Juillet 2011 Par Carole FEULIEN Initiatives

Certaines histoires de vie, ainsi que certains livres ne se terminent pas toujours par «Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants». Pour de nombreux enfants malheureusement, cette phrase semble appartenir au passé. Quand la maladie ou la mort frappe une famille, une nouvelle page de vie s’ouvre, et ce qui s’écrira sur cette page ne sera plus jamais comme avant. Martine Hennuy, Nathalie Slosse et Sophie Buyse ont choisi d’en parler aux jeunes enfants, au travers de livres illustrés.

Quand l’enfant rencontre… la maladie

Les enfants veulent savoir, comprendre et connaître la vérité. Quand on leur cache des choses, pensant les préserver, ils pressentent un climat de danger au travers de phrases chuchotées, de conversations étouffées, de visages angoissés; cela contribue à alimenter leurs peurs, leurs fantasmes et la création de réponses imaginaires plus terrifiantes encore que les secrets eux-mêmes.
Si l’enfant doit savoir, il a besoin de réponses adaptées à son âge, à sa sensibilité, à sa maturité. Le mettre en position d’adulte en lui donnant des explications trop médicales serait lui faire violence et le figer du côté du réel, alors que bien souvent il puise ses ressources dans l’imaginaire, où un monde fantastique peuplé de héros, de princes et de princesses, cohabite à côté de la réalité, en parfaite symbiose avec celle-ci.
L’enfant ne reproduit jamais à l’identique, il réinvente, il crée, il écrit une autre histoire. S’il multiplie les scénarios, c’est pour se confronter émotionnellement à toutes sortes de dénouements, des histoires qui finissent bien et d’autres qui finissent mal. L’enfant n’est pas dupe de son récit, il sait bien qu’il fait semblant, qu’il joue, que «c’est pour du faux». Il a plaisir à entrer et sortir de ses histoires, il n’est ni victime, ni prisonnier de ce qu’il raconte car face à ce qu’il ne peut décider et contrôler dans la réalité, à savoir la maladie du parent, il a l’illusion de maîtriser l’histoire qu’il vient d’inventer. Il devient maître de la destinée de ses personnages et ce pouvoir sur eux le soulage quand il n’a plus prise sur les événements douloureux de sa vie.
Là où certains enfants vont fuir dans le monde imaginaire, d’autres au contraire se réfugieront dans le connu. Quand la maladie et l’hospitalisation entraînent un surcroît de réel dans la vie de l’enfant, tout son quotidien est bouleversé, il perd ses repères, mais aussi un peu de sa capacité de rêverie. Il peut avoir l’impression que les monstres des histoires sont sortis des livres ou de la télévision pour passer dans le monde réel et attaquer son parent. Découvrir que les fées, Saint-Nicolas et le monde enchanté n’existent pas est très décevant. C’est comme si on lui enlevait ses rêves, ses illusions et son insouciance. S’il n’y a pas de baguette magique pour sauver papa ou maman, que va-t-il devenir?
L’enfant peut, en réaction, développer des conduites névrotiques; il va s’accrocher de façon obsessionnelle à la réalité, contrôler la place des objets, nettoyer, ranger, se figer dans des rituels répétitifs, craindre les imprévus, la nouveauté, etc. Un enfant «adultifié» par la maladie de son parent peut se fixer du côté du réel: il ne joue plus, il prend tout en charge dans la maison, s’occupe des petits frères, prépare le repas, comme si l’enfance avait brutalement disparu de sa vie. Voir un enfant devenu si sage, si obéissant, si studieux à l’école, ce qui du point de vue des parents peut sembler rassurant, peut en réalité être le comportement d’un enfant qui a évacué ses désirs, ses frustrations, par un comportement hyper adapté à la réalité. Toutes les émotions négatives sont refoulées, et risquent de réapparaître de façon beaucoup plus violente plus tard. C’est pourquoi il est essentiel pour l’enfant de pouvoir extérioriser ses sentiments par des actes libératoires.

