Qui niera l’importance d’un titre d’article? En renseignant sur le sujet traité, il ramène déjà dans ses filets le public a priori friand de la thématique. En y ajoutant l’un ou l’autre procédé d’accroche – fantaisie, mystère, émotion, surprise…-, il peut en outre espérer rallier à la lecture du texte tous les badauds amusés, intrigués ou inquiétés. Mais, au-delà de sa fonction de rabatteur, le titre est aussi un message à part entière. Qui sera lu et parfois retenu comme tel par ceux qui ne font que parcourir la page. Et qui, pour les autres, risque parfois d’induire une interprétation biaisée des éléments informatifs qui suivent. Sans vouloir brider la créativité journalistique dans le domaine médico-sanitaire, il nous semble dès lors que l’anticipation des effets indésirables et la prévention des quiproquos en matière de titrage sont des objectifs à poursuivre, parmi d’autres facteurs de qualité des messages transmis. Le décorticage d’un exemple, somme toute banal, va nous servir à illustrer ce souci.
Au moins deux de nos quotidiens francophones ont fait écho (dans leurs éditions du 27 octobre 2000) à la problématique des embryons anormaux, dont il est établi que la fréquence augmente à mesure que l’âge de la génitrice est plus élevé. Ce qui nous a fait sursauter, et qui retiendra ici notre attention, c’est l’accroche choisie par un de ces quotidiens (1). L’ensemble du titrage se présentait comme suit: un mot-clé d’ouverture (“ chromosome ”), un sur-titre (“ 58 % des embryons chez les femmes de plus de 37 ans sont anormaux ”), un titre principal (“ Grossesse tardive , grossesse à risque ”).
Diable, nous sommes-nous dit de prime abord, une future mère de plus de 37 ans dont les yeux tombent sur un tel message est effectivement très à risque: celui, en particulier, de paniquer par rapport à son état présent. Ne va-t-elle pas s’imaginer qu’elle n’a plus que quatre chances sur dix (100 % – 58 % = 42 %) de mettre au monde, dans quelques semaines ou quelques mois, un bébé “normal”? Bonjour l’angoisse! Mais ne forcions-nous pas un peu la note en imaginant un tel scénario? L’examen minutieux de l’article devrait permettre d’en décider. Peut-être, après tout, comportait-il tous les ingrédients voulus afin de dissiper les craintes de la lectrice et du lecteur moyennement ou peu avertis.
Le corps du texte
Que nous relatait donc cet article? Primo, que des chercheurs de l’AZ-VUB (hôpital académique de l’Université libre néerlandophone de Bruxelles), intrigués par la baisse de fertilité et par le taux élevé de fausses couches chez les femmes proches de la quarantaine, ont analysé les chromosomes “ des patientes ” ayant eu recours à une fécondation in vitro sans avoir pour autant d’antécédents génétiques négatifs.
Secundo, que “ dans ce cadre , les embryons ont été soumis , avant replacement , à un screening pour les chromosomes 13 , 16 , 18 , 21 , 22 , X et Y ”, ce qui a abouti au constat chiffré évoqué dans le sur-titre.
Tertio, que l’équipe qui a mené ces travaux préliminaires (l’étude se poursuit et devrait inclure quelque 90 femmes) a été primée et est à la base des “ premières grossesses obtenues en Belgique après analyse chromosomique d’embryons humains , pratiquée chez des patientes de plus de 37 ans ”. La seconde moitié de l’article, via l’interview d’un des chercheurs, comporte quatre messages additionnels:
1 ° sur l’apport de l’étude en termes de connaissances : elle confirme “ ce que l’on pensait , à savoir que , soit dans la nature , soit lorsque l’on réalise une fécondation in vitro , beaucoup de femmes reçoivent des embryons anormaux ” ( N . B .: on aimerait savoir au passage de qui elles “reçoivent” ceux-ci “dans la nature”!);
2 ° sur l’utilité pratique des données recueillies : “ une telle approche pourrait , dans le futur , permettre d’éviter des grossesses multiples et le recours au diagnostic anténatal ”;
3 ° sur la représentativité des résultats : pour des raisons techniques, le screening était limité à sept chromosomes, mais si on avait pu multiplier les analyses, affirme le chercheur interrogé, on aurait trouvé “ très probablement 80 pc d’embryons anormaux dans cette catégorie d’âge ”;
4 ° sur les leçons à en tirer par le grand public : il est bon de réaliser que la technologie de la PMA (procréation médicalement assistée) est surtout conçue “ pour des femmes jeunes ” présentant un obstacle physiologique à la procréation; il est recommandé par ailleurs de ne pas attendre trop longtemps avant de concrétiser un désir d’enfant, pourvu qu’on s’y sente apte “ du point de vue psychologique , financier ou autre ”.
