Qu’entend-on par des soins de fin de vie « appropriés » dans notre pays ? Comment se fait-il que certaines personnes reçoivent des soins « inappropriés » et comment peut-on l’éviter ? En collaboration avec des chercheurs de l’UCL et de l’UAntwerpen, le Centre fédéral d’Expertise des Soins de santé (KCE) a analysé les publications belges et a lancé une vaste étude (dont une enquête) impliquant des prestataires de soins, des patients, des proches, et des bénévoles. Il en ressort que les soins sont considérés comme appropriés quand ils sont en accord avec ce que le patient trouve important, et qu’une bonne manière d’éviter de recevoir des soins inappropriés est d’exprimer à l’avance ses souhaits et préférences pour la fin de vie. Les soignants doivent (pouvoir) dégager du temps pour en parler avec leurs patients : qu’attendent-ils encore de la vie ? Quelles sont leurs priorités ? Quant à la société dans son ensemble, elle doit ré-apprivoiser la question taboue de la fin de vie, afin de rendre ce sujet abordable entre le patient, ses proches et ses soignants.
Faites connaître vos souhaits à l’avance!
D’après notre étude, les soins de fin de vie sont considérés comme appropriés lorsqu’ils répondent aux souhaits et préférences du patient et qu’ils lui apportent confort et qualité de vie, afin de lui permettre de donner un sens à la dernière phase de sa vie.
Dans la pratique, on constate cependant que les opinions des uns et des autres peuvent être très divergentes sur la signification concrète de ce concept. Certains veulent prolonger leur vie par tous les moyens possibles, tandis que d’autres préfèrent stopper tous les traitements curatifs et privilégier les soins de confort. Délivrer des soins appropriés consiste donc, en quelque sorte, à s’adapter aux besoins individuels de chaque patient. Ce qui pose problème, car tant les patients (et leurs proches) que les soignants éprouvent beaucoup de difficultés à aborder le sujet de la mort qui approche. Parfois aussi, le patient n’est plus en état de faire connaître son avis.
La démarche de planification anticipée des soins (c’est-à-dire réfléchir et définir à l’avance ce que l’on souhaite) est une solution qui permet, par exemple, d’éviter un traitement qui se prolonge trop. Idéalement, cette planification anticipée devrait même se faire avant toute maladie grave, de préférence avec son médecin généraliste, et déboucher sur une trace écrite que le médecin peut conserver dans le dossier médical. Les décisions ainsi prises peuvent ensuite être réajustées autant de fois que le patient le souhaite.
Il est évidemment essentiel que toutes les personnes concernées soient au courant de l’existence et du contenu de la dernière version d’une planification anticipée. Pour cette raison, il est important qu’elle soit accessible, via le dossier médical électronique, à tous les médecins susceptibles de prendre des décisions à la place du patient si celui-ci n’est plus en état de le faire.
Qu’est-ce que la planification anticipée des soins ?
La planification anticipée des soins ou Advanced Care Planning (ACP) est un processus de concertation entre le patient, ses proches et les dispensateurs de soins en vue de définir une orientation commune des soins et des traitements à mettre ou non en œuvre. L’ACP vise à fixer un objectif thérapeutique basé sur les valeurs et les priorités du patient. C’est une démarche proactive et anticipative, qui facilite les prises de décision dans les situations d’urgence ou lorsque le patient n’est plus en état d’exprimer clairement ses volontés. (…)
Dans le décours d’une ACP, le patient peut, s’il le désire, remplir et signer un ou plusieurs document(s) de directives anticipées (p.ex. sur l’euthanasie, les traitements médicaux que l’on ne souhaite pas/plus recevoir, etc.). Ces documents et un résumé écrit de l’ACP seront consignés dans le dossier médical. Ils sont révocables à tout moment et n’entreront en ligne de compte que si le patient devient incapable de faire connaître sa volonté. (…)
Le soignant doit être prêt à respecter les valeurs philosophiques, culturelles et socio-familiales de chaque patient et lui permettre de s’exprimer librement sur la signification qu’il donne à sa vie, sur la façon dont il définit sa qualité de vie, sur ses attentes, ses préférences, ses craintes et ses préoccupations, les soins qu’il désire et ceux qu’ils refuse.
(D’après la Fédération bruxelloise des soins palliatifs et continus www.fbsp-bfpz.org)
Dans certaines maladies, les soins palliatifs et la lutte contre la douleur sont moins souvent proposés
Les auteurs de l’étude ont également constaté que les soins palliatifs – qui consistent à gérer la douleur et les symptômes pénibles et à offrir un soutien psychologique, social et spirituel – sont souvent mis en place trop tard. Ils sont aussi perçus comme insuffisamment disponibles.
De plus, il semble que ces soins sont moins souvent proposés dans certaines maladies, comme par exemple en cas d’insuffisance respiratoire (BPCO-bronchique chronique obstructive). On observe également que chez les personnes atteintes de démence, qui éprouvent davantage de difficultés à prendre des décisions au sujet de leur traitement, on prend moins de mesures pour lutter contre la douleur et les autres symptômes.
La formation aux soins de fin de vie et aux soins palliatifs elle-même n’est d’ailleurs pas toujours optimale. Or un médecin sensibilisé aux soins palliatifs multidisciplinaires reconnaît à temps quand ils deviennent nécessaires et les met en place plus rapidement.
Les soignants doivent parler mais surtout écouter, écouter, écouter…
Les soignants ont un rôle majeur dans la réussite des soins de fin de vie. Mais les pressions de travail auxquelles ils sont soumis ne leur permettent pas souvent de trouver assez de temps pour discuter avec les patients de leurs souhaits. Au-delà des seuls soignants, c’est toute l’institution de soins – hôpitaux, maisons de repos et soins à domicile – qui devrait considérer qu’être à l’écoute des patients, parler avec eux et être présent auprès d’eux fait partie du travail quotidien normal.