…la mort

En matière de mort, nous n’avons aucune certitude, juste des croyances qui vont elles-mêmes évoluer en fonction de nos expériences de vie et de nos propres confrontations à la mort. C’est sans doute pourquoi il est si difficile de l’aborder avec les enfants.
Pourtant, très tôt, l’enfant va s’interroger sur la mort. Tant qu’il n’y a pas été confronté, elle reste pour lui un mystère, une réalité lointaine. Avant 6 ans, il acquiert d’abord la notion de «séparation», il va plutôt considérer la mort comme un «sommeil prolongé». Il va jouer la mort et mettre en scène sa conception, comme un phénomène passager et provisoire. Il va ensuite acquérir les notions de perte des fonctions vitales, d’irréversibilité, vers l’âge de 8 ans: « La mort , c’est quand on ne respire plus », « On a mis papa dans une boîte et on l’a brûlé ».
Les attitudes des parents vont influencer l’élaboration du concept pour l’enfant, qui posera des questions uniquement s’il sent qu’il peut obtenir des réponses sans blesser ses proches.
La manière dont l’enfant va vivre ses premières expériences de confrontation à la mort va également en influencer sa perception et sa compréhension. L’enfant confronté très tôt à la perte d’un proche comprendra d’autant plus vite la notion de «plus jamais» et ses questionnements seront plus précoces. Ainsi, ce que pense l’enfant de la mort, ce qu’elle suscite en lui, va sans cesse évoluer au fil de son vécu.
Ce que l’enfant imagine de la mort dépend enfin de ses croyances et des conceptions philosophiques du groupe auquel il appartient. Suivant sa culture, la société dans laquelle il vit et ses besoins, il faudra réinventer des rituels (pas forcément religieux) qui constituent un geste ou un ensemble de gestes permettant d’apaiser l’intensité des sentiments qu’il ressent. Ainsi, il est important de poser des actes concrets pour apaiser son chagrin, de fixer un cadre sécurisant (créer une boîte à chagrin, lâcher un ballon…).
Puisque très vite, l’enfant perçoit que la mort inquiète les adultes, quel que soit son âge, il est important de le laisser «dire» sa vérité, son ressenti, sans lui apporter de réponse toute faite.

Le livre, support d’expression entre réalité et imaginaire

Dans les deux livres «Alice au pays du cancer» et «On va où quand on est mort?», les auteurs ont souhaité tenir compte du vécu de l’enfant dans la réalité mais aussi dans son univers imaginaire et symbolique. La lecture des livres avec l’enfant l’emmène en voyage dans son monde intime, il parcourt, à la suite d’Alice ou de Diego, les trois registres du réel, de l’imaginaire et du symbolique.
L’arbre de la connaissance dans Alice, qui répond aux questions, apporte une dimension à la fois symbolique et sacrée. L’enfant s’adresse à l’inconnu, au mystère, à ce qui le dépasse. Cet arbre de la connaissance entretien le lien de l’enfant avec son monde irrationnel. Quand les éléments de la réalité deviennent trop effrayants, il peut être bénéfique pour l’enfant de se créer sa propre fiction.
Diego, dans «On va où quand on est mort?» trouve aussi un réconfort grâce à son animal totem, le lièvre, apparu dans ses rêves et qui lui suggère de construire son temple du souvenir. L’animal de pouvoir, comme l’appellent les chamanes ou les scouts, est l’animal auquel l’enfant peut à la fois s’identifier, se projeter, poser ses questions et confier ses craintes. Les plus petits s’entretiennent avec leur peluche. Pendant ce dialogue intime, ils n’hésitent pas à soigner l’ours malade, le consoler, le punir ou se fâcher contre lui.