Équivoques non compensées
L’article procède sans doute d’un louable réflexe d’information concernant une avancée médicale réelle, en l’occurrence la possibilité offerte à présent de limiter les échecs, les frustrations, les souffrances associés à la fécondation in vitro (et accessoirement les coûts de tentatives à répétition). En ne réimplantant plus que des embryons non suspects pour les anomalies congénitales prises en compte, on peut prévenir en effet divers déboires susceptibles d’affecter les femmes et les couples en cours ou au terme de la grossesse: implantation d’un embryon voué à la fausse couche ou à l’avortement thérapeutique; naissance d’un bébé handicapé…
Toutefois, dans sa conception et son organisation, le corps du texte ne fournit pas les clés indispensables aux non-spécialistes pour saisir la portée très spécifique du sujet et, en particulier, pour relativiser la charge anxiogène extensive qui hante le titre (2). Pour y voir un peu plus clair nous-même, nous avons dû recourir à l’aide d’experts (3). C’est ainsi seulement que nous avons pu faire le tri entre l’information scientifique “pure”, dont la portée et la validité sont liées aux conditions d’observation propres à la recherche-mère, et la réalité non moins objective et importante des grossesses vécues dans leur écoulement classique.
Oui, près de 60 % d’embryons peuvent s’avérer effectivement anormaux pour la tranche d’âge maternel citée… Mais cette photographie du risque correspond exclusivement au tout premier stade du développement , celui que recouvre par exemple la phase de fécondation “extra-corporelle” propres à certaines PMA. Au-delà, et bien avant la fin du premier trimestre de gestation, la plupart de ces embryons sont éliminés spontanément, parfois à l’insu des femmes et avant même qu’elles se sachent enceintes!
La probabilité de découvrir une anomalie foetale , au moyen des diverses techniques de surveillance proposées aujourd’hui aux femmes présentant un risque particulier (âge, antécédents génétiques…), avoisine les 2 ou 3 % sur l’ensemble des grossesses. On est donc bien loin des 58 % placés au fronton de l’article et localisés de façon pour le moins floue dans le processus procréatif (“chez les femmes…” , dit le sur-titre)!
Quelques prérequis essentiels manquaient sans doute à la majorité des lecteurs ordinaires pour interpréter toutes ces choses de façon pondérée.
Premièrement, il fallait être bien au fait de ce que signifie exactement le mot “embryon”. Dans l’espèce humaine, rappelons-le, il s’agit du produit de la conception depuis la fécondation jusqu’à la huitième semaine du développement intra-utérin. Au-delà, on parle de “foetus”. Combien de lecteurs auront eu ce distinguo à l’esprit en lisant les chiffres litigieux? Combien auront compris de surcroît qu’on ne parle pas ici de n’importe quels embryons, ceux qui avaient fait l’objet de la recherche et qui se soldaient par un taux si élévé d’“anormaux” n’étant encore que de simples hôtes d’“éprouvettes” au stade le plus inaugural de leur destinée?
Conclusions et contre-exemple
Le choix du titre principal, déjà, aurait pu être plus heureux: “Grossesse tardive, grossesse à risque” associe deux notions qui ne se superposent pas entièrement et fait oublier qu’un seuil minimal de risque subsiste dans toute tranche d’âge en matière d’anomalies congénitales.
Parler de “risque accru” pour les femmes plus âgées aurait donc été préférable, tout en préservant la brièveté de la formule. Mais le pire vient évidemment de l’élément choc privilégié par l’accroche statistique. Inattaquable en sciences de la reproduction, cette information est très peu pertinente en journalisme de santé publique. Non seulement parce qu’elle n’apporte aux profanes aucun savoir pratique (sauf peut-être dans le cadre des fécondations in vitro), mais aussi parce qu’elle est peu intelligible et source de croyances erronées pour la plupart des (candidats) procréateurs.
Appeler un public ciblé (les futures mères de 35 ans ou plus) à la vigilance est une chose. Risquer d’affoler inutilement le public tout-venant en est une autre. Nous le soulignons d’autant plus volontiers qu’un second quotidien, rappelons-le, avait fait écho le même jour au communiqué émanant du service de reproduction humaine de l’AZ-VUB. Dans les mêmes conditions hyper-accélérées de traitement de l’information (4) et dans un format plus compact, ce journal a su en tout cas déjouer tous les pièges disséqués ci-dessus. Son côté accrocheur, il l’avait investi dans un titre principal un tantinet cocardier mais scientifiquement précis: “ Fécondation in vitro : prouesse belge ”. Un sous-titre sobre et explicite rendait en outre bien compte du strict objet médical de l’information rapportée: “ Objectif : détecter les handicaps avant la grossesse ”.
