Un Escape Game pour développer des attitudes protectrices chez les élèves du secondaire et les sensibiliser aux conduites à risque : ce nouvel outil, ludique et collaboratif conçu par des acteurs issus des secteurs de la prévention et de la promotion de la santé sillonnera bientôt la région bruxelloise.
“On est dans la cabine du parc. La porte est bloquée. Je n’ai plus de batterie, viens m’aider stp”. Nour a envoyé ce sms au milieu de la nuit, et depuis, elle ne répond plus. Sacha aussi a disparu. Les joueurs ont une heure pour comprendre ce qui leur est arrivé hier soir. Voici le scénario de départ de l’Escape Game baptisé B(l)ack Out qui vise à développer des attitudes protectrices chez les jeunes et les sensibiliser aux conduites à risque.
A l’automne 2023, le prototype de cette installation a été pré-testé par 68 professionnel.les issu.es de différents secteurs (promotion de la santé, prévention, jeunesse) et 138 élèves de 15 à 20 ans scolarisés en secondaire dans la commune d’Anderlecht. L’Escape Game s’y installera en septembre pendant plusieurs semaines.
“Nous avons opté pour une approche ludique, collaborative et expérientielle basée sur les compétences psychosociales pour susciter chez les jeunes une réflexion sur les comportements à risque et aussi sur les attitudes protectrices en milieu festif ”, explique Fanny Céphale, responsable de projets du Centre bruxellois de promotion de la santé (CBPS) qui co-pilote le projet.
Créer un outil mobilisateur
La gestation a été longue et mûrement réfléchie. Tout commence fin 2020, quand l’idée de créer un nouvel outil de prévention émerge au sein de la concertation des acteurs de prévention des assuétudes de Bruxelles coordonné par le CBPS. Un groupe de travail se met en place rassemblant le CBPS, le FARES, le Pélican et le Pôle assuétudes du service Prévention d’Anderlecht.
Le groupe explore divers outils existants et très vite surgit l’exemple d’un Escape Game suisse sur les addictions, dont le rapport d’activité donne de solides pistes de travail en terme d’empowerment et d’impact éducatif. “La participation active renforce l’assimilation des informations et des messages clés, rendant l’expérience à la fois plus mémorable et plus significative” explique Fabienne Philippe, responsable et chargée de projets du Pôle assuétudes de la Commune d’Anderlecht.
Les acteurs s’accordent alors sur l’idée de créer un outil mobilisateur qui répondent aux besoins des acteurs de Promotion de la santé. L’Escape Game devra être transportable pour aller à la rencontre du public en s’installant temporairement près des lieux de vie des jeunes. Pour ce faire, le groupe fait appel au concepteur d’Escape Game belge Bruno Willemark, fondateur de “Let Me Out” et décroche un financement de la COCOF dans le cadre des subsides facultatifs de promotion de la santé.
Le titre de l’Escape Game mêle l’expression anglaise « back out », qui signifie littéralement « faire marche arrière », et le terme « Black-Out » qui désigne à la fois la perte de conscience liée à la consommation d’alcool ou de stupéfiant, ou plus simplement la panne d’alimentation électrique.
Scénario et décors sur mesure
Au fil des discussions, le groupe assuétudes décide d’ouvrir l’Escape Game aux thématiques EVRAS, puis réalise que “l’approche par les compétences psychosociales permet de faire la jonction entre santé physique, santé mentale et promotion de la santé ”, explique Valérie Lefèvre, spécialiste EVRAS au sein du CBPS.
Le scénario de B(l)ack Out fait écho au film américain Very Bad Trip, de Todd Phillips, ou à la série Euphoria de Sam Levinson, en plus soft. Les trois parcours sont jouables simultanément pour permettre à une classe de 24 élèves de le réaliser en une heure.
Chaque groupe de huit élèves doit retracer tous les faits et gestes de la soirée de Nour et Sacha, collecter des indices et résoudre des énigmes. Il passe par cinq espaces : un bar, un salon et un skatepark – ces trois décors installés sous des grandes tentes de 5m sur 5 donnent la sensation que l’enquête se déroule la nuit en “créant une atmosphère sur mesure” explique Bruno Willemarck, le concepteur de Let Me Out qui tenait à créer “une expérience éducative immersive pour mieux glisser dans l’histoire”. Puis deux espaces ludiques catalysent l’attention du groupe autour de modules d’activités collaboratives : un laboratoire et un local technique de la STUP – la société de transport urbain planétaire, un acronyme créé pour l’occasion.
“Les meufs, ça deale pas”
Le bar est conçu comme un espace ludique qui permet d’aborder les conduites à risque et les comportements protecteurs en soirée. La voix du propriétaire du bar accueille le groupe d’un ton bourru : « J’ai vu vos potes hier, bien bourrés, j’ai dû arrêter de les servir au bout d’un moment. (…) Je suppose que vous êtes là pour récupérer leur sac ? Je l’ai mis dans le coffre, vous pouvez le prendre ». Pour trouver le sac, le groupe doit chercher des indices dans le décor sur des affiches de sensibilisation et de prévention sur le port du préservatif, le consentement, le respect ou encore le code Angela – toute personne harcelée ou victime de violences peut se rendre dans les bars ou les commerces affichant l’autocollant « Demandez Angela » et dire « Où est Angela ? » pour être prise en charge.
L’espace du laboratoire se rapproche plutôt de la thématique des assuétudes. Un comédien joue le rôle du laborantin. Le groupe arrive avec le sac de Sacha : on y trouve une pomme, un journal de classe, de l’alcool et des petits récipients avec des cachets et de la poudre – qui laissent penser que ce sont des stupéfiants. Le groupe doit scanner les codes-barres des récipients, et aller chercher les effets recherchés et indésirables de chaque substance.