Pour les enfants plus petits, le livre «Grand arbre est malade» déplace la maladie sur un arbre attaqué par les vers ou dans un jardin envahi de mauvaises graines. Les tout-petits comprennent et acceptent plus facilement un récit qui transforme la réalité, par exemple une histoire qui parle d’un arbre, d’un jardin, ou d’un animal, plutôt que la confrontation directe avec un personnage humain. Ce déplacement permet d’atténuer la peur, d’amener progressivement des éléments du vécu émotionnel de l’enfant sans qu’il ne se sente menacé par des propos trop directs, trop proches de son monde intérieur.
Le livre est un support (parmi d’autres) qui propose aux enfants un espace d’expression. Il permet de les aider à élaborer leurs propres réponses à leurs questions et observations, par la discussion et le partage. Il permet d’accompagner l’enfant. Il lui propose d’extérioriser ses émotions de colère, de tristesse, de peurs, par identification à Alice qui jette son ours contre le mur ou qui tape sur la pierre qui parle quand elle lui dit de sortir toute sa rage, ou au petit Diego qui a perdu son papa et qui souffle tout son désespoir dans de gros ballons rouges qui s’envolent avec un peu de son chagrin.
Ces images, véhiculées par les livres, en font un véritable outil thérapeutique car ces passages d’expression des émotions et d’évacuation de la détresse sont ceux que les enfants préfèrent. Ils comprennent le sens et la charge symbolique de ces actions.
Le livre est une «passerelle sur les épreuves de la vie». Il permet une vision à distance, un recul sur le problème. Il aide l’enfant à ne pas être absorbé par la maladie ou la mort de son parent, il l’aide à franchir l’obstacle en sachant qu’il n’est pas seul, qu’il a ses propres ressources. Le livre est un outil de création parmi d’autres pour lutter contre la destruction, la dépression. Il met des couleurs sur les images tristes, des mots sur les douleurs, de la poésie et des métaphores, là où les termes médicaux sont très réducteurs. Il facilite l’échange avec le parent sur les thèmes effrayants et inquiétants comme les mots «cancer», «chimio», «tumeur», «mort». C’est d’ailleurs volontairement, que les auteurs ont inséré les mots «cancer» et «mort» dans les titres des ouvrages, pour ne pas se cacher du sujet qui va désormais occuper la première place dans le psychisme du parent souffrant et de son enfant.
Les enfants sont immédiatement attirés par ces livres car ils perçoivent qu’ils abordent des sujets de «grands» et ils sont très intéressés par ces sujets, même ceux qui n’ont jamais été confrontés au cancer ou à la mort d’un proche.
Par le détour des livres, sans l’étalage brutal du réel qui lui ferait violence, l’enfant intègre, avec douceur et chaleur, le parcours éprouvant de la traversée du cancer ou du deuil. Le livre illustré ne minimise pas les épreuves, il permet même d’aborder la culpabilité de l’enfant, mais en tenant compte de ses rythmes, de son univers psychique. Il vit au fur et à mesure de ses lectures, à partir des commentaires que l’enfant amène, de ses ajouts, ses oublis et ses inventions. Il demande souvent plusieurs lectures, pour intérioriser, retrouver, mémoriser les phrases, les images et se préparer aux pages les plus douloureuses. La lecture accompagnée avec le parent amène une ouverture, elle permet un dialogue sur ce qui préoccupe, inquiète. Elle laisse libre cours à l’imagination de l’enfant et lui propose des pistes, sans l’enfermer dans des convictions figées. (1)
Ces trois beaux livres semblent avoir de véritables vertus thérapeutiques tant pour l’enfant que pour ses parents. Ce sont de précieux outils pour les professionnels de l’enfance, les enseignants et le personnel soignant. À découvrir absolument…