L’art du titrage est sans doute un exercice difficile, mais ce n’est pas une loterie. Puisse ce double exemple en convaincre.
(1) Voir à ce propos l’encadré “Ethique, transparence et anonymat”.
(2) Pire même, l’article ajoute à cela d’autres éléments de confusion, glissant sans crier gare de phrases qui semblent vraies (mais ne le sont pas toujours) pour toute grossesse à des affirmations qui ne concernent que les PMA. Ou encore passant allègrement des chromosomes “des femmes” à ceux “des embryons” dans le survol descriptif de l’étude, sans nous éclairer sur ce que cela recouvre comme vraie ou fausse distinction, etc.
(3) Un entretien avec un médecin travaillant dans un centre universitaire de conseil génétique et la lecture de deux sections de l’excellent ouvrage collectif La nouvelle génétique médicale (Ed. de l’ULB, coll. « Laus Medicinae » , (1998) n’ont pas été superflues.
(4) D’après nos recoupements, les deux articles ont été écrits dans les quelques heures qui ont suivi la réception de la dépêche. On peut s’interroger au passage sur l’urgence réelle qu’il y a à réagir à des sollicitations à substrat scientifique de ce type, si ce n’est que les rédactions de la presse quotidienne doivent souvent se débattre avec une pression assez factice : ne pas paraître à la traîne des confrères…. Un paramètre, reconnaissons-le, qui n’entretient qu’un rapport très lointain avec l’intérêt foncier du grand public, métaboliseur final des informations.
Ethique, transparence et anonymat
Comme ce mois-ci avec l’article ci-contre, notre rubrique ‘Communication’ sera de temps à autre émaillée d’ études de cas.
Une question de principe se pose à cet égard: convient-il ou non d’y désigner de façon précise les médias au sein desquels sont puisés les exemples (en citant le nom du journal, de l’émission, etc.)?
La question peut paraître plus délicate, et donc plus opportune encore sur un plan éthique, lorsque le propos est “égratigneur” que lorsqu’il est louangeur. Constatons d’emblée que l’unanimité ne se fait pas sur la réponse à donner. Pour les uns, trop de discrétion permet toutes les esquives (“ce n’est pas moi qu’on vise, ce sont les autres!”). La transparence serait alors un incitant bienvenu à la prise de responsabilité des rédactions concernant leurs éventuels manquements passés. Tel est l’argument que soutient par exemple Benoît Grevisse , de l’Observatoire du récit médiatique (ORM-UCL), lorsqu’il se réjouit que les instances déontologiques à visée autorégulatrice de l’Association générale des journalistes professionnels de Belgique, dans leur dernier rapport annuel (1999), aient enfin rompu avec l’anonymat qui prévalait jusque-là dans les avis publiés suite à une plainte ou interpellation (*).
Mais ce qui semble largement justifié de la part d’une instance déontologique, qui se prétend gardienne de la rectitude de toute une profession et qui agit de surcroît sur dénonciation de pratiques supposées “répréhensibles”, s’impose-t-il à nous dans le cas présent? Ne nous situons-nous pas plutôt sur un plan préventif que coercitif? Notre but premier n’est-il pas de faire réfléchir tout un chacun à ces aspects problématiques de la communication en santé qui nous guettent tous: simple maladresse, induction non voulue d’effets indésirables, accentuation de représentations tendancieuses…?
En analysant certaines pratiques, heureuses ou malheureuses à nos yeux (et cela peut toujours se discuter!), ce n’est pas tant leurs auteurs que nous cherchons à sensibiliser, à encourager et encore moins à stigmatiser. Ce sont tous ceux qui, ayant à communiquer demain, devront se montrer à leur tour circonspects et se poser un maximum de questions pertinentes.
Et là, le repérage immédiat des organes ou canaux de presse dont sont tirés les exemples concrets importe peu. Cherchera à les identifier qui veut (ce n’est pas forcément compliqué), mais pas avec notre complicité active. Dans une époque où la transparence fait volontiers figure d’impératif absolu, méditons au moins sur une des vertus résiduelles de l’anonymat. Il laisse planer un doute sur la localisation des pratiques améliorables: “ Et si c’était chez nous ?”…(*) B. Grevisse, “Le Conseil de déontologie au rapport”, Médiatiques , n° 21, ORM, automne 2000, pp. 39-40.