ce qui invite à ne pas oublier les parents comme cibles des campagnes destinées aux jeunes.
En matière d’alimentation, l’impact d’une campagne grand public à l’alimentation saine (dite aussi «offensive»!) a été analysé. La campagne comprenait des émissions TV, des spots santé télévisuels, des articles, un site internet et la possibilité de participer à un défi individuel.
Parmi les limites pointées par le public: la crainte de voir utilisées des données confidentielles. Les répondants proposent de varier encore davantage les outils de communication: circulaires, tournée d’un porte-parole de la campagne dans des magasins et des lieux publics, organisations de stands, journées-événements dans les municipalités, sensibilisation dans le milieu du travail.
Pistes d’action
L’ouvrage se clôt par une série de pistes d’action pour les praticiens en santé publique. Ces pistes concernent le rôle des intervenants, les messages et les cibles de ceux-ci. Le rôle des intervenants est quadruple: intervenir dans le processus de sensibilisation de l’opinion publique, travailler avec des acteurs de différentes sphères, développer une réelle connaissance des relais médiatiques et enfin tenir compte des représentations de la santé propres aux acteurs médiatiques, aux acteurs de santé et aux acteurs des différentes sphères.
Concernant le contenu des messages qu’ils diffusent, les intervenants sont invités à ne pas perdre de vue qu’ils devraient proposer des données probantes sur des expériences menées ailleurs, être sans cesse curieux des messages véhiculés par les médias et enfin assurer la continuité de leurs propos dans le temps. Il s’agirait donc à la fois de prévoir des «retours de campagnes» et de mettre systématiquement en place des actions-relais. La cible devrait être approchée selon trois priorités: l’action locale, l’identification des relais de terrain et l’adaptation des contenus aux publics ciblés.
Véronique Janzyk
Les médias et le façonnement des normes en matière de santé, sous la direction de Lise Renaud, Presses de l’Université du Québec.
A visiter, le site du Groupe «Santé et Médias» à l’adresse http://www.grms.uqam.ca