« Alice au pays du cancer », rencontre avec Sophie Buyse

Lorsqu’Alice quitte brutalement le pays des merveilles et découvre le pays du cancer, elle se trouve face à un monde menaçant qui lui est complètement étranger. Elle entend parler les infirmières et les médecins et ces mots incompréhensibles et inconnus lui paraissent une langue étrangère. La maladie et les traitements ont également transformé sa maman, elle qui était si forte, si protectrice, paraît soudain si faible, si fragile.
Sophie Buyse est psychothérapeute d’orientation psychanalytique et licenciée en sexologie de l’UCL. Elle consulte en privé et reçoit des enfants, des adultes et des couples.
Depuis 20 ans, elle travaille en collaboration avec l’asbl Cancer et Psychologie, à l’accompagnement des malades cancéreux et de leurs proches. Depuis à peu près 10 ans, elle a créé avec ses collègues des «Espaces Enfants» à l’hôpital dans les services de cancérologie qui accueillent des enfants confrontés à la maladie d’un parent, et des «Espaces Papillons», destinés aux enfants confrontés au décès d’un proche.
Sophie Buyse est par ailleurs présidente et fondatrice de l’asbl «Relais Enfants parents» (2), chargée du maintien des liens entre l’enfant et son parent incarcéré. Elle est aussi auteur de romans et de nouvelles.
Éducation Santé: Qu’est-ce qui vous a poussée à réaliser Alice au pays du cancer ?
Sophie Buyse : Ce sont des patients cancéreux qui se demandaient comment parler de la maladie à leur enfant qui m’ont incitée à mettre quelque chose sur pied, de même que mon expérience avec les enfants des Espaces Enfants à l’hôpital.
ES: Quels sont les objectifs de ce beau livre?
SB : Il s’agit de mettre des mots sur les émotions, d’expliquer la maladie grâce à un récit imagé et expressif qui permet à l’enfant de s’identifier.
ES: Mais pourquoi le cancer?
SB : Il y avait beaucoup de livres sur le divorce des parents, la mort, la séparation, mais peu de livres qui osaient parler du cancer sans voies détournées. Or, pendant la maladie, les enfants connaissent des phases de tristesse, de peur, de révolte, de colère, de culpabilité. Certains traversent cette épreuve en étant trop sages, trop bons élèves, ils veulent préserver leur parent, mais il ne faut pas oublier qu’ils restent des enfants et doivent encore avoir des moments d’insouciance, de bêtise et de vulnérabilité!
ES: Est-ce que le livre peut être utilisé dans d’autres cas que le cancer d’après vous?
SB : Je crois que le livre est aussi lu par des enfants qui ne sont pas confrontés au cancer d’un proche mais qui ont souvent entendu parler de la maladie et désirent être informés. Nous animons d’ailleurs des ateliers dans des classes confrontées à la maladie d’un enfant/parent/professeur, et nous constatons que le livre est un bon outil de communication et d’échange dans un groupe, quelle que soit la maladie.
ES: Comment avez-vous conçu le livre? Avez-vous rencontré des familles confrontées au cancer lors de la conception?
SB : Martine Hennuy et moi-même sommes deux psychothérapeutes de l’asbl Cancer et Psychologie. En fait, nous sommes sans cesse confrontées à cette problématique. Même dans nos proches il y a des personnes malades. Le cancer est malheureusement trop présent dans notre vie et dans notre entourage. Il ne se limite pas au contexte professionnel. Ainsi, nous avons mis en commun notre expérience avec les enfants et les malades. La rédaction du texte s’inspire aussi de témoignages ou de réactions d’enfants. L’illustratrice a été très touchée par ce thème et ses dessins répondaient bien à ce que nous cherchions…
ES: Pourquoi un livre?
SB : Il faut prendre du temps pour lire, et donc pour penser, pour ressentir. Le livre doit être lu de préférence avec un adulte pour permettre un dialogue, un questionnement, donner à l’enfant l’occasion de dire ce qu’il pense, ce qu’il vit. Le livre permet par ailleurs de se projeter tout en restant à distance de ce qui est représenté. Il est à la fois proche et lointain.
ES: Ici, l’histoire se termine bien mais malheureusement, ce n’est pas toujours le cas. N’est-ce pas une vision trop positive de la maladie? Qu’en est-il pour les enfants pour qui ça ne se termine pas comme ça ?
SB : Il existe maintenant un deuxième livre «On va où quand on est mort?» (voir plus loin dans cet article) qui permet d’aborder avec les enfants la mort, la perte, le chagrin… Ceci dit, Alice se termine avec l’espoir de «ne plus jamais retourner au pays du cancer» mais on ne parle pas de guérison non plus.
ES: Existe-t-il un livret pédagogique pour savoir comment aborder ce livre avec les enfants ?
SB : Non, les personnes qui le souhaitent peuvent s’informer auprès de l’asbl et des auteurs du livre.
ES: Quel usage préconisez-vous?
SB : La lecture peut s’effectuer dans le cadre familial, scolaire, hospitalier… avec ou sans conteur/ lecteur, avec animation dans les écoles, à la maison avec les parents mais de préférence dans la journée pour ne pas ouvrir de questions trop douloureuses et émotionnelles au moment du coucher.
ES: Selon votre expérience, le livre est-il bien reçu par les enfants? Qu’en disent-ils? Et les parents et les animateurs ?
SB : Depuis la parution du livre, nous avons eu des commentaires à propos de son titre, volontairement très explicite qui pouvait heurter. Mais nous voulions appeler un chat un chat, et oser nommer le cancer. Les enfants, justement, sont curieux d’un livre qui porte un tel titre car il s’adresse à eux comme à des «grands».
Le personnel des hôpitaux est très demandeur, depuis les médecins jusqu’aux infirmières. Grâce au Plan Cancer, nous avons pu diffuser un certain nombre d’exemplaires dans les services où nous travaillons. Plusieurs écoles et des professeurs possèdent aussi le livre, après notre intervention dans plus d’une petite dizaine d’établissements scolaires de Bruxelles. Nous espérons que cet outil permettra aux professeurs, à l’avenir, d’intervenir dans leurs classes lorsqu’un élève est confronté à la maladie.
ES: Comment et où le livre est-il diffusé?
SB : Les éditions Alice ont une diffusion dans tous les pays francophones, nous sommes traduits en allemand, en coréen et bientôt en portugais.
ES: D’autres ouvrages pour compléter cette histoire ?
SB : À l’asbl Cancer et Psychologie, il existe également un livre qui aborde le suicide d’un parent, «Comment papa est mort?». Puis, il y a «On va où quand on est mort?». De son côté, la Fondation contre le cancer a édité «Le jardin d’Aurélien» qui traite du cancer d’un parent. Intéressant.
ES: D’autres projets du même type en cours?
SB : Oui, un projet de livre pour enfants qui parle de la réincarnation…
Pour vous procurer «Alice au pays du cancer» de Martine Hennuy et Sophie Buyse, rendez-vous en librairie, sur Internet, ou encore à l’asbl Cancer et Psychologie, avenue de Tervueren 215 à 1150 Bruxelles. Tél./fax: 02 735 16 97, courriel: canceretpsy@skynet.be, site: http://www.canceretpsy.be . Prix: 12,90 euros .