Mais les soignants n’ont pas toujours les aptitudes de communication nécessaires. Leur formation devrait mieux les préparer à échanger sur des sujets aussi émotionnellement intenses.
C’est parfois compliqué de collaborer!
Les médecins sont de plus en plus spécialisés. Or en devenant les super-spécialistes d’une pathologie particulière, ils peuvent perdre de vue le patient et sa qualité de vie dans leur globalité. Lorsque différentes disciplines, voire différentes organisations de soins, sont impliquées dans les soins de fin de vie, la collaboration peut devenir vraiment compliquée. Quoi qu’il en soit, il est essentiel que, à côté des problèmes médicaux, la qualité de vie du patient reçoive aussi la pleine attention des soignants, ainsi que le soutien psychologique et spirituel du patient et de sa famille.
La formation et le financement à l’acte incitent au « faire » plutôt qu’au « laisser faire »
Les médecins sont formés à soigner en vue de guérir ; pour certains d’entre eux, ne pas traiter, ou traiter autrement, peut être vu comme un échec. Le financement actuel des soins de santé va dans le même sens, car les institutions de soins et les médecins sont souvent payés « à l’acte », ce qui peut pousser davantage dans le sens du « faire » que du « laisser faire ». Il serait donc préférable de chercher à faciliter financièrement la planification anticipée des soins et certains aspects des soins de fin de vie, comme la présence, l’écoute et la collaboration interdisciplinaire.
« Ne rien faire » n’est pas une option dans la société actuelle
Parler de la fin de vie est tabou pour tout le monde : les patients, les soignants, les proches et…la société en général. En outre, l’idée d’« abandonner » et de « ne rien faire » n’est pas une option facilement acceptée aujourd’hui ; le patient est souvent encouragé à « continuer à se battre ». Les attentes vis-à-vis de la médecine sont irréalistes, nourries entre autres par les médias (sociaux) qui relayent parfois sans aucun recul de soi-disant progrès scientifiques spectaculaires.
Le KCE préconise donc des initiatives visant à sensibiliser tant les soignants que le grand public à réfléchir à ce que l’on veut/ne veut pas lorsque la fin de la vie approche, et à en parler avec ses proches, son médecin de famille et les autres soignants.
Quelques témoignages tirés de l’enquête :
« Notre oncle a été hospitalisé pendant 3 semaines dans un centre de soins palliatifs, où il a été soigné et choyé, et où il a été écouté … Il était traité comme une personne et pouvait décider à tout moment s’il voulait ou non recevoir des soins, s’il voulait manger… Mais surtout il n’a jamais souffert et il a pu communiquer avec nous jusqu’à 24 heures avant sa mort. L’équipe lui a apporté beaucoup de soutien, ainsi qu’à nous et à ses fils. Ils ont même pris en compte le décalage horaire pour qu’il puisse parler avec l’un en Asie et l’autre aux États-Unis … Bref, il a été traité comme une personne. » (un membre de la famille)
« Pour cette résidente, nous ne disposions pas d’une demande anticipée ou d’un testament de vie, et sa famille était divisée sur la question. Comme sa démence ne lui permettait plus d’exprimer elle-même ce qu’elle aurait voulu, elle a été maintenue en vie pendant plusieurs mois à l’aide d’une alimentation par sonde et de médicaments. Les derniers mois, elle était grabataire, souffrait de graves escarres au niveau du coccyx et des chevilles et ne communiquait plus du tout. Vers la fin, elle n’était plus guère qu’un squelette émacié… Lors des soins, nous pouvions clairement voir qu’elle souffrait. Mais aucun traitement antalgique efficace n’était disponible et de plus, la nuit, comme il n’y avait pas toujours d’infirmière sur place à la maison de repos, l’administration des antidouleurs n’était pas optimale. La famille ne voulait plus qu’elle soit hospitalisée. Elle a finalement connu une mort lente et douloureuse. » (un prestataire de soins)
« En tant que médecin, j’aimerais qu’il y ait davantage de soirées d’information sur la planification anticipée des soins. Je pense que cela permettrait d’évacuer bien des malentendus. Apprendre aux parents et aux enfants à parler de leurs attentes, réapprendre à communiquer et ne pas attendre que les premiers se retrouvent en maison de repos. Ce sont des questions qu’il faut pouvoir aborder beaucoup plus rapidement, d’autant que ce sont des discussions qui doivent aussi pouvoir mûrir et évoluer. Il ne faut pas attendre l’âge de la retraite. Aborder la planification anticipée des soins donne souvent l’impression d’être malvenu et désagréable parce qu’on ne le fait généralement qu’à l’entrée en maison de repos. C’est un thème que l’on associe beaucoup trop à la vieillesse. Cela représenterait un guide précieux pour les prestataires de soins, mais aussi un grand soutien pour les enfants dont un parent sombre dans la démence, qui sauraient ainsi beaucoup mieux quel était l’avis de leurs parents sur la fin de vie. Ce serait un grand soulagement pour bien des enfants qui, aujourd’hui, ne savent pas quelles décisions prendre lorsque leurs parents arrivent au terme de leur existence. Il faudrait organiser beaucoup plus de séances d’information sur ce à quoi il faut s’attendre dans le processus qui mène au décès, sur ce que l’on peut faire à côté des traitements médicamenteux, sur ce que la famille peut faire elle-même. Rapprocher à nouveau ce processus des gens, veiller à ce qu’il soit à nouveau connu. »
(un prestataire de soins)
Pour entrer en contact avec les chercheurs du KCE :
Karin Rondia, Communication scientifique KCE
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