Cet espace permet aussi d’interroger les stéréotypes de genre. “Certains élèves sont persuadés que Sacha – un prénom délibérément non-genré – est un garçon, parce que selon eux, “les meufs, ça deale pas”” explique Valérie Lefèvre. Tandis que les filles supposent que Sacha est un garçon pour une autre raison, parce que “c’est plus dangereux pour des filles de sortir seules dans un bar”. En général, cette remarque fait réagir les garçons qui n’ont pas forcément conscience de ce sentiment d’insécurité et de la prudence qui s’impose à leurs comparses féminines.
Révéler l’effet de groupe
L’énigme du skatepark permet aussi d’aborder la différence entre un fait, une opinion et une rumeur, tandis que l’espace du salon vise à mettre en lumière l’influence des pairs et l’influence sociale, pour montrer comment l’individu résiste ou non à l’effet de groupe. Certains élèves ont pour consigne de se concentrer sur les énigmes, tandis que d’autres ont celle de jouer au jeu vidéo et de convaincre les autres de les rejoindre. Ces consignes contradictoires génèrent des tensions, les participants ne sachant pas qu’ils n’ont pas reçu la même, et que leur objectif est différent.
Enfin, le local technique de la STUP permet de retracer le chemin en métro de Nour et Sacha. Ce module travaille les compétences psychosociales collectives : la coordination, l’écoute, la communication, la prise de décisions, la demande d’aide, la gestion de la frustration. “On a eu droit à des disputes aussi bien chez les jeunes que chez les adultes lors des pré-tests, quand l’un d’eux voulait prendre le lead” s’amuse Valérie Lefèvre.
Tout au long du parcours, le groupe est d’ailleurs suivi par un Game Master qui note sur une grille d’observation et d’évaluation les compétences psychosociales que les jeunes ont activé.
Un debriefing ascendant qui part des jeunes
Le debriefing est un temps d’échange avec les jeunes sur base de leur vécu, leur expérience. Il s’appuie sur la grille d’observation créée pour l’Escape Game et un canevas avec des questions très ouvertes : Comment ça s’est passé pour vous ? Qu’est-ce qu’il s’est passé finalement entre Nour et Sacha ? Est-ce que vous avez appris des choses ? Comment a fonctionné votre équipe ? Est-ce que vous aimeriez recevoir des informations complémentaires ? Si oui, lesquelles ? Sur quel support (brochure…) ?
“Ça a été plus complexe à construire qu’un simple outil de sensibilisation, car on a construit autour d’eux pour libérer leur parole sur les représentations et valoriser leurs savoirs expérientiels” explique Fanny Céphale.
Des jeunes qui auront déjà consommé, vont ainsi se mettre en position de pair, et faire part de leurs connaissances. “Ben oui, Sacha a mélangé tel et tel produit, ça se fait pas, c’est super dangereux”. L’expression de leur savoir expérientiel va rendre le groupe un peu plus omniscient, et permettre aux animateurs d’apporter des compléments.
“On a trouvé que les jeunes sont empathiques, ils font plus attention à l’autre et sont plus communautaires que ce que l’on pensait. On peut leur faire confiance,” ajoute Valérie Lefèvre.
Encourager l’esprit de collaboration
Un professeur de 5ème technique sociale confirme après coup par écrit que ses élèves “ont apprécié la collaboration avec certains camarades qu’ils ne connaissaient pas forcément, ça a créé certaines synergies, affinités. Lors du debriefing à l’école, je les ai trouvés très enthousiastes, créatifs et entreprenants. Ils ont pris conscience de certains stéréotypes et/ou préjugés (drogues, médicaments, condition de la femme, éducation) ou de certaines croyances limitantes sur les sujets cités précédemment, l’importance de “bien collaborer et de transmettre des infos pour mieux communiquer et atteindre ensemble un but commun”.
Le fait de choisir une approche par les CPS, et d’utiliser les thématiques comme des portes d’entrée permet de mobiliser des acteurs généralistes directement en contact avec le public scolaire (PMS, PSE, AMO). Ceux-ci seront spécialement formés pour coanimer les phases de jeu et de débriefing avec les membres du groupe de travail lors de l’installation de B(l)ack Out à Anderlecht. Un guide d’animation leur sera destiné.
“Sur le terrain, les attentes sont fortes vis-à-vis de « B(l)ack Out », explique Fabienne Philippe. Notamment, car les directions d’école et les institutions de soutien à la jeunesse cherchaient “des outils capables de susciter l’intérêt des jeunes pour des sujets sérieux et délicats tels que les drogues et leurs usages, tout en restant engageants et éducatifs. « B(l)ack Out » intéresse aussi les PMS, PSE, et le secteur jeunesse (AMO, éducateurs de rue, …) pour sa capacité à faciliter l’engagement de leur public” ajoute-t-elle.
Le 21 mars, le projet a été présenté aux acteurs d’Anderlecht, Bruxelles et Saint-Gilles. En fin d’année, il le sera aux professionnel.les de toutes les communes bruxelloises, étant donné que l’Escape Game est conçu pour être nomade. Les cinq espaces, une fois démontés, tiennent dans deux camions et pourront sillonner la région pendant plusieurs années.
Contact :
Valérie Lefèvre, responsable de projets au CBPS et référente du Point d’appui milieu de vie des jeunes (EVRAS) : valerie.lefevre@cbps.be
Fanny Céphale, responsable de projets au CBPS et référente du Point d’appui en milieu de vie des jeunes (Assuétudes) : fanny.cephale@cbps.be