«On va où quand on est mort?», rencontre avec Martine Hennuy

Diego vient de perdre son papa… Au travers de son chagrin, il y a aussi beaucoup d’interrogations et d’incompréhension. Où vont les gens quand ils sont morts? Est-ce qu’ils changent de forme? Que de questions sans réponse! Et lorsque sa maîtresse aborde en classe le sujet de la mort, Diego est surpris par le nombre d’interprétations qui existent de ce sujet dont on parle si peu. Il découvre aussi que chacun vit son deuil à sa façon et que parler de la mort aide à en avoir moins peur…
Le parcours professionnel de Martine Hennuy est très diversifié. D’abord, sa formation de base en logopédie l’a amenée à travailler avec des adolescents en enseignement spécialisé. Elle a ensuite repris une licence en psychologie clinique tout en travaillant en tant qu’éducatrice dans des maisons d’hébergement pour enfants. Au terme de ses études, elle a poursuivi ce travail en tant que psychologue. Martine Hennuy a aussi travaillé pendant 7 ans dans l’enseignement en tant que psychopédagogue en école normale, pour former des institutrices préscolaires.
Depuis 10 ans maintenant, elle a choisi de revenir à un travail plus clinique puisqu’elle propose des consultations psychologiques en maison médicale et en planning familial. Voilà également 10 ans qu’elle travaille pour l’association Cancer et Psychologie. Elle a animé pour l’asbl un Espace enfants parents (Institut Bordet), y a assuré une permanence téléphonique et y est maintenant formatrice dans le domaine de l’accompagnement du deuil.
Au milieu de ces problématiques lourdes, Martine ressent le besoin de se ressourcer. Ainsi, elle organise des voyages en collaboration avec une agence d’écotourisme et est accompagnatrice dans le désert du Sinaï en Égypte!
Éducation Santé : Qu’est ce qui vous a poussée à réaliser « On va où quand on est mort
Martine Hennuy : Le succès d’ « Alice au Pays du Cancer » nous a donné envie de poursuivre l’aventure en nous basant sur des problématiques que nous connaissons bien, dans lesquelles nous évoluons au quotidien. L’idée d’aborder le thème de l’après-vie nous est apparue comme une évidence. Nous sommes donc parties des interventions spontanées d’enfants endeuillés lors d’un Espace Papillon (3) car celles-ci étaient très riches. Nous avons dès lors élaboré le scénario de l’histoire autour de ces interventions.
ES : Pourquoi parler de la mort ? Cela vient il d’une demande ?
MH : La mort reste encore trop souvent un sujet tabou qu’il est important de dédramatiser. Après avoir évoqué le thème de la maladie grave, il semblait important de proposer un support permettant de soutenir et d’accompagner l’enfant sur le thème de la mort et surtout de l’après-vie, peu abordé par la littérature enfantine. Le livre semble répondre à une demande puisqu’il vient déjà d’être réédité…
ES : Quels objectifs poursuiviez vous ?
MH : L’objectif principal est de proposer aux enfants et aux familles des outils pour parler de la mort, pour élaborer ensemble les questions autour de ce thème encore trop souvent tabou. Il est également de légitimer le vécu de l’enfant en faisant passer le message qu’il est normal d’être triste, en colère lorsqu’on a perdu une personne proche, que ces émotions doivent être traversées.
ES : On va où quand on est mort ? N’est il pas ambitieux de vouloir répondre à cette question ?
MH : Effectivement, c’est pourquoi nous n’avons pas l’ambition d’y répondre!
Nous avons simplement souhaité aborder la question, sans y apporter de réponses toutes faites, en proposant à l’enfant des balises, des pistes pour y trouver ses propres réponses, car en matière de mort et d’après-vie, nous n’avons aucune certitude.
ES : Comment avez vous conçu le livre ?
MH : Tout simplement en partant de notre pratique professionnelle, ce qui nous a fourni un matériel très riche. Nous nous sommes également basées sur nos propres recherches et conceptions philosophiques autour de la mort, sans toutefois les imposer à l’enfant, mais en proposant différents points de vue, dans lesquels l’enfant pourra se forger ses propres croyances.
ES : Avez vous rencontré des familles endeuillées lors de la réalisation ?
MH : Non seulement au cours de la réalisation du livre, mais tout au long de notre pratique depuis 10 ans!
ES : Pourquoi un livre ? Pensez vous que cette forme convient particulièrement bien pour aborder la mort avec les enfants ?
MH : Un livre reste, on peut le consulter, le laisser de côté et le reprendre plus tard. Il constitue un support non seulement pour l’enfant, mais aussi pour l’adulte, qu’il soit parent ou enseignant (car nous avons aussi beaucoup de demandes d’interventions au sein des écoles).
ES : Existe t il un livret pédagogique pour savoir comment aborder ce livre avec les enfants ?
MH : Non, car nous n’avons pas voulu rentrer dans une démarche trop pédagogique, ni trop figée. Nous avons préféré laisser chacun utiliser le livre selon ses besoins, selon l’âge de l’enfant aussi.
ES : Quel usage préconisez vous ?
MH : C’est un livre à lire avec l’enfant, que ce soit en famille, à l’école ou à l’hôpital. Il ne concerne pas seulement les enfants endeuillés, mais tous les enfants car la mort est un sujet qui nous concerne tous.
ES : Selon vote expérience , le livre est il bien reçu par les enfants ? Qu’en disent ils ? Et les parents ?
MH : Nous l’avons bien sûr utilisé lors des ateliers ou lors d’animations dans les classes et en avons eu de très bons retours.
ES : Comment et où le livre est il diffusé ?
MH : Il est édité chez Alice Édition et est diffusé en Belgique, en France, en Suisse et au Canada.
On le trouve dans toutes les librairies et il est également possible de le commander à l’association Cancer et Psychologie.
Pour commander « On va où quand on est mort de Martine Hennuy et Sophie Buyse , rendez vous en librairie , sur Internet , ou encore à l’asbl Cancer et Psychologie , avenue de Tervueren 215 à 1150 Bruxelles , Tél ./ fax : 02 735 16 97 , courriel : canceretpsy @ skynet . be , site : www . canceretpsy . be . Prix : 12 , 90 euros .

« Grand arbre est malade», rencontre avec Nathalie Slosse

Frimousse le petit hérisson aime beaucoup Grand Arbre . Quand le docteur des arbres découvre des petits vers sous l’écorce de Grand Arbre , l’univers de Frimousse est complètement bouleversé . Il va pourtant jouer un grand rôle dans sa guérison
Éducation Santé : Pourquoi avoir réalisé ce livre ?
Nathalie Slosse : Quand j’ai été confrontée au cancer du sein en 2007, mon fils n’avait pas encore 2 ans. J’ai cherché ce qui existait pour communiquer sur la maladie grave avec les tout-petits, mais j’ai trouvé très peu de matériel. C’est pourquoi une fois la période la plus pénible du traitement passée, j’ai décidé de créer un outil pour aider d’autres parents et accompagner les jeunes enfants.
ES : Quels sont les objectifs de votre livre ?
NS : En premier lieu, je voulais encourager les adultes à parler de ce qui se passe quand une maladie grave frappe un proche, car je pense qu’il ne faut pas cacher les moments difficiles sous prétexte qu’il ou elle «est encore tellement jeune». Les enfants sentent qu’il y a des gros changements autour d’eux, il est mieux de mettre des mots là-dessous.
J’ai voulu écrire une histoire métaphorique (la maladie étant bien entendu l’attaque des vers) qui laisse beaucoup d’espace pour l’interprétation de l’enfant. Ainsi, l’histoire peut s’adapter à un grand nombre de situations.
ES : Quels sont les thèmes abordés ?
NS : Les effets secondaires (fatigue, perte des cheveux), les amputations, la durée du traitement, la chimiothérapie et la radiothérapie, les émotions de l’enfant (triste, heureux, fâché, inquiet) et le lien illogique entre «rendre malade» (effets secondaires de la chimio) et guérir.
ES : Comment avez vous conçu le livre ?
NS : Pour moi la partie la plus importante est celle avec les idées pratiques de jeux et de bricolages adaptés aux plus jeunes. C’est ça que j’ai pensé à réaliser en premier lieu. Il ne s’agissait pas pour moi, comme dans beaucoup d’ouvrages, de proposer uniquement à l’enfant de dessiner. Parce qu’à 2 ans, un enfant ne sait pas encore s’exprimer par un dessin! Bien sûr, j’avais mon cobaye chez moi à la maison… mon fils. Certaines choses, comme le monstre cancer , je les avais testées avec lui pendant ma maladie. L’idée d’ajouter à ces activités l’histoire de Grand Arbre et Frimousse m’est seulement venue après… Il m’a semblé intéressant de collaborer avec des associations qui ont une expertise dans le domaine de l’enfance et de la santé. C’est pourquoi je me suis adressée à la division jeunesse des Mutualités socialistes et aux psychologues de Cancer et Psychologie. Ils étaient bien placés pour me guider et me dire si un tel outil existait déjà pour la partie francophone du pays…
ES : Comment avez vous « inventé » les animations proposées dans le livret pédagogique ? Vous avez été aidée par un pédagogue ?
NS : Comme expliqué avant, ma rencontre avec des personnes de Cancer et Psychologie m’a beaucoup aidée. Puis, j’aime être créative et bricoler avec les enfants. Donc, quand je regardais des livres avec des idées de bricolages (par exemple pour la fête des mères), j’essayais de les «traduire» dans un contexte de maladie grave. J’ai aussi consulté un livre sur l’aide aux victimes (la gestion des émotions après un choc est très semblable dans beaucoup de cas).
ES : Pourquoi avoir choisi le livre comme support ?
NS : Les enfants aiment écouter les histoires et regarder des images. J’ai pensé que c’était la porte d’entrée la plus facile pour ouvrir un dialogue avec eux sur un sujet si délicat.
ES : Avez vous rencontré d’autres familles confrontées au cancer ?
NS : Oui, mais surtout depuis l’édition du livre, pas tellement avant. Avant, j’ai essayé d’en discuter avec d’autres jeunes mamans via un forum sur Internet notamment.
ES : Pourquoi un arbre et un hérisson ? Est ce que vous pensez que les enfants s’identifient ?
NS : Pour de jeunes enfants, situer une histoire dans un autre milieu que le leur, en l’occurrence celui des animaux, est moins menaçant.
ES : Ici , l’histoire se termine bien mais malheureusement , ce n’est pas toujours le cas
NS : Les contes se terminent toujours bien… Les enfants ont besoin d’un «happy end» même s’ils savent bien que, dans la réalité, tout ne se passe pas comme dans un conte de fée. Ceci dit, j’ai quand même voulu y ajouter une fin ouverte avec Petit Arbre qui commence à pousser… Il signifie que, même si Grand Arbre disparaissait, il nous resterait toujours des souvenirs… Mais je pense qu’il ne faut pas pousser l’enfant à cette conclusion. D’habitude, ils ont assez d’imagination pour y trouver ce qui leur convient le mieux à ce moment-là.
ES : D’après vous , est ce que le livre peut être utilisé dans le cadre d’autres maladies que le cancer ?
NS : Oui, j’ai déjà eu des réactions en ce sens. Dans un journal, j’ai lu un article sur une maman qui l’avait lu à ses enfants après l’amputation d’une jambe et de quelques doigts suite à une attaque de bactérie. Le mot «cancer» n’est pas spécifié, mais le traitement ressemble très fort à la chimiothérapie et radiothérapie, habituellement administrées en cas de cancer.
ES : Quel usage préconisez vous pour le livre ?
NS : Pour favoriser l’usage en famille, j’ai insisté auprès de l’éditeur pour inclure quelques idées dans le livre même, dans la partie «trousse à trucs de Frimousse». Mais dans le manuel plus complet (téléchargeable gratuitement), il y aussi des choses qui sont plus adaptées à une utilisation en classe, par exemple des suggestions pour la discussion en groupe. Enfin, pour l’utilisation par des personnes comme les instituteurs qui ne sont pas familiarisés avec un traitement contre le cancer, des photos de l’hôpital et un glossaire se trouvent également dans le manuel.
ES : Selon votre expérience , le livre est il bien reçu par son public ?
NS : Le livre est très bien reçu par le public, petit et grand. Je n’ai jamais eu la chance de voir la réaction des tout-petits en direct mais j’apprends via les parents qu’ils ont aimé car ceux-ci doivent relire plusieurs fois l’histoire! Il y en a même qui veulent garder le livre avec eux dans leur lit.
Les parents qui ne sont pas confrontés à la situation mais qui ont quand même le courage de lire l’histoire à leurs enfants, l’apprécient également, pour les leçons de vie qu’on peut en tirer.
On me dit même que des enfants de 10-11 ans en profitent. Les animateurs de Cancer et Psychologie, de leur côté, ont tout de suite lu le livre aux enfants de 3 et 4 ans. Ils disent qu’il fonctionne super bien et bien sûr, cela me rend très heureuse!
ES : Comment et où le livre est il diffusé ?
NS : Le livre est en vente au prix de 12,95 euros dans les librairies ou chez le distributeur Weyrich Éditions. On peut aussi le commander chez Latitude Junior ou Cancer et Psychologie.
ES : D’autres projets en cours de votre côté ?
NS : En tout cas, les réactions positives sur ce premier livre m’encouragent à continuer. J’aimerais bien pouvoir éditer encore d’autres livres pour enfants délivrant un message pour les aider sur un sujet difficile… J’aime ce défi et j’ai déjà pas mal d’idées. En ce qui concerne le petit Frimousse, j’ai déjà écrit une suite intitulée «Gouttes magiques», dans laquelle il en apprend davantage sur le chagrin et les façons de consoler quelqu’un. Mais il reste difficile de trouver un éditeur pour des livres pour enfants avec des thématiques lourdes, donc je ne sais pas encore si cette histoire trouvera son chemin vers le grand public…
Pour l’instant, je prépare aussi un projet avec des sacs à jeux composés de plusieurs choses amusantes autour du livre «Grand Arbre est malade», par exemple une petite poupée Frimousse: il est certainement plus agréable pour les enfants d’aller se coucher avec un doudou qu’avec un livre à la couverture dure! Ces sacs seront mis à disposition via les hôpitaux. Mais cette année je vais d’abord lancer le projet en phase expérimentale du côté néerlandophone. Pour suivre tous ces développements, les lecteurs peuvent consulter le site http://www.talismanneke.be .
Pour découvrir l’histoire de Grand arbre et Frimousse : http://grandarbre.over-blog.com .
Pour commander le livre , rendez vous en librairie , sur le site de Weyrich Éditions http://www.weyrich-edition.be/fr/detail-produit/grand-arbre-est-malade.htm , de Latitude Junior http://www.latitudejunior.be/spip.php?article80&var;_mode=calcul ou via Cancer et Psychologie , avenue de Tervueren 215 à 1150 Bruxelles , tél ./ fax : 02 / 735 16 97 , courriel : canceretpsy@skynet.be , site : http://www.canceretpsy.be .

Éducation Santé a aussi rencontré Lisbeth Renardy, illustratrice de «On va où quand on est mort?» et «Alice au pays du cancer»

Éducation Santé : Parlez nous un peu de vous , votre formation , votre parcours , votre métier
Lisbeth Renardy : Je vis et travaille à Liège. J’ai effectué mes études à St-Luc, en illustration. En 2002, fraîchement diplômée, j’ai pris contact avec la maison d’édition Alice Jeunesse et là a commencé une collaboration en tant qu’illustratrice de livres pour enfants. J’ai publié 7 albums entre 2003 et aujourd’hui chez Alice Jeunesse dont « La princesse du jour et le prince de la nuit », « Samuel a peur du noir », et un aux éditions Asteline « Western Bolognaise ». De nouveaux albums sont en cours, dont un chez Alice.
À côté de cela, j’anime des ateliers d’arts plastiques avec un public composé d’enfants principalement. Je suis également conférencière en atelier d’illustration à l’Académie supérieure des Arts. Je n’ai pas encore de site Internet mais on peut voir mes différentes parutions sur le site des éditions Alice ( http://www.alice-editions.be ) et sur celui d’Asteline ( http://www.asteline.be/biolisbeth.html ).
ES : Comment avez vous vécu l’expérience d’ « Alice au pays du cancer » et de « On va où quand on est mort
LR : Je les ai plutôt vécues comme un défi. Illustrer des sujets aussi sensibles n’était pas simple pour moi au départ. Pourtant, j’y ai retrouvé la poésie et l’imaginaire que j’ai l’habitude d’évoquer dans mes illustrations, c’est ce qui m’a spontanément incitée à illustrer ces deux textes.
De plus, comme la plupart d’entre nous, je me retrouvais dans ces histoires car je vivais à cette même période une série de décès dans ma famille, c’était un cauchemar… J’ai alors vu ces livres un peu comme le prolongement du deuil pour moi, je m’y suis donc investie doublement.
Aujourd’hui, je ne regrette pas d’avoir fait le choix d’illustrer ces deux textes, malgré les réticences de nombreux éditeurs, lecteurs et non-lecteurs. Je perçois ces livres comme des outils plutôt que comme des livres d’illustrations qu’on lit aux enfants le soir avant de s’endormir.
Par contre, je sais que je n’en ferai pas d’autres de ce genre. Je ne veux pas être cataloguée comme illustratrice «médicale» ou dépressive! Même si personnellement je trouve qu’ils ne sont en rien déprimants.
ES : Comment « dessiner le cancer / la mort »… Comment choisir les bonnes illustrations pour parler aux enfants difficile comme thèmes , non ? Aviez vous déjà travaillé sur des thématiques similaires ?
LR : Non, c’était une première pour moi. Ce sont effectivement des thèmes difficiles, sensibles et délicats à la base; abordés avec des enfants, ils le deviennent d’autant plus. Le plus important pour moi était surtout de ne pas effrayer l’enfant, en essayant d’y apporter de la douceur et de la couleur. J’ai toujours travaillé avec beaucoup de couleurs, il allait de soi que je continue dans cette voie.
Il n’y a pas une façon de dessiner le cancer/la mort, je n’ai fait que transposer ma propre imagination (issue aussi de l’imagination collective), avec ma sensibilité, mes émotions, la façon dont moi, avec mes yeux d’enfants, je ressentais les choses. Sans perdre de vue qu’il s’agissait avant tout d’un outil, je voulais m’éloigner de l’aspect médical pour accompagner au mieux la poésie du texte et garder une certaine «légèreté» malgré tout.
Propos recueillis par Carole Feulien
Lisbeth Renardy , illustratrice , Rue Fond des Tawes 279 4000 Liège , courriel : lisbeth_renardy@hotmail.com.

(1) Extraits des interventions de Sophie Buyse et Martine Hennuy lors du colloque du 24-02-2010 « Des livres pour le dire », organisé par Cancer et Psychologie, Latitude Junior et Le Wolf.
(2) http://www.relaisenfantsparents.be
(3) Ateliers destinés à des enfants ou à des adolescents confrontés à un deuil. Nous reviendrons en détail sur les activités de Cancer et Psychologie dans un prochain numéro.